FRANCIS DEDOBBELEER


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)

Né en 1961 à Bruxelles, Francis Dedobbeleer est un pionnier du SM en Europe. Il édite sa première revue fetish-punk à 17 ans. A la même époque John Sutcliffe, le créateur du costume d'Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir, lance la revue Atom Age ! Conseiller municipal à Bruxelles pendant plus de 10 ans, exclu du Parti Socialiste pour avoir pris la défense des prostituées, éditeur de magazines SM depuis plus de 22 ans, Francis Dedobbeleer a eu de graves problèmes en 1984 en Belgique quand ce pays interdisait encore la pornographie et l'avortement. En 1995 il installe ses bureaux à Paris, devient rédacteur en chef d'une multitude de revues dont Demonia, puis D magazine, se teint les cheveux en rouge et lance la Nuit Elastique qui devient la plus grande soirée fétichiste parisienne. Au fait, le SM, c'est quoi ?

Propos recueillis par Agnès Giard.


Le SM, dans l'imagerie populaire, c'est un monsieur en pantalon de cuir qui donne des coups de cravache à une jeune femme nue en collier de perle... Qu'en penses-tu ?

Le SM c'est comme le mouvement punk : il n'échappe pas aux clichés !

Tu ne considères pas le SM comme une forme de sexualité “raffinéeâ€?, “cérébraleâ€? et “sophistiquéeâ€? ?

Non. Le SM Bon Chic Bon Genre, c'est pas mon style ! Ca, c'est un truc de snobs qui se réclament d'Histoire d'O. J'aime bien ce roman, bien sûr, c'est une vraie déclaration d'amour, mais il a été complètement banalisé au point de devenir un stéréotype un peu grotesque... Moi je préfère Portier de Nuit, Tom of Finland, Les Onze Mille Verges, ou des oeuvres plus trash... Je préfère le SM qui sent le cuir, les rangers, la pisse, l'amour sale et brutal. Je me bats pour sortir le SM des ornières élitistes et des stéréotypes politiquement corrects.

Comment peux-tu concilier ce “militantismeâ€? et le fait que tu sois à la tête d'une entreprise commerciale ?

Pour moi l'argent ne doit pas être un tabou, gagner de l'argent me permet de faire vivre mes revues, d'organiser des soirées et de développer des sites internet non commerciaux. On ne gagne pas tant de fric que ça quand on est éditeur de revues SM, c'est un petit marché mais si on est vraiment impliqué dans la communauté, présent sur le front depuis 22 ans, on finit par récolter les fruits... Maintenant, je suis indépendant. Je peux écrire ce que je veux dans Talons Aiguilles, plus personne n'ose me dicter ce que je dois faire ou dire... ce qui me permet de bien taper sur les travers du milieu ! A tel point que bon nombre d'éditeurs refusent désormais de m'envoyer leurs “oeuvresâ€?.

Il est d'ailleurs très étonnant de voir à quel point tu ne ménages ni tes lecteurs, ni tes confrères dans certains de tes éditoriaux !

En fait, je pense que, comme la communauté gay, le milieu SM ne pourra évoluer que si certains d'entre nous acceptent d'être des leaders. La communauté SM a besoin de représentants sérieux, on en a marre d'être représentés par des dominatrices qui ne connaissent qu'un aspect très limité de nos plaisirs et par des obsédés de l'esthétique londonienne. C'est très bien d'interviewer des dominatrices mais que savent-elles de la passion, celle qui crée des relations SM percutantes et extrêmes ? Fantasmes (le film de Jun Hang Loo), c'est de la passion, forte, ultime. Le SM c'est ça... et puis des tas d'autres choses aussi !

Ah oui ? Le SM c'est quoi exactement ?

Le SM c'est jouer avec les fantasmes les plus inacceptables en principe. C'est lier la douleur et la violence au plaisir. C'est tout sauf de la mièvrerie. Le SM nous sauve de la connerie et du crime. C'est fantasmer, comme victime ou bourreau, sur des choses comme l'emprisonnement, le viol, les agressions, l'humiliation. Ce n'est surtout pas se contenter d'embrasser le bout d'une cuissarde propre d'une dominatrice professionnelle... En cela, le SM est une sexualité scandaleuse : elle nous oblige à nous défaire des tabous imbéciles et de l'hypocrisie.

Ce n'est pas un peu dangereux tout ça ?

Il est plus dangereux de nier ses désirs que de les réaliser dans le cadre d'un scénario. Le SM est un jeu de rôle où l'on fait la part des choses entre ses phantasmes et la réalité. C'est un jeu qui demande beaucoup de complicité entre les partenaires, du dialogue, de la confiance...

Combien de personnes en France partagent ces fantasmes ?

D'après moi, 10% de la population... Mais personne n'a fait d'enquête. Cela dit, tout rapport sexuel est un rapport d'autorité, de force et de violence, qu'on le veuille ou non. Tout le monde est forcément à un moment ou à un autre un peu SM dans ses relations sexuelles...

Tu encourages tout le monde à avoir des relations SM ?

Certainement pas. Je suis ni pour ni contre. Les gens font ce qu'ils veulent et ce qui les fait tripper. La liberté, c'est de pouvoir choisir, en dépit des modes et des censures... Mes pires ennemis sont ceux qui pensent que le SM est une sexualité raffinée, vraiment hype, et ceux qui pensent qu'il faudrait nous enfermer...

Etre SM, c'est comme être homosexuel, en somme ? Ce n'est pas parce que les médias en parle beaucoup que le nombre de sado-masochistes ou de gays augmente ?

Evidemment non. Je ne vois pas du tout pourquoi le fait d'informer le grand-public de certaines pratiques en ferait des adeptes ! Par contre une certaines liberté d'expression et une certaine visibilité de la communauté SM a permis à bon nombre de gens qui se croyaient seuls de comprendre qu'ils faisaient partie de millions de personnes en France.

Tu organises d'ailleurs des soirées SM où les gens peuvent se rencontrer ?

J'organise toutes sortes de soirées différentes : des soirées SM pures et dures qui réunissent en petit comité des couples pratiquants (Nuit des confessions)... mais aussi des soirées fétichistes (Nuit Elastique) ! Ce n'est pas exactement la même chose. A La Nuit Elastique, par exemple, on n'est pas obligé de se positionner comme dominant ou dominé, on peut se contenter de s'exhiber dans sa plus belle tenue en latex ou en vinyle, danser toute la nuit et boire en bonne compagnie. Il y a une playroom SM dans mes soirées, mais les gens viennent surtout pour faire des rencontres. Dans ces soirées, la musique a un rôle primordial, le prix d'entrée (100 F) et des boissons (10 F la bière) également. Je veux que mes soirées soient à la portée de tous les fétichistes, je ne veux pas tomber dans le syndrome des boîtes échangistes. Je veux voir un public jeune, drôle, fun et enthousiaste. C'est probablement pour cela que je suis aussi proche des milieux techno, gay, rock et surtout gothique et rollers.

Il existe d'autres soirées fétichistes à Paris. Qu'est-ce qui vous différencie ?

La mienne veut rassembler le plus grand nombre. Je n'ai pas de complexes artistiques, ni intellectuels... Mon but : réunir tous les fétichistes et tous les amateurs de SM débutants ou confirmés - des RMIstes aux cartes Gold, des pédés cuir aux folles camionneuses, des travestis hétéros aux dominatrices beurettes, des couples fétichistes-échangistes aux gothiques androgynes...
Ce qui est sûr, c'est que les autres organisateurs n'ont pas cette vision qu'ils qualifient d'â€?utopiqueâ€?. Ils parlent de moi comme d'un Robin des bois du fétichisme. C'est sans doute qu'ils ne sont eux que des petits-bourgeois coincés, des marchands du temple et des fashion-victims indécrottables.

Et tu as d'autres projets en dehors des soirées et des revues ?

Tout d'abord, développer notre présence sur Internet au travers de plusieurs sites, les uns militants, les autres artistiques, les derniers consacrés aux rencontres réelles. Ensuite, donner plus d'ampleur encore au Paris Fetish Week-end et au Bruxelles Fetish Week-end.

C'est quoi le “Paris Fetish Week-Endâ€? ?

C'est un peu la Gay Pride de la communauté fétichiste française. Depuis près de deux ans j'essaie d'associer tous les établissements et toutes les personnalités qui comptent chez nous dans l'organisation d'un week-end, qui dure quatre jours. Le but est de mettre sur pied ce type d'événement tous les trois mois à Paris, afin de permettre aux fétichistes de province et de l'étranger de passer un week-end fetish pas cher parisien. Le but, c'est surtout de rassembler dans un seul et même mouvement les hétéros et les homos, les fétichistes et les SM, et de créer une synergie réunissant autour des mêmes fantasmes hard les établissements commerciaux comme les associations à but non-lucratif.

Te reste-t-il encore des envies ?

Oui, plein ! Je voudrai créer une télévision fétichiste sur Internet, parvenir à refaire un magazine intelligent et artistique... Sentiment Moderne doit absolument renaître. C'est le magazine qui m'a le plus tenu à coeur, qui m'a coûté le plus cher, qui a fait la révolution et qui, comme tous les autres dans sa catégorie, n'a pas survécu plus de 10 numéros. Mon pari : faire en sorte qu'Internet répare les erreurs du papier.


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A propos de cet article


Titre : FRANCIS DEDOBBELEER
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Genre : Interview
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Date de mise en ligne :

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Francis Dedobbeleer - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

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