PATRICE 'HERR SANG' LAMARE « PUNK NOT DEAD »


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)

Sans le mouvement punk, il n'y aurait probablement jamais eu de Spirale. Et sans Patrice Lamare, plus connu sous son pseudonyme de Patrice « Herr Sang », ses multiples incarnations dans le monde agité de l'auto-production (le fanzine New Wave, New Wave Records, le catalogue de distribution Al di La, les éditions du Yunnan et la structure de production Thrash Seditions, aujourd'hui réunis sous la bannière du site Celiableue.com) et les réseaux qui s'y alimentaient, le mouvement punk n'aurait probablement pas eu le même impact en France.

Une interview qui dévie vite vers la leçon de choses avec un grand ancien dont la motivation et l'énergie ne sont plus à démontrer. Comme il le dit si bien lui-même, face à la haute technologie, opposons la méthode vietnamienne, dite des moyens du bord. Une roquette culturelle bien ciblée coule sans problème l'hélicoptère dernier cri de la multinationale du coin.


Propos recueillis par Laurent Courau.



Commençons par parler de ta découverte de la vague punk. Qu'est-ce qui t'a interpellé là-dedans et comment en es-tu venu à t'intéresser à ce mouvement ?

Ma découverte de la vague punk remonte quasiment aux origines. Je me suis toujours intéressé à ce qui est nouveau, en musique comme en autre chose. Et dans ce qui est nouveau, à ce qui est à la fois novateur et en opposition à un état dominant, état d'esprit, culture, etc. Ainsi, lorsque ce qu'on appela la "musique planante" émergea dans les années 1973/1975 dans l'indifférence la plus totale, j'ai créé le fanzine La Nébuleuse Germanique (vague dite "planante" mais quand on écoute Guru Guru, les premiers Kraftwerk ou Neu, ça n'a rien de planant). En 1971, ce fut le Comité de Soutien à Grand Funk Railroad, quasi l'inventeur du heavy metal et le premier à aligner un quota de décibels époustouflant sur scène. Chaque concert était sujet à émeute. Donc, tout naturellement, j'ai accroché sur Patti Smith et les pré-punks apparus à New York dès 1974/1975 (Velvet Underground, New York Dolls, etc.). Et lorsqu'en France, comme dans toute l'Europe, émergèrent et convergèrent à la fois un mouvement politique (les autonomes) et un mouvement culturel (les punks), j'en fus. Et dès 1976, cela donna les premiers concerts punks organisés par les autonomes, les premiers zines mixtes (Gare du Nord), etc. Sur scène, mon premier concert étiqueté punk fut The Damned et Shakin'Street le 06 octobre 1977 au Bataclan. Mais je serai tenté de dire que le "vrai" premier fut les M.C.5's le 29 novembre 1972, toujours au Bataclan. 1972, année des films de John Waters dont Desesperate Living et bien d'autres, dans lesquels Malcolm McLaren, vivant alors à New York, pompa des tas d'idées pour son "futur" comme la crête bleue fluo ou le chanteur tirant sur son public (Sid Vicious plus tard avec My Way). Tout ceci arboré par le défunt Divine. Originalité, révolte, énergie, nouveauté, voilà ce qui m'a de suite intéressé.

Dans quel genre d'activités louches trempais-tu avant de t'investir dans cette scène musicale ? Etais-tu déjà actif dans une scène musicale ou de manière plus générale engagé dans l'underground culturel ? Et si c'était le cas, quelles sont les racines de cet engagement ?

Oui, je n'ai pas commencé mes activités avec le punk. La musique rock m'a toujours intéressé. Je suis tombé dedans en 1963/1964 avec les premiers 45t des Beatles, des Kinks et des Rolling Stones. Puis au fil des années 60, ce sera toute la vague américaine anti-guerre du Vietnam, les M.C.5's, Jefferson Airplane, Santana, l'anglais Jimi Hendrix, les Who, etc. Ma première initiative "rock" fut donc la création d'un Comité de Soutien au groupe heavy metal américain Grand Funk Railroad qui était traîné dans la boue par les médias rock du moment (Rock & Folk, Best, les mêmes qu'on retrouvera face au punk en 1976/1977) les accusant de faire du bruit et non de la musique, et conséquemment attaqué par les flics (chaque concert était quadrillé par les CRS : pour celui du 13 décembre 1971, il fallait pour accéder à la salle passer entre deux rangées de CRS casqués ! C'est l'époque de Pop Music Revolution et du FLIP, les interventions politiques contre la récupération du rock par le système, pour la gratuité, etc. Saccage du Palais des Sports en 1971, entrées en force dans les festivals d'été en 1970, 1971, 1972, création des premiers zines rock en France (Le Pop, Le Parapluie, etc.). Mon comité a rassemblé plus de 500 adhérents et un de ses points forts fut l'intervention musclée à coups de chaîne de vélo d'une quinzaine de membres sur Claude Villers qui était un des plus virulents pourfendeurs de Grand Funk sur Radio France. Ils l'ont attendu à la sortie du studio, à la Maison de la Radio. Puis ce fut dans les années 1972/1975 le fanzine La Nébuleuse Germanique, une quinzaine de numéros, permettant de découvrir tous les nouveaux groupes, principalement allemands, explorant les possibilités non seulement de l'électronique, mais même de l'expérimentation en générale (ainsi, Guru Guru dont le guitariste joue tout en démontant/remontant sa guitare). Totalement inconnus à cette époque, Kraftwerk, Tangerine Dream, Popol Vuh, Can ou Floh de Cologne sont des stars aujourd'hui que personne n'oserait ignorer. Parallèlement aux activités musicales, je participais à des tas d'activités politiques, de création de fanzines divers (d'humour, de contre-culture, etc.) et j'écrivais dans les premiers zines punks dès 1975 (Gare du Nord, Annie aime les sucettes). Là aussi, les racines de cet engagement proviennent d'une ouverture d'esprit héritée de mon père, m'amenant à m'intéresser au monde extérieur, une très forte politisation familiale et un caractère ouvert. Mes premiers chocs hors cercle familial seront l'assassinat de John Kennedy en 1963, la guerre du Vietnam et l'assassinat du Che en 1967.

Qu'est-ce qui a motivé la création du fanzine New Wave en 1980, puis peu de temps après Al Di La, le catalogue de distribution, suivi du label New Wave Records ? Est-ce que cette scène manquait de structures et as-tu été inspiré par d'autres initiatives du même type ?

La création du fanzine New Wave en 1980 fut la suite logique d'un ensemble de faits. En 1979, se déclencha un mouvement de contestation chez les "moins de 18 ans", les mineur/es, un des rares secteurs qui ne soit pas encore touché par la vague de remise en cause démarrée en 1968. Lors d'un camp de vacances alternatif durant l'été 1978, un noyau dur décida qu'il ne fallait plus fuguer chacun seul dans son coin mais faire exploser collectivement le problème. En janvier 1979, des dizaines "d'enfants" fuguèrent, qui de leur famille, qui de leur foyer de la DDASS, et convergèrent à plus de cinquante de toute la France sur Paris où ils occupèrent quinze jours durant le bâtiment de la faculté de sociologie de l'université Paris VIII (sise alors en plein Bois de Vincennes). Allant de 12 à 17 ans, ces mineur/es créèrent le Comité des Mineur/es En Lutte et sympathisèrent avec les autonomes locaux, en l'occurrence des maos et des anars dont j'étais. On les aida à créer leur journal, Le Péril Jeune. La lutte dura ce que dure toute l'heure, donc début, développement, conclusion et en janvier 1980, une partie des mineur/es qui n'avait pas envie d'en rester là, s'étant tout naturellement reconnus dans le mouvement punk, il fut décidé de créer son zine punk. Ce fut le numéro 01 de New Wave en avril 1980, créé par un majeur (moi) et sept mineures (que des filles). On ne retrouvait pas l'info et l'esprit du punk dans les Rock & Folk, Best et Extra officiels. C'est pourquoi des milliers de zines se créeront, la base d'un zine étant d'aborder ce qui nous branche et ce qui n'est pas ou mal traité dans la presse "officielle". Une véritable explosion se fit autour du punk et de ses annexes (new wave, goth, hardcore, etc.) donnant naissance à des milliers de disques autoproduits, de zines, d'assos. N'oublions pas l'émergence des radios libres à la même époque. Une sorte de Mai 68 rock ! Il fallait structurer tout cela si on voulait que ça dure. C'est là que sont intervenus les "cadres au chômage" du gauchisme alors agonisant. Trotskystes, maos ou anars, épaulés par les autonomes, s'investirent dans la création/structuration. Pour ma part, comme les autoproductions n'arrivaient qu'à se distribuer localement, j'ai décidé d'utiliser le zine qui était national pour créer un réseau indépendant de vente par correspondance, Al di La en 1982. Puis à force de rencontrer des groupes qui n'avaient pas les moyens de se produire, on a envie d'en aider certains et on finit par créer son label, New Wave Rds en 1983. L'inspiration organisationnelle découlait des expériences politiques, particulièrement des plus riches, Gauche prolétarienne maoïste et mouvement autonome.

On a le sentiment que tout allait déjà très vite durant ces années, que de nouveaux groupes et de nouveaux sons faisaient leur apparition chaque semaine. Ce qui transparaît dans les numéros du fanzine et dans les productions du label de cette époque, qui mixaient allégrement le punk, le hardcore, la musique industrielle, la cold wave et toute la palette de musiques sombres, décalées ou énervées dont l'influence se fait sentir jusqu'à aujourd'hui. Quelle vision as-tu de cette période avec le recul ? As-tu le sentiment d'avoir vécu un moment de créativité intense et quelle comparaison ferais-tu avec ce qu'il se passe actuellement ?

Ah oui, c'est sûr que ça allait très vite. En 1977, les zines punk et assimilés étaient moins de dix. En 1980, plus de 1500. Dans les années "hippies", vers 1967/1968, la scène rock française comptait quelques dizaines de groupes. En 1980, rien que la SACEM enregistrait 35.000 noms de groupes déposés. Soit plus de 50.000, si on compte ceux qui crachaient sur la SACEM. De 1980 à 1985, c'est allé en speedant. C'était l'époque où les Bérurier Noir vendaient 40.000 exemplaires d'un album uniquement à travers le mouvement indépendant. Evidemment, aujourd'hui, c'est tout à fait différent. Selon le bon principe du "un se divise en deux", le mouvement issu des années 1977/1986 a explosé en deux voies : l'une suivant les sirènes du showbiz, de la commercialisation et de la médiatisation à outrances et l'autre consolidant plutôt une vision alternative, différente, auto-organisée. Ce qui fait qu'aujourd'hui, on a le showbiz avec ses volets "alternatif", "indé" et on a un underground beaucoup mieux organisé qu'en 1977 (normal : à l'époque, ça partait de quasi zéro) et une véritable toile d'araignées transcendant les frontières (et amplifiée par Internet).
D'autre part, alors que tout cohabitait dans les années 1977/1986, autour du punk et du hardcore, il y a aujourd'hui une ghettoïsation où si des genres se mixent (funk et metal, punk et festif, etc.), les adeptes ont plus tendance à rester entre eux. C'est rare les lieux comme le CICP sur Paris qui aligneront dans un même concert du punk, du rock, du ska. Mais demeurent des points de convergence, comme nous.

Pays de l'Est, Amérique du Sud, Japon, Suède, Norvège, etc. New Wave Records et Al Di La ont très vite pris une tournure internationale, qu'on retrouvait également dans le fanzine au travers des interviews et des comptes-rendus sur les scènes locales. Peux-tu revenir pour nos jeunes lecteurs sur la manière dont se passaient les contacts et les échanges avant la naissance du Web ?

Les contacts internationaux s'établissaient grâce à des revues comme Maximum Rock 'n' Roll, blindées d'adresses, par le courrier, le fax et les voyages. Les gens actifs et créatifs dans un mouvement culturel le sont parce qu'ils sont ouverts sur le monde, voyagent et écrivent beaucoup, s'appuient sur des échanges de toutes sortes. Il était courant de voir débouler des punks polonais à Paris par exemple. Les liens internationaux découlant des activités politiques ont aussi joué. Et surtout il y avait des points communs : le chômage, le rejet de la société, la Fraction Armée Rouge allemande et l'assassinat de ses leaders en prison, etc. Une culture commune qui amenait les gens à vouloir se rencontrer et travailler ensemble.

J'ai le sentiment que la scène punk-hardcore de la seconde moitié des années 80 et du début des années 90 préfigurait ce qui se passe actuellement sur Internet au travers de ses innombrables fanzines, labels indépendants, réseaux de distribution internationaux, etc. Il y avait déjà cette volonté de créer un réseau alternatif reliant les individus en marge des circuits commerciaux établis, de ne plus se cantonner à un simple rôle de récepteur/consommateur mais aussi de créateur/émetteur. Est-ce que tu partages cette analyse ?

Oui. Le punk version 1975/1978 fut d'abord un constat de rejet. Tout merdait, les espoirs politiques des années 60 s'effondraient, la crise jetait dans la misère des millions de gens (particulièrement en Europe ou aux Etats-Unis, au point que des générations se retrouvaient sans futur). Aussi, face à la lourdeur d'une pop rêvassante engluée dans le showbiz, des commandos de rockers sont revenus aux bases du rock'n'roll pour dire : Merde ! Explosion nihiliste, destructrice, dont la ligne était "merde, j'existe, je veux vivre, pas survivre". Là-dessus, devenait clair que pour vivre, il ne fallait pas compter sur le système ou les autres. C'est là que le hardcore est arrivé. La deuxième vague punk (Punk's not dead en 1982) était une vision showbiz du punk. La troisième, le hardcore, brandit alors le drapeau "Do It Yourself" et impulse une vision positive, il faut construire, se structurer, édifier un monde parallèle. Passer effectivement de récepteur à émetteur (ça, la première vague punk l'avait déjà compris) mais surtout de consommateur à créateur (cela a commencé aussi dans la première vague punk mais vraiment explosé avec le hardcore).

Comment vois-tu l'évolution de la scène punk et que penses-tu de ce qu'elle est devenue ? S'agit-il encore à ton avis d'une scène vivante et pertinente dans le contexte contemporain ?

La scène punk d'aujourd'hui est toujours vivante mais je ne pense pas qu'elle soit créative. Sa créativité, ce fut sa propre création en 1975, puis un approfondissement consécutif, avec une variété de styles (de Wire à Crass, des Dead Kennedys à Bérurier Noir, il y a une grande variété de styles). Mais aujourd'hui, elle puise dans sa force dans son message, dans sa virulence, dans son énergie. J'avais l'habitude de dire qu'en 1968, si quelqu'un avait quelque chose à dire, il pondait un tract. Aujourd'hui, il fait une chanson. Le punk est un terreau d'opinions, de cris de révolte, de dénonciations d'injustice. Ce n'est pas un laboratoire de création musicale. C'est une scène pertinente et vivante, mais pas un laboratoire de recherches musicales, à quelques exceptions près, de mixage des genres (Miss Helium par exemple).

Par ailleurs, comment expliques-tu que l'esthétique sombre du punk et de la new wave soient encore une fois récupérées par l'industrie de la mode et la publicité, comme c'est le cas récemment ? Qu'est-ce qui selon toi peut pousser les bureaux de style et les gourous de la communication à revenir sur un phénomène vieux d'une vingtaine d'années ?

Les gourous de la mode, de la publicité, les marchands du temple n'ont aucune idée, sauf une : regarder ce qui se fait dans la rue, chez les gens. Si la rue, tout un chacun, n'est pas en verve de renouvellement, hey bien, ils sont dans la merde et se contentent d'aller chercher dans les fonds de tiroir. Avec l'an 2000, le goth, le punk étaient bons à (re)prendre car traduisant une angoisse concrète. Les "créatifs" du business sont dépendants des mouvements culturels. Il y a une accélération depuis les années 50. Quand on voit l'évolution du rock entre l'entre-deux-guerres et 1950, c'est poussif. Mais depuis Elvis Presley et les années 50, quelle accélération ! Au point qu'on commence à être un peu à court. Ce n'est pas illimité. D'où les mixages de musiques à une époque, la "world" à une autre. Mais à moins de créer une nouvelle façon de jouer du rock, quelque chose qui, comme la pop, le punk ou le rap, innovent puisque n'existant pas avant, on ne peut que tourner et retourner ce qui existe déjà. Et puis, il y a aussi le phénomène classique des "jeunes" d'hier devenus "adultes", donc des employés de la société et, évidemment, nostalgiques. Ils vont te caser du rock'n'roll à la Johnny Hallyday s'ils étaient jeunes dans les années 60, du punk s'ils l'étaient en 1977, de la disco si c'était les années 80.

Où trouves-tu la force de poursuivre le combat au fil des années ? Qu'est-ce qui motive encore et toujours ton activisme culturel ? Je pense pouvoir dire sans trop me tromper qu'il y a une dimension politique dans tout ça ?

La force de poursuivre, c'est comme la force de vivre : tu la trouves dans les autres, dans ce qu'ils te motivent et t'aident à te développer toi-même, t'enrichir et te surpasser. C'est comme dans les arts martiaux : tu dépends de l'autre, de ses réactions, tu intègres et tu rebondis. C'est une ligne de vie, une ligne politique qui fait que, si tu ne veux ni passer ta vie à la subir, ni à la gaspiller, hey bien, tu te bouges le cul, tu crées, tu rencontres, tu agis. Et c'est sans cesse renouvelé, à partir du moment où tu es ouvert, tu découvres sans cesse, tu intègres ce qui te plaît. En plus, j'aime faire découvrir aux autres. Et il y a de quoi ! Enfin, je déteste être inactif. Ça aussi, c'est de famille. La retraite est un mot banni de mon vocabulaire. Il n'est pas question de se laisser mettre au placard par qui que ce soit. Tu bosses et à 60/65 ans, on décide de te mettre à la casse. Non merci !

Te sens-tu plus ou moins engagé, voire révolté, qu'à l'époque des débuts de New Wave ?

Toujours aussi révolté et engagé. Et il y a de quoi, car rien ne s'arrange, bien au contraire. Dans le domaine musical, quand tu vois les stupides tentatives d'opposer le vinyl au CD, les concentrations et les uniformisations dans l'industrie du disque, la répression des initiatives (squatts, lieux de concerts, voire censure), le prix des CDs, etc. etc., tu ne peux qu'avoir toujours envie de combattre ce show business par des actes. D'où le perpétuel développement de mes activités et plus généralement, l'expansion du réseau alternatif international. Quand tu entends les multinationales du disque mettre la chute de leur chiffre d'affaires sur le dos des internautes, tu rigoles. D'abord parce que c'est faux (c'est comme dans le cinéma, si au lieu de faire des tickets d'entrée à 55 francs ou de vendre des CDs à 162 francs, ils proposaient du cinoche à 10 balles et des CDs à 50, il y aurait plus de consommation possible). Ensuite, parce qu'avec tout l'argent que ces requins ont empoché sur le dos du public et des artistes, ils ont de quoi vivre au soleil (aux USA, les gains de l'industrie du disque avoisinent ceux de l'armement !!!). Enfin, parce que la ruine des multinationales est un plaisir sans cesse renouvelé. Qu'ils crèvent ! Vive le piratage ! (Un autre point : le piratage à grande échelle est organisé par les multinationales elles-mêmes, qui baisent ainsi leurs propres artistes).

On note depuis plusieurs années que la musique ne constitue plus nécessairement l'élément fédérateur des nouveaux phénomènes marginaux et les gens se retrouvent maintenant autour de pratiques aussi diverses que le hacking, les modifications corporelles, le sado-masochisme, voire même de nouvelles formes de spiritualité. Comment vois-tu l'évolution de ce qu'il est convenu d'appeler la contre-culture au travers des deux dernières décennies et comment conçois-tu sa position face à l'immense sous-culture commerciale contemporaine ?

La musique a-t-elle été le seul élément fédérateur ? A réfléchir. A toute évolution socioculturelle d'une société a correspondu une musique fédératrice, mais aussi un code vestimentaire, des lectures, toute une culture. Au fil des évolutions se rajoutent d'autres éléments, mais ça ne change rien au fond. Le système invente de nouvelles techniques de contrôle ou de développement de son propre profit, et à cela les gens répondent coup par coup. Le système lance Internet ? Y répond l'appropriation de cet outil pour nos propres objectifs. On dit que le système récupère tout. Mais les gens aussi ! Il y a détournement, récupération, subversion de tout. D'autre part, tout n'est pas à mettre sur le même plan. Le S.M. ou la modification corporelle ne concernent pas autant de gens que le téléchargement massif de musiques gratuites. Aujourd'hui, c'est ça, mais hier c'était les cheveux longs, le rejet du costard-cravate, etc. Il y a toujours eu des pratiques permettant de se différencier. Mais en même temps, comme elles ne sont pas vraiment subversives puisque ne visant pas le renversement d'un système pour y substituer un autre, elles ne sont pas dangereuses et le système les digère progressivement. Dans les années 60, avoir les cheveux longs vous mettait de suite hors du système. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Pour être un beauf bien intégré ou un bon réac, il faut avoir les cheveux longs. D'où le retour du cheveu court, voire du crâne rasé dans la jeunesse. Toute pratique a un sens précis selon l'époque où elle se situe et ce sens évolue avec la société.
Il en est de même de la contre-culture. Soyons précis : la véritable contre-culture, c'est la culture opposée à la culture dominante, c'est-à-dire bourgeoise. Cette contre-culture évolue, éliminant de ses rangs ce qui ne l'est plus. Que Nova se réfère à la contre-culture est un contre-sens car Nova est le haut-parleur de la petite bourgeoisie, donc des aspirants à devenir ce qu'ils ne seront jamais (de grands bourgeois) qui passent leur temps à cracher sur ce qu'ils furent ou deviendront inévitablement (des prolos, vu à la vitesse où un petit bourgeois peut se retrouver ruiné, on le voit tous les jours avec la paupérisation des classes moyennes à travers le monde).
Par contre, la sous-culture, c'est autre chose. C'est un mixe de merde baptisée culture par le système, qu'il donne à bouffer à ses pauvres, comme un os, et de culture authentique que les mêmes pauvres se créent avec les moyens du bord. Les banlieues recèlent de cet esprit de sous-culture mixant l'image du mafioso à la De Niro avec un peu de rap, un peu de politique mal digérée (Islamisme, Palestine), un peu de deal, un peu de machisme hollywoodien, un peu de sexe pathétique (tournantes, injures, films X), etc. La sous-culture ne mène à rien d'autre qu'une impasse. C'est la culture du lumpen prolétariat : ce qui reste lorsqu'il n'y a plus rien, les poubelles culturelles de la société.

Sans parler de faire fortune avec la distribution de disques de groupes punks tchécoslovaques, est-il possible de vivre de ce type d'activités en restant indépendant et à l'écart des réseaux de distribution majoritaires ?

Oui, à partir du moment où on ne rêve pas à vivre comme un milliardaire, bagnoles, cocaïne, villa à Saint-Tropez, vacances sur la Mer Noire, etc. Tu peux vivre normalement, payer ton loyer, te faire plaisir, voyager, etc. Etre alternatif, c'est travailler différemment du showbiz. Le gars qui lance une distro en commençant par se payer des locaux luxueux, une Ferrari pour démarcher et un salaire de 15.000 balles, il a tout faux (on a vu ce cas de figure avec la société EMDIS de Lyon qui distribuait les indés dans les années 1985/1988 et les a plantés en laissant une ardoise de 40 briques). Face à la haute technologie, opposons la méthode vietnamienne, dite des moyens du bord. Une roquette culturelle bien ciblée te coule sans problème l'hélicoptère dernier cri de la multinationale du coin.

Nous avons beaucoup parlé du punk et de contre-culture mais tes pulsions déviantes ne s'arrêtent pas à ces seules mouvances. Tu as aussi écrit un livre sur les lolitas publié aux éditions de la Musardine. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce livre et ton intérêt pour les nymphettes plutôt court vêtues ?

D'abord, les nymphettes m'intéressent même si elles ne sont pas court vêtues. A partir du moment où je considère que la jeunesse est le soleil rouge dans lequel réside tout futur et que, d'autre part, les femmes sont la moitié du ciel, le mixe des deux donne que la jeune fille est notre avenir. Etant pro-féministe, je soutiens toute initiative intéressante du sexe féminin (je dis bien "intéressante", il y a des cons partout, et conséquemment des connes partout aussi) et plus particulièrement de ses tranches les plus jeunes qui sont des indicateurs fondamentaux d'évolution de notre société. La femme est le prolétaire de l'homme, voilà qui résume bien le caractère patriarcal du système. Et quand on se penche sur l'histoire de l'évolution de la représentation culturelle de l'adolescente, on est édifié. Pour résumer, jusque vers 1850/1860, aucune représentation de la nymphette. La fillette est soit une sainte, soit une noble, les deux toujours vieillies. C'est à partir de 1850 qu'on commence à donner un statut de reconnaissance aux fillettes. Lewis Carroll est le plus connu des écrivains/photographes marquant cette évolution. Mais il y a aussi Marie Shelley dont le livre célèbre Frankenstein a été si mal compris (sa créature symbolise la petite fille précisément et sa difficulté à exister, c'est d'ailleurs une petite fille qui le comprend, se reporter au livre de Laura Kreyder, La Passion des Petites Filles - Artois Presse Université). Cette évolution s'est accélérée, via Lolita puis aujourd'hui ces multi phénomènes de guerrières, d'héroïnes, de riot grrrls. Rien de déviant là-dedans et mon livre à la Musardine vise à l'expliquer, en distinguant bien l'intérêt porté sur les activités des nymphettes et de réelles déviances que sont la pornographie et la pédophilie. Qu'une jeune femme s'engage dans une action politique radicale, et on la considère comme une hystérique. Qu'un jeune homme fasse de même, il devient un glorieux "Ennemi public numéro un". La femme a toujours inquiété, encore plus ses bourgeons nymphétiques. D'où mon intérêt à étudier la question, à la propager. Que cent nymphettes s'épanouissent et bousillent cette société !

Puisque nous sommes maintenant dans un registre plus littéraire, peux-tu également nous présenter les éditions du Yunnan et votre troisième publication, L'homme Tatoué de l'inénarrable Pascal Tourain ?

Il y avait déjà eu des auto-éditions dans mes activités associatives (par exemple les trois volumes d'aventures cynico-médiévales de la Princesse Luna) et des éditions tout court (un roman gore chez Fleuve Noir, La Galerie des Horreurs, un livre d'enseignement du français pour les lycéennes japonaises au Japon, etc.). Ajouter une branche "édition" à mes activités était un objectif qui se concrétisa en novembre 2003. La ligne éditoriale est de publier des poches pas chers, généralistes avec un contenu alternatif, à contre-courant et atypique par rapport à ce qui se fait. Je n'ai jamais trouvé intéressant de faire ce que les autres font déjà. Les premiers volumes furent les contes urbains d'Alyz Tale (Mon Dernier Thé) et les carnets d'humeur (voire de mauvaise humeur) de D. Kelvin (Chez les Tartuf(f)es) et donc le petit dernier, L'Homme Tatoué de Pascal Tourain. Ayant été voir le spectacle de ce yakuza tricolo-métalleux, je me suis dit que .01 c'était vachement bien ; .02 qu'on avait envie de repartir avec le texte. Et voilà : ce poche rassemble le texte du spectacle et rencontre un franc succès ! A venir : une histoire du punk 1975/1980 avec des textes inédits.

En parallèle de ces activités déjà fournies, tu as encore lancé Thrash Sédition, une structure à travers laquelle tu produis et réalises des courts-métrages plutôt orientés vers le gore et l'horreur sur fond de rythmes punks. Peux-tu nous parler de tes films et nous introduire au monde merveilleux de Thrash Sédition ?

Là comme pour le reste, m'intéressant à toute forme d'expression culturelle (de même que je pense que quand on aime la musique, il y a toujours quelque chose qui vous plaît dans toutes les musiques), j'adore le cinéma. Voir des films et essayer d'en faire. D'où la création de Thrash Sédition en 1987 pour faire des super 8, puis des V8 gore, fantaisistes et délirants. Quatre films sont déjà sortis en VHS : My Bloody Dream I, où une jeune fille tue ses porcs de parents à coups de hache, My Bloody Dream II où la même jeune fille a perdu son enfant, Manic Depressive Girl où une jeune fille - encore - étripe à tout-va et Bon à Tirer ou comment publier un manuscrit), un autre est terminé (Princesse Luna vs Le Nain de Jardin, où une princesse, enlevée par un nain de jardin, est sauvée par une fée manga) et un moyen métrage plus ambitieux est en cours, Les aventures de Tara Loft, la fille de Lara Croft. Tout est fait à l'économie et au cerveau. « Tu n'as qu'un dollar, fais un film à un dollar » dit toujours Jean-Luc Godard. Moi de même. L'important est de bien s'amuser et le public aussi. La première cassette a déjà vendu plus de 400 exemplaires.

Profitons un peu de ton expérience avant de nous quitter? Quels conseils donnerais-tu à des personnes se lançant aujourd'hui dans l'autoproduction de disques, de livres, de vidéos ou autres ? Quels sont selon toi les grands pièges à éviter ?

Le premier conseil est de se renseigner auprès des "Grands Anciens", hugh ! Qu'on n'ait pas fait tout ce chemin, rencontré tant de problèmes, pour que ça ne serve à rien. Venez-nous voir, les petits, on mange pas, et on pourra vous donner les bonnes adresses, le système D, les filouteries, et tout ce qui permet d'agir au mieux.

. Ne jamais se décourager pour une raison d'argent. L'argent, il y en a, il suffit de le trouver et de le prendre. D'autre part, toujours y regarder à deux fois. En 1980, une boîte, Faites-Le Vous-même, proposait ses services aux autoproductions, à une brique le 45 tours, alors qu'en cherchant un peu, il existait des solutions 50 à 70% moins chères. Toujours chercher le MEILLEUR et le MOINS CHER. Ça existe.

. S'intégrer au réseau, il a toutes les solutions, les pistes, les réponses.

. Toujours utiliser les plans gratuits, les failles du système, l'expérience des prédécesseurs.

. Le principal piège à éviter est de foncer tête baissée dans un projet sans enquête préalable, sans se renseigner, sans comparer, car il y a des tas de requins prêts à vous utiliser, vous piéger, vous baiser.

. Ne pas hésiter à me questionner, ça ne me dérange JAMAIS.

Question désormais traditionnelle dans La Spirale, es-tu plutôt pessimiste ou optimiste quant au futur ? Comment envisages-tu les années à venir, tant d'un point de vue culturel que social ou politique ?

Je suis tout à fait stratégiquement OPTIMISTE même si tactiquement, à court terme, je serais un peu pessimiste. C'est-à-dire que l'avenir nous appartient mais que pour y arriver, on n'est pas au top actuellement. Mais ça va changer !
Le grand problème en France est la fusion des radicalités politique et culturelle. On a toujours eu un mouvement de balancier un peu stérile. Dans les années 60, une grande secousse culturelle (le rock) mais pas de débouchés politiques. En 1968/1975, une grande secousse politique mais un désert culturel. Puis à partir de 1977, à nouveau une secousse culturelle (le punk et ce qui s'en est suivi), mais la politique s'est envasée dans la Mitterandie social démocrate.
Un mouvement politique n'a de force que s'il est aussi culturel, et vice versa. C'est là que réside l'avenir optimiste, la fusion des deux. Les grands bouleversements avec en fond sonore Clash, Bérurier Noir ou MC5 !!!

Question subsidiaire, quelles sont les personnes, les initiatives et les oeuvres contemporaines dont tu te sens proche aujourd'hui ? Celles dans lesquelles tu puises une partie de ton énergie et dans lesquelles tu te retrouves ?

Alors, pour répondre à cette question subsidiaire, ce qui me fait espérer dans le futur, me comble de bonheur et me remplit d'énergie, c'est dans le désordre le cinéma asiatique (chinois, japonais, coréen, thaï), la vague des groupes rock de filles, des stars sans grosse tête comme Coralie Trinh Thi, Virginie Despentes, Santana, des créatifs dans divers domaines comme Maruo, la possibilité de faire des séries intelligentes (Oz, Buffy pour les modernes, Avengers, Le Prisonnier pour les anciens), la revue anglaise Bizarre, la revue Asian Cult Cinema, des livres jouissifs comme Bubblegum de Lolita Pille ou Deadly China Dolls, tous les polars de Ian Rankin, un must ! Bref un tas d'initiatives culturelles à travers le monde qui mixent l'originalité, l'énergie, l'humour et tout ce qui rend la vie attrayante, comme passer une après-midi cool avec une Princesse Luna.


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Titre : PATRICE 'HERR SANG' LAMARE « PUNK NOT DEAD »
Auteur(s) :
Genre : Interview
Copyrights : La Spirale.org - 1996-2008
Date de mise en ligne :

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Patrice « Herr Sang » Lamare - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

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