AU SECOURS, Y A T'IL DES SURVIVANTS ? DE YANN MINH


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Au secours, y a t il des survivants ? - Une nouvelle de Yann Minh tirée des archives de La Spirale.

Un de mes messages demandant de répondre à trois questions pour une interview sur la Fin du Monde a provoqué une crise inattendue chez Yann Minh, un romancier, réalisateur et artiste multimédia bien connu des lecteurs de La Spirale et du magazine Computer Arts. Ce qui suit est une retranscription fidèle de son message de détresse dans le newsgroup < fr.rec.arts.sf >...


19 heures, vendredi 24 décembre.

Les infos sur le câble, après avoir décrit les changements de direction du vent qui poussent maintenant les nappes de pétroles de la marée noire vers les rivages de l'île d'Yeu, relatent maintenant les détails de l'arrestation des terroristes aux états-unis ou au Canada qui envisageaient de faire sauter je ne sais plus quel centre urbain. Mais je suis surtout tracassé par la découverte d'un virus sur mon ordinateur, qui laisse une extension dans mon dossier système nommée "666" et qu'il est impossible d'effacer. Pour l'instant l'ordinateur fonctionne très bien, mais, avec un nom pareil, ce virus va forcément provoquer ses actions néfastes au passage du jour de l'an. Heureusement il ne s'est pas déclenché pendant ces dernières 72 heures, où j'ai travaillé nuit et jour pour fabriquer la bande-annonce d'une émission spéciale diffusée la nuit de l'an 2000. Avant de mettre au point une stratégie de nettoyage qui me débarrassera définitivement de cet intrus dans mon réseau informatique, je télécharge ma messagerie internet, et je décrypte les rares messages expédiés par ceux qui ne sont pas en train de préparer le réveillon, ou courir les magasins pour les derniers achats de noël. Entre deux publicités, un mail attire mon attention :

> Répondez aux trois questions sur la Fin du Monde de la Spirale !‹
> Date: Fri, 24 Dec 1999 15:10:56 +0100‹> From: "Laurent Courau"
> Chers ami(e)s,
> LES TROIS QUESTIONS DE LA FIN DU MONDE !
> 1- Que ferez-vous de vos dernières 24 ou 48 heures ? Orgies sexuelles,‹ drogues psychédéliques, méditation transcendantale, autre chose ?
> 2 - Comme nous le savons tous, l'Apocalypse aura lieu le 31 décembre 1999‹> à minuit. Comment est-ce que ça va se dérouler à votre avis ?‹ Tremblements de terre, ras de marée, bug de l'an 2000, cavaliers de l'apocalypse,‹ invasion de la terre par les martiens, autre chose ?
> 3 - Quels mesures comptez-vous prendre pour tenter de survivre ? Location d'un‹ bunker en Normandie, déménagement à Monaco, stockage de conserves de magrets‹ de canard, autre chose ?

Un doute m'étreint à la lecture de ce message humoristique. C'est idiot, mais il a réussi à réveiller les démons paranoïaques qui sommeillent en moi comme en chaque humain sur cette terre. Je me dis qu'il ne va sûrement pas y avoir d'apocalypse, mais, entre les éventuels terroristes, les fous, les virus, et les autres catastrophes inévitables, il se pourrait qu'un concours de circonstances prive Paris de courant électrique plusieurs jours. Et comment faire pour manger, s'il n'y a plus d'électricité pour faire la cuisine ? En plus, la panique aidant, les commerces vont se faire dévaliser, et il deviendra impossible de faire des provisions. Autant anticiper la catastrophe, au cas ou...

J'enfile ma veste, coiffe mon bonnet de marin, enfile mes gants, et me précipite vers le supermarché Leclerc avant qu'il ne ferme, pour y acheter, à défaut d'un groupe électrogène, un petit réchaud à gaz, une lampe tempête et des réserves de pétrole. Ensuite je passerai au supermarché Casino à côté de chez moi qui ferme à 20h30, pour récupérer des bouteilles d'eau, des pâtes, des pommes de terre sous vide et tout ce qui me semblera pertinent pour survivre quelques jours dans mon appartement.

L'atmosphère de la ville est électrique et la traversée des passages cloutés est rendu périlleuse à cause des automobilistes pressés et énervés qui semblent tous vouloir se faire un piéton pour le réveillon. Une fois dans le supermarché, je fais trois fois le tour du magasin, au milieu d'une foule frénétique, où la tension semble avoir atteint son paroxysme, et impossible de trouver ne serait-ce que l'ombre d'un soupçon de réchaud à gaz ou à alcool. Ont-ils déja été dévalisés, ou personne ne se rend-il compte qu'une catastrophe est envisageable ?

18 heures 58

Après quelques minutes d'errances entre les gondoles bourrées de jouets, les vigiles débordés commencent à m'observer avec suspicion. Comme j'ai déjà plusieurs fois constaté leur comportement agressif à l'égard des clients qui ne leur reviennent pas, je quitte le magasin précipitamment en déclenchant les alarmes, car j'ai franchi la barrière d'entrée en sens inverse. Personne ne m'a interpellé, et je presse le pas vers le centre ville. Par chance, quelques rues plus loin, je distingue un petit bazar de quartier encore ouvert qui aura sûrement ce qu'il me faut, car je suis sur qu'à Clichy il ne manque pas de gens qui font encore leur cuisine au réchaud à gaz, et qui préfèrent faire leurs courses dans la convivialité des petits magasins de quartier. Au milieu de la boutique sans-age, un groupe hilare devise gaiement, sous un encombrement hétéroclite de batteries de vaisselles et autres accessoires domestiques suspendus au plafond. Le plus âgé porte une espèce de longue blouse excentrique à rayures rouges et blanches verticales, je me dirige vers lui.

- « Ah non, c'est pas moi, c'est lui » dit-il avec un sourire ironique en me réorientant vers un jeune homme en jean et en ajoutant avec un air égrillard complètement déplacé.

- « Je sais, je sais, mon acoutrement peu porter à confusion mais c'est lui le responsable ici, le petit jeune la... pas moi... moi je suis l'irresponsable de service... une sorte de lutin maléfique hantant les bazars la nuit du réveillon, c'est ça hein ? »

- « Ta gueule pauvre con ! » s'exclame le jeune garçon en riant . - «Vous désirez monsieur ? »

Je suis surpris par la violence des mots utilisés, difficilement atténuée par la jovialité du jeune homme, mais je souris, en faisant semblant d'être complice de leur humour trivial.

- « Bonsoir, est-ce que vous vendez des réchauds à gaz et des lampes "Tempêtes". »

Imperturbable, le jeune gérant se dirige vers son arrière-boutique, et revient presque immédiatement avec les produits demandés, comme si attendant ma venue il les avait déja préparé. Entre temps, ses deux acolytes se sont éclipsés en plaisantant. À la vue de la lampe "Tempête" et du petit réchaud de camping, je suis soulagé, un instant j'avais cru que je m'y prenais trop tard, et que la catastrophe selon la fameuse loi de Murphy allait évidemment arriver ce soir.

- « Donnez moi aussi, trois recharges de gaz et une bouteille de pétrole pour la lampe s'il vous plaît»

Le jeune homme retourne dans l'arriere boutique. Je me demande s'il se doute de la raison de mes achats. Un client qui vient chercher une lampe tempête et un réchaud à gaz pour le réveillon de l'an 2000, ça interpelle forcément. Mais toujours aussi imperturbable, il pose les accessoires sur le comptoir, et prépare l'addition.

- « 345 francs monsieur »

Je sors ma carte bancaire.

- « Désolé, Monsieur, mais je ne prends pas la carte, chèque ou espèce». Je fouille mon étui à carte bleue ou je glisse toujours un ou deux chèques en prévision de ce genre de situation.

Avant de remplir la date, par réflexe de convivialité urbaine je demande :

- « On est bien le 24 décembre ?»

En prononçant ces mots je me sens soudain complètement idiot de poser une telle question. Bien sûr qu'on est le 24 décembre !

- « Oui monsieur, on est le 24 décembre », me répond presque obséquieusement le jeune garçon. Il a de plus en plus les allures du maître d'hôtel dans "Shinning".

- « Vous ne fêtez pas le réveillon ? » ajoute-t-il avec un très léger sourire, qui ne fait que renforcer mon malaise.

- « Euh... ben non » je bredouille, me sentant de plus en plus ridicule.

Je signe le chèque et sors précipitamment.

- « Moi non plus », me lance-t'il depuis le comptoir au moment où la porte se referme derrière moi.

Je manque de renverser ses deux acolytes qui attendaient hilares sur le trottoir. Pourquoi s'est-il senti obligé de me dire que lui non plus ne fêtait pas le réveillon ? Serait-il au courant de quelque chose ? Finalement son indifférence à l'égard de mes curieux achats me paraît suspecte. Je pose les paquets chez moi, m'empare de mon caddie domestique et file chercher le reste des provisions au supermarché Casino. Je prends les huits derniers paquets de "Pomme de terre en cube Lunor, cuites à la vapeur et conservées sous vide", une vingtaine de sachets de spaghettis Lustucru, 6 boîtes de "riz long étuvé à cuisson rapide Casino", quelques conserves de petits pois, et surtout deux packs de six bouteilles d'eau minérale Vittel. Ca fait plus de douze kilos à monter sur trois étages, mais si, par je ne sais quel concours de circonstance, la ville vient aussi à manquer d'eau, il faudra bien cuire les pâtes dans quelque chose.

La semaine prochaine j'irai faire un saut au vieux campeur, acheter des couvertures de survie, un sac de couchage de montagnard, et quelques paquets de nourriture lyophilisée. C'est trop tard pour m'inscrire à un club de tir pour pouvoir m'armer sérieusement, mais une arbalète, ou un pistolet à grenaille devraient suffire dans un premier temps, et si ça dégénère, je devrais pouvoir récupérer des armes sur une éventuelle victime des affrontements qui ne manqueront pas d'avoir lieu. Comme le gérant du bazar, la caissière ne fait semblant de rien en comptabilisant mes provisions. Pourtant, cette collection de paquets de soupe, de café, de sucre, de farines, de pommes de terre sous vide, de pâtes et de bougies devrait l'intriguer. Le grand vigile noir avec son talkie-walkie dans l'entrée ne me quitte pas des yeux et ça me rend nerveux. C'est vrai que ça fait presque quinze jours que je ne me suis pas rasé, ni changé, et, avec trois nuits blanches, mon bonnet de marin et mon jean troué, j'ai vraiment des allures de SDF.

Je me dépêche de régler et d'empiler les paquets dans le caddie qui ne peut pas tout contenir. Je me retrouve sous la pluie, à tirer le chariot d'une main et l'autre tenant 4 sacs bourrés à craquer de vivres. Après une montée des escaliers particulièrement laborieuse, je range soigneusement tout ça dans les placards et me dépêche d'essayer la lampe à pétrole. Drôle d'objet, chargé d'une poésie surannée. C'est une vraie lampe "Tempête", curieusement baptisée "Lucifer" en métal embouti comme les anciens jouets d'enfants. Une petite notice en plusieurs langues m'indique : Cet article est fabriqué par ALG, un département de la Sté Guillouard, à Nantes-France. Comme indiqué dans le mode d'emploi, je la remplis avec le pétrole "Kerdane Désaromatisé" fourni par le vendeur ; et j'allume la mèche, qui dégage aussitôt une grande flamme orangée. Je m'escrime quelques minutes avec le levier qui soulève le verre et qui s'est auto-bloqué en position ouverte, mais finalement, à force de manipulations d'autant plus maladroites que j'ai peur de me brûler, j'arrive à recouvrir la mèche de son petit globe protecteur. La flamme est si belle et si vivante, que j'éteins la lumière pour mieux admirer les ombres orangé qui dansent sur la table. J'allume quelques grosses bougies que je dispose autour et qui reflètent leurs petites flammes dans les chromes de cette objet issu d'un autre siècle.

Dehors les très violentes bourrasques pluvieuses qui agitent les volets, m'évoquent les nuits d'orages de mon enfance en Bretagne. Je vais éteindre le bureau dont le scintillement à 50 hertz des néons brise le charme de cet instant hors du temps. Mais sur l'écran 21 pouces du Power Mac G3, mon regard est attiré par la fenêtre du "Vidéo Player", qui diffuse en arrière plan d'un "Render" en synthèse 3D, les programmes TV du câble. La carte TV est connectée sur le canal de Série Club qui diffuse un film qui me dit quelquechose. Après quelques instants d'attention, j'identifie « Le fléau » de Stephen King. L'humanité succombe à un virus expérimental. Zut, j'ai pas pensé à ça... comment me protéger d'une éventuelle contagion... ? Il faut empêcher l'atmosphère extérieure d'entrer dans l'appartement. Heureusement, j'ai un stock de « gaffer », cet adhésif ultra résistant qu'on utilise en production cinéma. De recouvrir d'adhésif toutes les jointures des portes et fenêtres ne m'aura même pas pris une heure. Pour sortir j'aurai juste à défaire ceux qui encadrent la porte d'entrée.

Les bourrasques sont de plus en plus violentes, une tempête est en train de se lever et pourtant j'entends crier dehors. À travers les interstices des volets je distingue quelques fêtards qui se sont regroupés malgré la pluie, sous les arbres des allées. C'est curieux, mais il me semble reconnaître le gérant du bazar et ses acolytes, accompagnés par la caissière du supermarché et le vigile. Ils ont tous le visage tourné vers moi, et semblent me scruter à travers les volets. Bizarre, ce doit être une illusion provoquée par la fatigue, en plus j'ai un peu mal à la tête. Je vais me servir une aspirine dans la cuisine. Au passage j'admire l'empilement rectiligne de mes vivres. J'ai de quoi tenir deux semaines confortablement. Évidemment il faudra que je sois discret pour éviter les inévitables pillards. Surtout les voisins.... D'ailleurs la meilleur défense c'est l'attaque. Demain je vais mettre au point une stratégie pour me débarasser des voisins, ils peuvent devenir dangereux en cas de catastrophe. C'est sur. Il faut que je me procure une arme. Dans le salon, la lampe à pétrole distille une odeur agréable. Les intrus sous mes fenêtres ont disparu. Tant mieux, leur présence au pied de l'immeuble me mettait vraiment mal à l'aise.

À minuit, les programmes diffusés par le Video Player sur le Mac se sont brutalement interrompus. J'ai beau passer les chaînes en revues, plus aucun programme, que de la neige, même la carte radio ne capte plus rien... Les lumières de la ville sont toujours allumées, mais rien ne bouge derrière les rares fenêtres encore éclairées... Cela fait au moins une heure qu'aucune voiture n'est passée dans la rue... J'ai peur... est ce que la catastrophe est vraiment arrivée... et mon mal de tête qui ne passe pas...il doit y avoir un virus mortel dans l'atmosphère...

02 heures 20

La ville bouge de nouveau, mais ce ne sont plus que des Zombies qui hantent les rues. Il y a une demi heure...la vieille voisine du bas est venu frapper à ma porte avec un verre de champagne, j'ai bien vu qu'elle était contaminée par le Virus, car c'était la première fois qu'elle faisait l'effort de vouloir me parler... je me suis douté qu'elle voulait m'assassiner pour me voler mes provisions. heureusement j'ai été le plus rapide. Depuis je ne lache plus mon marteau. Pour éviter d'être submergé par les zombies j'ai empilé des meubles contre la porte d'entrée, mais j'ai de plus en plus de mal à lutter contre cette espèce de torpeur qui m'empêche de rester éveiller... Heureusement la petite flamme de la lampe Tempête "Lucifer" brille toujours, ça me rassure.

J'envoie ce mail en désespoir de cause... je vous en supplie, répondez-moi...y a t'il d'autres survivants... ????

Yann Minh


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Titre : AU SECOURS, Y A T'IL DES SURVIVANTS ? de Yann Minh
Auteur(s) :
Genre : Fiction
Copyrights : Yann Minh - 1999
Date de mise en ligne :

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