LOIK DURY « KRAKED UNIT, RADIO NOVA, JEAN-FRANCOIS BIZOT & AUTRES HISTOIRES »


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)

Freak Power ! Malgré l'indiscutable embourgeoisement du nord de la capitale, les collines du 19e arrondissement parisien abritent d'étranges individus. La fraction indépendante de guérilleros sonores de Kraked a ainsi installé son quartier général du côté de la rue Pelleport, d'où elle revendique l'ouverture d'esprit, le partage et l'entropie comme réponse à la solitude et à l'ennui.

Rencontre avec Loïk Dury, DJ polymorphe, créateur des Novamix et directeur des programmes de Radio Nova entre 1987 et 1997, fondateur de la Kraked Unit et instigateur de Paris Dj's, un impressionnant collectif de dj's fournisseur de mixes gratuits en téléchargement sur Internet, compositeur de musiques de films... un véritable stakhanoviste sonore et musical.


Propos recueillis par Laurent Courau.




Sound-system au sommet d'une favela de Rio de Janeiro - DR

Le site Kraked.com apporte peu d'éclaircissements sur vos activités et il court pas mal de légendes sur vous ? On a ainsi entendu parler de tournées de Funkadelic aux USA, d'émissions de radio aux noms inspirées par le nouveau journalisme à la manière de Hunter S. Thompson, de mixes étranges et de musiques de film à succès. Où se cache la vérité ?

Un peu dans tout ça à la fois, on vient du funk sur la route pour atterrir au cinéma. Monte Kristo est collaborateur actif de P-Funk / Parliament / Funkadelic depuis 1989 et a tour-managé différentes formations de la famille P-Funk pendant quelques années aux USA et en Europe (Parliament /Funkadelic, Bootsy & his Rubber Band), avant de revenir à Paris y fonder le label Fuas Music (La Rumeur, Ten, Jeff de Paris, Weapon of Choice, Cacophonic FM, etc.).

Loik a passé dix ans dans les locaux de Radio Nova. Il y créa notamment le Novamix avant de basculer avec le nouveau millénaire dans la musique de film avec Peut-être de Klapisch. En unissant leurs visions, ces lascars ont créé Kraked, une plateforme multi azimutée dont le but est de rendre leurs visions possibles. Ils enchaînent les B.O. (Novo de Jean-Pierre Limosin, L'Auberge Espagnole et Ni pour Ni contre de Klapisch, La Cuirasse de F.Provot, etc.). Puis ils ont créé un label pour l'album de Drugs et une série de remixes (Château Flight, Ark, Freaks, Simon&Bolivar, Diskow). Et ils s'apprêtent maintenant à sortir quelques signatures d'ici : N'Pol, Ku... Ils préparent aussi en ce moment une collection de livres de photos classes mais pas chers.

Toujours dans la même lignée investigatrice, on peut tirer quelques renseignements des méta-tags du code source de votre page d'accueil. La description du contenu du site parle ainsi de (je cite) « Home of Freaks Lovin Music ». Vous pouvez nous expliquer le concept ?

La musique c'est l'essence qui nous fait avancer, dans cette époque de redéfinition du concept de consommation; la place que la musique a dans nos vies et dans nos industries a changée. Mais pas notre façon de travailler. On est motivés avant tout par l'enthousiasme et notre volonté de créer une dynamique authentikement Soul. Loin des modes de l'industrie, proche de l'âme !

Le nom Kraked évoque les logiciels crackés, le piratage de software, le système D et les zones d'autonomie temporaire? D'où vient ce nom et quels sont vos liens avec les mafias contre-culturelles qui sévissent sur les réseaux informatiques ou autres ?

Kraked c'est vraiment le symbole du politiquement incorrect, l'association de deux imageries (la drogue et le piratage), symbole pour certains d'une décadence, pour nous d'une possibilité. L'ouverture d'esprit et un sens de la propriété non exacerbé comme valeurs premières. Le partage et l'entropie comme solution à la solitude et à l'ennui. La force des réseaux est le partage d'intérêts communs (l'union faisant la force).

Loin néanmoins d'une attitude arty petite bourgeoise, c'est avant tout un pragmatisme prolétarien qui nous permet de survivre grâce a une Internationale Freaks en constitution, un réseau permettant une création qui ne soit pas pervertie par un besoin de réussite, permettant de toucher des récepteurs sensibles de par le globe.

Le site Cinema.com parle de Loïk comme du leader de Kraked Unit, un collectif de musiciens et de producteurs parisiens qui réaliserait de nombreuses musiques de film. Ca commence donc à s'éclaircir un petit peu. C'est quoi la Kraked Unit, un commando de freaks spécialisé dans les bandes-son ?

La structure K, dont l'activité principale reste de produire de la musique, s'est impliquée dans l'industrie du cinéma pour se garantir une liberté éditoriale par ailleurs.

Le travail sur le film implique une versatilité; réussie grâce à une équipe de bonnes gâchettes très variées. Les couleurs musicales nécessaires à un film sont rarement monochromes. Il faut pouvoir aborder tous les genres avec une liberté totale, c'est pour ça que l'on a fait du Jazz, du Néo Latino, du Rock, de l'Ambient, etc. Le principe étant de monter a chaque fois une équipe aux couleurs souhaitées.

La frontière entre underground et mainstream s'est apparemment dissoute quand le marché a compris qu'il y avait des bénéfices possible (exemple : Fischerspooner, chantre de l'underground new-yorkais et bande son d'une pub de la BNP avant même la sortie officielle de l'album - on sera passé en quelques années du white label a la worlwide pub pour l'industrie bancaire). Notre stratégie nous amène donc à travailler avec l'industrie de l'entertainment, ce qui nous permet de produire en toute liberté des groupes (hors tendances éphémères) comme Drugs que les majors ne calculent même pas.

Les murs des locaux de Kraked sont tapissés de pochettes de disque de Jazz, de Funk et de Hip Hop. Quels sont les artistes, toutes pratiques confondues, qui vous ont inspirés et motivés pour aller de l'avant et créer cette structure ?

Alexandre Jacob, Miles Davis, George Clinton, Maurizio, MC5, Claude Lucas, Man Ray, Humpty, William Burroughs, Picabia, Curtis Mayfield, Jack Nicholson, Alfred Hitchcock, Larry Graham, James Joyce, Brainticket, Bomb Squad, UR, Jerry Rubin, Betty Davis, Fishbone, Reprazent, Moodymann, Rasputin Stash, Ron Cobb, John Coltrane, Mez Mezzrow, Herbert Marcuse, Timothy Leary, Melvin Van Peebles, Pink Floyd, Kinji Fukasaku, Son of Bazerk, Squarepusher, Sly Stone, Philip K. Dick, Jungle Brothers,Theo Parrish, Leonard de Vinci, The Residents, Frank Zappa, Captain Beefheart, Salvador Dali, John Cassavetes, Robert Rauschenberg, Truman Capote, Jimi Tenor, Outkast, Liquid Liquid, Studio One, Eddie Hazel, Al Green, Rothko, Junie Morisson, Sun Ra, Abel Ganz, Jean Michel Basquiat, Ishmael Reed, Joan Miro, Jimmy Hendrix, Kool Keith, Marvin Gaye, Lewis Carrol, Orson Welles, Otto Dix, Bernie Worrel, Billie Holiday, Nabokov, Luis Bunuel, Fela, Camaron de la Isla, Bonga, Funkadelic, Shuggie Otis, Ahmet Etregun, Kurosawa, Norman Spinrad, Nina Simone, Q bert, Larry Levan, Steve Jobs, Francis Ford Coppola, Red Alert, Deenasty, Melvin Van Peebles, J.S. Bach, Theolonius Monk, Atom Heart, Leo Ferre, Sex Pistols, Jean-Jacques Perrey, Seijun Suzuki, Bérurier Noir, Elia Kazan, Crumb, Mamoud Ahmet, Ivo Papasov, Norman Whitfield, Jean-Pierre Melville, Toni Negri, David Axelrod, James Brown, Nusrat Fateh Ali Kahn, Martin Scorcese, Quincy Jones, Lalo Shifrin, Maurice G. Dantec, François de Roubaix, Edith Piaf, Luigi de Jesus, Cybotron, Silver Apple, Dashiel Hedayat, Miguel de Cervantes? En vrac et entre autres.

Lorsqu'on effectue une recherche sur Kraked sur Internet, un nom revient souvent associé aux vôtres dans les résultats, celui de Jean-François Bizot, un patron de presse under-overground de la rue du Faubourg Saint Antoine. En quoi consiste ou consistait votre association avec cet individu pour le moins louche ?

Dix années de Nova (87-97), de distributeur de tracts à responsable de la programmation. Jean-François Bizot était à lui seul la vision d'un autre possible, un véritable carburant pour azimutés, le véritable chantre de l'ouverture d'esprit. Une époque qui restera comme une aventure exploratrice dans les paysages de la production musicale en pleine révolution. On a croisé tout le monde, une vraie bonne ébullition. Si la radio n'est plus terrible, il faut par contre lire son dernier bouquin : Un moment de faiblesse. Une authentik leçon de force freaks.

Une fois n'est pas coutume, faisons une minute de promotion dans La Spirale en parlant de Drugs ? Racontez-nous l'histoire de ce groupe et la manière dont vous êtes venus à les produire entre Paris et Woodstock ?

C'est d'abord une histoire d'amitié entre nous et Clip qui dure depuis quinze ans. Puis une nuit en 2001, un coup fil pour nous annoncer la formation d'un nouveau groupe : Drugs. Un groupe né de la rencontre entre Michael Clip Payne - producteur, activiste et chanteur de Parliament Funkadelic, et de Chicken Burke, songwriter, multi-instrumentiste de la région de Woodstock, USA. Une adresse real player avec Brain On Drugs et nous voila totalement addicts d'un groupe qui existe depuis quelques heures. On part quasiment sur le champ à Woodstock où ils vivent en partie. On se retrouve au milieu de forêts disneyennes, dans une grange studio (The Ranch) avec des héros de notre adolescence comme Garry "Doo Wop" Shider, membre fondateur et toujours actif de Funkadelic.

C'était comme un voyage dans le temps, leur musique semblait débarquer de l'âge d'or psychédélique (69-74) avec en même temps une réelle modernité roots. De retour a Paris en septembre 2001, on crée Kraked, le label, pour sortir cet opus prémonitoire : A Prescription For Mis-America (une ordonnance pour l'Amérique ratée).

A propos de label, comment voyez-vous l'avenir de l'industrie musicale ? Les remises en question sont nombreuses, notamment celle du support cd qui semble de moins en moins adapté au marché actuel. On m'a récemment rapporté que les vigiles des magasins FNAC s'inquiètent pour leur emploi suite à la baisse des vols de cds, au profit du téléchargement pirate sur le net.

Plus de supports, juste des ordinateurs et des tuyaux tant mieux. La super re-concentration de l'industrie l'auto-étouffe. Il faut juste trouver un nouvel équilibre, le problème reste que nous (les petits) allons devoir trouver l'argent pour survivre. Car chaque fois que le marché se restructure, ils en profitent pour réduire nos marges et nos droits d'auteurs. Sinon que l'on soit payé par Universal ou Apple ne change rien. Il est même réjouissant de voir des tonnes d'intermédiaires disparaître (les maisons de disques se sont auto-gangrenées par leur propre incompétence). Malheureusement, il est clair que quel que soit le prochain modèle économique, les économies réalisées iront comme d'habitude dans la poche des plus gros.

Quelle est votre position sur le piratage ? Vous connaissant, j'imagine que vous éprouvez une certaine sympathie pour la débrouillardise et le système D. Mais vous vivez quand même en partie de la collecte de vos droits d'auteur ?

On fait des disques parce qu'on y croit, notre but c'est que les gens les écoutent, alors si cela implique un schéma où on ponctionne une industrie mainstream pour faire exister des projets plus audacieux, pas de problème. L'idéologie et le travail peuvent faire bon ménage.

C'est sur que l'on vend encore un petit peu de disques dans les magasins mais en même temps, on les donne nous-mêmes en Mp3 sur le Net. La notoriété ainsi créée est plus intéressante à long terme que quelques unités vendues en magasin.

On parle de plus en plus de systèmes de distribution en ligne qui permettrait de court-circuiter les distributeurs traditionnels en mettant directement les artistes en relation avec leur public en leur permettant de vendre leur production avec un minimum d'intermédiaires. Est-ce que vous croyez à l'avenir de tels systèmes ?

Ils sont déjà inévitables. Le problème reste la sélection car l'offre est noyée dans un océan de possibilités. Se passer d'une partie de l'industrie, ok. Mais il manquera alors le tri ou la sélection et on redécouvrira le besoin de spécialistes comme les petites boutiques ou les Dj's pointus. L'uniformisation du mainstream n'empêchera pas la créativité, au contraire. Mais le peu d'opportunités qu'offrent les majors et affiliés incite les producteurs à créer leur propre label d'où une marée de micros prod-label-indé. Le vrai nerf de la guerre sera donc les filtres.

Pour en revenir à la distribution de masse, comment voyez-vous le futur ? On peut imaginer sans peine que des géants de l'informatique comme Microsoft ou Apple s'accaparent l'édition musicale puisqu'ils auront prochainement la mainmise sur la distribution de musique en ligne avec des systèmes comme I-Tunes?

Le vrai problème, c'est le respect des droits d'auteurs. C'est clair que le piratage représente déjà une ponction. Mais que l'industrie méga bénéficiaire s'attaque à la TVA ou aux droits d'auteurs, c'est le vrai danger et c'est pourtant exactement ce qui est en train de se passer (cf. la Haye).

Cette interview sera publiée dans le cadre du huitième anniversaire de La Spirale. Ce qui m'amène à vous demander quelle est votre vision rétrospective de ces huit dernières années entre l'explosion de l'Internet, le passage au troisième millénaire et les attentats du 11 septembre ?

Pour moi, l'an 2000 cela devait être du Moebius, pas le 11 septembre. Sinon on a pas voté Chirac, faut quand même pas déconner! Ce qui nous inquiète le plus c'est la NO-Intelligence absolue que semble arborer les responsables politiques. Et on ne voit pas encore ne serait-ce que l'ébauche d'une attitude responsable/consciente se dessiner.

On entend de plus en plus de gens se plaindre du monde dans lequel nous vivons avec des intonations apocalyptiques. Vous pensez que c'est le bon vieux syndrome « fin de siècle / début de millénaire » ?

On se plaint quand on agit/réagit pas ! La solution est dans nos propres mains.

Finissons sur une touche d'optimisme? Comment souhaiteriez-vous voir les choses évoluer dans le futur ? Une planète peuplée de freaks ?

Juste les pauvres un peu moins pauvres et les riches un peu moins riches, ça serait déjà pas mal. Et peut-être q'une nouvelle drogue super puissante sans effets secondaires néfastes et vraiment pas chère serait la bienvenue.



Commentaires

Vous devez vous connecter ou devenir membre de La Spirale pour laisser un commentaire sur cet article.

A propos de cet article


Titre : LOIK DURY « KRAKED UNIT, RADIO NOVA, JEAN-FRANCOIS BIZOT & AUTRES HISTOIRES »
Auteur(s) :
Genre : Interview
Copyrights : La Spirale.org - 1996-2008
Date de mise en ligne :

Présentation

Loïk Dury, Kraked - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

Liens extérieurs

Kraked.com/
Parisdjs.com/
Myspace.com/loikdury
Myspace.com/monte_c

Thèmes

Musiques
Activisme
Underground

Mots-clés associés

Loïk Dury
Kraked
Musiques
Funk
Hip hop
Radio
Radio Nova
Nova
Musiques

Contact


Connexion


Inscription
Lettre d'informations


Flux RSS

pub

Image aléatoire

pub


pub

Contenu aléatoire

Texte Graphisme Texte Video Texte Texte Video Photo Texte