JEREMY XIDO« DEATH METAL ANGOLA »


Enregistrement : 04/09/2013

Plus de trois décennies de guerre civile en Angola, du début des années 1970 à 2002, et près d'un million de victimes. Parti pour réaliser un autre film dans le pays, Jeremy Xido rencontre par hasard la scène Death Metal locale. Il se prend de passion pour cette musique et son impact bénéfique sur une jeunesse meurtrie par les années de guerre. Entretien à coeur ouvert avec le réalisateur d'un documentaire exceptionnel.

Dates de diffusion dans le cadre de l'Étrange Festival 2013 :


Première diffusion le mardi 10 septembre à 21:15 dans la salle 300, avec un double programme comprenant Death Metal Angola de Jeremy Xido et À l'Est de l'enfer de Matthieu Canaguier (en sa présence). Seconde diffusion le jeudi 12 septembre à 21:15 dans la salle 100, toujours avec un double programme comprenant Death Metal Angola de Jeremy Xido et À l'Est de l'enfer de Matthieu Canaguier (en sa présence).

. Voir la bande-annonce de Death Metal Angola sur YouTube.com
. Accéder au site officiel de l'Étrange Festival
. Acheter des places pour le mardi 10 septembre ou le jeudi 12 septembre


Traductions de Carine Dubost et de Soizic Sanson.



Wilker Flores sur scène - © Cabula6 / Coalition Films, 2013

Pour commencer, j'aimerais revenir sur votre rencontre avec Wilker Flores à Huambo, alors que vous travailliez sur votre film sur le chemin de fer de Benguela. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre étonnante ?

C'était une rencontre inattendue. Je prenais un café à Huambo et il y avait ce jeune homme coiffé de petits dreadlocks, vêtu d'une chemise bleue boutonnée qui me fait un signe. Il avait quelque chose d'enfantin, plutôt conservateur. Nous avons échangé quelques mots au cours desquels il m'expliqua qu'il était musicien. Lorsque je lui ai demandé quel genre de musique il jouait, il m'a répondu : du « Death Metal ».

J'étais abasourdi. Ca paraissait tellement incongru que je lui ai demandé s'il pouvait me faire une démonstration. L'idée lui a beaucoup plu, il m'a répondu qu'il allait chercher un ampli et qu'on pouvait se retrouver le soir-même à « l'Orphelinat » dont il me donna l'adresse. J'ai supposé qu'il devait s'agir d'une sorte de club, mais lorsque je suis arrivé devant ce qui s'est avéré être une usine de lait désaffectée, il était clair qu'il ne s'agissait pas d'un club.

Wilker était à l'extérieur du bâtiment, avec une guitare électrique, entouré de 55 orphelins qui appelaient cet endroit leur maison. Utilisant l'électricité du voisinage, il donnait l'un des concerts les plus durs et les plus rudes qu'il soit possible d'imaginer, éclairé uniquement par les phares d'une fourgonnette. C'était à la fois magique et terrifiant.



Enfants à Okutiuka - © Cabula6 / Coalition Films, 2013

Pouvez-nous nous présenter la compagne de Wilker Flores, Sonia Ferreira, qui dirige l'orphelinat et semble vous avoir impressionné ?

Sonia est quelqu'un de remarquable. Ancienne institutrice, elle a passé la majorité de la guerre à fuir les bombardements qui semblaient la poursuivre, elle et sa famille, à travers tout le pays. En réponse à cette terreur quotidienne, elle a pris sous son aile les membres les plus vulnérables de la société - les enfants des rues. Elle a toujours fait preuve d'une décence et d'un héroïsme sans égal. Pendant la guerre, elle est parvenue à sauver cinquante-cinq enfants en leur permettant de fuir hors des zones assiégées à bord d'un avion russe.

C'est aussi un médiateur phénoménal, capable de voir au plus profond des gens, de les aimer et de leur offrir la reconnaissance et l'espace nécessaire pour leur permettre de s'épanouir. Elle apprécie aussi le rock et les fous qui le jouent. C'est une part intégrale de ce qu'elle est. Quelque part, la musique l'a renforcée, l'a aidée à cadrer et exprimer toutes les choses qu'elle a vécu dans sa vie : la douleur et la peur, l'amour, le besoin de justice et d'humanité.

Vous pouvez entendre une conférence TED qu'elle a donné cette année à Luanda.



Sonia et Celso - © Cabula6 / Coalition Films, 2013

Comment s'est passé le tournage ? J'ai pu lire que les relations avec les autorités angolaises n'avaient pas été simples, que vous avez été arrêté par la police et que l'un de vos protagonistes a été condamné à vingt ans de prison pour avoir échangé avec vous ?

Il est très difficile de filmer en Angola. Cela peut se révéler très coûteux, d'autant que les infrastructures de base (électricité, routes, etc) sont chaotiques. La bureaucratie y est insensée et il n'est pas évident de négocier avec elle. Je crois que beaucoup des structures de pouvoir et de prises de décision sont encore influencées par la guerre, durant laquelle de petites unités relativement autonomes étaient en compétition et en désaccord constant les unes avec les autres. Il n'est donc pas évident de savoir comment obtenir telle ou telle permission, mais cela permet aussi de se sortir de mauvais pas. Tout est négociable.

Comme vous le disiez, l'un de nos protagonistes a failli passer en cour martiale. Et nous nous sommes fait arrêter, avec Oswald - le preneur de son, pour avoir demandé l'autorisation de filmer une séquence à la police. Ce sont deux longues histoires à raconter ; traiter avec la police et les forces armées n'est pas une blague en Angola. C'est délicat. Je me suis retrouvé à tenter d'expliquer à quatre généraux médaillés l'importance du rock pour le pays et combien l'un de leurs soldats étaient l'un des meilleurs chanteurs de hardcore en Angola. Je me trouvais là, en train d'essayer d'expliquer la signification du rock à ces hommes en uniformes. C'était complètement fou. Et ce n'est que bien plus tard que nous avons appris que l'un de nos protagoniste avait failli écoper de vingt ans de prison, pour nous avoir adressé la parole.

Que pensent les autorités angolaises de la scène métal ? Pour eux, est-ce un phénomène marginal qu'elles dédaignent, ou bien, à l'instar de certains pays, cette scène est-elle considérée comme une menace potentielle pour l'ordre établi ?

Pour tout vous dire, je pense que les autorités sont complètement désemparées face à la scène métal. Elles ne la comprennent pas et ne savent pas quoi en faire. En règle générale, leur attitude est méfiante. Et elles n'hésitent pas à empêcher certains concerts d'avoir lieu si l'on y critique le président, par exemple. Mais ça vient plus d'une crainte de perdre le contrôle que d'une position idéologique. Le reste de la population considère le métal comme une nuisance sonore, potentiellement satanique, ce qui l'effraie. Les gens ont généralement peut de tout ce qu'ils perçoivent comme « étranger ».



Before Crush, en concert - © Cabula6 / Coalition Films, 2013

Sonia et Wilker ont passé beaucoup auprès des gouvernements locaux à promouvoir l'histoire du rock, depuis les premiers rythmes jusqu'au développement de la forme finale, en partant des navires négriers qui transportaient les esclaves en Amérique, en passant par la naissance du blues et son influence sur le rock, etc. Il était important de situer le rock en tant que phénomène africain. Ils ont été assez malins pour éduquer les autorités et s'en faire des alliés, jusque dans les sphères du pouvoir, et offrir ainsi au mouvement une protection contre les éléments réactionnaires et dangereux dans le gouvernement et les forces armées. Wilker et Sonia ont été brillants à ce niveau-là.

J'ai pu lire que vous aviez grandi à Detroit, une ville marquée par la crise et par quelques groupes de rock les plus marquants des quarante dernières années. Pensez-vous que votre expérience de jeunesse vous a permis de mieux appréhender ce que vous avez vécu et filmé en Angola ?

Les similarités entre Detroit et l'Angola m'ont frappé, déjà le paysage urbain. Je me sentais bizarrement chez moi au milieu de ces maisons délabrées, ainsi que dans cette culture familiale. C'était semblable à bien des égards à ce que j'avais connu plus jeune. Et par-dessus tout, la manière dont les individus se soutiennent, comme à Détroit. Sans aide des autorités, chacun se tourne vers l'autre et ainsi participe avec le peu qu'il possède. Ca donne des résultats impressionnants. Et ça m'a semblé très familier.

Sur un autre front, la manière dont les musiciens que j'ai rencontrés travaillent l'héritage de la violence. Leur manière de gérer la peur et la douleur m'a rappelé mes propres expériences à Detroit. Bien sûr, ce qui s'est passé en Angola est de loin plus extrême. Mais j'ai trouvé en Angola comme une âme soeur de Détroit et la même résilience. J'ai senti que je pouvais me connecter avec ce qu'ils faisaient à un niveau très personnel.

Peut-on dire que le métal et le hardcore jouent un rôle cathartique dans ces pays dévastés par plusieurs décennies de guerre ? La musique est-elle encore capable d'apporter quelque chose aux adolescents et aux jeunes gens marqués par les horreurs de ces périodes ?

Sans aucun doute. Deux facteurs entrent en compte. Ce genre de musique est une véritable catharsis à l'échelle individuelle et collective – une expression puissante et sans détour de choses que l'on ne parvient pas à exprimer autrement. L'autre est la création de communautés. À un niveau purement émotionnel, c'est cathartique. Intellectuellement, c'est une forme musicale qui permet à ceux qui la créent de dire la vérité sur la guerre et sur ce qui se passe aujourd'hui, y compris en temps de paix.

La musique permet de libérer la rage et la douleur. Au sein de la communauté, ça génère une expérience collective. Et pour ceux qui n'ont pas d'autres moyens de parler des aspects les plus sombres de l'âme humaine, la musique offre un moyen puissant de se libérer. Mais l'essentiel est d'être ensemble pour créer ensemble : c'est très fort. Avancer côte-à-côte et s'autoriser mutuellement à aller puiser jusque dans ce type d'émotions, à prendre ce risque. C'est un acte de foi et d'amour. C'est exactement ce que j'ai vécu en Angola et c'était très émouvant. Des groupes évoquent la destruction dans leurs paroles, mais le fait de se réunir pour créer un groupe et un mouvement, c'est bel et bien le contraire de la destruction.



Wilker Flores - © Cabula6 / Coalition Films, 2013

Êtes-vous resté en contact avec Wilker Flores et Sonia Ferreira après la sortie du documentaire ? Que sont-ils devenus ? Comment ont-ils réagi face à la sortie mondiale du film ? Aurons-nous l'occasion de voir leur travail en Occident un jour ?

Nous nous parlons régulièrement. En fait, ils préparent actuellement le prochain festival de Huambo qui aura lieu les 21 et 22 septembre prochains.

Ce qui a été incroyable, c'est que tous les musiciens se sont cotisés pour permettre à Wilker et à Sonia de venir à Dubaï pour la première mondiale du film. Nous avons vécu ce moment ensemble, ils sont ravis que le film connaissent une diffusion mondiale. En novembre, le film sera finalement projeté à Luanda. Il est important qu'il revienne en Angola.

Ils continuent à avancer, à aller de l'avant. Le mouvement prend de l'ampleur. Un disque devrait sortir dans quelques mois et nous espérons que certains groupes auront l'opportunité de tourner et de voyager. C'est un grand rêve et ils tentent de le réaliser en travaillant dur.

Que vous reste-t-il de cette expérience ? Quel impact a-t-elle eu sur votre vie et sur vos projets actuels ?

J'ai consacré plusieurs années de ma vie à la réalisation de ce film et à sa diffusion. L'impact est énorme. Je me suis fait des amis pour la vie. Ils m'ont ouvert les yeux, les oreilles, le coeur à ce que le métal a à offrir. Ils m'ont permis de redéfinir mes notions de la résilience et de la persévérance.

Le film fonctionne bien, ce qui va m'aider pour réaliser le prochain. Si nous pouvions réunir les fonds nécessaire, j'aimerais terminer mon film sur le chemin de fer de Benguela. J'ai aussi un projet de long-métrage de fiction sur lequel je travaille et qui m'enthousiasme particulièrement. Il se situerait aux Etats-Unis, cette fois-ci !

Aimeriez-vous dire quelque chose en particulier avant de clore cette interview - et avant d'inviter nos lecteurs à aller voir votre film à l'Étrange Festival ?

Hmm... J'aimerais dire ceci. Ces derniers mois, le fait de partager ce film aux Etats-Unis m'a fait réaliser que ce n'est pas uniquement un film sur des personnes qui vivent en Afrique. Ce film fait écho dans des villes et des communautés du monde entier, touchées par la violence ou l'indifférence, où la population doit rebondir constamment face à des catastrophes économiques ou naturelles. Comme c'est le cas de ma ville natale, Detroit.

Ce que Sonia et Wilker ont à nous offrir, c'est leur sens incroyable de la résilience et de l'espoir. Ils sont remarquables par leur persévérance. Ils ne baissent jamais les bras. Ils se sont trouvés, s'aiment et génèrent une forme de beauté. C'est un film réconfortant. Ces gens en Angola ont des choses incroyables à nous apprendre, c'est ce que l'on ressent en émergeant du film. Ce sont des personnes que vous voudrez connaître, croyez-moi.



Le toit de Jongolo - © Cabula6 / Coalition Films, 2013



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Plus de trois décennies de guerre civile en Angola, du début des années 1970 à 2002, et près d'un million de victimes. Parti pour réaliser un autre film dans le pays, Jeremy Xido rencontre par hasard la scène Death Metal locale. Il se prend de passion pour cette musique et son impact bénéfique sur une jeunesse meurtrie par les années de guerre. Entretien à coeur ouvert avec le réalisateur d'un documentaire exceptionnel.

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