THIERRY RUBY « LE CABINET DES CURIEUX »


Enregistrement : 17/05/2020

Contexte pandémique aidant, on prend d'autant plus de plaisir à retrouver le créateur de l'une de nos adresses parisiennes préférées, elle-même dissimulée au cœur de l'un des passages couverts les plus charmants de la capitale.

Certains de nos lecteurs se souviendront ainsi de La Caverne de La Spirale, une exposition organisée au mois de septembre 2015 à l'occasion du 21e anniversaire de L'Étrange Festival et à l'occasion de laquelle nous avons invités 21 artistes.

Ouvert en 1998 et fidèle à son appellation, Le Cabinet des Curieux propose une collection d'objets anciens, de curiosités naturelles, scientifiques et ethnographiques, parmi lesquelles s'invitent quelques oeuvres d'art récentes.

Une oasis urbaine qui résiste avec passion, hors du temps et des modes de l'époque, et un lieu tout à fait unique, dont les coordonnées s'échangent sous le manteau entre amateurs éclairés et collectionneurs de l'étrange.


Le Cabinet des Curieux
12, passage Verdeau
75009 Paris
M° Grands-Boulevards et Richelieu-Drouot (lignes 8 et 9)

À découvrir dès que possible, avant que les rédactrices de mode ne s'entichent de cette adresse. En attendant une réouverture que l'on souhaite prochaine, vous êtes invités à vous abonner à la lettre d'information du Cabinet des Curieux.

Propos recueillis par Laurent Courau.
Portrait de Thierry Ruby par Mina Maure.
Photographie du Cabinet des Curieux par Andy Julia.







Peux-tu revenir sur les débuts du Cabinet des Curieux et ce qui t'a amené dans ce magnifique passage Verdeau ?

Ayant fini mes études à l’École du Louvre, j'avais un capital devant moi. Il me fallait trouver un lieu pour exercer.

Le local du 12 passage Verdeau était marqué « à louer ». Nous étions trois à le vouloir en même temps - le propriétaire (diamantaire) m'a choisi car m'a t-il dit « j’avais un nom qu'il aurait aimer porter ». Donc, me voici au passage Verdeau, du fait de la consonance de mon nom. Un pur hasard irrationnel.



Pour avoir eu l'occasion d'admirer l'étendue de tes connaissances, notamment lors d'une balade dans le Vieux Lyon, j'aimerais que tu reviennes sur ta formation, soit tes études à l'École du Louvre et l'acquisition de ton savoir, aussi multiple que surprenant ?

Ça commence à l'adolescence par la collection de livres du XVIe siècle, monnaies, morceaux d'amphores romaines. Mes parents achetant souvent des antiquités, j’étais familier de cet univers.

Je pensais faire l’École des Chartes (c'est mon côté grimoire alchimique). Mais un archiviste m'a dit,: « vous manipulerez toute votre vie des manuscrits, mais vous n'aurez pas les moyens de vous en acheter ». Je lui en suis très reconnaissant, sa perspicacité m'a permis de réaliser que je voulais posséder les objets, donc que j'étais destiné au marché de l'art.

J'ai cultivé la fréquentation des antiquaires, des marchés à la brocante, des musées, des salles des ventes, puis de l’École du Louvre où l'on étudie la production artistique, depuis la préhistoire jusqu’au XXe siècle.



Au fil des années, on a vu défiler le tout Paris entre tes murs et plus particulièrement une certaine scène artistique fetish, néo-gothique. Comment en es-tu arrivé à fréquenter cette engeance ? Est-ce qu'il s'agit simplement du fruit de rencontres récentes ou d'un intérêt plus ancré, qui remonterait peut-être jusqu'à l'adolescence ?

Ce n'était absolument pas prévu, C'est simplement parce que nombre d'artistes de la sphère alternative, dark pop surréaliste que j'affectionne trouvent dans cette scène fetish une source d'inspiration « borderline ».

Un peu comme autrefois les maisons closes, les cabarets, et leur univers canailles et sulfureux inspiraient les peintres. À la différence, bien sûr ,que derrière les Maisons se cachait une grande misère, des trafics et de l’esclavage. Le milieu de la prostitution étant illégal depuis 1945, il fait moins rêver. Désormais le fétichisme et sa mise en scène esthétique ont pris le relai en tant que « loisir canaille » et source d'inspiration artistique « borderline ».



Plus généralement, à qui s'adresse le Cabinet des Curieux ? Quel genre d'étranges personnages viennent y assouvir leurs passions ?

Il y a aussi bien le client rationnel qui sait ce qu'il cherche et à quel prix, le client accommodant qui cherche la rencontre avec un objet, le client dominateur qui cherche un faire valoir, le compulsif qui a un besoin vital d'acheter. Mais en fait, peu d’étranges personnages.

Essentiellement des collectionneurs qui se créent un univers, un refuge d'objets. Il y a le « classique » tourné vers le XVIIIe siècle, le « fantastique » qui achète des dragons, des chimères et des vanités, le « thématique » qui ne cherche que des sphinx, par exemple, l' « ethnographique » qui aime les fétiches, les masques et les armes blanches de pays lointains, le « collectionneur de curiosités contemporaines » qui achète des oeuvres dark ou pop surrealistes, l' « archéologique » qui adore les terres cuites gallo romaines.

Et une autre catégorie, moins sectorielle dans ses choix : les « amateurs », qui peuvent picorer dans chaque catégorie.

Des gens normaux vus de l'extérieur avec un jardin secret intérieur.



Tes collections, les objets que tu exposes et proposes, semblent provenir des quatre coins du monde et de toutes les époques. Pour te citer : « un ensemble d'objets anciens, curiosités naturelles, scientifiques, ethnographiques, où s'invitent les œuvres d'artistes actuels. » Comment choisis-tu ces pièces ? Et qu'est-ce qui motive ta présentation d'un tel éventail, aussi fou que varié ?

C'est l'essence même du cabinet de curiosités. Il s'agissait dans les siècles passés de présenter un « résumé » du monde, avec en plus une note de magie ou fantastique, apportée par des artistes de l’époque.

Pour l'Ancien, on passe ainsi de l'archéologie précolombienne à une nymphe en bronze, un vase aux serpents, un masque funéraire, un reliquaire ou une vanité.

Pour les artistes vivants, c'est la même quête, on « chasse » autant l'artiste que les objets. C'est le fait de découvrir par soi-même qui crée l’émotion supplémentaire.

Cette boulimie de curiosités m’a amené a m'intéresser à de nombreux domaines de collection. Je n’ai pas d'a priori sur ce qu'il est « sérieux » de collectionner ou pas. Le goût personnel que l'on se forge est essentiel. Le reflet en est le magasin, les clients attendent ce goût, qui devient une référence pour certains.



Parmi les artistes que tu as exposés, je crois savoir que Nathalie Shau occupe une place particulière. Peux-tu nous parler d'elle ?

Natalie a constitué le déclic qui m'a amené à exposer de l'art étrange.

C’est en 2006 que je suis tombé sur le magazine Elegy avec en couverture une de ses oeuvres. Ça été un choc visuel - sur sa page internet DeviantArt, elle était vêtue en punk, assise sur une tombe, dans le vieux cimetière de Vilnius. Ce n’était pas l'idée que j'avais du look d'une jeune artiste.

Je fermais la page, déconcerté. Mais les oeuvres vues en ligne me tournaient dans la tête. Je lui en ai commandé quelques-unes, puis plus, toujours plus. J'ai maintenant la plus grande collection au monde, je pense.

Un jour, la livraison s'est faite au magasin, et disposant les tirages dans celui-ci, j'ai réalisé que ça matchait parfaitement avec le décor d'objets anciens. De là, la première exposition en 2007. Il a fallu que j’ajoute le métier de galériste à celui d’antiquaire. Puis, tout s'est enchaîné. Le succès de l'exposition, de nouveaux clients et de nouveaux artistes. Tout part de Natalie, son art a refaçonné le Cabinet des Curieux.



Bien que l'exercice puisse s'avérer difficile, peux-tu nous parler des trois, quatre ou cinq pièces qui restent chères à ton cœur ? Celles qui t'ont le plus ému et dont tu as eu le plus de mal à te séparer ?

La première est un buste en terre cuite de 1785 (vendu au Musée du Louvre) : L'affliction, par Stouf, sculpteur du roi. Cette sculpture constitue la pierre fondatrice de ma quête esthétique qui s'est développée au cours des années : beauté, douleur, sensualité. Un sublime travail de modelage. Et sa vente m'a permis de me lancer.

La seconde est Eve, sculpture robotique par le duo Benalo Polis, créée pour l'exposition Venus Robotica. Je suis le parrain d'Eve, qui a été baptisée à l'huile de machine à coudre. Elle illustre un autre axe indissociable du Cabinet des Curieux : l’étrangeté et la science fiction, le fantastique.

La troisième est un ivoire romantique, La jeune fille et la Mort. Au moment où le client m'a dit « je l'achète », j'en ai éprouvé un malaise. l’Éros et Thanatos, incontournable.

La quatrième est Greensward Grey par Natalie Shau, oeuvre sur le passage entre monde des vivants et des morts.

Citons aussi cette sanguine italienne du début du XVIIe siècle, qui représente Méduse. Méduse, belle jeune fille violée par Poseidon dans un temple dédié à Athéna, se voit punie par cette même déesse, qui la transforme en gorgone. Ses cheveux deviennent des serpents, ses yeux se dilatent et désormais son regard pétrifie tous ceux qui le croisent. On y trouve la puissance du féminin, le pouvoir du regard, le rapport intime au monstrueux.

Énumérer ces pièces résume bien le côté « borderline » du Cabinet des Curieux : beauté, sensualité, douleur, fantastique.



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A propos de cet article


Titre : THIERRY RUBY « LE CABINET DES CURIEUX »
Auteur(s) :
Genre : Interview
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Date de mise en ligne :

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