TEMPSION « THE GOLDEN PROGRAM-MM » (2019)


Enregistrement : 17/05/2019

Familier des pages de La Spirale depuis près d’une décennie, Tempsion nous revient en ce printemps 2019 à l’occasion de la sortie de son album The Golden Program-mm, un disque que nous avions déjà eu l’occasion de longuement aborder au printemps 2013. Au-delà des formule usées et éclusées, force est de reconnaître que notre attente ne fut pas vaine, tant Frédéric Temps et sa joyeuse troupe livrent ici un « grand disque mutant » !

Opus improbable et virtuose, plus taillé pour l’international que les frontières intérieures de notre frileux Hexagone, où le mélomane averti percevra quelques clins d’œil aux grands fous soniques de ces dernières décennies : James George Thirlwell, alias Clint Ruin ou Foetus, John Joseph Lydon, dit Johnny Rotten, parmi les voix d’un Digdas disjoncté, ou encore Delia Derbyshire, pionnière des musiques concrètes et électroniques auquel est dédié le morceau W.I.S (Women In Science).

Tour à tour orchestral, pugnace, électronique et totalement cinglé, The Golden Program-mm ne se gène pas pour bousculer les codes et les convenances. Un plaisir désormais plus rare qu'il n'y paraît, en ces temps d'abondance conformiste, dont on pourra profiter dès le 15 juin à travers la page Bandcamp de Tempsion, en version numérique et sur vinyle. La parole est maintenant à la défense, en espérant que la presse s'empare, à notre suite, de cet objet rare.


Propos recueillis par Laurent Courau.
Conception graphique de
The Golden Program-mm par Marc Bruckert.
Vidéo musicale psychotronique par Jérôme Lefdup.





Six années ont passé depuis notre précédent entretien, qui portait déjà sur The Golden Program-mm, ce troisième album de Tempsion qui sort finalement au mois de juin prochain. Me targuant moi-même d'être un grand spécialiste de la course de fond et des efforts prolongés, je ne saurais trop t'interroger sur les raisons de cette longue gestation ? (sourire)

Pour ce troisième album nous sommes finalement entrés en studio fin 2014 et la production pure s’est étirée jusqu’au début 2017, permettant ainsi de revenir sur différents titres, en éliminer certains, en rajouter d’autres et pratiquer divers masterings avant d’être vraiment satisfait du résultat. Entre-temps j’ai rendu deux musiques de films et fait diverses collaborations.



Et justement, j’aimerais beaucoup que tu nous parles un peu de ces musiques de films et collaborations, facette de ton travail que je connais moins pour ma part ? De quels projets audiovisuels s’agit-il et qu’est-ce qui peut motiver tes envies de collaboration, te sachant plutôt du genre « sourcilleux » ?

Que ce soit pour des musiques de films, de documentaires ou génériques, ce sont les artistes qui me sollicitent à chaque fois. Je n’ai jamais eu l’occasion de proposer mes services à un tiers même si je trouve le challenge toujours intéressant.

Pendant la préparation de ce dernier album j’ai composé pour le second film de la réalisatrice Régine Cirotteau et je viens de terminer l’accompagnement musical pour la restauration du film Autour de L’argent, le très beau making of qu’avait fait Jean Dréville lors du tournage de L’argent de Marcel L’herbier, en 1929.

Cette restauration faite par Lobster Films, la société de Serge Bromberg, l’infatigable spécialiste des films primitifs, devrait accompagner la sortie blu-ray du chef d’œuvre de L’herbier d’ici cet été. Je sais que Serge souhaiterait que l’on puisse l’interpréter en public mais étant une partition orchestrale, ça risque d’être assez ambitieux. On verra.

Je viens d’être également approché par deux cinéastes qui voudraient que je compose pour leur prochain long-métrage respectif, mais qu’ils trouvent déjà l’argent nécessaire pour leur projet, ce qui n’est pas simple en France, aujourd’hui.

Dès les premières paroles de Hstric, voire même dès les premières percussions de We're Inside Now qui ouvre l'album, on sent la « rage » que tu évoquais lors de notre interview d'avril 2013. Et ça se poursuit à travers la majeure partie du disque, jusqu'aux dernières paroles de Horizon. Avril 2013 - mai 2019, l'actualité ne t'a donc pas donné envie de t'assagir ?

En six ans le constat alarmiste dont nous faisions référence dans ce précédent entretien s’est aggravé de façon exponentielle aux quatre coins de la planète et l’avenir le plus proche n’est pas franchement prometteur. Toutefois, nous continuons à nous focaliser sur tous les esprits vaillants et constructifs qui arrivent encore, comme nous, à créer dans ce marasme. Raison pour laquelle le titre We’re Inside Now ouvre l’album et Horizon le ferme. Le premier induisant que, ça y est, nous sommes bel et bien « dedans »… mais qu’une lueur d’espoir est possible, qui passera inévitablement par une sorte de tabula rasa, ou il sera trop tard.

Le communiqué de presse mentionne un hommage à Delia Derbyshire, que je devine peut-être dans le morceau Women in Science ? Aurais-tu la bonté de nous entretenir de ton intérêt pour cette pionnière des musiques concrètes et électroniques, reconnue - parmi bien d'autres choses - pour la réalisation du thème d'ouverture de la série télévisée Doctor Who, composé par Ron Grainer ?

Au même titre que Daphne Oram elle fut l’une des pionnières de la musique concrète en Angleterre (l’équivalence d’un Pierre Schaeffer ici) et, une fois encore, dans un univers plutôt viril et ou les femmes, brillantes soient-elles, n’avaient pas la place qui leur revenait. Son apport pour la musique électronique est phénoménal et encore aujourd’hui beaucoup de jeunes musiciens se réfèrent de son travail. Déçue par le désintérêt du business pour la musique électronique, dans les années 1970, elle finit sa vie comme libraire puis galeriste, avant d’être rappelée par la jeune génération, quelques années avant sa mort. Le morceau W.I.S (Women In Science) est un hommage à toutes ces femmes qui ont su imposer leur art ou leurs idées dans un univers pourtant hostile.

Puisque tu es bien placé pour en parler, est-ce que l’on retrouve le même ostracisme vis-à-vis des femmes dans le cinéma ? Si j’en crois certains débats récents, ça ne semble pas plus évident. Alors que le milieu de la musique s’est peut-être plus ouvert depuis les années 1970 ?

À travers l’histoire des arts (mais on pourrait très facilement reporter le problème au quotidien de chaque profession) les femmes ont toujours dû déployer deux fois plus d’énergie et de travail pour être « considérées ». Le même rapport abyssal qui existe entre les salaires des hommes et des femmes se répercute sur chaque projet. Si tu regardes les différentes échelles de la profession cinématographique, tu as fatalement beaucoup moins de femmes que d’hommes, et pas forcément sur les postes clés mais dans toute la chaine de production elle-même. Ces temps-ci on entend beaucoup parler de parité ou de remise à niveau égalitaire mais il est facile de constater que les budgets alloués aux réalisatrices sont toujours inférieurs à celui de leurs collègues masculins (ce n’est pas moi qui le dit mais une étude récente du CNC). Fatalement, cette réduction budgétaire condamne les femmes à des films plus petits, et non des grosses productions. Il suffit de lire, outre atlantique, le récent traitement médiatique du film Wonder Women ou les chroniqueurs parlaient plus du fait que cette grosse machine à succès était réalisée par une femme plutôt que du contenu même du machin.

En musique, et précisément dans le rock, les choses sont un poil différentes, sans doute à cause du vieux fantasme de la « rockeuse » libre et autonome. Si en plus elle est chanteuse–instrumentiste, ça chauffe dans les caboches. M’enfin, combien d’entre elles produisent elles-mêmes leur album ? Le chemin est encore long.

Parmi les instruments de musique et les pédales d'effet qui composent la très belle pochette de l'album réalisée par Marc Bruckert, on trouve le fauteuil roulant de Denis Lefdup, mais aussi une tronçonneuse et une perceuse (ou ponceuse). Est-ce qu'il s'agit d'un clin d'oeil à la musique industrielle d'antan ? Ou est-ce que ces outils ont véritablement participé à la création de l'album ?

Les deux en fait. J’utilise beaucoup d’outils singuliers pour créer des sons, mais lorsque j’ai demandé à Marc Bruckert de plancher sur la pochette, en y mettant les objets ou instruments qui lui semblaient le mieux correspondre à la création de ce nouvel album, il m’a de suite proposé ces outils qui symbolisent en effet une certaine période/vision de la musique bruitiste ou industrielle. Le fauteuil de Denis me semblait incontournable car il est, faussement à mon sens, l’apparence réductrice d’un ami et musicien bien plus grand dans sa philosophie de la vie et dans son approche du son qu’un bataillon de géants Atlas.

Nous venons de parler de Denis Lefdup, éminent fondateur du Snark. Par quels chemins détournés en es-tu venu à constituer le casting bigarré des intervenants ce disque ?

Comme je te le disais lors d’un précédent entretien, je préfère toujours m’entourer de personnes qui sont en phase avec mon approche musicale, tant conceptuellement que pour la méthode. Dans le cas de ce dernier disque on retrouve donc certains collaborateurs de longue date mais les nouveaux ont un lien direct avec certaines collaborations passées. Le violoncelliste Erwan le Guen n’est autre que le fils du pianiste Éric le Guen avec qui j’avais composé deux morceaux sur le premier album de Tempsion, il y a quinze ans. J’ai vu grandir « artistiquement » le talent d’Erwan et voulais le faire intervenir un jour ou l’autre.

Je connaissais les premiers albums de Sayoko (donc l’excellent Empties sorti sur Tzadik, le label de John Zorn) et l’avais vu en concert plusieurs fois avec Winter Mass, le trio créé par mon ami Frederick Galiay, complété du percussionniste Jacques Di Donato, puis avec Super Stoned, le projet évolutif de Norscq et Black Sifichi. La sensibilité et la force, toute en retenue, qu’elle dégage sur scène m’avaient tout de suite donné l’envie de lui écrire quelque chose pour cet album.

Parmi la multitude d'ambiances, de sons et de surprises qui composent The Golden Program-mm, le morceau Digdas dégage une énergie très particulière. Qu'est-ce qui t'a traversé l'esprit au moment de le composer ? Comme l'envie d'une dernière muflée avec les copains, avant la fin du monde et l'effondrement de notre système décati ? (sourire)

Comme dit précédemment, si nous sommes maintenant arrivé au fond du trou, la seule façon de remonter à la surface passe par une élimination des scories qui nous encombrent depuis trop longtemps. Rien n’empêche de le faire dans la joie, tout en dansant sur les ruines (sourire).

L’album sera disponible, bien entendu, au format numérique, mais également sur vinyle. Prévoiriez-vous enfin de revenir sur scène ? Outre l'évidence de bourrées impromptues du public sur Digdas, j'avoue que ce disque donne particulièrement envie d'expériences « directes ».

L’arrivée de ce nouvel album réveille chez certains l’envie de nous voir de nouveau sur scène et la chose n’est pas exclue d’ici la fin de l’année. Mais pour le moment je suis assez occupé par la préparation du symbolique 25e anniversaire de L’Étrange festival et n’ai pas vraiment le temps de préparer convenablement des répétitions.

Tant que je te tiens, je ne saurais me retenir de te poser une question corollaire. Le mois de septembre 2019 verra le 25e anniversaire de L'Étrange Festival, que tu as fondé et que tu présides depuis des temps quasi préhistoriques. Aurions-nous droit à une - ne serait-ce que « microscopique » - révélation sur le programme de ce bel anniversaire ?

Forcément, après un premier quart de siècle d’engagement artistique, tant au niveau de l’image que du son ou des arts plastiques, nous nous devons de fêter l’événement comme il se doit. Et même si, tu le sais, je ne suis pas très friand pour dévoiler les choses trop en amont, je peux tout de même t’annoncer que nous allons profiter de cet anniversaire pour y réunir beaucoup de personnalités qui ont compté pour la manifestation, tant au niveau de son contenu, que de sa conception ou de son inspiration. Le « gâteau » devrait prendre la forme d’une (mini) tour de Babel de L’Étrange sous bien des formes (sourire).

The Golden Program-mm me semble taillé pour l’international, beaucoup plus que pour un auditoire hexagonal. Au-delà d’une présence désormais obligatoire sur l’Internet, avez-vous des vues sur l’étranger ?

Ta réflexion est amusante… Un ami, responsable de com’ d’un gros label, me disait récemment qu’il « faudrait que je signe sur un label étranger pour revenir en France et, ainsi, être considéré par les médias ici ». Schéma bien connu, « nul n’est prophète en son pays ».

J’espère que les journalistes musicaux sauront faire mentir cette théorie pour ce nouvel opus. Nous sommes en discussion en ce moment même pour la distribution internationale, sur support physique (pour le numérique, l’album sera disponible sur notre Bandcamp). Une fois cet aspect contractuel réglé, nous verrons pour refaire des concerts à l’étranger.

Question désormais rituelle sur La Spirale, comment vois-tu le futur à moyen terme, d’un point de vue global et personnel ? Et pour ne pas nous cantonner, comme trop souvent, à une conclusion anxiogène, où devines-tu des lueurs d’espoir, des raisons de s’enthousiasmer et redoubler d’efforts ? (sourire)

Finalement, nous vivons une période assez comique. Une grande partie de la civilisation planétaire se rend bien compte que les dirigeants n’ont plus aucune direction très solide. Ça commence à craquer de tous les côtés et forcément ça laisse d’avantage de failles dans le système permettant ainsi aux plus intrépides d’avancer leurs pions.

Tant au niveau créatif que philosophique je pense que nous rentrons dans une période de transition qui s’annonce passionnante et plus encore galvanisante. On va bien s’amuser.





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Titre : TEMPSION « THE GOLDEN PROGRAM-MM » (2019)
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Genre : Videoclip
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Familier des pages de La Spirale depuis près d’une décennie, Tempsion nous revient en ce printemps 2019 à l’occasion de la sortie de son album The Golden Program-mm, un disque que nous avions déjà eu l’occasion de longuement aborder en 2014. Au-delà des formule usées et éclusées, force est de reconnaître que notre attente ne fut pas vaine, tant Frédéric Temps et sa joyeuse troupe livrent ici un grand disque mutant.

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