Le thème te colle tellement au crayon et semble si évident quand on connaît ton travail, que j'ai presque du mal à te poser la question. Mais allons-y quand même, qu'est-ce qui t'a amené à te focaliser sur la « Grande guerre » pour ce très bel ouvrage ?
Surtout au Bic ! De nombreux facteurs. En 2014 en rapport avec le centenaire de la grande Boucherie, j'ai fait une illustration Der Stalhelm Schlucken, une fellation sur un gars en prothèse dans un bordel, mes goûts pour les artistes « dégénérés » comme Dix, Grosz qui ont peint et dénoncé cette fichue guerre. Et puis un accès aux archives photographiques du grand père aviateur en 1917 dans la Spa26 de la fameuse Escadrille des Cigognes.
Se trouvait là un cahier, qui a au moins 100 ans, aux pages couleur tabac et satinées, sur lesquelles la pointe bille glisse aisément. Je voulais marquer le coup, raconter ma vision de cette saloperie industrielle. Du sang, du foutre, de la peine, de la pine, de la gloire, de la pisse, un « shrapnel » en pleine poire à illustrer. Entre-temps, je rencontre Xavier de Timeless Editions et lui cause de mon projet.
On connaît ton goût pour les objets étranges, au point de transformer ton intérieur en véritable cabinet de curiosités, longtemps avant que ce soit la mode chez les jeunes urbains. Est-ce que tu as mené des recherches iconographiques particulières pour ce Chair de fer ou est-ce que tu t'es laissé porter par ton imaginaire ?
Pas particulièrement. Disons que comme j'archive pas mal, j'avais ces choses à portée de la main, comme ce qui concerne les gueules cassée et les prothèses. J'ai juste récupéré les morceaux de pales d'hélices peintes par le grand père qui relatent les as. J'ai quand même dû acheter quelques bouquins sur les armement et les uniformes, histoire d'ajouter une touche historique à un univers barré.
Qu'est-ce qui t'a amené à collaborer avec Timeless Édition, pour ce projet ? Éditeur auquel je tire mon chapeau, au passage, et dont j'ai encore récemment acquis l'excellent bouquin sur l'occultisme thaïlandais The Thaï Occult: Sak Yant
Une belle rencontre d'ailleurs, nous avons des gouts très personnels avec de chiées de points communs. C'est tout l’intérêt, tu me diras. Et surtout, le projet l'avait fortement intéressé, même si mon dessin n'est pas imprégné de japonisme ou plus graphique.
On s'est dit que des illustrations entièrement au Bic, plein pot comme les albums de Futuropolis, ça aurait de la gueule. Grand guerre, grand format ! Le choix s'est donc porté sur le 30x40, ce qui m'a tout de suite plu. Même si les dessins sont deux fois moins grands. Il fallait un papier épais, un beau papier Rives Laid 220gr pour tout rigidifier, rendre l'objet solide, solide comme l'acier. Au départ, je voulais que certaines des illustrations se déplient, mais on a opté pour les pages centrales et rabats (imprimés au revers). Ça été long en discussion, la vision de l’éditeur et de l'illustrateur « exichiant » ! Notamment pour le tirage de tête, dont la chemise a été réalisée à la main avec un embossage, une impression en relief sur le tissu. Le détail qui justifie tout. Le flip à été d'attendre le résultat de l'impression dont je suis finalement fort satisfait, les noirs noirs, le rouge correct, etc. Tout ça a porté ces fruits, avec une bonne écoute. À refaire.
Tu as demandé à Alain Trehard-Decosse d'écrire Deux mille dix-huit, le seul texte de cet ouvrage. Quelque chose d'une communion d'idées, d'univers et de partages d'influences entre deux artistes ?
Avec Alain, on se connait depuis un bon moment de par les collaborations et l'amitié. Donc lui aussi, ça lui a parlé. Je lui ai balancé quelques images. Il a complètement capté le bazar avec un esprit incisif, un poil Apollinaire. Direct, cruel, avec la faucheuse en fond.
Tu me disais récemment que tu ralentissais, voire que tu arrêtais le tatouage ? Est-ce à dire que les projets artistiques se multiplient au point de t'accaparer complètement ? Ce qui est une excellente nouvelle, soit dit en passant.
Je sentais le vent tourner, trop de shops, de conventions, etc. Et puis l'illustration, effectivement, ça prend du temps, retour au premier amour. Depuis un bon moment, je bosse avec du bic ou des feutres, il y a ce côté immédiat que j'apprécie, rien à préparer sauf sa tête. Pas comme avec l'acrylique ou d'autre machins en tubes, en tout cas pas pour l'instant. L'idée, aussi, c'est que je me mette à la gravure, notamment pour produire des Sex-Libris. No regrets.
Comment en es-tu venu à travailler au stylo bille ? Un outil plus immédiat, comme tu nous le rappelles, mais que j'imagine laisser moins de place à l'erreur ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ?
J'ai toujours fonctionné avec un système de hachures pour les volumes, l’héritage de Al Voss, de Liberatore à ses débuts, de Burns, de Mezzo. Le Bic quand tu te plantes, c'est mort de chez mort, pas moyen de passer du blanc ou de l'acrylique, l'encre refait surface. Pour les petits pains, tu peux gratter, tout dépend de l'épaisseur du papier. Et les gros pains, là tu découpes et tu remplaces.
Le plus rapide c'est sûr, c'est le feutre, mais je n'ai pas ce panel d'appui de la pointe, moins de nuances, on peut jouer avec le support du dessous, plus il est dur (verre), plus le trait sera précis, comme mon style se rapproche de la gravure... Je ne fais pas ce dégradé hyper réaliste, aucun intérêt. Et c'est un bon entraînement pour la gravure à laquelle j'aspire. Là aussi, on n'a pas droit à l'erreur.
Tu parles d'un cahier aux pages couleur tabac, vieux d'un siècle et sur lequel la pointe de ton stylo bille glisse aisément. Ce qui veut dire que ces illustrations, ou du moins certaines d'entre elles, ont été réalisées sur ce cahier ?
Tout a fait, les autres papiers sont de teintes gris clair ou ivoire. Et comme ce papier est centenaire, ça faisait le lien avec l'histoire.
La Spirale n'étant pas Facebook ou un quelconque réseau social anglo-saxon et puritain, on ne va pas se gêner pour parler de l'aspect le plus pornographique de tes travaux. D'où t'es venue l'inspiration pour « On s'emmerde pas chez Marthe Richer » et quand est-ce que tu nous réalises un album totalement pornographique, dans cet univers de bordels que tu affectionnes tant ?
Non, La Spirale n'est pas quelconque ! Marthe Richer - alias Marthe Richard - est une drôle de nénette, ancienne des maisons, aviatrice la clope au bec. Pseudo espionne. Un peu trop proche d'un officier allemand pendant la 2ème Guerre mondiale et l'instigatrice de la fameuse fermeture des maisons en 46, relatée dans La fermeture , le bouquin de Boudard. Donc un hommage biaisé de cette mythomane.
Il y en a aussi un sur Mata Harry dans le rôle sans équivoque de maitresse. Ces illustrations ont parfois un titre amusant. Et les bordels, bordel ! Eh bien, c'est aussi un hommage à tous ces gars estropiés, ces gueules cassées qui en ont bien bavé, d'aller trouver du réconfort dans ces alcôves pas trop éclairées, avant d'affronter le regard de la société. J'y ai intégré un tatoueur Karl Finke avec ces flashs qui ont existé, le tatouage ayant sa place, surtout dans la marine.
L'idée d'un tel album, voire livre, serait de trouver un texte érotico/porno sans droits et de l'illustrer avec l’éditeur qui convient, j'en serais très honoré. Des propositions ?
« Nungesser, le Trompe-la-Mort », c'est un hommage à ton grand-père que tu évoquais plus haut ?
Indirectement, même s'il était dans la même escadrille et a combattu sur un Spad XIII sur la fin. Charles Nungesser était vraiment un aventurier extrêmement démerdard, boxeur, pilote de course, acteur. Un tenace qui, même blessé à la mâchoire et aux jambes, voulait absolument retourner au combat. Une teigne au sourire charmeur. Il a même poursuivi Hermann Göring, le faisant fuir. Humilié celui-ci ordonnera la destruction du monument rendant hommage à Nungesser et Coli pour leur traversée de l'Atlantique en 1927, malheureusement pas aboutie.
Un as des as, fêtard, tête brulée qui aurait pu, s'il n'avait pas été pas blessé, concurrencer l'as des as René Fonck. Lequel était tout son contraire, bien plus austère. Un trompe-la-mort à l’emblème au crâne et aux tibias entrecroisés, surmonté par un cercueil cerné de deux chandeliers sur fond de cœur noir, qui m'a donc bien inspiré.
Mickey vient de mettre la clé sous la porte de la Cantada II, établissement pour lequel tu avais réalisé une série de peintures sur le thème des sept péchés capitaux. Qu'est-ce que ça t'évoque ? Une épitaphe, un hommage pour la route et les nouvelles aventures, à venir ?
Tout a un temps, tout est en perpétuelle évolution. Encore une belle aventure qui permet de se construire. Et cette histoire, avec Mickey, dure depuis 1987 ! Un lieu ou j'ai proposé des expositions et quelques soirées. L'apothéose ayant été le jeu de tarot de La Cantada II, accompagné de son exposition. Cinq des péchés peints sur bois seront proposés aux enchères, affaire à suivre.
On attend maintenant tes prochains projets d'exposition. Quand et où est-ce que tu as prévu de t'exhiber dans les temps à venir ?
Déjà, des signatures du livre avec une exposition en parallèle, si possible dans une galerie couillue. Et un autre projet, tout au Bic rouge, est en cours, sur une thématique liant du conte drolatique, de l'objet contemporain, quelques sujets classiques, avec un style qui se rapproche des maîtres graveurs des 15e et 17e siècles, une exposition est prévue chez Manjari & Partners à Paris, au mois d'octobre. Et toujours des affiches, des pochettes de disque, peut-être même un bar ?