ESTELLE MONSTERLUNE « THE GREAT MUTANT FREAK SHOW »


Enregistrement : 25/06/2021

Carnaval de l’étrange, freak show, transe mutante ? Entre couture et peinture, masques déviants et tarot de l'obscur, Estelle Monsterlune explore les dimensions parallèles du beau et du bizarre. Avec des créations aussi inquiétantes que polymorphes, dont La Spirale espérait se faire l'écho depuis de longues années et la glorieuse époque des soirées Alien Nation.

Londres, la ville du « Beau Brummell », de Jack l’Éventreur, du dandysme et des soirées Torture Garden, l’a accueillie en son sein. Un écrin d’exception pour cette artiste française influencée par le mouvement punk et la culture gothique, où elle enchaîne expositions, défilés de mode et performances, lorsqu'elle ne visite pas ses cimetières les plus hantés.

Son projet le plus récent, le Tarot Oscuro, vient d'être publié dans plusieurs langues. Où un œil affûté saura repérer certains personnages atypiques des marges culturelles d'hier et d'aujourd'hui. En attendant de retrouver Estelle Monsterlune à la fin de l'été dans le cadre de « Narok », la prochaine grande exposition de nos camarades du Dernier Cri.


Propos recueillis par Laurent Courau. Portrait d'Estelle Monsterlune par Dav Guedin, photographies de frise par Damien Frost.






D’où te vient cette passion pour les masques étranges et de manière plus générale les créatures monstrueuses, hors-normes, que l’on imagine remonter à ton enfance ?

Depuis que j’étais petite fille, j’ai toujours été fascinée par les films d’horreur et par le surnaturel. J’aimais avoir peur, mais aussi surprendre. Je me déguisais et me transformais souvent pour amuser ma famille. Je tiens ça de mon père qui aimait se transformer de façon grotesque, parfois se défigurer pour nous faire peur, par exemple se recouvrir tout le visage de peaux de pêches pour avoir l'air d’un écorché !

J'ai toujours gardé ce côté-là. C’est même devenu une passion, fabriquer de nouveaux visages et de nouvelles formes de corps hors-normes.



Corrige-moi si je me trompe, mais tu peins, tu sculptes, tu couds, tu transformes et tu manipules sur de nombreux supports, avec bien sûr cet amour tout particulier pour les masques. Comment en es-tu arrivée à maîtriser autant de techniques différentes ? Est-ce que tu as bénéficié d’une formation particulière, en école de mode ou d’art par exemple, ou s’agit-il plus d’un parcours autodidacte, voire des deux ?

Je suis passée par des écoles d’arts graphiques à Paris. Le lycée d'arts plastiques Maximilien Vox était très complet artistiquement et m'a appris différents moyens d’expression. À l’époque, nous n'avions pas d'ordinateurs !

Ma grand-mère était couturière. Elle m'a appris les bases de la couture et après je me suis débrouillée par moi-même. Mon père taillait la pierre et ma mère peignait. Elle fait toujours du patchwork. Mes soeurs et moi avons toujours baigné dans une ambiance artistique. Nous avons également étudié la musique.

J'ai toujours aimé expérimenter avec différentes techniques et créer des objets insolites. Aussi, je joue encore avec des poupées, habillée en petite fille déjantée…



Qu’est-ce qui a motivé ton déménagement de Paris vers Londres ? Est-ce que tu as trouvé un terrain de jeu plus propice dans la ville d’Aleister Crowley, du dandysme, d’Alexander McQueen et où s’était établi l’incroyable Leigh Bowery ?

J'ai découvert Londres 22 ans en arrière, en rendant visite à des amis anglais. Ça m'avait subjuguée, tellement les gens étaient ouverts d'esprit, tolérants et respectueux.

Je m’y suis sentie très à l'aise et acceptée telle que j’étais, avec mon style goth punk.

Cette ville me bouleversait au plus profond comme si j’y avais vécu dans une vie passée. Je la quittais toujours en larmes. Alors, j'ai décidé de m'y installer pour de bon en 2011 et d’y tenter ma chance, ce que je n'ai jamais regretté !



En introduisant Londres, je me suis focalisé sur des grandes figures du passé. Quels sont les originaux, les artistes et les créateurs actuels dont tu te sens proche aujourd’hui ? Que ce soit à Londres ou n’importe où sur la planète, bien sûr ?

Bien sûr, Leigh Bowery a fait partie des déclencheurs pour mes masques en tissus, mais j’ai beaucoup d’autres influences, diverses et très variées. La musique et les films y sont pour beaucoup. Certaines créatures m’ont été inspirées par les livres de Lovecraft, des personnalités telles que Nina Hagen et Divine, les vampires, le punk, le groupe The Residents, certaines drag queens, des démons et d’autres personnages.

Je ne suis pas la mode, plutôt anti-fashion. Je ne suis pas forcement au courant des nouveautés. Je préfère rêver et m'inspirer de la nature, de ce qui m'entoure et inventer des formes absurdes. L’art brut a aussi beaucoup influencé mon travail.

J’ai récemment vu sur les réseaux sociaux que tu participes à « Narok », une prochaine exposition du Dernier Cri, sorte de « résidence de l’enfer » inspirée des parcs à thèmes thaïlandais, qui sera dévoilée au public à la fin du mois d’août. Peux-tu nous dire quelque mots sur ce projet alléchant ?

En effet, je me suis trouvée invitée à venir faire un monstre géant au Dernier Cri pour l'exposition « Narok » (Buddhist Hell) en septembre. C’est grâce à Dav Guedin, mon amoureux, qui est aussi mon arrière arrière petit cousin (mais ça, c’est une longue histoire !). Car il a participé au livre Narok, sorti l'année dernière au Dernier Cri. Il devait faire une créature pour l’exposition, donc j’ai aussi été de la partie. Nous avons fait une mouche carnivore géante, ça va être dément !



Tu viens également de sortir ton propre jeu de tarot, le Tarot Oscuro, écrit par Maria Moraru. Qu'est-ce qui vous a amené à collaborer sur cette édition, sur lequel il me semble reconnaître de nombreuses personnalités de la scène artistique londonienne ?

J'avais réalisé la carte de la Justice pour mon plaisir, avec une image du costume des soeurs siamoises dans le film Freaks - La Monstrueuse parade de Tod Browning. Philip Blakeley, un ami, l'a vu. Depuis longtemps, il essayait de trouver l'artiste adéquat pour réaliser un jeu de tarot et m'a proposé le job. Nous avons demandé à une amie de collaborer et d’écrire pour chaque carte.

Nous constituions une bonne équipe. Nous avions aussi des traductrices, car nous l'avons réalisé en six langues différentes. Pendant un an, on a bien travaillé, tous sur nos tâches respectives, et nous sommes très contents du produit final. Philippe s'occupe en ce moment de la distribution dans différents pays.

J'ai vraiment pris du plaisir à travailler sur chacune de ces cartes et à étudiant leurs significations, tout en utilisant mon univers créatif de costumes. J’ai choisi de representer quelques personnes qui m'ont inspirée et qui convenaient au sens de la carte. Je n'ai bien sûr pas pu inclure tous les artistes et toutes les personnes que j'aime et qui m'inspirent sur cette terre !

En tant qu’artiste et créatrice, comment ressens-tu la période si particulière et troublée que nous traversons ? Je fais référence à l’actuelle pandémie, mais aussi et de manière plus générale aux grands bouleversements technologiques, écologiques et sociaux de ce début de 20ème siècle ? Est-ce que tu arrives à trouver des sources d’inspiration dans ce chaos accélérant ? (sourire)

Quoi qu'il arrive autour de moi et dans le monde, je retombe toujours sur mes pieds et trouve toujours le moyen de continuer à créer. Je n'ai jamais laissé tomber, même ayant vécu des moments très douloureux. Je dois dire que je me coupe pas mal de la réalité et des informations pour me protéger et ne pas stresser, car je m'inquiète beaucoup en général. Pour moi, il est vital de m'isoler un peu dans ma bulle de Monsterlune, aussi j'adore le silence.

M'exprimer artistiquement m'a toujours aidé à vivre dans ce monde compliqué.




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