POUPEE MECANIQUE
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2008)
Créatrice de l'association Alien Nation avec son copain Post, Poupée Mécanique organise depuis trois ans les plus belles soirées fétichistes parisiennes. Tous les deux mois, ces soirées attirent - sur un thème différent - entre 200 et 400 adeptes des modifications corporelles et de la mode alternative. C'est un lieu de rendez-vous nocturne pour ceux qui aiment se déguiser, réinventer le corps. Ils portent des lentilles de serpent, se maquillent comme des extra-terrestres et enfilent des secondes peaux de latex. Pour venir, il ne suffit pas d'être branché. Il faut être créatif. Le dress-code exige en effet qu'on se conforme au thème, chaque fois différent : âCadavre Exquisâ?, âBondage Industrielâ?, âSatyriconâ?, âCrashâ? et la toute-prochaine âFetish Cabaretâ? (samedi 24 février). Autant de looks à inventer ! Les soirées d'Alien Nation flirtent avec la création. Elles servent de tremplin à toutes sortes d'artistes : le photographe Reed 013 y tient son cabinet de photographe, Kiki Picasso y projette des courts-métrages inédits, et tous les photographes fétichistes exposent leurs photos de Poupée, car, oui, Poupée Mécanique s'est fait déshabiller par tous â de Gilles Berquet à Gnôme en passant par Fredox, Yann Minh ou Mirka Lugozi. Poupée mécanique est devenue leur égérie. Normal : c'est une psychopathe du look !
Propos recueillis par Agnès Giard.
Nous souhaitons avant tout organiser des soirées dans lesquelles il y a des événements artistiques liés au fétichisme. L'aspect "fashion" est inhérent au fétichisme : il s'agit d'esthétique. Il y a de la mode dans le fétichisme et du fétichisme dans la mode. Quant au latex, c'est une matière étonnante, comme une seconde peau qui moule les formes, galbe le corps... Si les Français ne sont pas de grands fétichistes du latex, c'est parce qu'il est assez peu distribué en France et que les prix sont beaucoup moins accessibles que ceux du vinyle, mais aussi parce que la scène fétichiste parisienne est encore toute jeune.
Tu sais fabriquer toi-même des vêtements, à partir de simples pots de latex liquide... Qui t'a appris ? Quelles sont tes techniques ?
J'ai d'abord appris à travailler le latex en feuilles (présenté en rouleaux comme le tissu) par un couple que j'avais rencontré au cours de soirées SM. Puis, un plasticien avec lequel j'avais créé une première marque de vêtements en latex m'a appris celui du latex liquide. J'ai ainsi pu mélanger les techniques que je connaissais, celle du collage, de la couture du latex, avec celles du "tatouage sur latex".
Tu as créé avec Nadia ta propre marque de mode latex : Bisho-Bisho. Pourquoi ?
Les soirées me prenaient beaucoup de temps, j'écrivais alors beaucoup dans plusieurs magazines, j'ai un peu délaissé cette première marque de vêtements en latex, de plus, des problèmes relationnels et de divergence esthétique ont rendu impossible mon implication dans ce premier projet. Mais cette envie ne m'avait jamais quitté. Aussi, je pense avoir rencontré la bonne personne au bon moment, Nadia étant quelqu'un de talent, sur le plan créatif comme sur le plan humain. Je pense que nous allons beaucoup nous amuser... Je pense que l'une comme l'autre avons envie d'apporter une touche ludique et originale dans la mode fétichiste.
Ca veut dire quoi "bisho bisho" ?
Bisho-bisho signifie "mouillé", en japonais, l'état dans lequel on est lorsque l'on porte du latex...
C'est agréable de suer dans du latex ?
Ca n'est pas désagréable en tous cas.
Le caoutchouc a-t-il des effets seconds sur la sexualité ? Quel usage aphrodisiaque peut-on en faire ?
Je pense que les effets sont d'abord esthétique : le latex permet d'avoir cet effet deuxième peau comme aucune autre matière, il renvoie à un imaginaire hypersexy et manga à la fois, comme si les corps devenaient des corps irréels, en caoutchouc.
Qu'est-ce qui t'a attiré dans le caoutchouc ? Comment cette passion a-t-elle commencé ?
Rien n'est comme le latex, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, porter du latex, c'est se livrer à un rituel : le rituel de l'enfilage, avec du talc ou un produit qui fait glisser le latex sur le corps, puis le rituel du polissage, pour le rendre à la fois plus propre et plus brillant, ce rituel propulse la personne "latexée" dans une autre dimension, la dimension fétichiste, celle du jeu.
Tu te mets souvent en scène dans tes propres soirées, lors de performances... Le latex, c'est une manière de se déguiser, comme pour faire du théâtre ?
Plutôt que de théâtre, je parlerai de jeu de rôles, chacun étant le créateur de son propre personnage, comme si on naissait pour une seconde fois, par auto-engendrement... Là je vais peut-être un peu loin, mais pourquoi pas...
Aimerais-tu devenir une héroïne de fantasme ?
Je n'aime être que l'héroïne des fantasmes de celui que j'aime et dont je partage la vie.
Dans certaines performances, tu t'auto-parodies. Dans un court-métrage de Kiki Picasso, notamment, tu avoues être une fashion-victim, prête à dépenser 4000 francs pour une paire de botte pourvu qu'elles soient uniques, pourvu que personne d'autre que toi ne les porte. Tout pour le look ! Pourquoi cette fuite en avant dans le shopping, dans l'apparence ?
Mon projet était en effet celui de l'autodérision : cette performance a eu lieu lors d'une soirée consacrée à ma âtransmutationâ?. Il y avait des photos de moi partout ! Ca aurait pu me faire gonfler d'orgueil et peut-être me faire éclater comme un ballon de baudruche... Splosh !
Alors avec une copine Emma (Tribal Act) on a décidé de se mettre en scène, habillées et coiffées de la même manière, comme des copies. C'était en effet amusant de se moquer de nous mêmes, car nous savons l'une et l'autre que nous faisons partie d'un groupe, d'une société dont nous ne sommes pas complètement en marge : le tout étant de choisir ce que l'on aime, ce que l'on porte, ce qu'on lit ou écoute, plutôt que de le subir.
Quand tu poses pour des photographes comme Gilles Berquet ou Axel, tu poses en poupée avec ses membres en kit et son côté "mécanique"... As-tu l'impression de n'être qu'un clône ? Qu'un mannequin ?
Un clone de quoi ou de qui?
Bien au contraire, Poupée Mécanique est un personnage que je fais vivre, mon double qui est du côté du principe de plaisir, des pulsions de vie, donc des pulsions sexuelles...
Poupée Mécanique, donc moi-même, libérée du quotidien et du poids des normes sociétales, est plus une poupée vivante (comme dans Les Contes d'Hoffman) qu'un mannequin. L'image de la poupée renvoie à l'enfance et au jeu... Quand j'étais petite, et même un peu moins petite, j'adorais jouer à la poupée, lui créer des vêtements, lui inventer un monde... Cette petite fille a grandi et a créé son double ludique, Poupée Mécanique, qui évolue dans un monde hors du monde, la scène fétichiste. Je pense que chaque photographe a essayé de saisir l'essence de ce personnage, avec les représentations qui leur sont propres.
Pourquoi le fétichisme est-il à la mode ? Est-ce qu'il correspond à un idéal de beauté formaté, interchangeable, relativement intemporel où l'on traite son corps comme un objet démontable en kit ?
Je pense que ce que tu évoques a plus à voir avec le monde de la mode elle-même. En effet, l'image du fétichisme est en ce moment beaucoup utilisée par les médias, la pub... et la mode. Il n'y a qu'à regarder en ce moment même les défilés haute couture des saisons prochaines pour s'en rendre compte, le corset faisant un retour étonnant.
Quant au fétichisme tel que je l'entends, il n'a rien à voir avec cet idéal de beauté formaté qui renvoie aux mannequins sur les podiums ou sur papier glacé. Si ces dernières sont froides et quasiment asexuées, le fétichisme renvoie bien plus à une mise en valeur de son corps, - quelque soit son corps -, en insistant sur l'aspect sexuel (des caractères sexuels secondaires, par exemple en mettant en exergue sa féminité par des attributs comme les escarpins à talons aiguilles, le corset...) et sensuel.
C'est quoi la beauté ?
Je n'en sais rien... Mais je pense qu'elle renvoie plus à ce qu'il y a au fond de la personne qu'au paraître.
Tu pratiques sur toi-même des modifications corporelles (scarifications, piercings, tatouages) qui vont dans le sens de la mode actuelle... Peut-on appliquer le côté éphémère de la mode à la chose la plus intangible qui soit : notre corps ?
Se faire tatouer ou scarifier parce que c'est à la mode est, il me semble, une véritable aberration, dans la mesure où ce sont des traces qui resteront à vie (quoique les trous des piercings se rebouchent assez vite). Néanmoins, que les modifications corporelles soient à la mode ne me dérange en rien, au contraire : ça dédramatise le regard que peuvent porter les gens sur ceux qui portent des modifications corporelles. Par exemple : cet hiver, la mode des talons aiguille me permet de passer presque inaperçue dans la rue alors qu'hier, les regards et les commentaires fusaient dès que je sortais en talons hauts !
Je ne me considère pas franchement comme quelqu'un à la mode, même si la mode m'intéresse.
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