JULIEN SEVEON « MASSACRE(S) A LA TRONCONNEUSE »


Enregistrement : 04/09/2021

Quand l'horreur se fait art et dépasse le cadre du cinéma de genre ! Produit à l'écart des circuits traditionnels et de Hollywood, Massacre à la tronçonneuse n'en occupe pas moins une place unique dans l'histoire du septième art.

À la fois véritable succès populaire et commercial, mais aussi référence pour les amateurs de films étranges et d'œuvres déviantes, le film de Tobe Hooper aura influencé plusieurs générations de cinéastes depuis sa sortie en 1974 et donné lieu à une impressionnante série de séquelles.



Déjà bien connu des aficionados pour l'excellence de sa production éditoriale à la tête de la collection CinExploitation, Julien Sévéon vient de réaliser un coup de maître avec les deux tomes de Massacre(s) à la tronçonneuse, 1974 – 2017 : une odyssée horrifique.

Deux ouvrages salués par les meilleurs spécialistes, à l'instar de l'incontournable Jean-Pierre Bouyxou, mais aussi par l'équipe du film d'origine de Tobe Hooper, ainsi que l'auteur nous l'apprend dans cet entretien réalisé à quelques heures de l'ouverture de L'Étrange Festival.


DERNIÈRE MINUTE :

Julien Sévéon sera présent sur la scène de L'Étrange Festival, le samedi 11 septembre 2021 à 16:15, pour présenter le film The Amusement Park de George A. Romero et dédicacer la réédition de son livre George A. Romero - Révolutions, zombies et chevalerie. Évènement suivi d'une séance de dédicaces de Massacre(s) à la tronçonneuse à partir de 17:00 à la librairie Metaluna (Paris, 75005), en présence des réalisateurs de Leatherface, Alexandre Bustillo et Julien Maury.

Propos recueillis par Laurent Courau.





Selon tes propres dires, Massacre à la tronçonneuse occupe une place à part dans l’histoire du cinéma. Peux-tu revenir sur ce qui rend ce film aussi unique, au travers - mais aussi au-delà - de son aura sulfureuse ?

Massacre à la tronçonneuse est le seul film d’exploitation, avec La Nuit des morts-vivants, à avoir réussit à marquer aussi bien les amateurs de film d’horreur que l’intelligentsia cinématographique. Plusieurs générations de cinéastes le citent parmi leurs films préférés : pas seulement les faiseurs d’horreur comme Sam Raimi ou William Lustig, mais aussi des metteurs en scène établis comme Steven Spielberg ou William Friedkin. C’est le film qui fait le lien entre ce que les anglo-saxons appellent « low culture » et « high culture ». Sa mise en scène et son montage sont tellement brillants que des milliers de spectateurs et critiques sont persuadés d’avoir vu des scènes qui n’existent pas – je cite un certain nombre de chroniques publiées à l’époque qui évoquent des passages fictifs que leurs auteurs sont certains d’avoir vues. C’est un film qui est immédiatement bien reçu par la presse – malgré ce que l’on pourrait penser. Par contre, les critiques qui ne l’aiment pas sont capables de livrer des chroniques rageuses où, à plusieurs occasions, le point Godwin est franchi. Il n’y a pour ainsi dire pas de milieu à l’époque : soit les gens l’adorent, soit ils le détestent. On ne ressort pas indemne d’un premier visionnage de Massacre à la tronçonneuse. Ce qui était vrai en 1974 et qui l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui en 2021.



Le réalisateur Tobe Hooper sur le tournage de Massacre à la tronçonneuse, en 1973. Les amateurs reconnaîtront la scène. © DR

Outre sa singularité, quelle fut ta motivation première pour te lancer dans l’écriture de ces deux tomes, accompagnée d’un impressionnant travail de recherche et de documentation dont témoigne la richesse de leurs iconographies ?

J’avais déjà commencé à écrire sur Massacre à la tronçonneuse pour un autre projet, mais je pensais qu’il y avait tellement de choses à dire que le film mériterait bien son propre livre. Ensuite, il y a eu l’annonce de la mise en chantier du Leatherface de Bustillo et Maury. Un film de la franchise Massacre à la tronçonneuse tourné par des Français ?! C’était tellement fou que cela m’a motivé à franchir le pas pour me lancer dans un livre qui évoquerait au final toute la franchise. Les huit Massacre me permettent aussi d’évoquer l’évolution du cinéma horrifique de 1974 à nos jours, voir plus largement l’évolution du cinéma américain. Au final, il m’a fallu six ans de travail pour réussir à venir à bout des 640 pages que forment les deux volumes. Des années de recherches, d’interviews, de trouvailles… Au final, le livre a tellement grossi que j’ai décidé de le scinder en deux volumes afin de faciliter sa lecture. Lorsque Daniel Pearl, directeur photo de Massacre à la tronçonneuse, m’a dit qu’il s’agissait du meilleur livre conçu sur le film, j’étais aux anges. C’est pour moi la plus belle des reconnaissances.



Nudité, outrances et LSD, les Butthole Surfers sur scène à l'apogée de leur carrière, au milieu des années 1980. © Chris Schneider

Penses-tu qu’il soit juste d’établir un lien entre le film de Tobe Hooper et la scène contre-culturelle d’Austin, déjà florissante à cette époque avec des groupes psychédéliques phares tels que les 13th Floor Elevators ? Un héritage qui sera plus tard repris et poursuivi par les Dicks, les Big Boys ou les Butthole Surfers, qui ont respectivement revendiqué leur communisme, leur homosexualité et leur appétence pour les drogues les plus illégales. Loin des clichés d’un Texas conservateur et réactionnaire…

Oui, j’assume totalement (rires) ! C’était l’un des points importants que je souhaitais développer dans le livre. Massacre à la tronçonneuse est le produit de toute la contre-culture austinite. Je l’évoque en détail dans le livre, mais quasiment tous ceux qui sont impliqués devant ou derrière la caméra font partie de cette contre-culture, jouant dans des groupes psyché, écrivant ou distribuant de la presse alternative, fréquentant les communes ou les lieux hippies de la ville… C’est quelque chose qui n’a jamais été vraiment exploré, ni véritablement évoqué d’ailleurs, et il me semble essentiel de remettre en place tout ce contexte pour comprendre d’où vient Massacre à la tronçonneuse. Tu évoques les Dicks, les Big Boys et les Butthole Surfers et cette scène aura aussi, à sa manière, un impact sur le quatrième chapitre, celui tourné par Kim Henkel, le scénariste du film original.



Réunion de famille dans Massacre à la tronçonneuse (1974), un film de Tobe Hooper.

Comme dans Easy Rider, sorti cinq ans plus tôt, le danger vient du redneck dégénéré, que l’on imagine volontiers incestueux. D’aucuns y verraient même la dénonciation d’une Amérique en plein désarroi sous la présidence Nixon, sur fond de Watergate et de défaite imminente au Vietnam. Peut-on considérer Massacre à la tronçonneuse comme un film politique ?

Massacre à la tronçonneuse est devenu involontairement un film politique, mais ce n’était néanmoins pas du tout l’intention de Hooper et de Henkel. Leur but était très prosaïque : tourner le film d’horreur le plus flippant possible afin de récupérer de l’argent et pouvoir tourner, par la suite, des films plus personnels. Une base qui rappelle énormément les prémices de La Nuit des morts-vivants. On trouve néanmoins certaines réflexions et certaines oppositions à l’écran qui sont ce que l’on peut appeler des signes du temps ou qui confère un certain aspect socio-politique au film. Mais au final, je dirais que c’est bien plus l’époque où le film est sorti qui est politique, que le film lui même.

Contrairement à une idée reçue, est-ce que tu confirmes le rôle anecdotique des crimes d’Ed Gein dans la genèse de Massacre à la tronçonneuse ?

Tout à fait ! C’est un autre point que je voulais vraiment développer dans le livre. Tobe Hooper et Kim Henkel (le scénariste) n’avaient entendu parler que de manière extrêmement vague et fragmentaire d’Ed Gein. D’ailleurs, dans les premières interviews de Hooper effectuées durant les années 1970, il ne le cite jamais nommément. Hooper évoque ce meurtrier que l’on peut effectivement rattacher à Gein, mais en lui imputant des crimes qu’il n’a jamais commis et en exagérant son parcours. En fait, Hooper et Henkel n’ont jamais fait de recherches sur Ed Gein et malgré ce que l’on lit depuis trop longtemps, on ne peut pas dire que Ed Gein ait influencé Massacre à la tronçonneuse. En tout cas certainement pas de la manière dont cela fut le cas pour Robert Bloch lorsqu’il écrivit Psychose.



Un policier dans la cuisine d'Ed Gein, dit « le boucher de Plainfield », tueur en série, voleur de cadavres et aliéné mental, arrêté le 16 novembre 1957.

La franchise de Massacre à la tronçonneuse comprend huit films et un jeu vidéo, bientôt complétés par un neuvième opus dont Netflix vient d’acquérir les droits. On en saura (beaucoup) plus en lisant les deux tomes de Massacre(s) à la tronçonneuse, 1974 – 2017 : une odyssée horrifique, mais peux-tu nous donner quelques indices sur ceux que tu recommandes en priorité ?

Pour commencer, le premier, mais cela ne surprendra personne. Ensuite, le second sorti en 1986 film complètement fou et hystérique qui montre à quel point Hooper était un cinéaste intelligent. Il savait qu’il était impossible de refaire un film comme Massacre à la tronçonneuse, alors il est parti vers des horizons très différents. Ce qui a déstabilisé de nombreux amateurs à l’époque. En troisième, Leatherface de Bustillo et Maury. Le duo a parfaitement compris que pour rester dans l’esprit du film de 1974, il fallait être original. Et les Français signent un film visuellement magnifique, ponctué d’explosion de rage et de violence. J’espère qu’ils réussiront un jour à sortir leur director’s cut, car celui-ci donne encore bien plus d’envergure à leur vision. Ensuite, mon cœur balance selon mes humeurs (rires) ! Le Commencement est très bon, notamment dans sa peinture qu’il dresse en filigrane de la politique militariste de l’époque. Et j’ai une petite faiblesse pour le 4, La Nouvelle génération. Le film le plus haï de la série mais, paradoxalement, celui qui a été le moins vu.



Leatherface (2017), un film d'Alexandre Bustillo et de Julien Maury.

Tu as écrit et publié des livres sur la blaxploitation, le cinéma « enragé » japonais, les films de catégorie III à Hong Kong, George Romero et maintenant Massacre à la tronçonneuse. Quel serait le fil rouge derrière tes écrits cinématographiques ? Peut-ête un amour des marges, de la création alternative et déviante, de ce qui dérange et secoue la culture dominante ? (sourire)

Oui, en partie, tu m’as bien cerné (rires) ! Mais le point de départ de tous ces livres, ce sont aussi les années 1960 et 1970. Deux décennies qui furent pour moi brillantes d’insurrections politiques, de musiques révolutionnaires et de films décapants et innovateurs. La blaxploitation est le sujet idéal pour évoquer tout cela. Mais mon livre sur Mamoru Oshii, qui est pourtant un cinéaste qui a vraiment émergé à partir des années 1990, prend aussi comme point de départ les années 1960. Oshii était un activiste politique à l’époque et ce point fût déterminant dans le reste de sa vie et de sa carrière. Si on ne le sait pas, il est impossible de saisir la portée de toutes ses créations, qu’elles soient littéraires, cinématographiques ou anime. Même mon livre sur la Category III, qui est un phénomène des années 1990, prend ses racines dans le cinéma d’exploitation des années 1970, car il est impossible d’évoquer ce sujet particulier sans parler de ses origines. Mon prochain livre, qui sortira début novembre, est le premier qui n’est pas lié à ces deux décennies. Il concerne le cinéaste Satoshi Kon, énorme influence de Darren Aronofsky et Christopher Nolan, qui est bien plus un produit des 80’s. Même si, quand même, il est né en 1963… Comme quoi, d’une manière d’une autre, il faut bien qu’il y a ait un lien avec cette période !





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Titre : JULIEN SEVEON « MASSACRE(S) A LA TRONCONNEUSE »
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Genre : Interview
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Date de mise en ligne :

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Quand l'horreur se fait art et dépasse le cadre du cinéma de genre ! Produit à l'écart des circuits traditionnels et de Hollywood, Massacre à la tronçonneuse n'en occupe pas moins une place unique dans l'histoire du septième art. À la fois véritable succès populaire et commercial, mais aussi référence pour les amateurs de films étranges et d'œuvres déviantes, le film de Tobe Hooper aura influencé plusieurs générations de cinéastes depuis sa sortie en 1974 et donné lieu à une impressionnante série de séquelles. Déjà bien connu pour l'excellence de sa production éditoriale à la tête de la collection CinExploitation, Julien Sévéon vient de réaliser un coup de maître avec les deux tomes de Massacre(s) à la tronçonneuse, 1974 – 2017 : une odyssée horrifique.

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