ANDRES KOMATSU « CARBONE 17, CHUG MUSIC, VIOLENCE GRATUITE & AUTRES AVENTURES »
Enregistrement : 14/07/2019
Mise en ligne : 14/07/2019
À croire que ses activités de musicien, de DJ, de producteur, d’infographiste et de réalisateur ne suffisent pas à remplir son emploi du temps, Andres Komatsu fait ainsi partie du noyau dur de Carbone 17. Un jeune squat d’artistes qui déborde d'originalité et de créativité, en proposant de beaux évènements atypiques du côté d’Aubervilliers.
Lecteur de longue date de notre fanzine électronique et grand amateur de cyberculture, Andres a récemment rejoint l’équipe de La Spirale et de Mutation, à l’occasion de notre Mutante « Garden Party » à la non moins excellente Gare Expérimentale de la porte des Lilas. Excellent prétexte pour ce tour d'horizon en compagnie d'un hyperactif du grand nord parisien.
Oui, il est vrai que ces dernières années, j'ai multiplié les casquettes. Pour commencer, je répondrais tout simplement que j'adore travailler. Être à même de fournir un effort physique et intellectuel, dans le but d'obtenir un résultat recherché, n'est-il pas le propre de l'homme ?
Et puis plus prosaïquement, on peut dire que j'ai une peur maladive de la mort. Ce qui, en soi, est un parfait leitmotiv pour entrer dans un processus productif/créatif. J'ai aussi pas mal galéré dans la vie, alors je rattrape le temps perdu.
Nos jours sont comptés, alors autant se donner à fond et entreprendre ce voyage en essayant au maximum de réaliser nos rêves, quels qu'ils soient.
Il me semble distinguer un intérêt tout particulier pour le cyberpunk et l’esthétique du « digital low-tech » dans tes productions, pour ce qui se produisait en matière de graphisme et d’audiovisuel à la fin des années 1980 et durant les années 1990. Qu’est-ce qui t’attire dans les créations des pionniers du la création numérique ?
Entre autres choses, mais c'est vrai que j'ai un intérêt particulier pour la computer-generated imagery (celle des 80's, des années 1990, jusqu'au début des années 2000) et tout ce qui touche à la 3d polygonée.
Dans ma famille, on avait très peu de moyens. Donc j'ai beaucoup fantasmé sur les jeux vidéo que j'aurais aimé m'offrir à l'époque (les plus rares et les plus expérimentaux sorties sur la Playstation 1, la Dreamcast et la Sega Saturne ...) en lisant des magazines ou en regardant des émissions qui passaient sur le câble, tard le soir.
C'est en piratant notre parabole qu'on a découvert les chaines musicales allemandes, les émissions bizarres, la musique de God Lives Underwater, de Gravity Kills, des Chemical Brothers, l'esthétique cyber, les habillages en 3d de certaines chaînes étrangères ...
Je suis aussi tombé en profonde admiration pour les réalisations de The Designers Republic et tout le travail de Ian Anderson. J'y reviens continuellement , même si avec le temps j'ai tracé ma voie et développé mon propre style .
Peux-tu nous parler un peu du Carbone 17 ? C’est un lieu de vie, un lieu culturel, un squat, un lieu autogéré ? Un peu de tout ça ? (sourire) Et nous donner un aperçu de vos activités, a priori riches, diverses et variées ?
C'est un peu tout ça à la fois. Avec des ami.e.s, nous avons ouvert le Carbone 17 au mois de février 2017 et nous n'imaginions pas une seule seconde que le lieu tiendrait aussi longtemps. D'habitude la durée de vie d'un squat varie entre cinq et huit mois. Là, ça fait plus de deux ans et demi que nous y sommes installés. On s'en félicite, même si on sait que le facteur « chance » y est pour beaucoup.
Pour ma part, j'y travaille quotidiennement et j'essaie de le faire vivre tant humainement qu'artistiquement, au maximum. Ça demande de l'organisation et beaucoup de motivation. La pièce la plus volumineuse est devenu un atelier partagé comprenant (l'équipe a évolué depuis ses débuts) Lazygawd (dessinateur), Benjamin Nicco (sculpteur sur pierre) et Alice Brygo (peintre et vidéaste).
Un autre atelier, aménagé au deuxième étage est occupé par Olga Pham (styliste et créatrice de mode, qui développe sa propre marque) et Cherry B. Diamond (à la fois musicienne, modèle, actrice et maquilleuse professionnelle). Il nous arrive d 'accueillir des shootings (notamment ceux du collectif Freaky Freaky), des tournages, des expos, nos propres événements... Ça varie selon les périodes, les envies de chacun.e.s et les demandes.
Je l’évoquais plus haut, tu réalises tes propres vidéos, comme ce fut le cas avec le très beau clip de Violence gratuite. Et tu te lances maintenant dans un court-métrage. Peux-tu nous dire quelques mots sur l’univers et l’atmosphère de ce nouveau projet ?
Ce court-métrage s'intitule Le Monolithe Abandonné (ou le terreau aux sacrifices) et a été tourné en octobre dernier. Il décrit/narre la relation houleuse, méta, dramatique entre une femme et un monolithe.
On y croise des figures masculines et féminines, de la brume, un univers sombre , crépusculaire, ténébreux. C'est tout ce que je puis t'en dire pour le moment. Nous sommes en pleine phase de post-production et le film est bientôt terminé. Et je suis très très heureux de pouvoir enfin commencer à en parler. Merci de m'avoir posé cette question.
Le scénario a été rédigé sous forme d'écriture intuitive. Ce qui signifie que je n'ai absolument aucune idée de ce que raconte cette histoire. J'exagère un peu, parce qu'en réalité je vois à peu près de quoi ça parle, mais je préfère volontairement ne pas trop réfléchir sur cet aspect du projet.
Esthétiquement et au niveau de l'état d'esprit, il a été fortement inspiré par le Hellraiser de Clive Barker et The Crow 2 City of Angels de Tim Pope. J'ai beaucoup d'affection pour ces séquelles maltraitées par les critiques et le grand public. The Crow 2 en fait dignement partie, même si - selon moi - cette version est largement supérieure à celle d'Alex Proyas. Question de goût, c'est totalement subjectif.
Pour ce qui est de Clive Barker, il est l'une des seules références dans le cinéma d'horreur (avec Victor Salva) qui soit ouvertement homosexuel. Le sexe, l'abandon , la violence et la frustration sont des thèmes récurrents chez ces deux auteurs.
Violence Gratuite a été beaucoup plus récréatif et bien moins réfléchi dans sa conception qu'a pu l'être mon court métrage. C'était surtout une manière d'habiller une musique que j'ai composé quelques années auparavant et que j'ai réussi à sortir sur un label étranger. Je suis très heureux de l'avoir réalisé avec Camille Rolin mais aujourd'hui, j'ai surtout envie de raconter des histoires. Violence Gratuite est plus une succession de belles images, ainsi qu'une performance d'Agata Kay qu'un vrai travail de réalisateur.
Qu’est-ce qui t’a attiré vers le côte obscur de la force ? Je plaisante. Qu’est-ce qui t’a motivé pour emprunter un chemin de vie « alternatif » ? Après tout, tu pourrais aussi travailler dans une start-up et jouer dans des afterworks du 75009 ? (sourire)
J'y suis arrivé par la force des choses. Mon coté bordeline de l'époque, mes maigres revenus...
J'avance aujourd'hui en sachant pertinemment que je n'ai ni l'envie, ni les capacités, pour entrer dans un moule qui m'obligerait à travailler 35 heures/semaines (et +) pour payer un loyer. En essayant vainement de trouver du temps pour développer mes activités artistiques. J'ai essayé pendant plusieurs années et ça m'a amené droit dans le mur. Je me sens beaucoup plus à l'aise et en phase avec les weirdos et les inadaptés du monde moderne. Je n'ai d'ailleurs aucune honte à dire que j'en fais partie.
Je revendique aussi le droit à réquisitionner les bâtiments vides, abandonnés, inexploités parfois pendant plusieurs années. J'adore la France, mais on a encore beaucoup à faire à ce niveau-là. Et les squatteurs sont là pour rappeler aux institutions qu'il existe encore des alternatives à la gentrification.
J’ai toujours voulu te poser cette question et en voici enfin l’occasion. Qu'est-ce que c’est que la « chug music » ?
La chug music, c'est un genre de neo new beat. À l'origine, la new beat c'est de l'EBM ralentie, alors que la chug music est composée de telle manière qu'elle sonne comme de la new beat sans vraiment en être, avec des arrangements plus riches, plus travaillés. En terme de sonorités, d'utilisation des drums, des mélodies, des synthés sont beaucoup plus variés.
Dans mes souvenirs, Neil Parnell du label Nein Records a été le premier à employer cette expression, à l'occasion d'une interview. Je me souviens qu'à l'époque je n'arrivais pas vraiment à décrire ce que je jouais dans mes mixs, alors j'ai commencé à employer ce terme et à revendiquer mon appartenance à ce mouvement, à me le réapproprier. Un bon titre de Lunatic Calm ou des Meat Beat Manifesto pourrait très bien sonner chug, si on le joue à 90 ou à 105 bpm. La dark disco et la slow techno sont fait du même bois.
Question désormais rituelle sur La Spirale. Comment vois-tu l’avenir à court et moyen terme, à la fois pour toi, le Carbone 17 et d’un point de vue plus global ?
Je pense qu'on arrive bientôt à la fin d'un chapitre. Un très gros chapitre. Les livres d'histoire (en tous cas, ce qu'il en restera) parlerons de nous, soyez-en sûr. Mais la fin arrive à grands pas et il va falloir l'accepter. Il restera quelques survivants et je pense aussi que l'être humain est bien trop précieux pour l'anéantir complètement. Ces survivants apprendront de nos erreurs, mais la planète va nous liquider en grande majorité et ce sera bien fait pour nous.
En ce qui me concerne, j'espère vivre le plus longtemps possible, continuer la 3D, ouvrir plein de nouveaux squats. Et maintenant que j'ai réalisé mon premier court-métrage, j'envisage un peu plus sereinement les prochains. Et j'espère pouvoir en réaliser un long. Je suis déjà très heureux d'avoir posé une première pierre à l'édifice.
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