MARC HURTADO « MY LOVER THE KILLER »


Enregistrement : 31/08/2020

My Lover The Killer ou la rencontre cinématographique de deux « monstres » sacrés... Lydia Lunch et Marc Hurtado, sous la forme d'un road-trip aussi intense qu'halluciné ! Entretien sur les chapeaux de roues et bande-annonce du film, à 72 heures de sa première projection dans le cadre de L'Étrange Festival 2020.

RÉSUMÉ DU FILM

Le film My Lover The Killer est un portrait poétique de Lydia Lunch réalisé par Marc Hurtado. Nous suivons Lydia Lunch à travers l’Europe et découvrons, enfouie dans le labyrinthe de sa vie et de son oeuvre tumultueuse, l’incroyable histoire de Johnny O’ Kane, son premier grand amour, qui tua sa compagne et se suicida le jour d’une rencontre prévue avec Lydia Lunch après trente ans de séparation.

Ce film est une sorte de voyage hallucinatoire et psychédélique dans l’esprit de Lydia Lunch.

BIOGRAPHIE DE MARC HURTADO

Marc Hurtado est un réalisateur, musicien, poète, peintre, co-fondateur en 1977 du groupe Étant Donnés, qui a collaboré avec Alan Vega, Genesis P-Orridge, Michael Gira, Philippe Grandrieux, Z’EV, Gabi Delgado, les Maîtres Musiciens de Jajouka et Christophe. Il a réalisé plus de 30 albums et 26 films, parmi lesquels trois longs-métrages.

Marc Hurtado s’est produit sur scène à de nombreuses reprises avec Lydia Lunch, a enregistré avec elle l’album My Lover The Killer, sorti en 2016, et réalisé une tournée avec elle, en hommage au groupe Suicide et à Alan Vega en 2019.


Propos recueillis par Laurent Courau.



My Lover The Killer est le titre de ce road-trip documentaire, dont la première mondiale aura lieu le 03 septembre à Paris dans le cadre de L’Étrange Festival, mais aussi d’un disque éponyme que vous aviez enregistré ensemble d’après un premier texte de fiction écrit par Lydia Lunch, « Ghost Town ». Bien que n’ayant pas encore vu le film, j’ai cru comprendre qu’il dessine en filigrane l’histoire de Johnny O Kane, premier grand amour de Lydia. Pourriez-vous revenir pour nos lecteurs sur cette triangulation hantée, entre Lydia Lunch, Johnny O Kane et vous-même, entre musique et film documentaire, entre réalité et fiction, entre amour, violence et folie ?

Tout a commencé par un email dans lequel je proposais à Lydia Lunch de réaliser un album ensemble durant l’été 2012. Nous avions déjà travaillé ensemble en 1998 pour l’album Re- Up de Etant Donnés, en 2010 pour un duo avec Alan Vega sur mon album Sniper et nous avions réalisé quelques concerts ensemble en interprétant des titres de Suicide et d'Alan Vega. J’ai commencé par lui envoyer des nappes électroniques, des sons de la nature, de rue, de machines, mais aussi des mélodies jouées sur plusieurs types d’instruments et des dizaines de boucles de sons industriels.

Nous n’avions aucune idée de la direction que prendrait le projet.

Très peu de temps après, elle me renvoya une composition réalisée à partir de sons que je lui avais envoyés, entremêlés à d’autres sons qu’elle avait créés chez elle. Nous continuâmes ce travail dans une série d’aller retour musicaux à distance pour terminer un premier titre. Puis Lydia chanta sur ce premier titre un texte qui s’appelle «  I’m Sorry But I’m Not ». Dans ce texte elle semble vouloir régler ses comptes avec un homme qui aurait eu une attitude impardonnable contre elle, elle lui répète en boucle tout ce qu’elle a fait contre lui sans avoir le moindre remord.

À ce moment-là, je ne savais pas du tout que la personne dont elle parlait dans cette chanson était Johnny O’Kane, un homme qu’elle avait connu à New York dans les années 80, dont elle était tombée amoureuse, avec qui elle a connu des moments de vie très intenses et joyeux, mais dont la jalousie et la folie s’accentua tant qu’elle dut s’enfuir pour échapper à ses assauts devenus meurtriers.

Nous avions achevé un deuxième titre qui s’appelait «  Ghost Town » dont le texte qui datait de quelques mois décrivait une nouvelle fois la folle violence de Johnny O’Kane envers Lydia. Lydia me demanda alors de choisir parmi six noms de projets, j’ai tout de suite aimé et choisi le nom « My Lover The Killer », je trouvais qu’il avait une grande force, quelque chose de magique. Elle m’informa que nous devions faire une courte pause, car elle devait aller donner un concert à Los Angeles.



Le lendemain de son concert, elle me contacta et ce qu’elle me raconta me glaça le sang... Elle avait donné rendez vous à Johnny O‘Kane, le jour du concert, pour boire un verre avec lui après trente ans de silence entre eux. Elle avait appris par un ami commun qu’il avait changé de vie, qu’il vivait avec une femme depuis très longtemps, qu'il avait deux grands enfants, qu’il était chef du syndicat des travailleurs de la construction métallique et était devenu quelqu’un d’exemplaire, aimé de tous ceux qui le connaissaient.

Il n’était apparemment plus du tout l’homme violent et désaxé qu’elle avait connu.
Il ne vint pas au rendez vous...

En effet, après avoir annoncé à sa compagne qu’il allait rencontrer Lydia, une dispute éclata entre eux, si violente, que Johnny poursuivit sa femme dans le jardin de leur domicile, lui tira deux balles dans la tête, revint chez lui, téléphona à la police pour les informer de ce meurtre et se suicida avant leur arrivée.

C’était le jour anniversaire de ses 55 ans.

La fiction des textes de notre projet était devenue une réalité écrite en lettres de sang et le nom « My Lover The Killer », une prémonition fatale.

Nous décidâmes de continuer l’album, Lydia voulant régler ses compte avec Johnny O ‘Kane. Lydia et moi n’avons interprété l’album sur scène que deux fois, une première à Limoges et une deuxième fois à l’Opéra de Berlin avec les musiciens de l’opéra, mêlant l’histoire de « My Lover the Killer » à celle de Carmen.

J’ai commencé à tourner mon film quand Lydia et moi avons commencé une tournée de concerts de deux ans en Europe, interprétant des titres d’Alan Vega et Suicide. Cette intimité, cette vie sur la route, ces moments intenses partagés ensemble étaient idéals pour filmer Lydia, la laisser me décrire les arcanes magiques de sa vie et sa vision de Johnny O’Kane.



Qu’est-ce qui vous a aussi intensément marqué dans la musique et dans les textes de Lydia Lunch que vous avez découvert en 1977 ? Qu’est-ce qui se dégageait de si particulier de son travail pour vous toucher autant, dans une décennie pourtant aussi productive qu’agitée où les œuvres marquantes abondaient ?

En 1977, la richesse de la production musicale était phénoménale... Je connaissais déjà et adorais les Stooges, le Velvet Underground, Lou Reed et son Métal Machine Music, les Seeds, Red Crayola, La Monte Young, Kraftwerk et James Brown. Mais découvrir à l'âge de 15 ans Teenage Jesus and the Jerks, Mars, Contortions, DNA, Suicide, Chrome, Mx 80, DAF, Throbbing Gristle, Joy Division, Pere Ubu, Alternative Tv, The Leather Nun, The Normal, Devo, les Cramps, The Modern Lovers, les Sex Pistols, Buzzcocks, ou encore Giorgio Moroder, Donna Summer, Cerrone, tout cela fut un choc émotionnel jouissif et un moment de ma vie très constructif.

Lydia lunch avait presque mon âge, nous avons trois ans de différence et c’est une des choses qui m’a attiré chez elle, une sorte proximité avec cette voix d’adolescente blessée qui criait sa douleur dans une violence et une radicalité absolue, c’était tout simplement magnifique. Je me reconnaissais en elle, je venais de fonder le groupe Étant Donnés avec mon frère Eric, nos performances et notre musique étaient aussi d’une violence absolue, une sorte d’exutoire de ma souffrance dans un au-delà de la poésie et de la représentation.

Je sortais d’une époque très noire, ma vie venait d’être réellement sauvée par la création musicale et cinématographique et le personnage de Lydia me donna encore plus envie de continuer dans une voie extrême.
Ce qui m’a touché dans Teenage Jesus, c’est la force incroyable qui émane de la voix et des textes de Lydia, cette invincibilité, cette détermination, ce courage et aussi cette discipline et épure dans la construction musicale.

Mais il y a aussi cette part énorme de fragilité chez elle, une grande détresse, une sorte d’appel au secours, les sons aigus de sa guitare dans Teenage Jesus ressemblent à des cris et des pleurs d’enfants.

Tout cela me toucha, car j’y retrouvais un reflet en miroir de ma propre vie.



Au centre de ce portrait intime, cinématographique et nomade, on retrouve l’idée d’un art cathartique, conduisant l'individu à se libérer de ses pulsions et de ses passions pour remédier à un traumatisme vécu et resté latent. Selon vous, que peut-on tirer comme leçon de ce que nous dit Lydia Lunch pour la période - souvent perçue comme sombre et anxiogène - que nous traversons ?

L’essence du travail de Lydia est le traumatisme, c’est à partir de celui-ci qu’elle construit son œuvre. Son art est une réaction au traumatisme, une réponse et une expulsion de celui-ci par le biais du partage dans l’écriture, dans la musique, dans le chant, dans la photo, sur scène.

Chez Lydia, il n’y a pas vraiment de recherche d’une solution par une libération des pulsions ou des passions qui vous dominent. Ce serait plutôt le contraire, c’est en allant creuser dans l’endroit le plus blessé, secret, sombre et invisible de soi et en l’exposant au public que l’on devient libre.

Lydia a une parole libre, mais jamais moraliste, elle ne se nourrit que de ses propres expériences et ne donne pas de solution miracle. Sa liberté, sa force, son combat face à l‘horreur, face à son traumatisme peut nous nourrir d’une source lumineuse d’espoir, nous aider à comprendre le vrai sens de notre vie.

Peut-être que sa parole peut nous apprendre à se détacher d’une certaine matérialité, d’une superficialité, d’une absence spirituelle qui nous tue pour retrouver une conscience de notre être, viser une réconciliation entre notre corps et notre esprit pour pouvoir survivre à l’étouffement généralisé que nous connaissons tous.



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Titre : MARC HURTADO « MY LOVER THE KILLER »
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My Lover The Killer ou la rencontre cinématographique de deux « monstres » sacrés... Lydia Lunch et Marc Hurtado, sous la forme d'un road-trip aussi intense qu'halluciné ! Entretien sur les chapeaux de roues et bande-annonce du film, à 72 heures de sa première projection dans le cadre de L'Étrange Festival 2020.

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