THE BILLBOARD LIBERATION FRONT « MEDIA HACKERS »
Enregistrement : Automne 1997
Mise en ligne : 04/09/08
Entouré du plus grand secret, le Billboard Liberation Front sort la nuit pour s'attaquer aux panneaux d'affichage des highways californiennes et détourner les messages publicitaires qu'ils diffusent.
L'excellente qualité de leur graphisme et l'humour tordu dont ils se sont fait une spécialité produisent des pièces tout à fait remarquables. Jusqu'à leur valoir une place de choix parmi les « media hackers », nébuleuse de guérilleros médiatiques qui regroupe des organisations telles que les Adbusters ou en remontant plus loin les fameux Merry Pranksters.
La Spirale a interviewé Blank DeCoverly, le « Vice President of Mixed Metaphors » du Billboard Liberation Front.
Propos recueillis par Laurent Courau, à la fin du siècle dernier.
Tout a commencé avec un événement organisé par le San Francisco Suicide Club - un groupe semi-underground d'esprits libres, consacré à la poursuite d'expériences inhabituelles. Cet événement faisait partie d'une série intitulée "Into the Unknown", série à l'occasion de laquelle les membres du club étaient invités à des rendez-vous dont ils ignoraient tout à l'avance. Un groupe de vingt-six personnes fut amené les yeux bandés sur un toit de la ville. Quand les bandeaux leur furent retirés, on leur attibua une tâche : altérer un panneau d'affichage présent sur le lieu. Le succès de ce détournement d'une publicité pour une marque de cosmétiques, poussa deux membres du Suicide Club, Jack Napier et Irving Glick, à créer le Billboard Liberation Front en 1979.
Les actions du Billboard Liberation Front me rappellent les provocations punks et plus particulièrement les collages des pochettes de disques des Dead kennedys. Vu que tout a commencé à San Francisco en 1979, on peut supposer que les initiateurs du BLF étaient impliqués dans la scène punk locale de l'époque...
Pas vraiment. Bien qu'un grand nombre d'entre nous furent - et sont toujours - des fans de Winston Smith, l'artiste local à l'origine des pochettes de disques des Dead Kennedys. Si vous essayez de relier notre esthétique au punk, nous vous suggérons d'aller un peu plus loin et d'examiner le travail de Greil Marcus, qui a expliqué de façon claire que le punk était issu du situationnisme, lui-même étant issu du dadaïsme.
Avez-vous été influencés par les collages anti-nazis de John Heartfield ? Je vois aussi une connexion avec la guerilla graphique menée par Winston Smith ou John Yates, ainsi que les écrits de Guy Debord ou les tactiques de choc des Situationnistes...
Non. Comme Marcus, vous faîtes ce genre d'associations parce que vous cherchez à faire ce genre d'associations. Cette démarche intellectuelle est parfaitement compréhensible mais totalement ennuyeuse. Qui s'intéresse vraiment à ça ? Nous ne cherchons pas à donner de SIGNIFICATION à nos actions.
Quelles furent les réactions des média grand public ? Pointer du doigt le capitalisme comme vous le faites dans votre manifeste doit en choquer plus d'un en Amérique du Nord ?
L'éventail complet. De la stupéfaction à l'incompréhension la plus totale. Pour tout vous dire, les journalistes paraissent plus intéressés par les photos de notre travail que par sa SIGNIFICATION.
Qu'est-ce qui motive le choix d'un panneau d'affichage ? Avez-vous des cibles préférées en terme de compagnies ?
Les panneaux sont tout d'abord choisis pour leur besoin d'être améliorés. Certains panneaux pleurent leur besoin d'amélioration. C'est un calcul psychique complexe qui ne peut pas être expliqué. Après ça, la décision est basée sur la qualité de l'approche créative (et donc son humour), l'emplacement et l'accessibilité du panneau, les considérations sur la sécurité, etc. La compagnie qui a payé pour cette publicité ne représente qu'une quantité insignifiante. Nous ne sommes pas là pour faire des déclarations politiques à l'encontre de quelques corporations. Et les marques d'alcool et de tabac ne sont finalement plus très drôles, parce qu'elles constituent justement des cibles trop faciles.
Il beaucoup plus gratifiant d'amener les gens à se gratter la tête. Plus longtemps, ils resteront à se gratter la tête en se demandant « mais qu'est ce que c'est que ce truc... », plus ils déconnecteront mentalement le message du médium. Nous pensons d'ailleurs que Mc Luhan ne disait que des conneries ; le médium N'EST PAS le message.
Quelles furent les réactions des compagnies concernées par vos améliorations de panneaux d'affichage ? Est-ce que vous avez été attaqués en justice ?
Nous n'avons jamais été poursuivis, ou attaqués en justice. Nous n'avons jamais été attrapés. Nous faisons de notre mieux pour être agréables aux installateurs de panneaux et aux poseurs d'affiches qui travaillent dur, en leur laissant des bières et des instructions pour retirer nos modifications après avoir réalisé une de nos améliorations.
C'est comme pour les poursuites judiciaires, qui se préoccupe vraiment de ce qu'ils pensent ? Il semblerait toutefois, d'après leurs déclarations à la presse, qu'ils nous voient comme une peste plutôt amusante, et peut-être même une peste glamour qui rend la monotonie de leur travail quoitidien, un peu plus excitante. Après tout, nous leur fournissons des histoires à raconter autour des glacières.
Il semble clair que vous attachez de l'importance à votre sécurité avant de lancer une action mais avez-vous malgré tout eu affaire à la police ? Et si c'est le cas, comment est-ce que ça s'est passé ?
L'événement du Suicide Club mentionné plus haut a été interrompu par la police. Les gens furent brièvement mis en garde à vue (notamment un de nos membres déguisé en gorille), puis relâchés sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux.
Depuis que le BLF s'est formé, il n'y a pas eu d'incidents avec la police. Nous prenons beaucoup de précautions, et nous exécutons chaque action d'amélioration comme s'il s'agissait d'une mission militaire secrète. Certains de nos membres ont travaillés pour l'armée, ou sur ce type de missions secrètes, et nous avons adaptés leurs méthodes à nos besoins. Ca n'est pas vraiment nécessaire mais ça rend les choses beaucoup plus amusantes.
Pour parler en mon nom propre, l'acte physique d'exécution une mission représente 90 % du plaisir, et reste en soi bien plus intéressant que la réaction du public. Vous vous retrouvez en train d'agir comme un espion, à surveiller les fréquences de la police et à pratiquer pas mal d'escalade. Vous profitez de vues sur la ville que la plupart des gens ne verront jamais, et vous goûtez à l'adrénaline dans le fond de votre gorge - cet amusant goût de cuivre qui vous fait savoir de façon certaine que vous êtes vraiment en vie.
J'ai lu que vous attachiez beaucoup d'importance à ne pas endommager les panneaux d'affichages. Quelles techniques utilisez-vous ?
Nous aimons utiliser des adhésifs, tels que de la colle à ciment et du scotch double face, qui sont faciles à enlever et n'endommagent pas le panneau. Nous n'utilisons pas de peinture. Même la tête de mort en néon qui enjoliva notre panneau pour les cigarettes Camel fut installé avec précautions de façons à ne pas endommager le panneau ou le système de câblage électrique. Prendre soin des panneaux, c'est comme de s'occuper correctement d'une forêt : si nous n'occasionnons pas de dégâts permanents, nous pourrons revenir sur nos panneaux préférés et les améliorer à nouveau !
Quels conseils donneriez-vous à un débutant dans l'activisme médiatique ?
Arrêtez d'en parler et mettez-vous au travail !
Est-ce que les actions du Billboard Liberation Front sont centrées sur la Côte Ouest des USA ?
Le BLF est un groupe californien, mais il a inspiré de nombreux autres groupes au fil des années. Et notre approche et nos techniques se sont répandues.
Avez-vous des disciples autour de la planète aujourd'hui ?
Oui !
Où est-ce qu'il est possible de se procurer votre livre, The Art and Science of Billboard Improvement ?
Vous pouvez en télécharger une copie gratuite sur notre site web.
Certains canulars perpétrés par les hackers sur le web me rappellent vos actions. Avez-vous envisagé de travailler sur d'autres médias ?
Un grand nombre de nos membres sont aujourd'hui actifs dans le domaine informatique, mais ce sont des projets clairement distincts du BLF. Regardez le premier mot de notre nom; il dit tout.
Comment voyez-vous le futur du Billboard Liberation Front, et de manière plus générale le futur de l'activisme médiatique ?
Le futur n'est pas écrit. Mettez le nez dehors et créez le vôtre.
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