PATRICE HERR SANG « À PROPOS DU MOUVEMENT AUTONOME »


Enregistrement : 28/11/08

Une interview de Patrice Herr Sang, fondateur du fanzine New Wave, du label New Wave Records et du catalogue de distribution Al di La, et plus récemment des éditions du Yunnan et de la structure de production Thrash Seditions.

Témoin de la première heure, présent sur le terrain depuis les années 70, Patrice a bien voulu revenir sur la naissance du mouvement autonome en France pour La Spirale.


Un entretien publié en 2008, dans le contexte de l'affaire de Tarnac.

Rappel des faits : Le 11 novembre 2008, plusieurs membres d'une communauté basée à Tarnac, dont Julien Coupat, fondateur de Tiqqun, revue philosophique d'inspiration anarchiste et post-situationniste fondée en 1999, ont été arrêtés dans le cadre d'une enquête sur des sabotages visant le réseau de la SNCF, puis mis en examen et placés en détention provisoire le 15 novembre 2008 sous des chefs d'inculpation relevant de la législation antiterroriste ("destructions en réunion" et "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste"). Cinq prévenus sont encore détenus à ce jour.

Face à la dangereuse nébuleuse d'épiciers alternatifs, néo hippies, post altermondialistes et cultivateurs de carotte des plateaux corréziens, qui menace gravement la sécurité nationale et les institutions de l'état, La Spirale se devait de réagir avec une série d'articles et d'interviews sur l'histoire du mouvement autonome, aujourd'hui cible et prétexte de tous les fantasmes et manipulations sécuritaires. [ Fin de la parenthèse ironique ] Adhésion ou non-adhésion aux idées de Julien Coupat et des Neuf de Tarnac, la question n'est pas là...

Ce qui ne lasse de surprendre et de préoccuper se situe plus dans l'inconsistance de l'accusation et dans l'absence de preuves. Aucun trophée ADN, aucune preuve matérielle digne de ce nom pour soutenir la rhétorique guerrière d'un procureur de la République particulièrement désireux d'en découdre avec les « anarcho-autonomes » chers à Michelle Alliot-Marie. La crise économique se développant, de noirs nuages s'amoncellent sur nos institutions et l'affaire claque déjà comme une mise en garde étatique à l'aube d'une période potentiellement riche en troubles sociaux et politiques.


Programme spécial « autonomes » à suivre dans le courant de la semaine prochaine avec de nouveaux articles et témoignages exclusifs !

Propos recueillis par Laurent Courau



Tu évoquais les autonomes à propos du punk lors de notre précédente interview. Afin de bien situer cette mouvance dans son contexte d'origine, peux-tu revenir sur tes premiers contacts avec eux, qui se sont déroulés si mes souvenirs sont bons lors de concerts de rock ?

Le mieux est d'abord d'expliquer d'où vient ce qu'on appelle « les autonomes ».

Au milieu des années 70, le reflux du gauchisme et des groupes révolutionnaires s'accompagnait de la montée en puissance des groupes de lutte armée et de la social démocratie rénovée. Cette dernière aboutira en France à l'élection de F. Mitterand en 1981. En 1973, l'un des plus actifs groupes révolutionnaires français, la Gauche Prolétarienne, était sabordé par une partie de ses dirigeants, contre l'avis d'une bonne partie de sa base. Il faut voir que ce groupe était numériquement et politiquement le plus important en France. Quelques chiffres : un organe de presse La Cause du Peuple vendu à 100.000 exemplaires, la création en 1973 du quotidien Libération, des milliers d'adhérents, 250.000 personnes le 2 mars 1972 à l'enterrement de Pierre Overney, militant ouvrier de l'organisation assassiné par un vigile à l'usine Renault de Billancourt, une organisation ouvrière (l'UNCLA), un Mouvement des Travailleurs Arabes (qui organisa la première grande grève des travailleurs immigrés en1973 contre une vague d'assassinats racistes), etc.

Donc, sans organisation, désorganisé par le haut, une partie des militants décidèrent de continuer et formèrent des tas de cellules, collectifs, assos, etc. Ils essaimèrent et s'impliquèrent dans des tas de luttes. Une Cause du Peuple poursuivit même sa parution. Certains de ces groupes convergèrent avec d'autres venus des milieux anarchistes et/ou gauchistes, avec tous en commun la volonté de continuer la lutte, de ne pas faire confiance à la social démocratie, voire même de la combattre.

Parallèlement, ils suivirent les évènements d'Allemagne (Fraction Armée Rouge de Baader) et surtout d'Italie (Brigades Rouges et mouvement autonome). La conjonction d'évènements majeurs internationaux (assassinats de Baader et d'autres membres de la FAR en Allemagne en 1977, enlèvement et assassinat d'Aldo Moro en Italie) et de soubresauts intérieurs (vague de restructurations capitalistes en France dirigée par la social démocratie qui, sous couvert de pseudo socialisme, détruisit des pans entiers de l'industrie – sidérurgie, mines, etc.) cristallisèrent ces mouvements qui multiplieront les affrontements avec l'Etat.

Trois grandes tendances co-existaient alors dans ce mouvement dit « autonome » car inféodé à aucun parti de « gauche » traditionnel (PCF, LCR, PS) :

- le courant dit « italien » autour de la revue CAMARADES épousant les thèses de l'Italien Toni Negri
- le courant dit « désirant » autour de la revue MARGE développant des théories très ludiques, fêtardes et nihilistes
- le courant communiste autour de la revue AUTONOMIE PROLETAIRE issu du mouvement maoiste Gauche Prolétarienne

Suite à la répression et surtout du travail de démobilisation et de démoralisation des gens organisé par la social démocratie dans les années 80/90, les trois courants se sont délités. Mais comme les problèmes demeuraient et qu'aucune organisation nouvelle n'apparaissait, une multitude de petits groupes ont « survécu », reprenant des forces au cours des vagues de luttes successives des années 90, 2000, etc. (sidérurgie, CIP, altermondialisme, antifascisme etc.).

Aujourd'hui, ce qu'on appelle les « autonomes » n'existe en réalité pas en tant qu'organisation ni même mouvement. C'est plus une mouvance, une masse éparse d'individus ne se reconnaissant dans aucune organisation et qui, selon leur niveau d'écoeurement face aux injustices, agit sur tel ou tel front. Ce que presse et police appellent « autonomes » pourrait tout aussi bien s'appeller « inorganisés », « électrons libres », etc.

Pour ma part, en tant que militant venant du mouvement mao et ayant travaillé de concert avec le mouvement punk émergeant dès 1974/1975, c'est tout naturellement que j'ai croisé les mouvements autonomes. En 1977, tout ce beau monde a organisé des concerts en commun liés à l'actualité avec des groupes aujourd'hui célèbres comme le Taxi Girl de Daniel Darc, Etat d'Urgence d'un certain Maurice G. Dantec ou encore le Stinky Toys d'Elli Medeiros et Jacno.

Bien que l'exercice soit certainement complexe, te serait-il possible de nous résumer l'orientation politique ou le mode de pensée autonome ?

Comme je viens de le dire, l'idéologie des « autonomes » aujourd'hui peut se résumer à résister contre toutes les injustices, participer aux mouvements de masse et rejeter les partis dits de gauche traditionnelle. Mais d'un point de vue strict de l'orientation politique, il n'y a pas de ligne « autonome ». Il y a un état d'esprit de rébellion, c'est tout. Qui pourra se catalyser si une organisation apparaît sur la scène politique française comme porteuse de volonté de changement réel. Il n'y a plus d'idéologie de l'Autonomie en soi, en France.

Il semble donc difficile de parler d'une nébuleuse autonome unie et soudée, puisqu'il s'agit plus d'une kyrielle de fractions indépendantes qui peuvent se réunir et collaborer lors de certaines occasions, ce qui semble avoir été le cas depuis l'origine du mouvement. J'ai lu quelque part que s'était tenu une assemblée parisienne des groupes autonomes en octobre 1977. Quel est ton point de vue sur la situation actuelle ? Et quels parallèles (s'il y a lieu) peut-on faire entre les années 70 et les années 2000 ?

Oui, en 1977, se développait un véritable mouvement, avec ses trois courants structurés, avec des revues théoriques, des livres, des journaux. Effectivement, il y a eu plusieurs assemblées autonomes à Paris, Strasbourg, etc. C'était plus des assemblées générales que des « congrès » comme dans un parti.

La situation actuelle est sans comparaison avec les années 70. Le système d'exploitation et d'oppression s'est aggravé mais en face, il n'y a rien de concret. Il y a une foule de mécontents qui le manifestent de différentes façons et presse et police appellent « autonomes », « racaille », « bandes », ce qui bouge un peu trop, juste par besoin d'étiquetter, de cibler et d'agiter comme un épouvantail. Mais ça n'a aucun rapport avec l'ébullition des années 70 qui suivaient de près Mai-Juin 1968.

On sait que Jean-Marc Rouillan a fondé l'Organisation Action Directe (OAD), par la suite rebaptisée Action Directe, avec la participation d'anciens des Noyaux Armés pour l'Autonomie Populaire (NAPAP). De manière plus générale et sorti de ce cas précis, quels furent les liens ou les divergences entre la mouvance autonome et des groupes tels qu'Action Directe, la Rote Armee Fraktion (RAF) allemande ou les Cellules Communistes Combattantes (CCC) belges ?

Les divergences entre le mouvement autonome et les groupes que tu cites sont d'abord idéologiques. AD, CCC, FAR, NAPAP ou BR se revendiquaient tous du communisme, du marxisme-léninisme, voire du maoisme alors que la majorité des autonomes était plutôt libertaire, anarchiste, voire juste rebelle. Les premiers visaient à un parti et une révolution de type léniniste, les seconds à du spontanéisme de masse. Les convergences se feront dans l'action, le fait d'avoir le même ennemi, que beaucoup de gens se connaissaient, partageaient des luttes en commun, débattaient. Pas d'antagonisme mais plutôt deux visions différentes de l'action.

Lorsque les médias de masse évoquent les autonomes des années 70 et 80, il s'agit le plus souvent de souligner leur violence (attentats, exécutions, affrontements avec les forces de l'ordre lors de manifestations, ...). Il me paraît néanmoins trompeur de limiter les autonomes à cette seule dimension "physique", ne serait-ce qu'au travers de leur influence sur la scène culturelle alternative des années 80 (squatts, fanzines, ...). Comment perçois-tu l'héritage laissé par les autonomes de l'époque ?

Les autonomes des années 70 en France n'ont quasiment « exécuté » personne. Ils ont certes commis des attentats et multiplié les affrontements avec la police. Mais ils ont surtout développé une résistance au quotidien via les squatts, les « restaus baskets » pour chômeurs (partir en courant sans payer), les transports gratuits, etc. Et comme tu dis, participé à l'ébullition culturelle autour du mouvement punk émergeant à la même époque, ce qui ne fut pas un hasard. Création de fanzines, organisation de concerts, de nombreux individus ou groupes issus de l'autonomie seront à la base des labels, fanzines et groupes qui se multiplieront entre 1977 et 1987. Nos acquis d'aujourd'hui proviennent de l'addition des acquis de la G.P., des autonomes, des punks, des féministes, etc. des années 68 à aujourd'hui.

Michelle Alliot-Marie semble concevoir beaucoup d'inquiétude quant à la possible résurgence de fractions armées combattantes issues des rangs d'une ultra-gauche qui refuserait le dialogue démocratique. Une mouvance qui se serait selon elle renforcée depuis la dernière élection présidentielle. Partages-tu cette dernière analyse de Michelle Alliot-Marie concernant l'impact favorable de l'accession de Nicolas Sarkozy aux plus hautes fonctions de l'état sur la vitalité du militantisme radical anarchiste et autonome ?

Non, les affaires récentes sont, à côté de plein d'autres, des signes de ce que la marmite bouillonne mais une affaire comme celle de Tarnac est plus une action préventive de l'Etat pour faire peur que le signe d'une vitalité radicale dangereuse. Les gens arrêtés sont des boucs émissaires que l'Etat va peut-être laminer juste pour faire passer un message : ok, la situation est pourrie, mais, vous bougez un poil, vous éternuez, et c'est le concasseur ! Il n'y a qu'à voir le décalage entre la réalité des faits et l'opération médiatico-policière. L'Etat veut faire peur parce que lui-même a peur de ce qui va se produire à cause de la crise du système et de ses conséquences. 50.000 nouveaux chômeurs déjà, les boites qui ferment, la vie de plus en plus chère, il y a une chape de plomb qui étouffe les gens et ce que craint l'Etat, ce n'est pas 2/3 groupuscules baptisés autonomes mais des explosions populaires qui feront passer les « émeutes en banlieue » pour de gentils monômes lycéens.

Alors, ne rentrons pas dans le piège de l'épouvantail autonome. Soyons solidaire des boucs émissaires et expliquons la réalité, celle d'un système à bout de souffle qui le sait et qui a peur.


Commentaires
- 2008-12-02 22:58:06
le système actuel dans lequel nous survivons à force de ne plus y croire tend à périr, décroître petit à petit à force de démotivation/motivation pour repenser, imaginer et vivre dans un autre monde,en touriste respectueux, de ceux et ce qui nous entoure avec tant à partager ensemble. Alors il fort possible qu'il faille en arriver à se révolter encore plus fort puisque l'Etat ne se réveille pas. S'ils ont peur, qu'ils passent la main, nous sera là pour nous débrouiller sans l'austérité permanente sur nos épaules du manque. Libérez-les, ils n'ont rien fait, bien au contraire... DLF

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Titre : PATRICE HERR SANG « À PROPOS DU MOUVEMENT AUTONOME »
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