YANN MINH « ENTRETIEN CYBERPUNK : AUTOMNE 1997 »
Enregistrement : Automne 1997
Mise en ligne : 04/09/08
La Spirale s'était lancée sur les traces de cette créature de chairs et de pixels dès la fin du siècle dernier. Pour arriver à ce premier échange d'une longue série et à cet entretien fleuve, qui sera pour partie repris dans Mutations pop & crash culture, la première anthologie de La Spirale parue en 2004.
Propos recueillis par Laurent Courau.
Deux raisons, en apparence contradictoires mais qui sont complémentaires. La première peut paraître dérisoire, c'est ce que j'appelle la réponse aux médias. Comme de nombreux jeunes auteurs à l'époque et maintenant, c'est une sorte de recherche identitaire à travers une nécessité de reconnaissance médiatique : insérer mon identité dans la noosphère. Comme la plupart des enfants des pays industrialisés, j'ai subi l'assaut permanent de l'information véhiculée par les médias. Un cyberespace omniprésent, formé de livres, de TV, de cinéma, de photos et de disques, qui ont forgé mon identité aussi sûrement que les relations individuelles avec mes proches, parents, enseignants, amies et camarades.
Exorciser ce besoin de reconnaissance identitaire uniquement par l'utilisation de produits de consommation, en achetant les vêtements, les livres, les affiches, les disques correspondant à la portion de cyberespace à laquelle je m'identifiais, ne me suffisait pas, ça me paraissait faux. Il fallait que j'inscrive mon identité dans le cyberespace en m'emparant d'un outil de création de masse. Moebius, Druillet, Crimson, Magma, Pink Floyd, Giger, Ridley Scott, Philip K. Dick m'avaient fait, il fallait que je leur réponde. Je n'étais pas musicien, et j'ai donc échappé aux répétitions dans les caves pour faire un CD, en plus la musique n'était pour moi qu'un élément d'un ensemble. L'oeuvre complète était à la fois images et sons. Donc lorsque l'occasion de faire de la vidéo en 1979 s'est offerte à moi, je me suis investi dans ce médium tout en l'intégrant dans des installations (sculpture, projections de diapos, environnement acoustique) pour sortir du carcan de l'écran.
La deuxième raison. Comme de très nombreux artistes contemporains, au-delà de cette nécessité compulsive existentielle par rapport aux media, je suis le vecteur de quelque chose qui m'habite ; un "message" non explicite, qui vient de mon inconscient nourrit de SF et d'érotisme. Ou, plus magique, d'une dimension métaphysique mystérieuse à laquelle appartiennent toutes les mythologies. Une forme d'harmonie instinctive avec les tropismes métaphoriques qui traversent le cyberespace. C'est pour cela que je ne me limite pas à un seul médium. J'utilise ce qui m'est accessible pour inscrire/traduire dans le réel ce que je capte/interprète. Une forme de malédiction qui m'a engagé dans cette voie difficile de l'art, mais ce n'est pas un choix, comme pour beaucoup d'entre nous, c'est une nécessité existentielle. Ce qui fait que lorsqu'un médium ne m'est pas accessible, en général pour des raisons économiques, j'utilise celui qui est à ma portée. L'important c'est de "faire", quel que soit le support, c'est ce que je trouve de fabuleux dans l'internet. Avec des outils de production relativement accessibles on peut transmettre des émotions, inscrire ses rêves et sa folie directement dans le cyberespace, sans intermédiaires.
L'Internet, l'outil des scientifiques et des militaires, est la chance des artistes, et sans doute de l'humanité. Car pour moi il est moins criminel de s'affranchir des limites de la spiritualité que des limites géographiques... par la guerre par exemple.
Ta carrière artistique a démarré au début des années 80 avec Media ØØØ - une première installation multimédia réalisée aux Arts Décos et présentée au Centre Georges Pompidou - et la création des Maîtres du Monde, un groupe de vidéastes. Comment vois-tu cette époque avec le recul et quels sont depuis tes rapports avec le milieu des arts plastiques ?
C'était une époque merveilleuse de grande créativité et de grandes illusions, qui fut suivit autour de 1992 d'un réveil brutal. Une période terrifiante durant laquelle, comme de nombreux auteurs, j'ai été catapulté aux limites de l'exclusion sociale, en grande partie à cause de dérives administratives. J'ai réussit à survivre, grâce à mes amis, mais j'en ai gardé une amertume certaine et une défiance très forte à l'égard de nos merveilleuses institutions "citoyennes" et de la plupart des soi-disant décideurs. Mais je préfère ne pas en parler médiatiquement pour l'instant, car j'ai trop de ressentiments.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, tu m'as dit vouloir dorénavant centrer tes efforts sur l'écriture aux dépens de l'image. Qu'est-ce qui te pousse dans cette direction et qu'est-ce qui motive ce passage du monde de l'image au monde de l'écrit ?
J'ai découvert l'écriture très tard, presque miraculeusement, grâce à mon directeur de collection, Raymond Audemard qui a pris le risque de me commander Thanatos, les Récifs. Je crois que ça m'a sauvé. Ça a été une véritable révélation car je ne pensais pas du tout être capable de piloter ce plus vieil outil d'exploration de l'imaginaire qu'est l'écriture.
L'art est pour moi, le plus haut niveau de communication de l'humanité. Et l'essentiel de ce que véhicule une oeuvre d'art, c'est de l'émotion. J'ai découvert qu'en matière de transmission d'une émotion, l'écriture est une formidable économie de moyens. Quand tu te mets du côté du créateur, en cinéma (mais c'est valable pour tout l'audiovisuel), pour réussir à émouvoir les spectateurs, la mise en oeuvre technique et humaine est gigantesque. Un roman par contre, qui fait voyager les lecteurs parfois plusieurs jours dans la noosphère, ne nécessite que très très peu de moyens techniques et humains, et il n'y a de limites que ton imagination. Ce n'était pas ma vocation de faire de la vidéo pour faire de la vidéo, ou de la TV pour faire de la TV. Ma vocation/malédiction, c'est de faire exister dans la cybersphère les mondes imaginaires qui m'habitent. Peu importe le médium.
Un roman permet de s'immerger dans une virtualité cohérente avec une efficacité redoutable. C'est sur que c'est un mode d'immersion virtuel qui ne concerne qu'une partie très restreinte de la population. Ceux qui savent lire de la SF.
Mais j'ai depuis longtemps dépassé l'illusion dérisoire de la reconnaissance médiatique planétaire. J'ai vite compris que ce que je faisais ne concernait qu'un public restreint, habité par le même imaginaire que moi. Mon but d'auteur, c'est de créer des mondes imaginaires, fantastiques, érotiques, différents du réel et les plus cohérents possibles, ce qui pourrait être une définition de la science-fiction. L'imaginaire est un Eldorado sans limites où il reste encore une infinité de contrées inexplorées. Le roman de SF est pour moi l'outil d'exploration de l'imaginaire le plus efficace que je connaisse. C'est pour cela, qu'après m'être réclamé du mouvement cyberpunk, j'ai forgé le néologisme Noonaute! Je suis un noonaute. Un voyageur de la psyché, un voyageur de la spiritualité, de la noosphère.
L'écriture est une petite barque, comparée aux monstrueux vaisseaux du cinéma, mais tellement plus maniable, et elle permet de s'engager dans des voies totalement impraticables pour les léviathans de l'audiovisuel. En écriture il n'y a pas de limites à l'imaginaire. C'est ce qu'il me fallait. Un Nootilus facile à manoeuvrer et pouvant naviguer dans les eaux les plus tumultueuses de la création.
Thanatos, ton premier roman, conjugue allégrement les univers Cyberpunk, S&M et Heroic Fantasy. Quelle est l'origine de ce mélange assez particulier ?
C'est une question difficile, par ce qu'en fait je ne sais pas vraiment.
Depuis que je suis enfant, je suis habité par l'érotisme SM, la science-fiction et l'héroïc-Fantasy. Ce sont des visions qui s'imposent d'elle-même. D'où viennent-elles ? je ne sais pas. D'un point de vue rationnel, on pourrait dire que mon cerveau droit va relier ensemble des archétypes inscrits dans ma mémoire nourrie d'érotisme, de SF et de technicité. D'un point de vue irrationnel, je dirais que je fais comme tous les artistes, je capte une parcelle de ces grands fleuves métaphoriques qui traversent les espaces métaphysiques de la spiritualité. (Eh eh! ça marche bien ce genre de phrase, j'aime beaucoup.)
Pour plus d'informations : Yannminh.com/french/IndRomans.html
Cyberpunk, sado-masochisme, réseaux informatiques, mysticisme... Tous ces éléments présents depuis de longues années dans ton univers artistique pénétrent aujourd'hui la culture populaire et touchent le grand public. Comment réagis-tu à cette situation ?
C'est super !... En ce moment j'ai l'impression d'être un voyageur perdu qui a retrouvé les siens. Comme si mon petit nootilus (c'est un terme que j'ai emprunté à un autre noonaute sur les NG de SF francophones), comme si mon petit nootilus solitaire venait d'être rejoint par une escadre immense en partance vers les mêmes confins illuminés...
Le problème, c'est que les petits jeunes de maintenant (dit le grand-père cyberpunk :-) pilotent des vaisseaux nettement plus rapides. Alors il faut que je rame pour pouvoir suivre... ;-). Mais, pour continuer la métaphore, le fait d'être plus nombreux permet aussi d'être plus efficaces. Je trouve ça très bien. En plus je n'ai jamais cherché à être un précurseur, d'autant plus que l'art comme la science est de toute façon une création collective. Devant et avec moi, il y avait beaucoup d'autres créateurs. L'artiste ne décide pas de sa voie, c'est elle qui te choisit. Pour le meilleur et pour le pire. Comme pour tous les humains d'ailleurs. L'artiste est la métaphore incarnée de la destinée humaine...
La littérature de science-fiction est dans sa grande majorité asexuée alors que le sexe et plus précisément le sado-masochisme sont très présents dans Thanatos. D'où te vient cet intérêt pour l'érotisme et quelles furent les réactions des milieux de la SF et du Fétichisme ?
L'érotisme : La quête de connaissance et la sexualité sont des drogues dures qui m'ont rendu "accroc" tout petit... ;-)
Contrairement à ce que fait croire la profusion d'une imagerie codifiée et stéréotypée dans les média, l'érotisme en général est un sujet de travail extraordinaire avec encore des zones obscures à explorer. L'érotisme nous oblige à définir nos limites à travers une éthique personnelle. Et, si l'art est une exploration des limites, l'érotisme ne peut qu'être un sujet d'exploration artistique. Nous aimons l'image pour l'image. En particulier en érotisme, où l'image littéraire ou graphique, possède une efficacité émotive propre, générée par elle-même, et distincte de l'émotion suscitée par l'acte ou le personnage réel auquel elle fait référence.
Pour moi, le sadomasochisme n'est qu'une des composantes de l'érotisme, et surtout une métaphore de la transgression de la mort à travers l'amour. C'est un jeu symbolique et essentiellement formel qui révèle des émotions secrètes et puissantes, enfouies au plus profond de notre inconscient, des archétypes. Mon devoir d'artiste est précisément d'explorer ces zones secrètes, ces limites qu'on n'ose pas franchir par peur de l'éducation, de la morale ou de soi-même. Mais il est clair que la matière que j'extrais de cette exploration est essentiellement spirituelle.
Les codes formels et narratifs que j'utilise, font clairement comprendre qu'on a affaire à une oeuvre de l'esprit et non pas à un documentaire ou à de l'actualité. Je ne crois pas qu'il y ait une exemplarité de l'imaginaire. Des enfants aux adultes, nous faisons parfaitement la différence entre une fiction et un documentaire.
La cruauté est une constante de toutes les sociétés humaines même dites civilisées. Croire qu'en dissimulant sa représentation on la fait disparaître, est l'erreur d'un esprit simple, ou le fait d'un obscurantisme pervers.
Réactions du milieu de la SF. Dans l'ensemble ce premier roman a été très très bien accueilli. J'ai reçu beaucoup de témoignages de lecteurs de SF chevronnés qui avaient adoré Thanatos. Ils n'ont pas hésité à le mettre au même rang que certains best-sellers de SF anglo-saxons. Bien sur, quelques lecteurs ont détesté, ou ont été dérangés par l'imaginaire SM. C'est normal, le jour où ce que je fais plaira à tout le monde je m'inquiéterai. Pour quelques rares, il a été une sorte de révélation, surtout des femmes étonnament. Je sais que j'ai chargé le roman de quelque chose que je ne maîtrise pas. Je l'ai écrit dans une sorte de transe, en trois mois. Et certains lecteurs ont perçu ce message caché que je ne comprends pas moi-même, ça me paraît presque miraculeux. Et un peu angoissant, car, comme dirait Jodorowsky, j'étais dans la voie humide de l'alchimie ! Je ne suis pas certain de pouvoir reproduire cet état d'inspiration qui m'a habité lorsque je l'ai écrit.
Je ne sais pas comment il est perçu par le milieu fétichiste, je sais par contre que deux dominatrices célèbres sur Paris l'ont adoré : Françoise, et LNA qui m'a même demandé de mettre des extraits du roman sur son site, à côté de citations de Deleuze et Bataille...
As-tu eu l'occasion de collaborer en tant que créateur d'images avec les milieux fétichistes ? Il me semble évident que Haime devrait les intéresser au plus haut point.
Alexandre de la galerie des Larmes d'Eros a exposé plusieurs de mes oeuvres, et a présenté une K7 de mes films qui a été épuisée en quelques mois. (300 exemplaires) Mais Haime est trop soft pour le milieu fétichiste, trop esthétisant. Et il est paradoxalement trop hard pour les chaines de TV et certains réseaux des arts plastiques. Donc je ne le diffuse que de la main à la main... ;-)
J'ai eu la chance de pouvoir filmer quelques séances dans le donjon de Françoise, à l'époque où je fréquentais les soirées SM qu'elle organisait, et j'en ai tiré un petit film de vidéo création très soft, Cx/Fin que j'aime beaucoup et qui a étonnament été diffusé plusieurs fois par le ministère des relations extérieures dans le cadre d'expos video à l'étranger.
Le problème c'est que mes images coûtent très cher à réaliser, et le milieu fétichiste, qui est surtout un monde de passionnés, n'a pas beaucoup de moyens économiques qui permettrait de financer ce type de création.
Toujours à propos de Thanatos, l'univers décrit dans ce roman m'a Immédiatement évoqué ceux de certains jeux vidéo. Est-ce que tu t'es intéressé à ces nouveaux supports narratifs ?
Oui. J'adore les jeux vidéo. L'immersion émotive est d'une efficacité extraordinaire. D'ailleurs mon roman Thanatos, les Récifs est né d'un projet de jeu vidéo qui a avorté.J'aime plus particulièrement les "Shoot them up" en 3D temps réel, comme Doom, Quake, Half-Life, Duke Nuken, Unreal.
Avec Nurgle, un "Quake addict", nous sommes en train de développer un niveau de Quake inspiré de Thanatos.
Il y a une magie très ancienne dans les jeux vidéo, comme dans l'écriture. L'imaginaire de Doom II est très efficace car il va puiser dans des archétypes mythologiques... Lorsqu'on joue, on répète toujours les mêmes gestes, comme on égrène un chapelet, comme notre oeil va et vient sur la page. On meurt et on renaît sans cesse... pour pouvoir continuer il faut mourir, c'est une métaphore active de la vie.
A chaque instant de notre vie, on apprend, et ça nous transforme, et on perd aussi quelque chose, une part de notre inconscience. Les Yann d'il y a 20 ans, d'il y a 10 ans sont morts. Je ne serai plus jamais le même, j'ai appris, je suis plus riche de tout ce que je sais, mais en même temps j'y ai forcément perdu une part de moi-même.
Tiens! Un exemple : Lorsque tu arrives dans un niveau de jeu vidéo inconnu, tu es comme un adolescent découvrant le monde. Tout t'étonne, t'intéresse. Mais lorsque tu reviens, sur tes pas, les lieux ont perdu leur charme, leur intérêt, parce que tu les connais. C'est cela qu'on perd à chaque étape de notre vie : L'émerveillement qui nous habitait lorsque nous découvrions un espace, un lieu, des milieux inconnus. Par exemple les régies vidéo ont perdu beaucoup de leur charme pour moi, tout comme les automobiles, les soirées sado-maso ou les musées d'art moderne... ;-)
Ce que je regrette pour l'instant dans les jeux, c'est l'absence de sexualité, du fait d'un ciblage commercial jeune. Je rêve de faire un shoot's em up de SF SM gore trash pour adultes. ;-)
Quels sont les créateurs, tous supports et médias confondus, dont tu te sens proche aujourd'hui? Est-ce que tu te retrouves notamment dans la mouvance Techno et les musiques électroniques ?
En vrac les évidences de ma génération : Moebius, Druillet, Bilal, Ridley Scott avec Alien et Blade Runner, K.Dick, Giger, Christian Vander, Chris Foss, Whelan, Roger Dean, Pink Floyd, John Willie...
J'ai des affinités très fortes avec le groupe de visuel techno V-Form, que j'ai eu la chance de côtoyer, et j'aime énormément les énergies qui les habitent. En techno j'aime beaucoup Slushy, Nine Inch Nails, In Slaughters Natives... J'ai toujours aimé les films de Caro, ainsi que ceux qu'il a fait avec Jeunet, Besson aussi, et les courts métrages de Kounen.
Mais en ce moment précisément, je m'éclate à côtoyer les illustrateurs de SF et les jeunes auteurs qui mettent en ligne leurs nouvelles sur l'internet.
Tu as créé ton propre site web et tu participes amplement aux discussions du newsgroup Fr.rec.arts.sf. Qu'est-ce que tu retires de ces expériences sur les réseaux informatiques ?
J'ai l'impression d'avoir regagné ma terre natale, celle que j'espérais atteindre, lorsque à quinze ans, je guettais derrière les nuages les contours de la nef interstellaire venue me chercher.
Pour les News-Group et les mailing lists, c'est à la fois un espace ludique qui me permet de générer des petites fictions on-line, écrites, diffusées et lues presque en temps réel, et d'y faire exister un avatar schizoïde de moi-même. C'est aussi un lieu de documentation extraordinaire, car les amateurs de science-fiction sont souvent des scientifiques, des informaticiens, des lettrés, des enseignants ou des auteurs, qui sont une mine d'informations, et ils contribuent activement à enrichir les débats par leur savoir.
Une étrange famille virtuelle, composée d'identités complémentaires, depuis l'artiste allumé au chercheur pédagogue, en passant par le fan monomaniaque et le lecteur illuminé. Avec ses personnalités archétypales, le cynique ironique, le ronchon, le critique, le savant, le professeur, l'obsédé, le libertaire, l'humoriste, le polémique... un village imaginaire, plus riche que n'importe quel jeu d'immersion. D'ailleurs nous sommes nombreux à jouer le jeu de mettre en scène sur le NG une facette de nos identités multiples comme dirait Gurdjieff, sous la forme d'un avatar de nous même simplifié, ou caractéristique. La rencontre de ceux qui se trouvent en réalité derrière les noms est toujours surprenante... et parfois je me dis que je ne devrais pas me révéler, pour ne pas tuer mon avatar dans l'imaginaire de ceux qui ne me connaissent qu'à travers le net. Par contre la légende comme quoi les réseaux allaient encore plus réduire les relations humaines est une grosse connerie. Je n'ai jamais rencontré autant de gens intéressants et passionnants dans la réalité que maintenant. Et ça grâce à l'internet.
C'est aussi grâce aux mailing lists et au NG de Science-fiction que j'ai trouvé le provider Pelnet.com qui héberge mon site gratuitement par passion. Quand à mon site Web c'est une véritable libération, une résurrection je dirais. Je n'ai plus besoin de passer par l'intermédiaire des "décideurs" pour rencontrer mon public. Plus besoin de négocier mes créations auprès de technocrates frustrés qui t'imposent de façon totalement artificielle leurs points de vue sur ce que tu dois faire pour intéresser quelqu'un, ou qui te relèguent au fin fond d'une programmation confidentielle.
Il y a quelques années j'étais un peu dépressif, le désintérêt des réseaux de diffusions artistiques pour mes créations m'avait conforté dans l'illusion que ce que je faisais n'intéressait que très peu de gens. En plus le côté totalement élitaire du milieu des arts plastiques n'était pas fait pour arranger les choses. (complètement traumatisés par leur formation en art plastique, ils étaient, à quelques rares exceptions près, (il y a quand même quelques conservateurs et producteurs qui m'ont aidé) totalement imperméables au réalisme baroque et symboliste de la SF et du cyberpunk, qu'ils associaient à l'impérialisme culturel anglo-saxon ou à une forme d'expression réactionnaire comme le pompier).
Il y a deux ans, en mettant on-line mes textes et mes images, un peu comme on jette une dernière bouteille à la mer, j'ai eu la surprise de voir la fréquentation de mon site grimper progressivement, jusqu'à ce score étonnant pour moi de 600 visiteurs hebdomadaires, dont un tiers vient des états-unis. En deux ans plus de gens ont voyagé dans mes univers que pendant quinze ans de vidéo création. C'est merveilleux, et extrêmement encourageant. Je suis tellement chargé d'énergie créative que je voudrais pouvoir ne plus faire que ça. Écrire, faire des images et développer mon site. Mais comme je dois malgré tout survivre, je passe en ce moment beaucoup de temps à faire des films institutionnels. Par ce que ce n'est pas la création artistique qui nourrit son homme en France. France Télécom devrait me reverser un petit peu de ce que je leur fais gagner, ça serait relativement équitable. ;-)
A propos des discussions sur le newsgroup Fr.rec.art.sf, tu as été récemment à l'origine d'une polémique sur "noonautes", un nouveau terme de ton invention. Peux-tu nous expliquer de quoi il retourne ?
Bien que le courant cyberpunk soit celui qui caractériserait le plus ma création, j'avais envie de trouver un autre nom. Et en m'inspirant du concept de "noosphère" de Teilhard de Chardin qui est très à la mode dans la mythologie new age et cyberpunk, j'ai forgé le néologisme Noonaute. Noo = Psyché, esprit. Et j'adore ce mot, car il définit parfaitement ce que je pense être mon rôle d'artiste : explorer les confins de la spiritualité et de l'imaginaire.
Étymologiquement, ce n'est sans doute pas le néologisme le plus adéquat, et certains lui préféraient "eidonautes" (du mor grec eidôlon - Image porteuse d'illusion), et d'autres "technoosterr" qui a une connotation plus activiste libertaire. Mais il y a dans Noonaute une dimension pour moi plus poétique, plus douce, et une adéquation parfaite avec les motivations qui à mon avis animent les auteurs de Science-Fiction...
Pour plus d'informations : Yannminh.com/french/TxtNoonautes010.html
Parallèlement à ton site personnel, tu as contribué à la création d'un site web sur la science-fiction et l'an 2000. Pourquoi cet intérêt pour l'An 2000 ?
L'an 2000 est une date symbolique en science-fiction, car dans la plupart des oeuvres, c'est la frontière du futur. Les voyages intergalactiques, l'antigravité, les empires stellaires, les apocalypses nucléaires se passent après l'an 2000... Après l'an 2000 nous entrerons dans les mondes de la SF, je réintégrerai mon époque... pour le meilleur et pour le pire... ;-)
Plus sérieusement: J'étais fasciné par la somme de connaissance des habitués du NG Fr.rec.arts.sf. Je me suis dit que ce serait bien d'en profiter pour référencer simplement la plupart des oeuvres de SF ayant mit en scène l'an 2000. C'est donc un site collectif qui ne m'appartient pas et qui petit à petit est enrichi par les contributions collectives spontanées des internautes. Une contribution supplémentaire dans cette vaste mémoire de l'humanité qu'est en train de devenir le net, en espérant que les politiques et les commerciaux ne pervertissent pas ce merveilleux instrument de connaissance...
Tu décris dans ton interview pour le magazine CyberZone la période actuelle comme transitoire et de grande confusion. Il se trouve justement qu'un autre auteur de science-fiction, Norman Spinrad, a écrit un essai sur le sujet - The Transformation Crisis - dans lequel il explique que l'espèce humaine est à un moment charnière de son parcours où tout peut passer ou casser. Est-ce que ça rejoint ta vision d'une époque transitoire ?
Bon! accroche-toi, parce que là je vais bien délirer... je vais te révéler le sens de la vie... si si si... ;-)
L'histoire des sociétés humaines a toujours été faite de mutations plus ou moins grandes, cependant il y a certains moments plus décisifs comme maintenant, ou la notion d'échange informationnel est beaucoup plus déterminante à la fois de notre humanité, mais aussi de son évolution.
Je suis très inspiré par Mac Luhan et Norbert Wiener dans ma vision de l'évolution humaine, et je crois beaucoup dans cette utopie de la communication que dénonce Philippe Breton dans son livre du même titre. Pour Norbert Wiener, le mathématicien fondateur de la cybernétique en 1948, plus un organisme a des capacités de traitement de l'information complexe, plus il est haut dans la hiérarchie du vivant...
Ce qui va dans le sens de Mac Luhan, pour qui les média jouent un rôle déterminant dans l'évolution de nos sociétés... L'imprimerie en propageant la connaissance horizontalement a conduit à la révolution Française et au siècle des Lumières. L'apparition, presque simultanée en regard de l'évolution, des nouveaux média (TV, cinéma, disques, photo, radio), a provoqué une accélération radicale de l'histoire, et des bouleversements fondamentaux en art, en urbanisme, en science, en politique, etc... Depuis quelques années cette course aux media s'est accélérée, les pays industrialisés investissent énormément d'énergie pour recouvrir la planète entière d'un réseau informationnel dont l'internet est un des aboutissements les plus spectaculaires. Je suis convaincu que cette frénésie à développer la noosphère à l'échelle planétaire est un tropisme qui transcende les enjeux économiques ou politiques.
Je pense qu'au niveau de l'évolution du vivant, l'humanité n'est qu'une étape dans un processus beaucoup plus vaste. Cela a commencé lorsque les premières bactéries dans l'océan ont muté pour donner les premières cellules, puis les micro-organismes, puis le règne macroscopique du végétal et de l'animal, dont nous faisons partie.
À chaque étape de l'évolution, la vie est passée d'une dimension à l'autre. Du microscopique au macroscopique.
Par rapport aux premières bactéries fossiles qui évoluaient dans une dimension imperceptible à nos yeux, nous avons la taille d'un système solaire. C'est comme si la vie s'efforçait de "grandir". Je ne sais pas pourquoi l'évolution est engagée dans cette quête du macrocosmos. Mais il est clair que l'humanité, par tropisme métaphorique, est en train de poursuivre cette quête en créant un organisme vivant "métaphorique" qui sera la planète entière. Les réseaux et les balbutiements de l'intelligence artificielle sont les prémices de "Sa" conscience. (rien à voir avec Dieu, car ce sera sans doute, dans un premier temps, un truc du genre : Grosse méduse crétine).
Je sais que ça paraît fou. C'est une intuition que je traîne déjà depuis plus de vingt ans, mais il semblerait que je ne sois pas le seul à penser dans ce sens aujourd'hui.
Les réseaux numériques, associés aux développements de l'intelligence artificielle, de la nanorobotique et de la génétique, vont accélérer le processus évolutif en cours, et nous en sommes en train de vivre l'éclosion du méta-organisme "Terre", la fameuse Gaïa. Eh eh eh, on est en pleine SF new age là... ;-)
C'est pour cela que je pense que cette période-ci est sans doute une des plus importantes dans l'histoire de l'humanité. Car d'ici une à deux générations nous aurons donné naissance au plus invraisemblable des Big Brothers... La construction de la cybersphère numérique est une nécessité qui transcende les enjeux idéologiques, politiques, commerciaux. Elle est inévitable. C'est un tropisme supra-humain, inscrit depuis l'aube de la vie dans notre Adn (qui est d'ailleurs elle aussi un élément d'un métasystème de traitement de l'information). Tout ce qui se mettra en travers du développement de cette ébauche de système nerveux sera éliminé... C'est aussi pour cela qu'on voit apparaître des mouvements anglo-saxons comme le transhumanisme ou les extropiens, qui prônent une intégration radicale des technologies avec notre corps. Nos petits enfants seront des cyborgs connectés en permanence sur le cyberespace, et chargés d'assurer la survie du méta-organisme Terre.
Certains doivent se dire qu'il faut m'envoyer les messieurs en blanc tout de suite :-). Non non! pas la camisole... Rappelez-vous! Il y deux siècles, personne n'aurait imaginé que l'automobile allait bouleverser les sociétés et les villes, au point de provoquer cette hécatombe annuelle et cette pollution permanente des cités, tout en rendant ses utilisateurs et l'économie du pays aussi dépendantes. Oui je sais! Pas étonnant que j'écrive de la SF.... ;-)
Toujours dans ton interview pour CyberZone, tu parles « d'une dimension métaphysique dans laquelle tous les artistes vont puiser depuis l'Antiquité ». Tout ça me semble très mystérieux. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
:-))) Je vais être explicite et ainsi tu auras convaincu tes lecteurs que je suis bien le fou furieux que je parais... :-)
Je suis intuitivement convaincu que la structure de l'univers est de type informationnelle, et il semblerait que la mécanique quantique confirme cette intuition. Ce plan informationnel est par nature "métaphysique". C'est un mot ancien, plutôt associé aux religions mais qui est d'une adéquation parfaite pour nommer ce concept, et ce n'est pas un hasard. Je pense d'autre part, qu'il y a, sur le plan informationnel structurel de l'univers, des tropismes particuliers, comparables à la pesanteur. Un de ces tropismes, sans doute le plus puissant, est la métaphore. Lorsque je regarde autour de moi, je ne vois que des métaphores imbriquées les unes dans les autres. Les animaux et les plantes métaphorisent et se métaphorisent en permanence, toutes nos oeuvres sont des métaphores d'autre chose, les religions sont métaphoriques, notre langage est métaphorique. Nous sommes les métaphores des premières cellules... L'artiste est un technicien de la communication dans son sens le plus large et par la même, c'est un expert de la métaphore... sous toutes ses formes. Nos oeuvres sont chargées d'archétypes anciens, réactualisés sous une "autre forme", car lorsque nous travaillons, nous mettons notre esprit en phase avec le plan informationnel. Notre cerveau combine "intuitivement" les données mémorisées, et reproduit inconsciemment ces archétypes métaphoriques puisés dans la noosphère culturelle, mais aussi et surtout dans l'ensemble des signes convergents et visibles autour de nous des tropismes métaphoriques à l'oeuvre dans le vivant et l'inanimé...
Cette dimension métaphysique, dans laquelle tous les artistes vont puiser depuis l'antiquité est donc pour moi, cet espace informationnel structurel de l'univers avec lequel nous entrons en phase, grâce à l'état de transe très particulière, générée par la création artistique, quelle qu'elle soit. Cet instant créateur dont parlait Stanislavsky. Tiens un exemple, mais ils sont légions... J'apprends dans un documentaire animalier, que certaines chenilles sont rayées de jaune et noir, car c'est un signe pour leurs prédateurs qu'elles sont toxiques. Ils sortent ça d'où les prédateurs, les chenilles et les ingénieurs des ponts et chaussées, que les rayures jaunes et noires sont signes de danger...? Comme la tête de mort sur le dos du papillon bombyx, ou le dessin des yeux sur ses ailes...des métaphores actives utilisées par la nature, Et même si tu me dis que le déterminisme de l'évolution a provoqué cette convergence sémantique, il n'empêche que c'est un processus métaphorique transversal aux espèces. On s'étonne souvent qu'une ville vue d'avion la nuit ressemble à un organisme vivant, ou une fourmillière. Normal ! C'est une métaphore active. La ville EST un organisme vivant. Sans parler de la métaphore sexuelle des menhirs et des dolmens ou de l'obélisque dans l'axe de l'Arc de Triomphe et de l'Arche de la Défense... :-)
La prochaine fois je te parlerai de Dieu parce qu'il est pas loin... ;-)
Où en est la suite de Thanatos, les Récifs ? Quand pouvons-nous espérer nous plonger dedans ?
Le deuxième tome est pratiquement terminé, juste une petite partie à développer, mais il faut pour cela que me documente sur la question du Filio à Florence autour de 1440, et j'attends que les liquidateurs qui s'occupent du dépôt de bilan de Florent-Massot, me laissent reprendre les droits du premier tome pour aller le négocier chez un autre éditeur. Dans tous les cas la parution du deuxième tome sera tardive en édition livre, puisque le nouvel éditeur (s'il y en a un) ressortira le premier tome d'abord. Si tout ça tarde trop, je mettrai le deuxième tome en ligne sur l'internet.
Pour moi l'important c'est de créer et de diffuser ma création quelque soit le support.
Quels sont tes projets artistiques pour le futur proche, et moins proche ?
Survivre d'abord, ce qui n'est pas évident pour les artistes en France en ce moment. Donc je sacrifie au temporel et je fais pas mal d'alimentaire en TV et en institutionnelle histoire d'avoir un peu de réserve lorsque l'édition du second tome sera de nouveau d'actualité... J'en profite pour expérimenter et maîtriser l'image de synthèse sur mon Macintosh, avec Poser, Bryce, Infini-D, et des démos de Strata vision et Cinema 4D (super), afin de bâtir de nouveaux mondes virtuels trash/Gores... ;-)
Et j'attends le producteur fou qui se risquera à développer un jeu vidéo 3D temps réel avec mes univers. (À ce propos j'ai perdu le contact avec un jeune programmeur qui avait développé un moteur 3D impressionnant lors d'un projet avorté qu'on avait eu avec Time Warner il y a quatre ans et j'en profiterai bien pour l'appeler à me recontacter... :-)
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