FRED ROMANO
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2005)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2005)
Propos recueillis par Laurent Courau.
En vogue... Tout est encore très relatif... je ne voudrais pas être l'écrivain d'un seul livre. Il est important de mener à bien mes projets, et non de me projeter dans la peau "écrivain". De toute façon, le féminin d'écrivain n'existe pas en français, et j'aurais donc bien du mal à me faire passer pour autre chose qu'une usurpatrice. Abusant de mes personnalités diverses, que je m'approprie tour à tour, je pratique donc l'imposture perpétuelle de mes talents et fonctions, fondamentalement perverse et par conséquent hautement littéraire.
Qu'est-ce qui t'a donné envie de raconter cette histoire ? Est-ce qu'il n'est pas difficile de s'exposer aussi ouvertement ?
C'est bel et bien la vie d'une autre, disparue il y a six ans, que je raconte. Mon exil en Espagne n'a été rien moins qu'une tentative d'assassinat avec préméditation. Renaissant dans l'au-delà des Pyrénées sous la forme courroucée de Fédérica Michot, j'avais fait le voeu de faire bouffer les pissenlits par la racine à Fred Romano. Mais on ne se débarrasse pas si facilement de soi-même. Le nécessaire exorcisme cathartique ne pouvait donc se traduire que par une impression. Enfin, sur le plan romanesque, je me savais en possession d'une histoire fabuleuse, ce qui n'a pas échappé aux Espagnols qui ont lu mon livre sans se cramponner à l'anecdote.
Comment se passe la promotion du livre ? Est-ce qu'il est difficile de contrôler l'image que les médias donnent de toi ? N'ont-ils pas tendance à surexploiter le côté sulfureux du livre et laisser de côté l'histoire d'une passion qui en constitue la charpente ?
C'est très amusant ! La comédie a toujours été l'une de mes grandes passions. Je fais donc mon travail de clown consciencieusement, laissant le sérieux aux journalistes, comme par exemple cette journaliste de Gala qui m'a interviewée en consultant l'article de Libération - elle n'avait pas lu mon livre. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé l'insignifiance absolue de ce que l'on dit aux journalistes, et que mon but est devenu de les distraire - ce sont aussi des êtres humains. Je ne réponds donc jamais deux fois la même chose, ni ne présente le même aspect physique : la femme aux Mille Visages. L'unanimité des confrères s'est cependant faite autour de la petite histoire, comme pour éviter d'aborder les sujets franchement sulfureux qui émanent de ce gros bouquin rose, un ressort de cette morale petit-bourgeois qui faisait dire crotte au lieu de merde.
Elle, Libération et Marie-Claire, pour ne citer qu'eux, t'ont consacré des articles et tu as été invitée sur TF1, LCI et France3. Mais comment expliques-tu le peu de réaction des médias plus branchés comme Technikart, Les Inrockuptibles ou Canal + qui devraient logiquement s'y intéresser ?
C'est très élogieux pour moi et dans le fond très sain pour la littérature française qu'un livre puisse arriver à être numéro 1 des ventes sans pour autant passer sous les fourches caudines des vedettes hertziennes, surtout après avoir constaté le niveau intellectuel des émissions censées "faire vendre". J'en viens à rêver que les français sont moins manipulables que je ne le croyais.
"Le voici couronné branché, à présent il menace de s'électriser." Cette phrase de mon livre a-t-elle froissé les branchés ? Je ne connais pas les raisons de leur bouderie. Il faudrait sans doute le leur demander. Ou encore à leurs amis.
Ton roman met en scène de nombreuses personnalités médiatiques et pas nécessairement de manière très reluisante. Quelles ont été leurs réactions officielles ou officieuses ? As-tu eu le sentiment de déranger avec la sortie de ce livre ?
Nous ne vivons pas sous l'Inquisition. Le dérangement, en nos temps modernes, se mesure à l'aune du silence, entre autres, celui que l'on a pu m'imposer. Les coupures faites durant les émissions en différé, surtout celles portant sur la disparition de bandes magnétiques, sont franchement parlantes ! ! ! Quant aux réactions officielles, j'ai bien eu à faire à quelques hommes en robe, mais vu le lieu (Chez Carmen, merci Laurent) et l'heure (euh... du matin), je doute qu'il se soit agi d'avocats. En revanche en coulisses s'agite un monde de crabes, démarche de traviole et castagnettes. Quelques scènes savoureuses de corruption de l'intelligentsia parisienne par le monde du show-biz m'ont été rapportées par des amis bienveillants. Je ne manquerais pas de les intégrer dans de futurs textes. Encore merci aux crabes et aux précieux zélateurs.
Tu n'as pas hésité à parler dans ce livre de ta bisexualité et ton usage des drogues. Est-ce que ça choque encore les gens ? As-tu eu à faire face à des réactions négatives ?
Eh bien, la société française semble avoir évolué en dépit de ses politiciens, à la barbe de ses législateurs. Même mes parents ont relativement bien pris la chose. De toute façon, il ne s'agit en aucune manière d'une apologie, mais d'une " authenticité ", le récit interne d'une expérience extrême. Les gens ont aussi besoin de comprendre ce genre de vécu, ça leur évite d'avoir à s'y livrer eux-même, tout en éclairant les aspects les plus troublants de leur propre personnalité.
Les années 70 et 80 sont synonymes de drogue, de violence et de maladie et font un peu figure d'années sombres. Quelle vision en as-tu avec le recul ? Tu me parlais récemment de leur romantisme... Et que penses-tu l'époque actuelle ? Ne penses-tu pas que cette prétendue tolérance actuellement très en vogue a pour premier effet d'annihiler toute volonté de révolte ?
Les années 60 à 80 ont été à mon sens celles du radicalisme, dans un univers défini comme statique : les choses étaient pour toujours, et les gens n'étaient qu'une seule chose à la fois, une vision du monde caractéristique des derniers soubresauts du romantisme, cette maladie mentale qui a fait tant de mal à l'humanité. Aujourd'hui notre monde est devenu plus pragmatique, et considère le principe d'incertitude comme essence de l'univers. Cependant, la France d'aujourd'hui paraît empêtrée dans le passé de grande nation moderne qui a été le sien, sans se résoudre à aborder le présent. Comme souvent historiquement parlant, cette nation, mal à l'aise aux époques de changement, se réfugie dans son essence conservatrice, et développe une passion pour la restauration de villages en Dordogne au lieu d'ouvrir les vrais débats de société. La tolérance qui se donne aujourd'hui, au-delà d'un phénomène de mode bien réel, n'est que le reflet de l'incompréhension qui marque ce pays. Cette forme de tolérance n'a par ailleurs rien à voir avec celle pratiquée durant les " années noires " (comme tu dis), qui était une acceptation de l'autre, alors qu'aujourd'hui ce sont les attributs de l'autre que l'on respecte. Cela dit, la très large infiltration de ces concepts, même édulcorés, à tous les étages de la société, décrit une nette évolution de celle-ci. Il reste tout de même beaucoup à faire.
Ton personnage dans le roman est foncièrement rebelle. Te sens-tu toujours aussi révoltée ? Et si c'est le cas, qu'est-ce qui te dérange aujourd'hui ?
Toujours partisane de l'évolution permanente ! ! ! Ce siècle me réjouit, je le sens sous le signe de la mutation. Il est à souhaiter que le corset politico-administratif qui enserre la France se délace quelque peu... Beaucoup de choses me dérangent encore, et elles ont pour dénominateur commun d'être le fruit conflictuel d'un emplâtre de loi obsolète sur langue de bois. La société française n'est pas considérée par ses dirigeants en tant que telle mais par rapport à l'image qu'elle est censée donner. L'état paternaliste ne distribue donc que peu de bons points à son enfant toujours plus rebelle. On en vient à douter de la nature réellement démocratique du gouvernement en France. Une chose qui par exemple m'indigne est le cynique leurre démocratique que représente le vote blanc, dans l'absolu une idée magnifique, donner aux citoyens l'occasion d'exprimer directement leurs doutes quant à la forme de gouvernement. Hélas dans la pratique, les votes blancs sont comptabilisés avec les chiffres des abstentionnistes, et de surcroît ne débouchent sur aucune réalité civique. Il s'agit donc bel et bien d'une véritable arnaque politicienne. Dans un de mes rêves, nous serions des milliers place de la Bastille, tous vêtus de blanc, à agiter des grands drapeaux blanc dans le vent pour exiger l'avènement de l'opposition directe par le biais du vote blanc et des référendums populaires, rendus réalisables grâce aux nouvelles technologies.
Vivant depuis plusieurs années à Barcelone, quelles sont tes impressions sur la société française maintenant que tu as fréquemment l'occasion de revenir à Paris ?
J'entretiens des relations amoureuses avec les villes, qui me sont toujours d'essence féminine. Je les pénètre de nuit, par leurs passages secrets, de jour je foule inlassablement les artères qui les ouvrent. Retrouver Paris, c'était relier avec une vieille amante, dont on connaît encore les habitudes, mais dont on a oublié les gestes. Il faut alors revenir au langage de la ville, comme à une équation irrésolue, à laquelle ont été adjointes de nouvelles inconnues. La pollution est ce qui me choque au matin. A peine ai-je mis le nez dehors que mes yeux pleurent, et pourtant pour mes amis, il ne s'agit que d'une réalité. Tout comme cette brutale indifférence, qui a pris la place du légendaire savoir-vivre. Indifférence ici aux flics armés de mitraillettes dans le métro parisien, indifférence au gaillard pissant son sang un soir rue de Lappe, alors que les noctambules l'enjambaient joyeusement. Indifférence à l'Europe, dont la France est pourtant l'un des promoteurs : les résidents étrangers n'ont pas le droit de vote aux élections locales, ce qui est un véritable scandale contrevenant aux directives communautaires. Indifférence à sa propre beauté : Paris, lieu obligé de métissage, a donné naissance à des enfants qu'elle se refuse à reconnaître. Dans les quartiers multiethniques comme la Goutte-d'Or se concocte une culture unique, globale, et pourtant bien française, dont on fait fort peu de cas. Je suis donc attristée par ces retrouvailles, une occasion de réaliser que Paris ne parvient pas à transformer l'essai et à se donner les moyens de mettre en valeur son potentiel. Enfin, la signalétique urbaine est à chier, laide, terne, et peu pratique, une illustration graphique des volontés administratives de laisser les administrés dans l'ignorance de ses voies impénétrables.
Les lecteurs de La Spirale qui ont lu ton roman ont pu être étonnés par son univers très différent de celui de tes deux nouvelles publiées sur ce site. Est-ce que tu comptes revenir vers ce genre assez proche de la science-fiction prospective ?
Oui, j'ai presque achevé (dans le train Talgo Paris-Barcelone) un recueil de nouvelles ayant trait à cette forme de réalisme fantastique. Ce pourrait être de la science-fiction si ce n'était si proche de notre quotidien.
Comme je le disais plus haut, tu t'occupes aussi de plusieurs sites dont le Flyer Center BCN et tu t'intéresses de près aux e-books. Parles-nous de ces projets...
Je terrorise mon éditeur par l'avalanche de projets qui me caractérise. Pendant toutes ces années de noire galère, je n'ai pas fait que pleurer, et ai amassé un matériel considérable. J'ai deux autres romans en préparation. Mais le Net m'excite aussi formidablement, c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que nous pouvons tous communiquer ensemble, presque simultanément. Un nouveau support signifie aussi un nouveau mode d'expression. Je vois par ailleurs la programmation (et tout spécialement le language JavaScript) comme un phénomène linguistique. Mon site Flyer Center BCN est une sorte de musée du Flyer et donc de la propagande. Après un an d'existence, il vient d'être sponsorisé et hébergé par le CCCB (Centre pour la Culture Contemporaine de Barcelone). Quand en 1997 j'ai organisé le premier concours international de flyers on-line, je ne m'attendais pas à cette reconnaissance. Quant à l'e-book, il m'intéresse peu. J'y vois cependant un outil idéal pour la documentation (adieu les 50 volumes de l'Universalis). Rien d'électronique ne pourra jamais égaler cet instant d'émotion où l'on ouvre un livre neuf et, entre le crissement du papier et les vapeurs de l'encre, l'histoire vous monte à la tête. Par ailleurs, il est tout aussi inintéressant de regarder du théâtre filmé que de lire Faulkner sur un e-book. En revanche, les nouveaux modes de création littéraire liés à l'électronique me passionnent, et c'est dans cet optique que j'ai voulu créer un hyperoman, Edward_Amiga, qui ne peut se lire qu'électroniquement. J'ai tenté d'utiliser des événements JavaScript comme éléments linguistiques et part intégrante de la narration, linéaire. J'ai aussi un site sur la maladie de la Vache Folle que je tente de maintenir à jour au rythme trépidant de l'actualité dans ce domaine. Et enfin, j'ai réalisé une ébauche de x-zine (je gardais le meilleur pour la fin) , zine autour de la culture du sexe, présentant des textes, des manifestes, des photos bien sûr, comme celles de l'excellent Mr Lee Higgs, des tableaux, etc ... Malheureusement, ce site est encore en l'état de maquette, en l'absence de moyens financiers. Sponsors hédonistes, ne ratez pas l'occasion ! ! !
Comment vois-tu le futur maintenant que tu es une personnalité du monde littéraire français ? Un appartement confortable dans le quartier de Saint-Germain des Près, une table réservée aux Deux Magots et des invitations pour les vernissages du Centre Georges Pompidou ?
Je pense plutôt à une péniche au port de l'Arsenal, avec une barque pour aller voir les concerts au Batofar. Quant aux restaurants, j'aime trop la bonne cuisine pour aller me perdre dans les vitrines de la littérature, de surcroît à présent hantées de Japonais avides de sensations fortes (je m'assieds sur les chaises de paille jaune et verte face à l'église St-Germain, et je sens Simone et Jean-Paul descendre en moi). Mais je crois que je préfère encore un billet tour du monde open avec 5 escales, merci.
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