SHAZZULA « UNIVERS PARALLELES, PSYCHEDELISME SOMBRE & CINEMA UNDERGROUND »


Enregistrement : 23/02/2022

Aux frontières du réel, vers un infini d'autres possibles ? L'artiste belge Sharon Schievers - alias Shazzula - côtoie des dimensions aussi parallèles qu'improbables, qu'elle documente au travers de ses projets picturaux, musicaux et audiovisuels.

Un univers dont ma découverte remonte à la projection de Black Mass Rising, lors de l'édition 2012 de L'Étrange Festival. Avalanche visuelle et sonore à l'occasion de laquelle cette « amatrice de délires occultes et de messes noires » rendait hommage au cinéma underground, à Kenneth Anger et à Maya Deren, dans un déferlement d’éruptions volcaniques, de temples inconnus et de rites obscurs.

Près de dix années ont passé depuis cette épique séance dans les entrailles du Forum des images. Période d'une riche créativité pour Shazzula qui a depuis rejoint les musiciens de Wolvennest dans leurs expériences métalliques sombres et enchaîné les créations, dont The Spirits Trilogy une trilogie de films hallucinés en cours de réalisation entre la Mongolie, l'Islande, l'Écosse, le Pérou, le Mexique et l'Irlande.

Jusqu'au chaos de ce début d'année 2022 qui souligne plus que jamais la nécessité d'opérer un réenchantement de nos mondes intimes, de faire sécession avec une réalité consensuelle prise en otage par des pathologies mortifères.


Propos recueillis par Laurent Courau. Portrait de Sharon Schievers par Sergio Albert Ruiz, image de frise extraite de L'Envol - The Essor. Entretien conclu quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, raison pour laquelle nous n’évoquons pas ce nouveau tournant historique dans notre petit tour d'horizon apocalyptique.




Nous démarrons cet entretien au tout début de l’année 2022, dans un climat anxiogène marqué par une série de crises économiques et environnementales, renforcé par deux années de pandémie à l’échelle mondiale. En tant qu’artiste et qu’être humain, comment ressentez-vous l’époque si particulière que nous traversons ?

Avec autant de sérénité que possible, mais ce ne fut, évident, pas toujours facile à gérer. Je me nourris de l’énergie du moment, du spontané, de la beauté des rencontres. En deux ans, il y en a, forcément, eu beaucoup moins qu’avant. Mais l’anxiété, on la choisit, on l’accueille. On peut aussi la balayer d’une main et continuer de creuser notre chemin, qu’importe ce qu’il se passe autour.

J’ai malgré tout eu de la chance, puisque je suis bien entourée. Wolvennest a pu faire de belles dates,  j’ai l’opportunité de travailler sur des clips pour des artistes aux intentions pures, et je continue à tracer mon petit sentier. Et même si la période n’est pas la plus optimiste qu’on ait connue, j’espère qu’elle donnera naissance à des œuvres à l’énergie nouvelle, un peu partout sur Terre.



© Gui Brigaudiot

Sachant que tous ces univers sont bien sûr interconnectés… (sourire) Bien que n’ayant pas encore eu la chance de voir Wolvennest sur scène, on trouve d’excellents témoignages audiovisuels de vos prestations sur Internet. Je pense notamment aux images de votre concert du Tyrant Fest, en 2019 dans les Hauts-de-France. Quelles énergies vous traversent dans ces moments particuliers ? Que ressentez-vous face au public, au sein de ce dispositif vibratoire impressionnant ?

Énormément de gratitude ! Avec Wolvennest, on n’a JAMAIS démarché qui ou quoi que ce soit. Tout s’est fait naturellement, et du coup, on ne doit rien à personne. On est toujours resté éloigné du cirque des grosses agences, des « circuits » qui permettent d’accéder au mainstream etc. L’attitude est pure, très underground, et c’est fantastique de se dire qu’il est encore possible de faire son bonhomme de chemin à l’ancienne, grâce à la musique et à des concerts lors desquels on donne tout. Je ne peux que remercier le public pour son ouverture d’esprit. Nos chansons sont longues, et demandent un certain état d’esprit pour plonger dedans. On n’aurait jamais pensé, aux débuts du groupe, pouvoir vivre autant de moments magiques.

En quelques années, on a eu de splendides opportunités, avec de très belles rencontres humaines à la clé. J’espère donc que les prochaines années nous permettront de continuer à tracer ce chemin éthéré et qu’on espère hors du temps.



Wolvennest, en concert au Tyrant Festival (2019).

Au-delà de votre intérêt pour le cinéma underground, pour la musique industrielle et certains courants musicaux des années 1960 et 1970, références évidentes dans votre travail, d’où vous vient votre connexion particulière avec l’occulte, avec ces dimensions parallèles que l’on retrouve dans la plupart de vos projets artistiques, musicaux et cinématographiques ? Sachant que tous ces univers sont bien sûr interconnectés… (sourire)

L’occulte, c’est ce qu’on ne voit pas mais qu’on ressent. On peut donc le retrouver sous bien des formes. Il a toujours existé et existera toujours. Les humains n’ont pas la faculté à tout comprendre, tout percevoir, mais on peut au moins « ressentir » et interpréter. L’occulte joue cette fonction, il crée des chemins, des portails, apporte du piment. Mais s’il est juste là pour décorer et cacher le vide, il est futile. J’ai besoin de comprendre ce que je ressens, et l’occulte m’apporte parfois une grille de lecture, même s’il n’est pas une fin en soi, juste un moyen.



Visuel extrait de The Spirits Trilogy © Sharon Schievers

The Spirits Trilogy se présente comme une trilogie de films, tournés ou en attente d’être tournés en Mongolie, en Islande, en Écosse et en Irlande, puis destinés à être présentés sous forme d’installation. Qu’est-ce qui a motivé le choix de chacune de ces régions, à l’énergie et aux traditions bien spécifiques ?

Ça va sonner cliché: « Quand j’étais petite… » (sourire) je rêvais de marcher « partout », je voulais voyager, visiter toutes les forêts et contrées du monde entier. J’ai réalisé ce rêve en partie en réalisant ce projet. Je suis passée d’une idée simple à un projet presque utopique. Le premier voyage a été réalisé en Islande et nous avons eu énormément de problèmes techniques, une météo difficile qui nous a bien pourri notre périple. Le deuxième voyage fut la Mongolie, le film est sorti en DVD.

En prévision : l’Ecosse et l’Irlande, le Pérou et le Mexique. Peu de temps après la réalisation de Black Mass Rising (120 minutes), j’ai voulu travailler l’image d’une autre manière, la trilogie est conçue pour être projetée en boucle dans un espace, une présentation visuelle mais aussi « sonore ». Un projecteur par film, le tout diffusé en synchronisation, les trois bandes-sons formant une quatrième dans l’espace. La durée de chaque film serait de 33 minutes et 33 secondes, comme c’est déjà le cas pour L’Envol - The Essor. J’ai rencontré Laetitia Merli, anthropologue, après une conférence qui s’est tenue à Paris en 2001, je l’ai écouté parler sur le chamanisme en Mongolie, et ce fut pour moi comme une évidence : je devais découvrir ce pays de mes yeux, avec ma caméra.



Image extraite de Black Mass Rising © Sharon Schievers

Lors d’une interview accordée à Psychedelic Baby, vous évoquiez un intérêt « obsessionnel » pour l’Apocalypse, motif de rêves récurrents. Du coup, je ne peux que m’interroger sur votre rapport à l’Apocalypse, sur ce que ces visions peuvent signifier pour vous ?

J’ai été bien malgré moi face à ce que la nature humaine a de plus vile depuis que je suis née. J’ai probablement développé des mécanismes de survie, un peu de parano et là où la majorité verra le verre à moitié plein, je le verrai vide et fêlé. Ces rêves, ces visions, ce n’est peut-être rien de plus qu’un mécanisme d’autodéfense qui me permet de faire face à l’adversité et de survivre.

Plus concrètement, l’humanité et la vie sur Terre vont faire face à un siècle de tous les dangers. Les guerres passées, la maladie, c’est « notre » problème. Mais la vie sur Terre, c’est notre responsabilité. On devrait la protéger, la chérir, la préserver. Elle était là avant nous et sera là après. L’Apocalypse viendra de nos mains et de notre manque de cœur. Je vous laisse donc imaginer ses innombrables variantes, avec la race humaine comme point de départ. L’Apocalypse m’angoisse, comme sans doute tout un chacun, mais sentir son souffle me fait aussi profiter de chaque moment comme si c’était le dernier. Je ne veux pas disparaître avec des regrets et encore moins des frustrations.



Visuel extrait de Black Mass Rising © Sharon Schievers

La question des mécanismes de survie me semble rien moins qu’essentielle. Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux d’entre nous qui éprouvent des difficultés face à l’adversité et aux tensions qui animent la période étrange que nous traversons ?

Je ne vis pas en France, mais j’ai l’impression que le climat est bien plus anxiogène chez vous qu’en Belgique. Je n’ai pas de réel conseil à donner, je présume que chacun fait au mieux pour garder la tête hors de l’eau, même si on se ramasse tous des murs. La création est bien entendu une belle échappatoire. Personnellement, quand je fais de la musique ou des vidéos, j’ai chaque fois l’impression de pénétrer dans un univers hors du temps, loin de tout ; ça fait un bien fou et cela me permet de garder mentalement le cap.

Dans les sociétés traditionnelles, le rôle du chaman était d’intercéder entre les humains et le monde « spirituel », caractérisé par les esprits de la nature dans ces civilisations pré-industrielles. Est-ce que ce rôle ne reviendrait pas aujourd'hui aux artistes, dans le monde post-moderne qui est le notre ?

Chacun a le pouvoir de ressentir l’invisible. Pas uniquement les membres de sociétés traditionnelles. Vu la période qu’on vit, il y aura beaucoup d’escrocs et d’âmes sombres qui s’improviseront chamans. Depuis quelques années, ils pullulent, il faut donc être prudent avec ce terme, qui englobe aussi bien des esprits aux bonnes intentions que des charlatans. Ils répondent sans doute à ce mal-être collectif et à cette quête de sens.

Les artistes décrivent le monde, ou les mondes, au travers de leurs créations. Parmi eux, il y a aussi des charlatans. L’art, en tant que « marché » perd de sa substance. J’ai donc beaucoup d’estime et de respect pour ceux qui tracent leur chemin, en prenant des risques. Il faut être sincère et presque désintéressé dans sa démarche. Si ces conditions sont réunies, alors oui, les artistes peuvent jouer ce rôle de lien entre le monde matériel et l’invisible. Certaines œuvres peuvent changer des vies, créer des vocations, apporter un sentiment de magie et d’élévation.



Couverture de l'album Void (2019) de Wolvennest, par Bobby Beausoleil.

Puisque nous évoquons le sujet, quels sont les artistes passés ou contemporains, voire les oeuvres à l’énergie nouvelle que vous évoquez plus haut, qui vous nourrissent aujourd’hui comme hier ? Au-delà de Kenneth Anger que tout le monde semble vouloir vous attribuer (sourire), j’ai noté que vous citez Maya Deren parmi vos références et que vous avez collaboré avec Bobby Beausoleil, que ce soit pour le clip de « Nature Boy » ou la pochette de l’album Void de Wolvennest…

Bobby Beausoleil est un artiste que je respecte énormément. Malgré les circonstances, il ne lâche rien et parvient à continuer de créer. J’ai eu l’opportunité de le rencontrer en 2017, et j’ai enchainé peu après avec le tournage de « Nature Boy », et sa version que j’aime beaucoup.

L’album Void a fait toute la différence pour Wolvennest, et je suis très heureuse qu’on soit à jamais liés par cette belle pochette, qui correspond à 100% à la musique. Les artistes que vous mentionnez sont entiers, avec une vision « totale ». L’identité y est forte, sans compromis, c’est réellement ça que j’aime dans leurs démarches. D’autres noms : Douglas Gordon, Martin Arnold, Bouschet-Hilbert.



Image extraite de L'Envol - The Essor © Sharon Schievers

Vous évoquiez plus haut les prochains volets de The Spirits Trilogy, à filmer en Écosse et en Irlande, puis au Pérou et au Mexique. On imagine que ces tournages sont actuellement reportés pour cause de pandémie. Quelles sont donc les projets artistiques qui vous occupent en ce début d’année ?

Je viens de terminer un clip pour une artiste suédoise. J’y ai pris beaucoup de plaisir, ce fut un vrai bol d’air, et je suis heureuse du résultat final. Il devrait être en ligne dans les deux prochains mois si je ne me trompe pas. A chaque montage, j’explore de nouvelles pistes avec pour but de m’améliorer. Ce n’est jamais acquis, il faut se remettre en question et toujours viser mieux.

Accessoirement, je crois qu’on va tout doucement entamer un nouveau chapitre avec Wolvennest et se plonger dans un nouvel album. Je travaille également sur un court métrage écrit par Daniel Dujeux, avec qui j’ai déjà travaillé sur Visions partielles de l’Enfer. Après le montage video, je me concentrerai, avec Corvus de Wolvennest, sur la soundtrack.

Profitons de l’égrégore de La Spirale et des individus un peu étranges qui constituent son lectorat pour invoquer de belles énergies. (sourire) Que peut-on vous souhaiter de mieux pour les temps à venir ? Et que souhaiteriez-vous en retour au monde qui vous entoure ?

Je souhaite que la nuance, la bonté, l’écoute et le partage l’emportent sur le « je ». Cette individualisation exacerbée est le plus grand danger qui guette notre espèce et, par conséquent, toutes les espèces. C’est facile de constater que nous allons dans une mauvaise direction, possiblement définitivement.

Mais on a tous, à notre échelle, cette capacité à partager des sourires, des rires et de la gentillesse. Accessoirement, c’est gratuit. Ce ne serait qu’un début bien naïf, mais ce serait déjà une bonne base pour avancer sur des chemins sombres.



© Thomas Huntke



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Titre : SHAZZULA « UNIVERS PARALLELES, PSYCHEDELISME SOMBRE & CINEMA UNDERGROUND »
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Aux frontières du réel, vers un infini d'autres possibles ? L'artiste belge Sharon Schievers - alias Shazzula - côtoie des dimensions aussi parallèles qu'improbables, qu'elle documente au travers de ses projets picturaux, musicaux et audiovisuels.

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