ADAM PARFREY « APOCALYPSE CULTURE »


Enregistrement : 21/12/2013

« Livres de qualité pour sujets interdits... » Rarement un slogan commercial se sera avéré aussi pertinent que celui-ci, tant notre invité du jour se distingue par son jusqu'au-boutisme. Un engagement et une éthique de travail qui lui valent la révérence de dizaines de milliers de lecteurs à travers le monde, depuis ses premiers pas en 1986.

Certains entretiens éveillent des lointains souvenirs. Comme c'est le cas ici avec Adam Parfrey, étiqueté comme l'éditeur le « plus dangereux des États-Unis » et auteur du séminal Apocalypse Culture, déniché en 1991 lors d'un premier séjour à New York, sur les rayonnages de See Hear Fanzines Magazines & Books.

Loin de s'en être tenus à ce seul fait d'arme, Parfrey et sa maison d'édition, Feral House (anciennement Amok Press), défraient la chronique depuis près de trois décennies, avec un florilège vertigineux de ce que l'époque compte de pire et de plus bizarre : niches culturelles étranges, ouvrages de référence sur le black metal et le hardcore punk, Histoire secrète et anciennes religions, dictatures psychiques, conspirations militaro-industrielles et médication de masse.

Une politique éditoriale qui lui aura valu les foudres du FBI pour la publication en 1998 du livre The Oklahoma City Bombing and the Politics of Terror de David Hoffman, et plus généralement une aura sulfureuse renforcée par la proximité d'autres grands agités souterrains, tels que Boyd Rice, Jim Goad (éditeur du fanzine Answer Me !) ou l'écrivain Peter Sotos.


Propos recueillis par Laurent Courau.




Je ne doute pas que l'on vous ait déjà posé cette question à de nombreuses reprises. Mais qu'est-ce qui arrive encore à éveiller votre intérêt, après toutes ces années et tous ces livres ?

Le monde est grand et ne manque pas de matériel inconnu ou oublié. Il n'y a donc pas de pénurie de choses à faire.

Vous avez vécu durant de longues années à New York, puis à Los Angeles, dans le quartier de Silver Lake (premier quartier général historique de la firme Disney, depuis les années 1930). Qu'est-ce qui vous a motivé votre installation loin des grandes villes, à Port Townsend* ?

Le milieu de l'édition à New York ne s'intéresse qu'à des histoires d'intermédiaires, de bureaux, de rendez-vous avec des agents et de ce que risque de dire le New York Times... Honnêtement, je me fous pas mal de tous ces trucs... Tout ce qu'il me faut, c'est mon ordinateur, un téléphone et une adresse postale. Et c'est vraiment tout ce dont j'ai besoin. Je préfère vivre dans un endroit où je peux cultiver ma nourriture et promener mon chien.

[ NDLR : Les connaisseurs apprécieront de savoir que Port Townsend avait précédemment servi de refuge à Loompanics Unlimited, autre maison d'édition atypique et controversée. Loompanics s'était fait une spécialité d'éditer des ouvrages consacrés à la drogue, au sexe, aux armes à feu, à l'anarchisme ou aux théories de la conspiration, ainsi que de rééditer certains black books et autres manuels de guérilla ou contre-insurrection. Leurs publications sont évoquées lors de la première interview de Maurice G. Dantec, publiée en 1996 sur La Spirale. ]

J'ai eu l'occasion de lire quelques lignes sur le Journal of Unpopular Views et votre intérêt pour Jean Genet, Louis-Ferdinand Celine et Wilhelm Reich dans les années 80. Qu'aviez-vous en tête lorsque vous avez démarré le premier volume d'Apocalypse Culture ?

Apocalypse Culture a pris sa source dans tous les trucs bizarres que je pouvais découvrir à cette époque, bien avant l'arrivée d'Internet... des choses que vous ne pouviez pas trouver ailleurs. Et il m'a fallu tisser un fil rouge commun à tous ces éléments disparates... qui m'ont semblé participer d'un état d'esprit apocalyptique.

De manière générale, quelles étaient vos références culturelles, musicales et littéraires comme adolescent et jeune adulte ?

Ma famille était impliquée dans le théâtre et le cinéma*, mais je m'en suis éloigné. J'ai par la suite trouvé un travail qui me permettait de passer en revue tous les jours des milliers de livres et de revues. Ce qui m'a beaucoup appris.

[ NDLR : Woodrow Parfrey, le père d'Adam Parfrey était acteur de profession. Il est apparu, entre autres films, dans La Planète des singes, Dirty Harry ou Bronco Billy. Sa mère était quant à elle professeur de diction. ]

Il y a certainement des personnes qui jugent votre politique éditoriale comme étant immorale. Pensez-vous qu'il n'existe pas de livre immoral ou embrassez-vous au contraire cette immoralité ?

Je crois en la Règle d'or ; Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent. Et je ne crois pas que cette philosophie simple soit immorale. Rechercher la vérité me semble participer d'un but plus moral qu'immoral.

Vous avez consacré deux livres à la Process Church of The Final Judgment*, que l'on retrouve également sur votre catalogue au travers de CDs, de t-shirts et même de bijoux. Qu'est-ce qui motivé votre enthousiasme pour ce groupe religieux ? Jusqu'à écrire dans votre introduction du livre Love Sex Fear Death que nous vivons de nouveau dans le monde de la Process Church.

La Process Church adopte une approche apocalyptique et imaginative de la vie... Ce qui m'attire plus que n'importe lequel de ces cultes abrahamiques que sont la chrétienté, l'islam et le judaïsme.

[ NDLR : La Process Church of The Final Judgment, également connue sous le diminutif The Process, fut très active dans les années 60 et 70. Au départ londonien sous l'impulsion de ses fondateurs, Mary Anne et Robert DeGrimston, le groupe a essaimé en Europe et en Amérique du nord. La doctrine religieuse de la Process Church plaçait le Christ et Satan sur un pied d'égalité, dans un esprit de réconciliation en vue de la fin des temps. Après de longues errances qui auront vues certains de ses membres s'intéresser de près à L'Anti-Œdipe de Gilles Deleuze, la dernière incarnation reconnue du groupe est une organisation de défense des droits des animaux de l'ouest des USA, la Best Friends Animal Society. ]

Je me souviens du peintre Joe Coleman m'exprimait son plaisir de vivre aujourd'hui et d'avoir la possiiblité d'assister à la fin d'un monde. Quel est votre point de vue sur la situation actuelle ? Considérez-vous toujours, comme vous l'aviez dit dans une interview, que vous bénéficiez d'un fauteuil au premier rang pour l'apocalypse ?

Je n'ai pas envie de donner mon avis sur l'état du monde.

Pourriez-vous au moins nous expliquer pourquoi vous refusez de nous donner votre opinion sur l'état actuel du monde ?

La question me place dans le rôle d'un prophète ou d'une diseuse de bonne aventure. Étant ni l'un ni l'autre, je préfère passer cette question.


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