ASCENDANT VIERGE « L'INFLUENCE MULTIMÉDIA »
Enregistrement : 17/10/2020
Mise en ligne : 17/10/2020
De la création du projet en passant par l’emprise des réseaux sociaux, jusqu’au contexte actuel de crise sanitaire, le duo aborde dans cet entretien leur rapport à la création multimédia.
Propos recueillis par Nicolas Ballet.
Portraits d'ascendant vierge par Nicolas Ballet.
Comment s’est constitué ascendant vierge ?
Paul Seul (PS) : On s’est rencontré d’une manière assez simple. Mathilde m’a proposé de remixer son morceau « Oubliette » pour son EP Hyperstition (2018). Je l’ai fait assez vite et la collaboration s’est bien passée. On s’est dit qu’il fallait qu’on tente d’autres projets. On a donc travaillé dans un premier temps à distance, en s’échangeant des fichiers par Internet, avant de se voir en vrai. L’idée du projet est venue comme ça.
Lorsqu’on écoute « Où sont nos rêves ? », « Influenceur », ou encore « Faire et Refaire », on sent vos deux influences spécifiques : entre culture gabber et chant lyrique. Est-ce que ce mélange des genres a modifié votre rapport à la création ?
PS : C’est la première fois que je travaille avec une voix comme celle de Mathilde. J’ai beaucoup fait de rap avant, donc la chanson me manquait un peu : j’ai presque plus de facilité à composer des structures de chansons qu’à créer des morceaux de techno. J’ai donc retrouvé quelque chose de cet ordre-là à travers l’univers de Mathilde, qui est complètement nouveau pour moi.
Mathilde Fernandez (MF) : Il y a un croisement et parfois une inversion dans les réflexes entre Paul et moi. En faisant ce projet avec moi, Paul, qui vient du milieu hardcore/gabber, pensait expérimenter de nouvelles voies sonores, peut-être un peu plus posées. À l’inverse, j’avais envie d’aller vers des sons plus hardcore, ce qui me permet de reconnecter avec les musiques que j’écoutais quand j’étais ado : metal et hardtech, notamment. C’est quelque chose qui ne se ressent pas forcément dans la musique que je crée sous mon nom. Donc parfois Paul aurait tendance, lorsqu’on travaille ensemble, à aller vers des sons plus doux, et moi je le pousse à aller vers des éléments plus hard. Il y a des inversions qui peuvent être assez surprenantes.
ascendant vierge, (Paul Seul & Mathilde Fernandez), septembre 2020.
Photo Nicolas Ballet.
Vous collaborez avec de nombreux artistes pour la conception de vos vidéos, dont Kevin Elamrani-Lince et Golgotha pour la réalisation du clip « Influenceur ». Pourriez-vous revenir un peu sur cette expérience ?
PS : J’avais déjà travaillé avec Kevin Elamrani-Lince pour l’un de mes clips avec mon collectif Casual Gabberz. C’est un artiste que j’apprécie humainement et vers qui je me suis tourné naturellement pour notre première vidéo avec ascendant vierge. J’ai montré son travail à Mathilde et il a en quelque sorte posé les bases visuelles, même si on avait déjà fait quelques shootings photo.
MF : Nous avons aussi travaillé avec le collectif dédié aux nouveaux médias Golgotha et avec l’un de ses acteurs majeurs, Killian Loddo, qu’on connaissait déjà avant. Il nous avait contacté lors de la sortie de notre premier titre il y a un an, en nous disant qu’il avait adoré le morceau et qu’il espérait un jour pouvoir travailler sur l’un de nos projets. La collaboration entre Kevin et Golgotha était donc évidente.
PS : Golgotha a mené toute une réflexion autour du concept d’« influenceur », en invitant des instagrammeurs à participer à l’élaboration du clip. Ils se sont pleinement investis en faisant travailler l’ensemble de leur réseau.
ascendant vierge, Influenceur, vidéoclip réalisé par Kevin Elamrani-Lince & Golgotha, extrait, 2020.
L’utilisation de filtres virtuels et de harnais à selfie dans « Influenceur » interroge justement l’emprise des réseaux sociaux sur les individus, un peu comme les œuvres post-Internet de Ryan Trecartin. On peut aussi penser au lien entre l’influence de l’ascendant sur le signe astrologique qu’on retrouve dans le nom du projet, et le phénomène des influenceurs. Pourriez-vous revenir sur l’histoire de ce morceau ?
PS : Au départ, je l’avais appelé « The Opportunist », rappelant ironiquement le projet de hardcore The Horrorist. J’ai composé la production lorsqu’on a commencé à travailler ensemble avec Mathilde, qui a écrit les paroles assez rapidement.
MF : Le texte est arrivé très vite. Je n’écris pas tous les jours, mais quand je suis lancé ça va assez vite en général. Il y avait donc ce nom de code de fichier, « The Opportunist », qui interfère toujours un peu dans la manière dont je conçois l’écriture. C’était aussi un moment où je m’intéressais à ce phénomène d’influence, dans lequel je pouvais mélanger le domaine de la poésie et l’actualité des nouvelles générations.
PS : C’est aussi un titre qui est sincère car il parle de nous.
MF : La route de la gloire m’a toujours fascinée aussi. C’est quelque chose qui apparaît dans mon premier EP Live à Las Vegas (2015) et notamment dans le refrain du morceau « Egérie » : « Elle voulait être une égérie aux États-Unis. Au lieu de cela, elle est devenue star de la pornographie en Italie. » Il s’agit toujours des mêmes recherches avec « Influenceur » en un sens : interroger la façon dont la célébrité s’installe de manière différente aujourd’hui, en devenant influenceur, en portant des fringues cool et en se photographiant sur Insta pour avoir un maximum de visibilité. Le texte d’« Influenceur » traite de ces questions. C’est le premier morceau qu’on a écrit : on a décidé de créer le groupe en septembre 2018 et j’ai écrit les paroles en janvier.
PS : On voulait être capable de faire des concerts rapidement, on avait donc des morceaux d’avance pour la scène.
ascendant vierge, Faire et Refaire, vidéoclip réalisé par Kevin Elamrani-Lince, extrait, 2020.
Le visuel de l’EP Influenceur a été réalisé par Killian Loddo. Est-ce que vous envisagez d’autres collaborations à l’avenir pour la conception de vos artworks ?
PS : Le prochain clip sera conçu par un autre réalisateur avec un univers différent, et la pochette de notre EP Vierge, qui paraîtra fin septembre, sera une photo de Victoria Hespel, chanteuse du groupe The Pirouettes.
MF : On s’est orienté vers quelque chose de plus aseptisé avec cet EP, dont le nom Vierge se prête bien à un univers plus épuré, tout simplement.
Pour ce qui est de l’esthétique globale du projet (accessoires, mises en scène, traitement de l’image), on retrouve à la fois l’héritage de la cyberculture des années 1990, qui rappelle certains films d’anticipation comme Strange Days (1995), ou Le Cinquième élément (1997) – notamment pour la Diva Plavalaguna qui rappelle les envolées lyriques de Mathilde –, mais aussi toute la culture gabber de cette même époque…
MF : Le Cinquième élément est notre référence ultime en effet !
PS : On s’est beaucoup inspiré de l’univers de la science-fiction et du domaine de l’astronomie. On a regardé des dessins de planètes et de galaxies lors de la création du groupe.
MF : Pour le projet de pochette du single Influenceur, on était déjà en train de travailler en amont sur le clip. On a laissé carte blanche à Killian Loddo pour la pochette, nous n’avions pas vraiment d’attente. La composition du visuel est tellement riche que nous avons ensuite utilisé certains de ses éléments ailleurs : l’un d’entre eux est le papillon posé sur le visage représenté. On retrouve l’image du papillon dans le clip, qui a été récupéré par notre styliste Natàlia de Assis, en faisant tout un travail vestimentaire pour les costumes des danseurs à partir de ce motif. On l’a aussi récupéré pour notre t-shirt, dont certains éléments ont été assemblés par Killian.
PS : Que ce soit Kevin, Natàlia, ou Killian, chacun apporte des petits briques qui nous permettent de construire l’ensemble. Dans le clip « Faire et Refaire » par exemple, on me voit avec un iPad au début de la vidéo et c’est quelque chose qu’on pourrait peut-être intégrer à nos concerts : je pourrais quitter les platines pour me déplacer sur scène avec l’iPad. Les éléments apportés par les personnes avec qui on travaille rebondissent bien avec notre pratique.
MF : On a aussi pas mal d’expérience chacun de notre côté, que ce soit dans la musique ou dans le domaine de la performance. C’est le cas du projet sur lequel j’ai travaillé avec mon amie Cécile di Giovanni où on créait de toute pièce l’imagerie. Paul bosse aussi sur ses propres visuels avec Casual Gabberz, mais aussi sur les artworks des autres productions du label. Et je crois que ça nous a fait du bien de laisser la place à ces artistes qu’on a rencontré dans nos parcours respectifs et en qui on a confiance. On construit tout ça ensemble pour voir le projet évoluer.
ascendant vierge, Faire et Refaire, vidéoclip réalisé par Kevin Elamrani-Lince, extrait, 2020.
Dans le morceau « Faire et Refaire », qu’est-ce qu’il y a à faire et à refaire ?
MF : Lorsque j’ai écrit ce morceau, on avait déjà composé la production depuis un moment, et l’écriture traînait un peu. Je n’arrivais pas à saisir ce qui allait se passer dans ce morceau. Habituellement, je crée des lignes vocales sans texte pour commencer et il y avait ce refrain qui sonnait un peu comme « faire et refaire ». Au départ, je me disais que c’était un peu étrange, et c’était tellement présent que je ne pouvais plus contourner l’expression, ce qui fait que je l’ai gardée sans vraiment connaître tout de suite sa signification. Finalement, cette écriture est arrivée comme un combat contre la procrastination, car je n’arrivais pas à m’y mettre sur le moment tout simplement. Mais le titre « Faire et Refaire » peut parler de pleins de choses différentes en réalité : le morceau peut évoquer le courage ou les addictions. Dans notre sondage, le sexe était au centre des commentaires. Notre manager, un jour comme ça, très sûr de lui, nous a dit : « De toute façon "Faire et Refaire" ça parle de sexe. Je vois ça de manière freudienne. » Il nous a dit ça juste avant de monter sur scène… on était choqué ! (Rire). Et cet aspect se retrouvait pleinement dans le sondage. Certaines personnes nous ont aussi écrit de beaux textes d’interprétation.
PS : On a aussi reçu un montage d’images d’ouvriers conçu par un étudiant qui, à l’occasion d’un workshop, avait rassemblé des vidéos de productions à la chaîne. Il avait compilé des images d’usines et ça marchait très bien avec l’idée de « Faire et Refaire ».
Vous avez donné un concert à Paris début septembre. Comment avez-vous appréhendé cette date dans un contexte de crise sanitaire ?
PS : C’est assez compliqué de savoir quelle attitude adoptée par rapport à l’organisation des concerts qui, bien souvent, s’annulent à la dernière minute en ce moment. On n’est pas tout à fait capable de faire un vrai spectacle pour le moment, car je ne sais pas si j’ai vraiment envie de jouer devant des gens assis et masqués… Je me demande aussi si j’ai envie de participer à ce mensonge qui laisse croire qu’on a repris le boulot alors que non, qui laisse aussi croire au public que les conditions sanitaires sont respectées alors que non, le tout dans des événements payants et dans lesquels les cachets des artistes sont divisés par dix, mais pas les prix des billets. S’il faut organiser un événement, ce serait plutôt une free party, ou alors rien. C’est mon avis, même s’il faut bien qu’on existe et qu’on vive de notre musique.
MF : On se demande aussi pourquoi cette date à Paris est maintenue alors que d’autres alternatives ne sont pas envisageables. Mais c’est toujours mieux que les concerts en streaming, car on a déjà fait ça six fois depuis le mois de mars. Ce concert à Paris est donc le bienvenu pour la reprise.
Comment envisagez-vous la suite pour les prochains concerts ?
MF : On vit un peu au jour le jour et ce depuis le début du mois de mars. Ce qui nous a un peu sauvé notre été c’est qu’on avait beaucoup de matériel à produire pour la sortie de notre disque. On travaille déjà sur de nouvelles compositions, on est donc dans une période très créative. On est aussi très heureux de pouvoir sortir des clips : la sortie d’« Influenceur » est une nouvelle manière de se connecter avec le public. On est très présent derrière l’écran, ce qui fonctionne plutôt bien avec ascendant vierge.
ascendant vierge, VIERGE, Live From Earth Klub, 2020, vinyle, EP. Photo Victoria Hespel.
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