MADAME LA MORT « L'HORREUR DANS L'ADN »
Enregistrement : 22/06/2021
Mise en ligne : 22/06/2021
De l’enfance de Madame La Mort, nous ne connaissons pas grand-chose si ce n’est qu’elle a grandi dans un vidéo-club, celui de ses parents. Précurseurs en la matière, à la fin des années 1970, les Parisiens boudaient leur boutique, car à vrai dire, peu avaient de magnétoscopes chez eux. Une mine d’or pour une enfant émulée par la VHS de Thriller, réalisée par John Landis. Chaque jour, elle ramène chez elle un sac plein de films d’horreur. Le virus prend, le goût de l'horreur intègre son ADN, Madame La Mort est née. Et elle vendra du cauchemar.
Son truc à elle, ce ne sont pas les films, mais les livres. Fière propriétaire d’une « librairie hantée » créée aux États-Unis en 2018, L’Entre-Sort, Madame LaMort propose aux internautes une vaste sélection de romans horrifiques, fantastiques et gothiques, mais aussi d’ouvrages occultes, du True-Crime et un peu de science-fiction. En français, comme en anglais. Spécialisée dans les ouvrages de poche aux couvertures hallucinantes, appelés aux États-Unis « Paperbacks From Hell », ces romans à deux balles ou pulps horrifiques des années 1970 et 1980, sa boutique en ligne constitue une capsule temporelle oubliée du monde de l'édition. Où l’on peut se plonger dans les récits des auteurs et les couvertures d’illustrateurs renommés qui ont catapulté ce genre dans la conscience collective.
Mais aucun portrait de Madame La Mort ne serait complet sans parler de Mismerizer, son alter ego musical. Mismerizer, ce sont deux albums : Eggs sorti en 2009 (avec Thomas Suire, Jacques DeCande d’Infecticide et Emilie Bera), et en « One Witch Band », Chasm, sorti sur Bandcamp le soir d’Halloween de 2018. Mais aussi trois EP : Herself, Ghost Train et 6 Tales of Terror, un bijoux horrorcore en collaboration avec Creep Lo. Mismerizer est ma première réponse à ceux qui déplorent la nullité de la production musicale française contemporaine. Horrible et géniale, elle a hanté les rues et les scènes pas loin de chez vous.
Musicienne, crieuse, collectionneuse, libraire, conteuse et désormais passeuse de savoir sur Youtube, voici notre interview de la cauchemardesque, mais fascinante, créature polymorphe.
Propos recueillis par Ira Benfatto. Photographie de frise de Volga Wagner. Portrait de Mismerizer, alias Madame LaMort, par Kael T. Block.
L'Entre-Sort - Horror Bookstore - Librairie Fantastique
Démarrons par une page de publicité assumée pour ta librairie en ligne L’Entre-Sort. Peux-tu nous présenter cette « librairie hantée », spécialisée dans le fantastique et l’horreur ?
Bien sûr, L'Entre-Sort, c’est ma librairie en ligne, via la plate-forme Etsy, spécialisée dans les livres de poche horrifiques vintage. Je fais du français, des premières éditions « J’ai lu Épouvante » à la collection culte « Gore » publiée par Fleuve Noir dans les années 1980, mais aussi et surtout des versions originales américaines, beaucoup plus rares et très difficiles à trouver en France.
Je collectionne depuis l’adolescence les romans d’horreur en version poche. J’ai commencé avec les Stephen King, la base. Mais mon amour pour ces bouquins remonte à loin. Mon père collectionnait déjà les livres des éditions Fleuve Noir, la première et plus célèbre maison d’édition ayant publiée de l’épouvante dès les années 1950. Je me souviens, enfant, d’être montée au grenier et d’avoir pioché discrètement dans sa collection « Angoisse ». J’ai toujours été attirée par les couvertures macabres, c’est ce qui me donne envie de lire le livre. Celles créées par Michel Gourdon, par exemple, sont absolument magnifiques. Cela me fait le même effet qu’une bonne jaquette de film d’horreur.
Plus tard, grâce à la magie d’internet et à Ebay, je me suis mise à commander des ouvrages américains et j’ai été stupéfaite par la qualité des couvertures ! Les frais de port n’étant pas donnés, j’étais limitée. Mais quand je suis partie vivre aux États-Unis et que j’ai eu accès à toutes ces merveilles, je me suis mise à chiner frénétiquement et à collectionner de façon massive. C’est comme ça que l’aventure L’Entre-Sort a débutée. D’abord, je vendais mes doubles et puis, de fils en aiguilles, l’inventaire s’est agrandi. En revenant en France en 2019, j’ai décidé de poursuivre l’aventure et de proposer au public français des fans d’horreur des bouquins qu’ils ne pouvaient pas trouver ailleurs. J’ai actuellement près de 500 titres horrifiques disponibles dans le shop.
Cette aventure a débuté aux États-Unis. Pays où l’épouvante et sa littérature constituent une subculture à part entière, bien connue du grand public au travers des Paperbacks from Hell, ces livres de poches aux couvertures d’une créativité aussi criante qu’hallucinante. Librairie d’Enfer, ta nouvelle chaîne YouTube éducative, semble avoir pour mission d’évangéliser le public français. Est-ce là ce qui a motivé sa création ? Et quelles en seront les prochaines thématiques ?
De retour en France, je me suis vite rendu compte que la majorité de mes clients restaient toujours américains. Je trouvais plutôt dommage que le public français, pourtant avide de littérature d’épouvante, ne connaisse que très peu les Paperbacks From Hell. D’une part, les couvertures de ces bouquins sont justes incroyables, mais le contenu est tout aussi formidable ! Je me suis dit que si je les aimais tant, d’autres lecteurs et collectionneurs français allaient forcément apprécier de découvrir ces pépites. Même si c’est vrai, il faut pouvoir lire l’anglais.
J’ai donc décidé de créer une chaîne pour rendre hommage à ces livres, aux illustrateurs de ces couvertures monstrueuses et aux auteurs moins connus qui, à mon avis, méritent que l’on s’y intéresse, comme Ruby Jean Jensen par exemple. La première vidéo éducative de ma chaîne Librairie D’Enfer est une introduction à ces petites œuvres d’art.
J’ai déjà plusieurs sujets en tête pour les prochaines vidéos. La liste est longue, il y a beaucoup à dire. Je voudrais, entre autres, présenter le « splatterpunk » : ce sous-genre de la littérature d’épouvante influencé par la culture punk. J’aimerais également parler des grandes dames de l’horreur, faire des vidéos par thèmes aussi : les sorcières, les loups-garous, les poupées maléfiques, etc. La prochaine vidéo, sur laquelle je travaille en ce moment, est dédiée à « l’aqua-terreur », une vidéo très estivale prévue pour cet été.
Après le vaudou de Haïti et les légendes des Ozarks , qu’est-ce qui t’a amené à choisir la Bretagne comme refuge ou camp retranché, depuis lequel tu distilles tes horreurs littéraires ? Peut-être la silhouette de l’Ankou, omniprésent à l’arrière-plan et objet de multiples contes et légendes, sculptures et bas-reliefs, chansons, bandes-dessinées et jeux vidéo ?
J’ai toujours aimé la Bretagne, j’y ai vécu de nombreuses années étant enfant. J’aime effectivement le côté mystique de la région et ses légendes, parfois bien darks (jusque-là, l’Ankou n’est toujours pas venu frapper à ma porte, donc tout va bien). Il y a un côté fantastique, « eerie », dans les paysages et le climat. C’est une région qui m’inspire, idéale pour une librairie hantée. Avec cette brume au petit matin, ces forêts hallucinantes, ces vieux manoirs et ces chapelles abandonnées, j’ai l’impression de vivre dans un roman gothique, et j’adore ça ! La côte aussi est sublime. Et puis j’aime la pluie, le silence et les nuits noires… Je ne pouvais donc pas rêver mieux.
Madame LaMort - Chaîne YouTube
Librairie d’Enfer n’est pas ton coup d’essai sur YouTube. Tu animes une autre chaîne, qui porte ton nom Madame LaMort et sur laquelle tu te fais conteuse, en lisant des extraits de livres de ta collection avec un humour non dissimulé. Si Maila Nurmi fut sacrée « Queen of Darkness », tu es a coup sur notre Reine de l’absurde version « Dark ». Où Diable as-tu acquis ce sens du rythme et de la rupture, cet art du maquillage et des effets spéciaux qui font de tes vidéos des petits bijoux de comédie ?
Pour ce qui est du make-up et des effets spéciaux grandioses, j’ai fait une école de maquillage pro dans ma jeunesse, ça aide… ou pas. J’avais décidé de faire cette école pour apprendre à réaliser des make-ups FX monstrueux comme ceux de Greg Nicotero dans le cinéma fantastique, ou le personnage de la douve (Fluke-Man) dans X-files. Mais à Paris, les écoles de maquillage sont surtout orientées vers la mode et j’ai vite compris que l’homme douve ne défilerait pas pour Galliano… à ma plus grande tristesse. Il faut aller aux États-Unis pour une véritable formation FX, j’y ai songé mais je ne l’ai pas fait.
L’humour noir un peu décalé, je crois que c’est de famille. Mon père était fan des Monty Python et d’humour anglais bien barré. Des films comme Le sens de la vie ou Sacré Graal m’ont fortement marquée, en plus des films d’horreur bien sûr, que j’ai toujours préféré drôles également ! J’adore l’absurde, en littérature comme en comédie, de Brother Theodore à Quentin Dupieux. Chez moi, l’horreur et la comédie sont fortement liées et je crois que Madame LaMort en témoigne plutôt bien. Je suis plus Brain Dead, Frankenhooker ou Evil Dead, que L’Exorciste ou La Malédiction.
Mais au fond, j’aime tout dans le cinéma fantastique et il m’a toujours énormément inspiré. Ma mère avait des vidéo-clubs dans les années 1980 et je faisais mes devoirs dans l’arrière boutique. Je rentrais ensuite à la maison, les bras chargés de VHS horrifiques. Pour moi, c’est ce qui a véritablement déclenché mon amour pour le genre, ça et le clip du morceau Thriller de Michael Jackson, que je regardais déjà en boucle à l’âge de 3 ans. Je pense que c’était ma destinée que de travailler, de créer et de m’amuser autour du genre, que ce soit en vidéo, en make-up, en livres ou en musique.
Showcase de « Ghost Train » © Kael T. Block
Comme tu viens de nous le confier, tes premiers émois horrifiques furent musicaux. Ainsi, avant Madame LaMort existait Mismerizer, ton alter ego musicienne. Peux-tu nous parler d'elle, de sa musique et, bien sûr, des influences qui ont présidé à sa naissance ?
J’ai créé Mismerizer en 2006, un projet musical expérimental très influencé par les bandes-sons de films d’horreur. Avant ça, j’avais bossé avec Christophe Benoin de Y-Front sur un projet electro qui n’avait pas abouti,. Et du coup, je me suis lancée solo. Je n’y connaissais pas grand-chose à la MAO (musique assistée par ordinateur), mais j’ai vite appris à me débrouiller et j’ai rapidement eu envie de me produire sur scène, histoire de théâtraliser tout ça. De façon horrifique, bien entendu.
Je crois que mon but a toujours été de vendre du cauchemar aux gens, quel que soit le média. J’ai vite été rejointe par Thomas Suire et Jacques De Candé d’Infecticide, ainsi que par Emilie Bera que j’avais vu se produire sur scène avec les Dresden Dolls. Les premiers concerts étaient donc très orientés « performances cauchemardesques » et j’en ai de très bons souvenirs. Perchée sur une chaise, avec une immense robe qui la recouvrait, me donnant l'apparence d'une créature de deux mètres de hauteur. Et Emilie qui sortait de là dessous en terrifiant les gens, alors que je vomissais sur mon micro du lait teinté de colorant vert. Que du bonheur!
Ensuite on a splitté et j’ai collaboré avec plusieurs producteurs comme DaFake (avec qui tu m’as vue en concert et rejoint sur le ring pour une battle mémorable). J’ai également bossé avec Hanin Elias de Atari Teenage Riot sur plusieurs featurings electro/hardcore, puis avec Creep Lo sur mon EP 6 Tales of Terror à l’ambiance horrorcore.
Mismerizer « Chasm » © Mismerizer / Atypeek (2018) - Graphisme : Tim Smith
Chasm, le dernier album de Mismerizer est sorti le soir d’Halloween 2018 sur le label Atypeek Music. Toujours disponible sur Bandcamp, Chasm se présente comme un conte horrifique propre à réveiller les morts, une ode aux films d’horreur, à l’occulte, au paranormal et aux monstruosités qui hantent nos subconscients. Peux-tu revenir sur la genèse de Chasm, le « gouffre » dans la langue de Molière ?
Chasm, c’est ça, c’est le gouffre. Je crois que c’est l’idée de prendre l’auditeur par la main et de lui faire visiter les enfers. Ses propres enfers. Envahir leur espace sonore de bruits bizarres et de cris terrifiants. Pour le coup, tout à fait la fonction du film d’horreur ! Regarder (dans ce cas précis, écouter) ses peurs en face. Et puis on arrête la musique et tout va bien. C’est rassurant.
J’aime faire des albums « train fantôme ». Chasm fait également référence à la femme, en tant que créature diabolique et tentatrice… J’aime jouer avec ça. La pochette de l’album a d’ailleurs une double interprétation.
Au-delà du mépris et des préjugés d’une certaine intelligentsia, l’horreur et l’épouvante semblent ne s’être jamais aussi bien portés. Qu’est-ce qui explique cet engouement et cette popularité, selon toi ? Quelque chose d’une résonance avec notre époque anxiogène ?
Je crois que de tout temps, l’horreur (en tant qu’« entertainment » et quelle que soit sa forme) a été populaire. Elle satisfait notre curiosité morbide. Mais il semble, en effet, que ce soit d’autant plus vrai lors de périodes au climat anxiogène.
Le cinéma de Weimar après la première guerre en Allemagne, les Universal Monsters aux États-Unis après la grande dépression, les monstres de type Godzilla engendrés par la crainte du nucléaire ou Atomic Fear… Tous ces exemples, je pense, nous montrent assez bien que plus la société a de craintes et plus les auteurs, artistes et cinéastes horrifiques sont inspirés et engendrent des monstres. On vit actuellement une période plutôt angoissante. Nos peurs sont différentes, elles ont évolué. Et il me parait donc assez logique que l’horreur soit en grande forme !
Mismerizer © Volga Wagner
Le côté obscur de la force n’échappe pas aux modes. Après les vampires du début des années 2010, nous n’arrivons plus à nous débarrasser des zombies et de la science-fiction post-apocalyptique. Est-ce que tu pressens l’imminence d’une prochaine vague de monstres ? Qui sait, un retour du spiritisme ou peut-être de méchants extra-terrestres, suite aux annonces du Pentagone américain et aux récentes révélations du New York Times ?
À mon avis, on n’en a pas fini avec les zombies et le genre « post-apocalyptique », étant donné l’ampleur de la pandémie actuelle ! Des scénarios forcément plus axés « virus », voire complètement Covid-19, commencent à voir le jour. J’ai l’impression aussi que dans ces scénarios on voit un peu plus loin, qu’on envisage véritablement la cohabitation zombies (infectés) et non infectés sur le long terme. Ce qui est une évolution par rapport à la simple attaque de mort-vivants localisée, puis éradiquée. Peut-être de nouveaux thrillers médicaux, aussi?
L’occultisme semble être en grande forme, également. Le combat des forces spirituelles, du bien contre le mal, c’est un classique mais qui fonctionne bien à notre époque. Les gens, bien que athées pour beaucoup, semblent toujours avoir soif de démons, de fantômes et autres créatures diaboliques. Ceci dit, les monstres en général semblent avoir un visage plus « humain », peut-être moins fantastique ?
Quant aux aliens, ils sont clairement à la mode ! Mais au fond, je ne sais pas s’ils suscitent tant de craintes que ça et s’ils engendreront de nouveaux romans de science-fiction horrifique. J’ai plutôt l’impression que beaucoup de gens en ont une image assez sympathique, un peu comme celle du vampire à présent.
Question désormais rituelle sur La Spirale, comment te projettes-tu dans le futur proche ? Comment envisages-tu l’avenir, tant à un niveau personnel que global ?
Je pense être arrivée là où j'avais envie d’être dans ma vie, tant sur le plan personnel que professionnel. Je compte donc continuer ma librairie en ligne, travailler sur de nouvelles vidéos pour alimenter mes chaînes YouTube, profiter de cette charmante Bretagne et surtout continuer à collectionner et dévorer mes bouquins. J’ai une collection d’environ 3000 titres à ce jour, donc je suis bookée pour au moins dix ans !
Mismerizer © Kael T. Block
Commentaires
Vous devez vous connecter ou devenir membre de La Spirale pour laisser un commentaire sur cet article.