Quinze ou vingt ans après notre premier entretien, est-ce que tu te sens toujours aussi plein d’amour et d’« envie d’avoir envie » ?
Ah ah ah ! Évidemment, sauf que depuis, Johnny est mort et qu’Eckhart Tolle, qui m’inspire beaucoup, est passé par là. Aujourd’hui, nous vivons dans la totale
happycratie, une tyrannie du bonheur. Dans notre société, tout le monde doit être heureux. C’est devenu la norme, voir même une obligation.
Nous vivons dans un monde de performance, de consommation, de compétition et de comparaison, situation accentuée par les réseaux sociaux sur lesquels on se montre sous son meilleur jour, en permanence, et sur lesquels on se compare constamment à l’« autre ». Bien que tout ceci soit
fake, soit dangereux. Une sorte de gros mensonge qui se voudrait « réel ».
Ajoutons à ceci, les
selfies à outrance, au point que l'addiction aux
selfies se voit officiellement reconnue comme une maladie mentale. Selon une étude réalisée en Inde, le « selfitis », alias l'addiction aux
selfies, constitue un réel trouble comportemental. « Typiquement, les personnes qui souffrent de cette condition ont très peu confiance en elles et essaient de s'intégrer au groupe de leurs pairs », explique le chercheur Janarthanan Balakrishnan au journal
The Independent.
Les personnes souffrant de « selfitis » essaient donc de compenser leur manque de confiance en eux en étalant leur vie sur les réseaux sociaux, et deviennent rapidement accro aux « likes » et aux commentaires qui
boostent leur égo. De plus, les opérations de chirurgie esthétique sont de plus en plus fréquentes, les gens voulant ressembler à ce qu’ils voient sur les réseaux, avec l’ajout de filtres qui gomment les imperfections. Pour ma part je trouve cela dommage, car j’aime ces imperfections qui font le charme d’une personne.
Quoi de plus beau qu’un léger strabisme ou d’autres soit-disant imperfections qui reflètent la personnalité de chacun ? Bref, une société de normalisation de la beauté et de l'émotion, cela me fait penser à certains livres d’anticipations, de science-fiction, mais c’est notre monde actuel. je ne suis pas certain d’être en phase avec tout ceci, même si évidement j’en joue également dans mon travail, pour le dénoncer et le mettre au grand jour. On ne veut plus accepter l’ambivalence, les gens veulent paraître toujours plus beaux, plus heureux, plus épanouis.
SPAMM (Super Modern Art Museum ) au EP7 Paris.
Commissaire : Carlos Sanchez Bautista
Une sorte de dictature du bonheur et de l'esthétique normalisée, mais au final la plupart se perdent dans des plaisirs futiles, sans véritable travail sur eux-mêmes. Le bonheur et la beauté, cela nécessite un vrai travail, que peu de gens sont prêts à faire. C’est sûr que c’est plus simple d’utiliser des filtres, de se faire opérer et de prendre des produits qui te font te sentir plus confiant, plus intelligent, plus beau et plus fort, le temps d’une soirée. Et je crois savoir que ce genre de produit se vulgarise et se démocratise beaucoup en ce moment, qu’ils sont très présents dans beaucoup de milieux, aujourd’hui.
Concernant les relations humaines, c’est pareil, les gens s’enfuient à la moindre difficulté. Nous avons perdu le sens de la construction et de la persévérance. Ceci dit, oui j’ai toujours envie et encore plus de donner aux spectateur l’envie de créer. Aujourd’hui, les outils sont beaucoup plus accessibles qu'il y a vingt ans. Les gens sont plus « créatifs », même si les applications imposent une normalisation de la créativité, des esthétiques toujours très similaires. Ce que je veux dire c’est que, oui, il est beaucoup plus simple d’être créatif aujourd’hui qu’il y a vingt ans.
Car les outils sont beaucoup plus accessibles mais comme tout le monde utilise les mêmes outils et les même réseaux, cela laisse très peu de place à l'expérimentation et à la singularité. Dans mon travail je continue à rester lowtech, do it yourself et à utiliser des outils simples et accessibles à tous. Afin que les spectateurs puissent également se sentir inspirés et se projeter dans leurs propres créativité, de manière accessible. C’est l’opposé d’un art élitiste, d’un art où la technique, souvent coûteuse, est mise en avant.
En gros, qu'ils puissent se dire « mais, moi aussi, je peux le faire ». Pour moi, un artiste est quelqu’un qui donne sa vision de l’époque, au travers de son prisme, avec les outils et l'esthétique de cette même époque (ou pas). Mais surtout un artiste se doit de distribuer une énergie créative, lumineuse, qui rend le spectateur à son tour créatif.
Cela peut être une créativité qui se traduit par une réflexion, une interrogation, un échange, mais aussi qui donne envie et confiance, afin que le spectateur devienne aussi artiste, car la créativité et l’acte créatif constituent une richesse intérieure qui ne doit pas se soucier de la légitimité, de la technique ou d’un résultat. Ce doit être un épanouissement constructif !
Qu’est-ce qui a changé pour toi et selon toi depuis cette période, celle du tournant du millénaire, entre les années 1990 et 2000 ?
Il faudrait écrire un roman pour décrire tout ce qui a changé et je ne suis pas sûr que nous disposions de suffisamment de recul pour pouvoir le faire, objectivement. Je vais quand même tenter de synthétiser ma vision. On va dire qu’il y a trois étapes principales : l’arrivée d’internet, l’arrivée des réseaux sociaux et l’arrivée des smartphones.
Je fais partie de la dernière génération à avoir connu la vie avant Internet. C’est-à-dire que mon enfance et mon adolescence n’ont pas été bercé par Internet ou Netflix. Encore une fois, il fallait effectuer une vraie démarche pour avoir accès à certaines cultures. Je me souviens que parfois nous attendions trois semaine pour recevoir un vinyle en import. Et je te passe le couplet sur le porno et sur les rencontres amoureuses. On ne sait même plus si la séduction existe encore !
Beaucoup de gens sont entrés dans une forme de consommation accélérée, effrénée et très déshumanisée, avec des relations interchangeables, au gré des humeurs et très peu de volonté de construction. Ceci dit, les nouvelles générations reviennent depuis quelques années à des valeurs plus traditionnelles. J’aime beaucoup la génération qui a vingt ans aujourd’hui. Ils sont très clairs, très réactifs, très cultivés, avec cette distance ironique du web sur la vie.
J’éprouve souvent beaucoup de plaisir à échanger avec eux ! Les générations nées avec internet savent faire la part des choses entre le virtuel et le physique. Bien que d’avoir accès à tout, très rapidement et très très jeune, ait certainement bousculé beaucoup de choses. Comme le disait Didier Barbelivien, « il faut laisser du temps au temps ». Ces changements, je les ai donc vus venir et j’ai pu également voir l’évolution qui s’est opérée dans la société et chez les individus.
Évidemment, il y a toujours des avantages et des inconvénients. Les avantages, on les connaît tous : accessibilité au savoir et à la culture par le plus grand nombre, etc. Et puis, l’arrivée des réseaux sociaux et des smartphones a largement démocratisé et vulgarisé l’Internet. Si je devais faire court, vingt ans en arrière, j’invitais les gens à aller sur le web pour y découvrir un espace de liberté et de créativité en devenir, ah ah ah… et nous avons vu ce que ça a donné ! Aujourd’hui j’incite les gens à se libérer de leurs addictions digitales.
Internet est devenu incontournable dans nos existences quotidiennes et ses effets sur nos manières de nous rencontrer, de discuter, de nous informer, de nous cultiver, de militer, de consommer, de nous amuser, de nous déplacer, d’échanger, de travailler, etc., font partout l’objet de débats publics. Or la sociologie peine encore à intégrer définitivement le phénomène Internet dans ses questionnements généraux et dans ses approches méthodologiques.
Une chose est sûre. Nous avons éliminé le temps de l’attente, de la transition comme le disait déjà Baudrillard il y a quelques années. Et nous nous trouvons bien souvent engloutis dans une surinformation difficile à supporter pour les petits êtres humains que nous sommes. Cela me fait bien souvent rire, car beaucoup de gens passent leurs journées surconnectés, sans se rendre compte des répercussions que cela peut avoir sur leurs cerveau et leurs vies.
Ce que je veux dire par là, c’est que de s’endormir, puis de se réveiller avec son mobile et un flux d’actualité permanent a forcément une influence sur nos vies quotidiennes. Le cerveau a besoin de vide pour être efficace. La méditation, cela peut être attendre à la caisse d’un magasin sans prendre absolument son téléphone, être juste « ici et maintenant ». De plus, nous savons aujourd’hui que les géants, tels que Facebook et les autres, travaillent sur les faiblesses de notre cerveau. Nous nous trouvons totalement manipulés, même si beaucoup s’engouffrent encore là-dedans, alors que ce sont les mêmes qui se paient des thalassothérapie et des stages de méditation.
Encore une fois, il est nécessaire de changer nos fonctionnements au quotidien, ce qui nécessite des efforts. Ce n’est pas un thérapeute qui, d’un coup de baguette magique, va vous libérer de vos angoisses et de vos stress, accumulés par des années de comportements inappropriés au quotidien. Nous devons utiliser les technologies en pleine conscience et ne pas en être les esclaves. Bizarrement, on a jamais vu autant de coaches, de gourous du bien-être qu’à notre époque.
L’ordinateur se colle désormais un peu plus à nos corps, comme ces mobiles qui frottent nos cuisses ou nos hanches, depuis les poches où on les range. Ils sont devenus un attribut de la corporalité de leurs usagers. On veut tout gérer sous assistance de son smartphone, qu’il s’agisse de sa santé, de son bien être. Et parfois, dans la vie physique, la surconnection peut poser de vrais problèmes de concentration, de communication, de bienséance et de respect.
C’est à dire qu’échanger de vive voix avec quelqu’un qui passe son temps à checker son téléphone pour des choses futiles est clairement impoli et non respectueux, mais il semble que tous n’en sont pas conscients. Pour ma part, je privilégie le « très humain au transhumain ». ainsi qu’Alain Damasio l’a très bien expliqué lors de sa conférence TEDx. Nous devons réapprendre à écouter nos corps, nos esprits.
Avant l’Internet, les « déviants » se trouvaient dans une situation où leurs relations aux autres malades étaient institutionnalisées, car hospitalisées, ou encore limitées par des symptômes qui rendaient difficile leur relation à l’autre. Avec le web, ces mêmes personnes arrivent à trouver des sujets dans des situations comparables et arrivent à échanger des bribes d’expériences. Ces échanges finissent même par créer une sous-culture radicale. Les communautés deviennent multidimensionnelles, c’est-à-dire qu’elles ont à la fois une existence réelle et numérique.
Beaucoup de choses ont changé. Les relations humaines et amoureuses, notre façon de communiquer et de nous engager ont également bouleversé la société. Encore un autre sujet sur lequel je commence à écrire, en m'inspirant notamment d'échanges avec une amie thérapeute, qui a constaté que beaucoup de ses clients arrivent avec des problématiques liées aux relations digitales, à la communication sur les réseaux. Aujourd’hui, la notion de construction et d’engagement est devenue floue. Le digital love ou la multiplication des digital loves est confortable, laissant la place à l’idéalisation, à l’entretien d’un champ des possibles sans réel engagement.
L’amour et l’émotionnel font dorénavant partie de notre société de consommation et du plaisir immédiat. Il est temps de sortir de cet amour narcissique, vers lequel les technologies nous entraînent jours après jours. Évidemment, il nous appartient, encore une fois, de nous positionner correctement face à ces évolutions. Concernant l’art, pendant longtemps les collectionneurs avaient du mal à acheter de l’art dématérialisé, depuis quelques temps les choses évoluent et on constate que l’art dématérialisé commence à être monétisable.
Très intéressant pour le novice que je suis d’apprendre que l’art dématérialisé devient monétisable. Tu m’apprenais d’ailleurs récemment que tu vends certaines de tes vidéos. Comment ça se passe ? Est-ce que tu peux nous parler de ce marché et de son fonctionnement ?
Le marché a évolué, même si les problématiques restent toujours les mêmes : l’absence d’objet physiques, la conservation et évidemment la monétisation. Déjà en 2014, une vente aux enchères d’oeuvres digitales a eu lieu, avec une vingtaine d’œuvres d'art numérique évaluées à 16 000 $. Cette vente mettait en vedette le premier site web jamais mis aux enchères, le projet Ifnoyes.com de l'artiste numérique Rafaël Rozendaal, qui s'est vendu à 3 500 $. Le marché reste le même, de manière générale. C’est le constat d'authenticité qui fait office. Dans le cas de Rafaël Rozendall, il vendait le site web, en ligne sur Internet, au collectionneur qui s’engageait à le laisser en ligne et il ajoutait le nom du collectionneur dans le nom de la page. Ce qui le faisait apparaître dans la barre d’adresse (collection de…) et donc dans le nom de l’oeuvre. Ce qui ne va pas sans rappeler les statues dans les jardins publics, mais c’est un autre débat.
Donc, pour résumer, il y a un marché classique, constitué de collectionneur classiques, avec des prix classiques, comparables à ceux du marché de l’art vidéo (ou autres). Et à côté, s’est développé un marché sur le web, au travers de nombreux sites qui vendent directement à des collectionneurs ou vendent en ligne sur un modèle similaire à celui de Netflix ou d’Apple TV. Ou encore des sites qui proposent de collectionner en ligne et, par la suite, de spéculer.
En ajoutant évidemment à tout ça, l’arrivée des crypto-monnaies et de nombreux sites qui proposent d’acheter ou de vendre des oeuvres en crypto-monnaies. L'idéal serait la crypto-oeuvre, une sorte d’oeuvre-monnaie. Pour ma part, tu peux trouver mes oeuvres un peu partout ou me contacter directement, ce qui te permettra d’éviter les frais de galeries, d’agents ou de plateformes en ligne. Ainsi, nous serons gagnants tous les deux ! Après, chaque oeuvre est évidemment différente. Et tu peux faire le choix d’en posséder une copie, l’original, une copie sérielle, voir juste une diffusion. Ceci dit, c’est compliqué avec le web. Car les artistes du web ont en général l’habitude de diffuser leurs oeuvres gratuitement, mais j’aime faire le rapprochement avec le street art, pour plusieurs raisons.
D’abord pour l’immersion du public dans cette forme d’art et parce que la question de la monétisation se pose de la même manière. Puis, il suffit de changer de support pour que l’oeuvre change, même si l’artiste reste le même. L’oeuvre n’est plus la même, selon son support. Bref, un artiste décide d’offrir ou pas une oeuvre.
Nous avons récemment vu l’arrivé du mouvement post-internet, qui revient au physique, notamment à la peinture, mais avec notamment les codes du web. Peut-être qu’il s’agit d’une réponse aux collectionneurs, qui veulent toujours acquérir des objets physiques.
Liens recommandés :
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Seditionart.com
Artjaws.com
Quelque part, est-ce que tu n’avais pas simplement raison ? En revoyant tes images de l’époque, elles me font l’impression d’instantanés prophétiques, des polaroïds de ce qu’allait devenir l’Internet et donc la culture de masse, au travers des réseaux sociaux.
Disons que j’ai toujours était un témoin de mon époque et très rapidement je me suis engouffré dans les réseaux de toutes sortes en mode totale immersion. Mon travail a toujours été une sorte de photographie de l’époque actuelle. J'ai vite compris que ça allez partir dans ce sens ! Il ne fallait pas être prophète pour comprendre que les vidéos de chats, le porno, et l’imagerie du web de manière générale allait devenir la norme. Je voyais cette esthetic arriver et j'avais envie de la représenter, de la mettre au grand jour avant qu’elle nous envahisse totalement, un peu comme un lanceur d'alerte avec évidement comme toujours dans mon travail à la fois un coté moraliste, ludique, ironic et fataliste. Aujourd’hui c est notre quotidien.
Parmi tes nombreuses fans, l’observateur attentif relèvera nécessairement la présence de la somptueuse Chanelta Aki Deveraux qui ne se lasse pas de te dédicacer ses courbes affriolantes. Comment fais-tu pour entretenir un tel possee et aurais-tu l’obligeance de nous présenter cette improbable créature nipponne, dont j’adore les délires visuels et conceptuels au-delà de son bienvenu exhibitionnisme ?
Je ne sais pas si j’ai de nombreuses fans. Ce qui m'intéresse surtout, encore une fois, c’est de rendre le spectateur créatif. Et peut être que la liberté de mon travail désinhibe et légitime beaucoup de gens dans leur rapport à la créativité. Tant mieux, si c’est le cas.
Je reçois régulièrement des messages d’hommes et de femmes qui me disent que je les inspire. Pour moi, c’est là le meilleur compliment, la meilleure récompense. Et je m’en trouve toujours le premier étonné. C’est ce qu’il s’est passé avec Chanelta, cette magnifique créature japonaise.
Pour moi, réussir à faire en sorte que mon travail fasse sens au travers de différentes cultures et nationalités me ravit et me surprend à la fois. Chanelta m’a contacté en tant que « créature » et modèle, mais je la considère comme une véritable artiste. Beaucoup de gens sont artistes sans le savoir. Un peu comme c’est le cas avec l’art brut.
Je ne la connais pas physiquement, mais nous avons parfois succinctement échangé, via les réseaux. Ceci dit, elle ne parle ni français, ni anglais. Et je ne parle pas japonais, donc cela limite la communication. Notre communication est essentiellement artistique et visuelle. Chanelta compte désormais de nombreux fans de son côté. J’ai beaucoup de respect pour toutes ces formes de créativité libérée et débridée, quels qu’en soient les sujets, les objectifs et les formes qu’ils prennent.
Après Paris et Valencia, te voici de retour à Limoges. Que t’inspire l’ambiance de cette ville de taille moyenne du centre (sud-ouest) de la France ? Comment te nourris-tu de ton environnement ?
Tu sais le lieu n'a pas grand chose à voir avec l’action ! Mon territoire, c’est Internet. Ceci dit, bien entendu et de manière pragmatique, je me trouve aujourd’hui ici, à Limoges. Mais je me sens autant chez moi à Paris, à Valencia, qu’à Limoges.
Les énergies, la météo, les gens, la façon de vivre sont évidements différents. Et je dois t’avouer que ce qui me correspond le plus en terme de qualité de vie, c’est évidemment Valencia, une ville formidable où il fait extrêmement bon vivre. J’y ai trouvé comme une forme de paradis terrestre et spirituel. Je pourrais te parler longtemps des qualités de cette ville, que j’invite tout le monde à visiter. Le plus surprenant, c’est que je suis allé à Valencia par instinct, en me rendant compte au même moment sur mon arbre généalogique que nombreux de mes ancêtres étaient originaires de la région.
J’ai organisé de nombreuses expositions en Espagne, en partenariat avec mon ami David Quiles Guillo qui a créé The Wrong en 2013. Le retour en France a été très hardcore pour moi ! Welcome back au pays des râleurs, de la victimisation et je ne parle pas de la politique actuelle, une des raisons qui m’avaient fait partir. J’aime la France, évidemment, puisque c’est mon pays d’origine. Mais lorsqu’on a connu la douceur de vie de certaines autres cultures, il peut être très difficile de se réadapter ! On appelle ça le choc culturel inversé, je crois. Bref… Paris, la vie, la culture y sont trop surfaites pour moi aujourd’hui. Trop speed.
J’ai vécu durant quatorze ans dans le 18e arrondissement, un quartier que j'affectionne particulièrement. En une journée, tu peux faire le tour du monde, une vraie richesse multiculturelle. Mais comme dans beaucoup de capitales, la gentrification est en train de tuer cette richesse. Préférant l’authenticité, j’ai donc privilégié une ville de taille moyenne, qui de plus est ma ville d’origine. J’y ai mes racines et peux te dire que, quand on vit à Limoges, on y est bien enraciné. Ha ha ha ! Il est très difficile pour beaucoup de gens de s’en extraire.
Pour le moment, j’ai donc privilégié cette ville pour plusieurs raisons. Tout d’abord, car c’est ici que j’ai créé SPAMM (Super Modern Art Museum), après avoir fait rayonner l’art digital à l’international, je souhaite également faire rayonner l’art digital au sein des petites villes. Les centres-villes sont en train de se désertifier. On ne compte plus les vitrines vides de magasins à louer, parfois plus de la moitié d’une rue commerçante. Il faut redynamiser tout ça, grâce à la culture.
Je travaille actuellement sur un projet qui va dans ce sens. Ce retour, c’est un peu un retour à la terre, une terre de granit. Ici, il est plus difficile d'écrire ton nom que sur une plage de sable. Mais lorsque c’est gravé dans le granit, c’est à vie, alors que sur la plage cela s'efface très vite. Tu vois ce que je veux dire. Ici, il faut du temps pour se faire accepter. Mais, une fois que tu fais partie de la famille, il y a une vraie famille sur laquelle tu peux compter.
Les gens sont moins addicts aux écrans que dans les mégalopoles, donc forcément plus ensemble physiquement. On expérimente l’autogestion facilement en Limousin, car nous sommes isolés. À Limoges, il y a un tissu associatif et culturel important, autour de l’art contemporain, des nouvelles technologies, de la musique et évidemment dans bien d’autres domaines. Il y a également un festival important autour des cultures francophones.
Disons que, pour le moment et par rapport à mes projets, Limoges constitue le lieu idéal. aujourd’hui, je suis un nomade digital et je choisis donc souvent mon lieu de campement en fonction de mes affinités et de mes projets. De plus, j’écris actuellement un roman et je m’inspire beaucoup de ces différentes villes et de leurs autochtones.
Je me nourris de ces différents territoires. Tous ont leurs richesses, c’est comme les humains, il suffit de regarder là ou il faut pour trouver de jolies choses. Et puis les choses ont la beauté du regard qu’on pose dessus. Ma vie n’est pas faite de frontières qui empêcheraient le coronavirus de me bouffer… le seul territoire qui peut me manger c’est moi-même.
Et justement, peux-tu nous présenter le SPAMM, ou musée d’art super moderne (Super Modern Art Museum), une plateforme internationale d’artistes post-Internet que tu as fondé en 2011, alternative décentralisée à l’élitisme de l’art contemporain. Quelles sont ses activités, ses surfaces de diffusion et d’expression ?
SPAMM, le musée d’art super moderne (Super Modern Art Museum), est une plateforme internationale d’artistes post-Internet, un espace ouvert sur la création digitale, une alternative décentralisée à l’élitisme de l’art contemporain.
Je l’ai créé en 2011. SPAMM est l’émanation d’une net-culture qui défend un accès ouvert à la création et à l’appropriation par les artistes numériques de leur espace de travail et de démonstration. Indépendant et résolument international, SPAMM réunit plus de 500 artistes et propose en ligne plus de 200 pièces d’art digital.
En ligne, cela reflète un panorama exhaustif et éclectique de la création digitale la plus contemporaine. À l’occasion de multiples événements et expositions, j’invite et je partage le commissariat au gré des rencontres et des associations, avec d’autres artistes, de jeunes commissaires et des galeristes aventureux.
Du Vénézuéla à la Chine, en passant par Moscou, Chicago, Venise, Varsovie, Naples ou encore Paris, les artistes de SPAMM ont un mantra commun : l’Internet est/fait culture. Ils ont été repérés et ont rejoint SPAMM par le bouche à oreille 2.0, notamment par l’association de lieux partenaires (PROJECT-ion, New York, Nomade Art Space, Hangzhou, Chine, BabyCastles, New-York, DfbrL8r, Chicago, Faltmouth Art Gallery, Londres, Mapils Gallery, Naples, Italie) et par des curateurs indépendants associés.
La capillarité, la sérendipité et l’échange sont les ferments de SPAMM. SPAMM investit le monde réel à l’échelle de la planète en proposant des expositions IRL qui en font l’équivalent d’un label musical. SPAMM est la marque de fabrique d’un art en réseau décomplexé et frais, émergent et furieusement joyeux, démocratique et ouvertement inclusif.
SPAMM a (entre autres) participé à la biennale internationale alternative The Wrong en 2018 (le pavillon SPAMM Power présentait 140 artistes et collectifs), a été invité au Festival Transnumériques de Bruxelles en 2012, à l’International Digital Art Festival du musée d’art contemporain de Nuremberg ou encore au musée d’art contemporain de Caracas, au Vénézuela, pour l’exposition « Dulce » en 2013.
Glitch, mash-ups, collages numériques, net-art… Toutes les formes nouvelles de culture issues du numérique sont les bienvenues au SPAMM, qui diffuse et associe ses créations à l’occasion, comme pour Arte, la chaîne culturelle franco-allemande, qui a ouvert une lucarne sur la création en ligne, en 2012 . Et si SPAMM est une plateforme en ligne qui pose de manière fugace ses valises-pièces numériques, ici ou là. Il n’est pas dit qu’elle n’investisse pas à l’avenir un lieu permanent.
Nous avions récemment une discussion avec un candidat aux élections municipales lyonnaises sur les moyens de survie des artistes plasticiens en France, qui ne bénéficient pas même de régimes tels que l’intermittence du spectacle. Alors, comment fait-on pour survivre en temps qu’artiste et plus encore en tant qu’artiste numérique ?
Tu veux vraiment que je t'explique ça ? Tous les artistes le savent… Il est très complexe d’en vivre réellement. Ceci dit, beaucoup de gens perdent aussi leur vie à la gagner. Nous sommes libres et passionnés, ce qui est déjà un beau salaire.
Je n’ai pas de recette, ni d'explication sur la manière dont un artiste peut vivre de son art. Chaque artiste a sa propre recette qui est bien souvent composée de beaucoup d'ingrédients différents. C’est archi complexe. Concernant l’art digital, les collectionneurs ont longtemps eu besoin d’objets physiques sur lesquels investir. Mais depuis quelques années, il y a des ventes d’oeuvres digitales (gif animés, vidéos, site internet) qui se vendent sur le marché de l’art. Il existe également des plateformes de vente en ligne en monnaies classique, mais aussi en crypto-monnaies.
Pas besoin d’être médium ou hypersensible pour capter l’anxiété et la déprime d’un nombre important de nos contemporains. Comment vois-tu l’avenir ? Et qu’est-ce qui te donne envie de te lever tous les matins ?
Chaque matin, je mesure mon désir de vivre. Ce qui me motive le plus, c’est la recherche permanente d’un bien être et d’une complétude, l’envie de découvrir de nouveaux territoires et de rencontrer de nouvelles personnes. Mon avenir, c’est avant tout mon présent !
En tant qu’artiste et de par la sensibilité qui est censée accompagner cette fonction si particulière, qu’est-ce que tu as envie de transmettre comme message, de communiquer à nos contemporains ? En somme, quel est le but de tout ça ? (sourire)
Savoir estimer le niveau de technologie de ses actes quotidiens, c’est ce qui me semble le plus important, d’abord comme citoyen et ensuite en tant qu’artiste. Disons que si il y a un message, c’est avant tout « soyez créatif, utilisez les nouvelles technologies en conscience et avec éthique, soyez ici et maintenant », un truc comme ça.
Sortir de ce monde citado-virtuel, revenir à une communication humaine et généreuse qui laisse place au silence, en prenant le temps de la construction dans les relations et dans tout le reste. Se reconnecter au Vivant !