TZ TEAM « INCROYABLE, MAIS VRAI »
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2008)
Rappel des faits : Fab Crobard et Sand Tz éditaient depuis 1999 The Crobard, un webzine humoristique du même nom, dans lequel ils avaient créé une fausse rubrique proposant des « marginaux » à la location pour animer des soirées : Destroy-Escort. Ce qui a attiré l'attention d'une équipe de journalistes de TF1 qui n'avaient vraisemblablement pas lu l'ensemble des pages de la rubrique en question, laquelle allait du recrutement de « marginaux » selon des tests zoologiques aux témoignages de clients - bien évidemment fictifs - décrivant d'apocalyptiques fêtes de famille mises à sac par des punks, ou encore la gamme complète des marginaux à louer.
Après avoir mis en scène à l'intention des journalistes de TF1 le vernissage fictif d'un artiste fictif volontairement dérangé par l'intervention de deux faux punks de location, Sand et Fab ont gardé le silence pendant plusieurs mois en attendant la diffusion de leur canular le lundi 12 juillet 2004 sur TF1 dans l'émission Incroyable mais vrai.
Propos recueillis par Laurent Courau
Mode auto-promo on
Disons que le public du site (http://crobard.propagande.org) nous réclame de longue date un recueil papier, l'idée était dans l'air sans être formelle et le passage du format web au format papier sans nous paraître impossible nous semblait bien flou. Puis suite à une rencontre l'été dernier (2003), nous avons eu cette opportunité, l'éditeur est une personne qui nous connaît depuis déjà pas mal de temps et qui nous a laissé une liberté totale, que ce soit concernant la taille, le format ou le contenu.
Nous avions d'emblée envie de travailler sur une série plutôt que sur un titre ponctuel tout en restant dans la ligne du site, c'est comme ça que s'est imposée cette idée de série autour d'un "guide d'ethnologie urbaine", moitié sérieux, moitié parodiques, décrivant une ethnie urbaine par recueil à la manière d'un ethnologue : habitat, comportement, type et illustrée de dessins originaux.
Le premier de la série est sorti en janvier 2004, c'est Les Goths, petit précis d'ethnologie urbaine par The Crobard et le deuxième qui s'appellera Les Punks, petit précis d'ethnologie urbaine par The Crobard sortira d'ici 2005.
Monde auto-promo off
Comment se sont déroulés vos premiers contacts avec TF1 ? Par quelle voie avez-vous été contactés et quelle fut votre réaction initiale : étonnement, stupeur, amusement ?
Merci de nous donner l'occasion de souligner que c'est bien les journalistes qui sont venus nous trouver et non l'inverse, même si nous sommes coupable du canular, nous insistons sur notre circonstance atténuante : nous n'avons pas provoqué. Donc notre premier contact a été un mail, un mail qui nous a simplement ahuris, nous sommes resté longtemps avec le mail ouvert sur un des écrans en repassant devant régulièrement. Ensuite, il a fallu se décider, pour être crédibles, nous devions répondre rapidement au mail.
Qu'est-ce qui vous a décidé à organiser le vernissage filmé par TF1 dans le cadre du reportage diffusé dans l'émission Incroyable mais vrai et comment vous est venue cette idée ?
L'idée est venue du journaliste quand il nous a posté ce premier mail, c'est lui qui a cru qu'il était possible de "louer des marginaux", nous sommes simplement coupables de ne l'avoir jamais détrompé encore qu'il ne nous ait jamais explicitement posée la question. En nous postant le premier mail, quelque part il nous avait déjà décidé à monter le canular.
Quand à l'idée du vernissage, c'est la résultante de plusieurs contraintes imposées autant par l'équipe de journalistes, que par nos moyens, nous n'avions aucun budget pour ce canular, il fallait donc faire entrer nos impératifs dans nos possibilités. La salle (Les Caves Saint-Sabin : http://www.lescaves.org) par exemple qui a gracieusement été mise à notre disposition par son propriétaire n'était pas libre dans n'importe quel créneau horaire, idem concernant les gens qui acceptaient d'être nos figurants, l'idée du vernissage nous paraissait crédible avec la salle et proposait des horaires relativement adaptés à ce que nous cherchions tous mais évidement l'autre avantage du vernissage c'est qu'il expliquait de lui-même la présence d'autres caméras et des appareils photos.
Racontez-nous le montage de cette fausse exposition. J'ai cru comprendre qu'il y a de nombreuses anecdotes amusantes autour de l'organisation de cette exposition, depuis la création des tableaux par des enfants jusqu'à la participation au vernissage de figures connues de la scène musicale alternative parisienne et de membres de la ligue d'improvisation.
Une fois que l'idée a été lancée, nous avions envie de nous dédouaner d'une certaine part de responsabilité dans cette affaire, nous ne voulions pas passer pour les "méchants qui se foutent de la TV", cela nous paraissait trop basique comme message. C'est pourquoi, nous avons jalonné notre canular d'énormités comme autant de perches salvatrices à l'adresse des journalistes. Évidement, maintenant à la fin de l'histoire, cela n'en rend l'affaire que plus invraisemblable. Le premier gag était dans le nom du faux artiste qui était censé exposé et dont le nom "Curt Ega" autrement dit "Ega Curt" est un anagramme de Trucage. Ensuite, l'idée était justement de tout "truquer", que rien ne soit vraisemblable dans cette histoire, c'est comme ça que l'idée de laisser nos enfants de 2, 6 et 8 ans réaliser les toiles, nous a paru amusante, les enfants avaient les toiles devant eux avec une consigne "peindre des ronds" (en accord avec le concept de nativité de l'exposition qui pouvait renvoyer à l'idée d'oeuf et donc de rond).
Suivant cette volonté de bidonnage, il était impératif que nos punks soient authentiquement faux mais leur rôle dans le canular était suffisamment important pour ne pouvoir le confier au premier volontaire, d'ailleurs nous avions peu de volontaires pour ces rôles. C'est alors qu'un de nos figurants a eu l'idée de nous adresser à une de ces connaissances, comédien de son état, Vivien qui a tout de suite accepté y compris l'investissement personnel qui consistait à se faire une crête pour quelques heures. Il était évident pour nous que l'opportunité d'avoir d'authentiques comédiens pour ces rôles était inespérée, Vivien et Benoît sont pour beaucoup dans la réussite de notre canular et confronter les journalistes avec d'authentiques comédiens avait un piquant qui nous réjouissait. Piquant d'autant plus pimenté qu'à l'inverse, la plupart de nos figurants étaient eux d'authentiques personnages dans diverses scènes alternatives. Le comble étant d'avoir placé une caméra cachée pour filmer les journalistes à leur insu, les plaçant dans la très désagréable situation d'arroseur arrosé.
Quelles furent les réactions de l'équipe de tournage de TF1 durant le vernissage ? Avez-vous eu peur qu'ils découvrent l'envers du décor ?
La peur d'être découvert, tellement le canular nous paraissait énorme, ne nous a jamais quittée, à l'heure où nous rédigeons ces lignes à quelques jours de la diffusion, nous sommes toujours dans l'incertitude d'être découvert avant. Maintenant, c'est vrai que spécifiquement sur le vernissage - bidon - nous sommes fait de sacrées peurs :
- que ça soit tout à la fin quand un "vrai" passant a été découvert au milieu de nos faux figurants et que le temps de l'identifier, on l'a imaginé en taupe de la production alors qu'en fait, il s'était simplement fait piégé par notre faux vernissage.
- ou que ça soit dans le moment de flottement qui a suivi le départ des journalistes, enfin plutôt la fuite des journalistes.
Parce qu'en fait, les journalistes avaient insisté pour faire une interview de nos faux punks, le problème était que n'ayant une crête que ce jour là, l'interview n'était possible que ce jour là et après avoir été maintes fois déplacée, elle avait fini par être remportée après le faux vernissage. os faux punks sont donc arrivés et ont pris les journalistes à parti au sujet des reports de rendez-vous dès le début, les déstabilisant d'entrée, ensuite comme convenus ils ont suffisamment poussé leur rôle pour certifier les journalistes dans leur certitude. Ce rôle consistant à se soulager contre le comptoir du bar, et c'est précisément le moment où les journalistes ont quitté le vernissage, alors que nous avions rendez-vous avec eux après.
A ce moment, nous nous sommes demandé si nous étions allé trop loin et si le canular était découvert, nous n'avons compris que le lendemain quand les journalistes nous ont rappelé pour prendre un autre rendez-vous en vue d'un interview avec nous mais surtout sans les deux faux punks qu'ils ne désiraient tellement pas revoir que nous étions chargé de leur faire signer les autorisations de diffusion.
Que s'est-il passé après ce tournage ? Avez-vous été invités sur le plateau de l'émission et le cas échéant, comment s'est passée votre rencontre avec la légendaire Sophie Favier ?
Donc suite au tournage, nous sommes allé dans les locaux de R&G production pour notre interview, grand moment aussi que celui-là où lorsque répondant à une des questions des journalistes Fab a dit : "ça ne serait pas le même feeling avec des comédiens " avec les journalistes hochant de la tête en face de nous. Petite frousse aussi, puisque le jour de notre interview chez R&G, Métro ( magazine gratuit distribué sur Paris, RP ) venait de sortir avec un article illustré avec des dessins de Fab et que justement il y avait un tas de bien 30 exemplaires de Métro à l'entrée de l'immeuble. Ensuite, il a fallu attendre la date du plateau, notre présence n'était pas indispensable pour l'enregistrement de l'émission puisque nous n'y intervenions pas directement mais nous tenions à voir la présentation du sujet et surtout du reportage à l'avance. Là, nous avons revu les journalistes qui avaient tourné le sujet et l'interview, re-visualisé le décor du plateau (n'étant pas des fans de l'émission, nos souvenirs étaient relativement flous) et pu profiter du catering.
Sur ce type d'émission, les contacts entre les animateurs et le public sont minimum, tout passe avant tout par les journalistes, donc même si notre sujet a été présenté par la délicieuse Sophie Favier en intro de sa rubrique "Le Faviez-Vous ?", nous n'avons eu aucun contact avec elle, si ce n'est d'être à environ 20 mètres d'elle sur le plateau. Quelque part, c'est la peut-être la personne la plus exposée du canular puisque c'est elle qui l'a présenté alors qu'en fait, elle n'est qu'une victime d'un système qui établit des "stars du petit écran" dissociant dangereusement le métier de journaliste du métier de présentateur lequel finit par se résumer à celui d'un simple speaker.
Ce canular rappelle entre autres choses les exactions de l'américain Joey Skaggs et le militantisme du Bilboard Liberation Front et des Adbusters. Est-ce que vous vous reconnaissez dans cette lignée d'agitateurs ?
Heu, ce serait peut-être se donner beaucoup d'importance que de se revendiquer d'une quelconque lignée, nous avons très largement profité d'une opportunité mais nous ne l'avons pas provoquée, ce qui crée déjà une grande différence dans la démarche. Maintenant, il est évident qu'au delà du simple plaisir d'avoir piéger la TV, il y avait une volonté de dénonciation de tout ce que sont maintenant devenu la plupart des grands médias télévisuels.
Il est déplorable au plus haut point qu'un outil aussi formidable que la TV, avec le pouvoir qu'il possède de par son audimat potentiel, ne soit désormais qu'une boîte à images, succession de flash dépourvus de sens visant simplement à "servir de chewing-gum à l'oeil", comme l'a si bien dit René de Obaldia. Et il est surtout dangereux qu'un média aussi puissant de par son impact sur les masses ne prenne pas la peine de vérifier un minimum les informations qu'il diffuse. Et même si ce discours peut paraître véhément à l'encontre d'une simple émission de divertissement, il faut bien considérer que cette émission est produite et réalisée par des noms connus et reconnus du monde télévisuel Français.
La diffusion sur un média national et la production/réalisation de l'émission par des professionnels reconnus pointent en exergue un laxisme inadmissible vis à vis du public et remet en cause la totalité des émissions diffusées sur le PAF.
Ne trouvez-vous pas inquiétant qu'il vous ait été aussi facile de berner les journalistes d'une grande chaîne de télévision française ? Ça laisse présumer d'autres dérives moins drôles en terme d'information.
C'est clair que maintenant que tout est presque fini, nous devons bien nous rendre à l'évidence que nous avons pêché par excès de zèle par peur d'être découvert alors qu'a priori aucunes vérifications n'étaient faites par les journalistes. Pour la salle, par exemple, le propriétaire était prévenu que les journalistes pourraient revenir ou rappeler mais il n'en a rien été. Maintenant, même si c'est malheureux à dire, pour appartenir à des milieux alternatifs, nous savons déjà combien certains reportages sont, disons... hasardeux.
Le plus grave dans cette histoire est bien qu'un des journalistes - celui qui nous a été présenté comme un des rédacteurs en chef de l'émission et qui a été directement en contact avec notre canular puisqu'il filmait le vernissage - a déjà été coupable de bidonnage de reportage, certes sur une autre émission (mais pourtant la même chaîne ), certes il y a près de 10 ans, mais justement, cela aurait du le rendre prudent. Et c'est peut-être le plus effrayant de cette histoire qui, de par ces acteurs, laisse supposer une synergie globale de l'ensemble du PAF pour privilégier le sensationnel au détriment de la vérité.
Quelles sont vos conclusions sur toute cette aventure ? A-t-elle changé votre appréciation des médias de masse ou n'a-t-elle fait que confirmer ce que vous pensiez déjà ?
Nous avions déjà une opinion très arrêtée sur un certain type de TV et cette confrontation directe nous aura non seulement confirmé dans cette optique mais aussi prouver que cette enchère au sensationnel passe outre la véracité des choses résumant l'essentiel aux les images. Dans un monde où le montage vidéo et la 3D permettent de mettre n'importe quel mensonge en scène, c'est tout simplement effrayant. Le 1984 d'Orwell semble soudain presque palpable.
Et si c'était à refaire, est-ce que vous le referiez ?
Évidement que oui, se jouer d'une chaîne nationale est un plaisir trop rare pour ne pas être addictif.
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