SATOMI - THE TOKYO LOVE DOLL


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)

Dominatrice professionnelle, artiste performeuse et japonaise d'adoption, Satomi nous initie aux mystère des geishas, ces courtisanes rompues aux arts traditionnels du pays du soleil levant, tels que la danse, le chant, la calligraphie, la cérémonie du thé et la musique. Une interview surprenante qui nous livre également un aperçu des tensions d'une société japonaise tiraillée entre ses traditions séculaires et l'énergie déferlante des jeunes générations biberonnées aux mangas cyberpunks.

Propos recueillis par Marisa Kakoulas.


Expositions et vernissages du livre The Tokyo Love Doll à Lyon (novembre 2008.

Deux dédicaces sont organisées le 22 novembre 2008, de 16h30 à 19h00 à la librairie Le Bal des Ardents (17 Rue Neuve Lyon 1er - tel 04 72 98 83 36) et à partir de 20h30 chez Marquis Body Art (22 Rue Terme Lyon 1er - tel 04 72 07 64 79). Les photographies de The 'Tokyo Love Doll seront exposées chez Marquis Body Art du 22 novembre 2008 au 24 janvier 2009.


Les occidentaux font souvent l'erreur de réduire le rôle des geishas à celui de simples prostituées. Quel est le rôle réel de la geisha dans la société japonaise contemporaine ?

La prostitution n'est pas légale au Japon, mais elle est tolérée. Quand un homme ne cherche que du sexe tarifé, il ira plutôt dans ce qu'on appelle un "soap land", ce qui est tout simplement un autre nom pour les bordels. Il y est possible de payer une fille pour un frotti-frotta ! C'est de là que vient le nom de "soap land" pour ces établissements. Il y a bien sur d'autres options possibles et une session y dure environ deux heures pour un prix de 400 dollars. C'est le genre de travail que peut faire n'importe quelle fille pourvu qu'elle soit "saine".
La geisha a un rôle plus complexe, auprès des hommes comme des femmes. Ce qui l'oblige à suivre un entraînement rigoureux dans la maîtrise d'arts tels que la cérémonie du thé (o'cha), la danse (nuhon buyo), la musique (koto et shamisen), la poésie et tout ce qui peut contribuer à divertir ses clients. La maiko (jeune geisha en apprentissage) est habituellement engagée pour des dîners de groupes, alors que la geisha a affaire à des clients plus privilégiés avec lesquels ses rapports sont d'ordre nettement plus privés. Ce qu'elle fait derrière des portes closes ne regarde qu'elle. Il en va de même pour les hôtesse ou les secrétaires? un peu d'heures supplémentaires !

Comment en êtes-vous arrivée à jouer ce rôle de geisha ?

J'ai vécu quelques années au Japon dans mon enfance et je suis fascinée depuis toujours par leurs arts traditionnels. Ca fait maintenant six ans que j'y suis retournée pour travailler au consulat de France en tant que traductrice et enseignante. J'ai également, grâce à un concours de circonstances, commencé à travailler comme dominatrice professionnelle à la même époque. J'avais une amie maiko, par le biais de laquelle je pensais naïvement pouvoir obtenir des informations et peut-être travailler comme geisha le week-end. C'est alors que j'ai commencé à découvrir les règles qui régissent le rôle de la geisha. On m'a fait comprendre que je ne pouvais y adhérer. J'ai donc commencé à étudier la musique et la danse par moi-même, tout en perfectionnant mon japonais. Je me suis retrouvée involontairement dans ce rôle suite à l'invitation d'un collègue du consulat à une soirée où j'ai rencontré les bonnes personnes et pu tester mes charmes. Le bouche à oreille jouant en ma faveur, il ne m'a pas fallu longtemps pour que l'on me présente des businessmen en voyage d'affaire avec qui je suis restée en contact, ce qui me permet de travailler presque partout où je me déplace.

Pouvez-vous nous décrire la façon dont on s'entraîne à l'art d'être geisha ?

Avec l'aide de quelques amies maikos, j'ai entrepris d'apprendre comment attacher un Obi (la ceinture qui se porte avec le kimono), ce qui m'a pris quelques mois car pour chaque situation il existe une façon différente de le porter. J'ai ensuite suivi des cours de nihon buyo (danse) et de koto (harpe japonaise) pendant cinq ans. J'ai aussi acquis le titre de nawashi après avoir appris l'art du kinbaku (bondage traditionnel japonais). Une grande partie de mes revenus est passée dans ces études. Le prochain sur la liste est la cérémonie du thé et des leçons d'espagnol.

Quand on fait appel à vos services, qu'est ce que cela sous-entend, pouvez vous nous décrire une soirée ?

Je peux être appelée pour un lunch, un dîner ou encore pour servir d'interprète lors de conférences ou de réunions d'affaire puisque que je maîtrise parfaitement le japonais, le français et l'anglais. On fait aussi appel à moi pour des soirées privées, aussi bien pour jouer du koto que pour pratiquer le bondage. En général, les hommes font appel à moi pour le statut que ça leur apporte et parce qu'ils apprécient être en bonne compagnie. J'ai un côté très exotique pour de nombreux hommes? Les japonais craque pour mon accent français tandis que les occidentaux prennent plaisir à me laisser commander des sushis au restaurant.

La geisha n'est pas une prostituée mais son rôle semble néanmoins très érotique. Etes-vous d'accord ? Et si c'est le cas, de quelle façon s'exerce cet érotisme ?

Evidemment. Toute sa gestuelle est tintée d'érotisme. Sa nuque est considérée comme une partie très érogène. Elle a le même pouvoir érotique qu'un décolleté. C'est pour cette raison que le kimono de la geisha ou de la maiko révèle toujours une nuque poudrée de blanc dessinant un motif qui joue le rôle d'accroche-coeur. Les cheveux sont toujours relevés de façon élaborée. Ajoutez à cela une voix douce acquise avec de l'entraînement, de savants battements de cils, des petite lèvres soigneusement soulignées de rouge et un petit pas précis et lent lorsqu'elle danse ou sert le thé? Tout est séduction. La geisha est l'archétype d'une féminité dont la force érotique réside dans son pouvoir.

Vous êtes une femme forte et indépendante. Comment répondez-vous aux accusations de ceux qui prétendent que la geisha perpétue le système à dominance masculine et sexiste qui existe au japon ? Que pensez-vous de cette dynamique des genres ?

C'est une vision très occidentale du problème. Dommage qu'il n'existe pas encore de geisha mâle. Au Japon, il existe de nombreux bars à hôtesses qui sont en fait des lieux où les hommes paient assez cher pour une compagnie féminine avec laquelle ils peuvent discuter sans qu'il n'y ait rien de sexuel. Ces lieux sont devenus de plus en plus populaires durant les trente dernières années et on voit maintenant apparaître la version masculine de ces établissements. Ils rencontrent un énorme un succès auprès des femmes qui de jours en jours s'affirment un peu plus. Les nouvelles générations amènent de nouvelles valeurs. Mais le Japon est et restera encore quelques temps une société patriarcale. Ici, comme ailleurs, c'est le rôle de la femme au foyer qui perpétue une certaine forme de sexisme, pas celui de la geisha.

Est-ce que vous définissez vos actes en fonction de règles pré-établies ou selon vos propres règles ? Et si c'est le cas, quelles sont-elles ?

J'agis en fonction de besoins et non de règles. Elles sont évidemment différentes selon qu'il s'agisse d'un rendez vous dans une suite d'hôtel pour "jouer" la domina ou de me rendre à domicile pour jouer du koto. Je porte aussi bien le kimono que l'uniforme. Les seules règles que je suis sont celles que j'établis.

Comment travaillez-vous, au travers d'une agence ou en indépendante ? Et quelles sont les différences ? Et dans le cas où vous seriez indépendante, comment quelqu'un voyageant au Japon peut vous engager ?

J'ai commencé en indépendante parce qu'en tant qu'occidentale, il ne m'était pas possible de travailler dans un ochaya. Cette voie me permet une liberté qui ne me serait pas possible si je travaillais comme geisha dans le quartier de Gion. Je peux choisir mes clients, les services, les lieux et négocier mes tarifs. Je peux également choisir mes tenues, en tenant compte évidemment des préférences de mes clients. Et je voyage à ma guise en étant mon propre patron. L'univers des geishas de Gion est très rigide. Toutes ces libertés n'y seraient pas admises. Une geisha doit par exemple y porter son kimono et sa perruque tous les jours. J'apprécie les traditions, mais pas les constrictions.
Je ne cherche pas mes clients. Ce sont eux qui me trouvent. Une bonne réputation, un sourire invitant et mon site Internet me procurent du travail ici au Japon, mais également à l'étranger où j'ai quelques contacts.

Les geishas semblent constituer une espèce en voie de disparition. Elles étaient 80 000 dans les années 20 et ne sont plus que 10 000 aujourd'hui. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il y a plusieurs raisons à ça, la raison principale étant d'ordre économique. Les années décadentes de la bulle économiques sont depuis longtemps terminées sans que cela ait fait baisser les prix des services des geishas. Une baisse de la clientèle signifie moins de revenus pour couvrir les frais liés à ce style de vie. Ajoutez à ça des règles strictes qui découragent les jeunes filles rêvant de porter un piercing, un tatouage ou toutes autres choses allant à l'encontre des règles qui régissent les geishas. Le pouvoir croissant des femmes japonaises constitue une autre raison de ce déclin, qu'elles peuvent se permettre des choix de vie qui n'étaient pas possible auparavant.

On dit de la geisha qu'elle est subordonnée, qu'en penses-tu ? En fait, penses-tu dominer tes clients par tes capacités et ton intelligence ?

Les geishas ont toujours été là pour flatter l'ego des hommes. Cela signifie qu'elles sont à leur service, mais ça ne veut pas dire qu'elles sont leurs esclaves. Toute la subtilité réside dans l'art de leur laisser croire qu'ils sont maîtres d'un jeu dont la geisha définit en réalité les règles.

Comment le rôle de la geisha a-t-il été modernisé ?

Il ne l'a pas été et c'est précisément une des raisons de leur baisse de popularité. Il faudrait que le rôle de la geisha soit remis au goût du jour ou à l'inverse que s'opère un véritable retour au traditionalisme pour que la geisha ne devienne pas totalement obsolète et qu'elle survive. Personnellement, je préférerais que son rôle soit modernisé. Et c'est peut-être là que j'interviens...

Aimeriez-vous ouvrir votre propre o'chaya ?

Je préfère de loin mon site Internet !

Vous vous considérez plutôt comme une femme d'affaire ou comme une artiste ? Et quels sont vos tarifs ?

Je me considère comme une business artiste ! Mes prix sont définis en fonction des services que l'on me demande. Le minimum étant de 2500 dollars, auxquels s'ajoutent mes dépenses en cas de déplacement.

Quel est le futur pour Satomi ?

J'espère qu'il sera ce qu'elle voudra qu'il soit...


Commentaires
Doll666 - 2010-08-31 00:22:37
Moi qui souhaitais comprendre la deffinition de modern geisha de Satomi Zpira me voilà servie...

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A propos de cet article


Titre : SATOMI - THE TOKYO LOVE DOLL
Auteur(s) :
Genre : Interview
Copyrights : La Spirale.org - 1996-2008
Date de mise en ligne :

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Satomi, the Tokyo Love Doll - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

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