LUKAS ZPIRA - UNE INTRODUCTION AU BODY HACKTIVISME


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)

Modifié, scarifié, amplifié, le corps humain est la dernière frontière sauvage, le lieu de tous les possibles, à la fois terrain de bataille et enjeu de conflits sociaux, culturels et économiques parmi les plus importants de notre temps. On étend ses capacités à l'aide d'implants et de prothèses toujours plus perfectionnées. On dissèque son matériel génétique et le spectre d'une apocalypse transgénique inquiète déjà les foules. L'agitation ne se cantonne cependant pas aux seuls laboratoires. A l'heure où le culte totalitariste de la perfection physique envahit tous les espaces de communication, les body hacktivistes poursuivent à leur manière la résistance initiée par les excentriques des décennies passées en réinventant leurs véhicules corporels au gré de leurs inspirations. Religieuses ou commerciales, les normes tentent de s'opposer à ces pulsions marginales et néanmoins évolutionnistes, mais il est trop tard. L'histoire est en marche et le post-humain prend déjà forme dans les brumes des bouillons de culture du millénaire naissant.

Propos recueillis par Laurent Courau.


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I. LE MANIFESTE DU BODY HACKTIVISME
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Créé à l'aube de l'année 2004 au pays du soleil levant par Lukas Zpira, sous l'impulsion de Riyochi Maeda, le terme Body Hactivisme est né de la nécessité de définir une mouvance d'artistes, de chercheurs et de penseurs travaillant autour des mutations et utilisant les modifications corporelles comme medium. Par opposition aux modernes primitifs qui travaillent sur des bases d'anthropologie tribale, les body hactivistes pratiquent, théorisent et inventent des modifications corporelles avant-gardistes et prospectives, influencées par la culture manga, la bande dessinée, les films et la littérature de science- fiction. Rendues possibles par une curiosité sans cesse en éveil de l'évolution des découvertes techno-médicales, ces pratiques par essence expérimentales, sont définies comme Body Hacking, terme exprimant la volonté de ces artistes, chercheurs et penseurs de dépasser les frontières biologiques.
Les termes Body Hacktiviste et Body Hacktivisme sous-entendent la nécessité d'action et de prise en main de nos destinées par la volonté perpétuelle de se réinventer. De facto, par son travail de recherche, de création et de mise en pratique de techniques d'implantations hors normes, deviantent des pratiques de chirurgie réparatrice et esthétique dont elles sont issues, et largement influence par des séries télévisées comme Star Trek, Steve Haworth peut être considéré comme un des pères de ce mouvement. Le body hacktivisme n'inclue pas la nécessité d'être modifié. Toutes les personnes modifiées ne peuvent être considérées comme des body hacktivistes. Le body hactivisme doit être avant tout perçu comme une philosophie et un état d'esprit.

. Lukas Zpira - Janvier 2004


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II. QUATRE QUESTIONS A LUKAS ZPIRA
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Pour les profanes, et ils sont nombreux, peux-tu revenir sur le fossé qui sépare les modernes primitifs des body hacktivistes, et par la même occasion nous exposer tes motivations pour donner un nom à cette mouvance en créant le terme Body Hacktiviste ?

Plusieurs choses ont motivé cette décision ! En premier lieu, le fait qu'il nous fallait trouver une façon de nous positionner les uns par rapport aux autres et qu'il y avait une difficulté à exprimer notre démarche auprès des médias et d'un plus large public, simplement du fait que celle-ci n'avait jamais vraiment été définie. Il y avait bien les modernes primitifs, mais ce terme concerne une mouvance née dans les années 70 dont les adhérents, même s'ils travaillent sur leurs corps comme nous le faisons, empruntent à des références tribales qui sont très loin de nos préoccupations. En effet, même si nous marquons un certain respect pour ces références anthropologique, elles ne sont absolument pas les nôtres.
Je fais partie comme beaucoup de la génération "fin de siècle" qui a baignée dans les comics de super héros, les films de science-fiction, la littérature cyberpunk ou l'univers des mangas. Des formes artistiques qui annonçaient une post-humanité et qui, bien qu'empreintes d'une certaine noirceur, nous laissaient entrevoir une lueur d'espoir dans un avenir que la structure géopolitique du moment semblait largement compromettre? « No Future ! » criait dans la rue cette jeunesse dont beaucoup d'entre nous faisaient partie. L'apparition des nouvelles technologies, en particulier de l'Internet, dans nos vies, a bouleversée à jamais nos fonctions cognitives, notre façon de communiquer ou encore de nous informer, pour finir quelques années plus tard par donner aux plus malins des survivants de cette époque et aux générations suivantes les motivations et les outils pour mettre en application ce dont nous nous étions surpris à rêver.
C'est d'ailleurs pour cela que le premier terme utilisé pour nous définir était celui de cyberpunk. Si celui-ci se révéla plus juste et avait l'avantage de nous renvoyer à des notions de hacking qui étaient effectivement notre propos par rapport a notre démarche corporelle, le terme de cyberpunk restait malgré tout un peu en dehors de la vérité. Au moins parce qu'il ne se référait pas uniquement au corps comme point central, catalyseur ou encore medium (on choisira).
Il nous fallait un terme qui pose toutes les données du propos. Quelque chose de simple, quelque chose de fort. Il nous fallait également sortir du schéma dans lequel nous étions en train de rentrer, celui d'une communauté reconnaissable à ses modifications. Schéma qui allait nous enfermer dans un carcan de plus en plus étroit et qui nous coupait de toute une élite intellectuelle qui si de son côté ne pratiquait pas la mutation mais la pensait !

Le terme "hacktiviste" est un néologisme né de la fusion des termes "hackers" et "activiste", auquel tu ajoutes le mot "body" qui désigne le corps humain en anglais. Doit-on comprendre qu'il s'agit de détourner, voire de pirater nos corps au travers d'une démarche artistique, technique et politique ? Ce qui sous-entend par ailleurs (puisqu'il y a détournement ou piratage) que nos corps ne nous appartiendraient pas ?

C'est exactement notre propos. Quelle est la place du corps dans nos sociétés ? En avons-nous vraiment le libre usage, la propriété ? Qui peut le faire évoluer, comment et à quel prix ? Quelle est la place de notre libre arbitre ? Quel choix avons-nous réellement ? Quelle est la longueur de la chaîne et qui en détient la clef ? Nous sommes encore des esclaves et notre ignorance fait de nous nos propres geôliers ! Peut-être que la connaissance est la clef et la véritable révolution une simple remise en cause?

Afin de bien comprendre le cheminement qui t'a amené à vouloir définir cette mouvance d'artistes, de chercheurs et de penseurs qui travaillent autour des mutations en utilisant les modifications corporelles comme médium, peux-tu nous retracer ton évolution personnelle et ce que tu définis comme des mutations ?

Cette question concerne toute mon histoire et ne peut se résumer en quelques lignes ! Disons simplement que chacune de mes mutations est le fruit longuement mûri d'un long processus de remise en question dont la réponse est une victoire sur moi-même, et je l'espère un échelon supplémentaire franchi dans la compréhension des comportement sociaux à travers l'analyse de ma structure interne, de ses forces et de ses (trop nombreuses) faiblesses.

Quels sont selon toi les grands enjeux des années à venir dans le domaine du corps humain ? Est-ce que tu pressens que nous allons vers un plus grand contrôle du corps par les pouvoirs en place, qu'ils soient institutionnels ou commerciaux ?

Un glissement très dangereux est actuellement en train de s'opérer. De plus en plus, les brevets de découvertes clefs concernant notre évolution appartiennent, et c'est une première dans l'histoire de l'humanité, non plus à un quelconque ordre naturel, mais à des entreprises privées. Il est plus que nécessaire dans ce contexte de créer un véritable contre-pouvoir?


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Titre : LUKAS ZPIRA - UNE INTRODUCTION AU BODY HACKTIVISME
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Genre : Interview
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Date de mise en ligne :

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Lukas Zpira - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

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