CLAUDE ZURCHER & RICHARD CHARRIER - OLGA EDITIONS


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)

A l'heure où les masses s'extasient devant le dernier modèle de baladeur numérique, une poignée de rebelles entre en résistance dans les bas-fonds européens pour défier le tout technologique. Initiée par Claude Zurcher et Richard Charrier à l'automne 2004, la maison Olga Editions se consacre à la publication de flipbooks, ces petits livres animés habituellement réservés aux enfants, qu'ils détournent de leur mission première pour en faire les supports de leurs aspirations contestataires.

Désordre et La Chute, les deux premières publications d'Olga Editions, s'inspirent ainsi respectivement des manifestations contre le G8 qui ont choqué Genève en juin 2003 et du vol plané réalisé par Fidel Castro, le 20 octobre 2004, à l'issue de l'un de ses nombreux discours fleuves, pour rappeler à leur manière que l'ordre et le désordre sont intimement liés et qu'il n'y a pas de chutes anodines, mais des manifestations burlesques de notre condition humaine.

Fidèles à leur ligne de conduite chaotique, nos deux conspirateurs profitent de cette interview pour revendiquer leurs exactions, entre une apologie des émeutes de juin 2003 et l'aveu d'une certaine attirance sexuelle pour la gente masculine punk. Attention ! La Spirale tient à prévenir ses lecteurs que certains propos tenus par Claude Zurcher et Richard Charrier peuvent choquer la sensibilité des plus jeunes et des personnes sensibles.

Propos recueillis par Laurent Courau.


Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de publier des flipbooks, objets pop par excellence et néanmoins denrées rares sur les rayons des librairies par les temps qui courent ?

Claude Zurcher : Pour son deuxième anniversaire, ma filleule avait reçu de son père un flipbook édité à New York. Il montrait un dauphin dans une piscine de parc de loisir sautant à travers un cerceau tendu par un homme vêtu de blanc. Le côté ludique, tactile, enchanteur de l'objet m'avait tout de suite frappé. Il y avait là quelque chose d'exceptionnel, un procédé simple et pourtant profond, une force poétique remarquable mais comme laissée à l'abandon. Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du procédé en liant du texte à l'image animée, en jouant sur leur correspondance ?
Au début, nous voulions publier des flipbooks absolument undergrounds, tirés à la photocopie, découpés grossièrement, reliés par un coup d'agrafe et les offrir en imposant au lecteur l'obligation de les faire circuler par un avertissement imprimé au dos. Mais pour des questions techniques, notamment le grammage du papier et la découpe, nous avons été forcés de passer par un imprimeur. Et donc de rentrer dans le circuit commercial des librairies pour couvrir nos frais. Mais nous ferons certainement des flipbooks undergrounds gratuits, obscènes, frénétiques, absurdes, insultants, etc., qui flipperont mal et saliront les mains.

Richard Charrier: L'attrait premier est purement financier, mais si je peux également rencontrer des filles?

Comme vous le faites très justement remarquer dans votre texte de présentation, les flipbooks utilisent l'animation par l'effeuillage rapide d'une succession d'images, un procédé antérieur à l'invention du cinéma. Doit-on voir dans ce choix technique quelque chose comme une dénonciation de l'emprise croissante de la technologie sur notre univers multimédia ou plus simplement une forme de retour en enfance ?

RC : Retour en enfance certainement pas, car mon père m'avait offert pour mes cinq ans une montre-bracelet-télévision? Les flipbooks, c'était pour les pauvres !

CZ : Si nos flipbooks font ressurgir une émotion de l'enfance, tant mieux. Mais ils n'appellent en aucun cas à une régression. La composante infantile de la société actuelle est à vomir. Cette invasion du puéril jusque dans des arts autrefois raffinés et exigeants fait peur. Sans doute par facilité, les flipbooks ont longtemps été destinés aux enfants. Il est vrai que l'aspect magique du procédé touche le sens du merveilleux et de l'humour qui est préservé chez eux. Des publicitaires qui n'ont d'autre jouissance que de saloper ce qu'ils manipulent ont transformé les flipbooks en objets de "communication" pour rendre originale leur production merdique et décrocher un sourire gras de leurs clients. Des artistes se sont aussi emparés du procédé, mais en l'exploitant à moitié, captivés par le principe de l'image animée manuellement. À ma connaissance, de nombreux flipbooks publiés restent bloqués à l'utilisation d'images anciennes, datant de l'invention du cinéma ou présentant la décomposition du mouvement ; des danseurs de tango, le galop d'un cheval, etc. ou des scènes burlesques, dadaïstes.

Pour moi, le côté fascinant du flipbook est exacerbé aujourd'hui par la confusion des émotions, intimes et collectives, qui aboutit à ce tohu-bohu mièvre qui constitue notre environnement sensible quotidien. Je dirais que depuis Descartes, la classification des sentiments a offert une gamme étendue de nuances à la littérature. La philosophie, elle, a pu s'émanciper de la théologie car cette classification mettait de la clarté dans les "passions de l'âme" et rendait l'homme digne d'intérêt et d'étude. Mais assister aujourd'hui à l'effondrement de cette nomenclature si subtile ne peut que nous pousser à nous consoler en cherchant des voies étroites pour avancer malgré tout, en lançant des publications modestes, par exemple, des fusées comme nos flipbooks, petites roquettes aiguisées dont l'impact est incertain.
Quant à la domination de la technologie de l'image, qui est devenue une évidence proche du lieu commun alors que le téléphone se transforme en télévision portable et qu'Internet est en train de gober la télévision, je suis intimement heureux de publier sur papier et à un format réduit une animation manuelle tour à tour désinvolte, équivoque, pamphlétaire, critique, poétique, contestataire, etc., reposant sur un principe d'une touchante simplicité et donnant une place privilégiée au sens de l'image et à l'impact de l'écrit. Les flipbooks ont une assurance sans pareil aujourd'hui : utiliser de l'animation sans électricité, c'est revenir à une pureté du regard.

Olga Editions démarre avec deux flipbooks ayant pour thème le désordre et la chute. Comment en êtes-vous venus à choisir deux sujets aussi polémiques pour lancer votre maison d'édition ?

RC : Nous avons commandé l'été passé un sondage téléphonique auprès d'un panel de 1200 personnes, et il s'est avéré que notre public cible est passionné par l'altermondialisme et toutes ces conneries, voilà comment s'est fait notre choix? Finalement, nous devons beaucoup à Manu Chao !

CZ. : Pour Désordre, il faut remonter aux manifestations contre le G8 qui ont choqué Genève en juin 2003. Cette ville incroyablement privilégiée, son lac, son confort, sa sécurité, sa morgue comme place financière où des sommes colossales du monde entier trouvent refuge et où se négocient les principales matières premières a été secouée durant trois jours par des manifestations de rue qu'elle n'avait pas connu depuis 1932, quand l'armée a tiré sur une manifestation d'ouvriers, faisant 13 morts. Les banques, les bijouteries, les magasins de luxe, les commerces de sous-vêtements féminins, etc., se sont barricadés derrière des panneaux de chantier. Mais des casseurs, venus pour la plupart de Zurich, de France et d'Allemagne, ont réussi à insuffler une excitation inconnue des Genevois, un mélange de peur, de plaisir, de scandale, de liberté qui favorisait pour beaucoup une forme de rébellion salutaire, quelque chose de très vivant. Certains se sont engouffrés dans cette liberté fraîche, la plupart des casseurs poursuivis actuellement par la justice sont d'ailleurs des employés de commerce ou des apprentis qui n'auraient jamais eu l'idée ni le plaisir de la casse s'ils n'avaient eu l'occasion de lancer des bouteilles contre la police.

Un nombre considérable de propos d'un incommensurable crétinisme a été émis durant ces quelques jours. Le présentateur vedette du journal télévisée a même suggéré au ministre de la police de donner l'autorisation de tirer sur la foule. Un autre journaliste, ancien rédacteur en chef de La Gazette Juive, a laissé entendre, dans un livre publié très peu de temps après, que les casseurs étaient comme le phylloxéra, cette vermine qui attaque la vigne, insinuant par là que l'on était en droit de la gazer.

D'une certaine manière, nous avions envie de répondre à ce délire. Mais sous quelle forme ? Avec Richard, j'avais participé en 1998 à la rédaction d'un journal placardé dans les rues, à la façon des dazibaos chinois. Mais les Genevois ne sont debout que pour attendre le bus, pas pour lire des affiches. Avec ces manifestations, les conséquences du libéralisme qui fait la richesse de Genève lui revenaient à la figure. Comment mettre cette idée en valeur ? Une publication éphémère ? Un tract ? C'est alors que le procédé des flipbooks s'est révélé dans toute sa force.
Pour la chute, nous étions en train de travailler sur ce thème quand Fidel Castro a effectué son vol plané, à la fin de son discours prononcé devant les instructeurs de l'Académie des arts de Cuba. Un signe du ciel ! Plutôt qu'un texte sur Fidel Castro - qui ne nous intéresse pas outre mesure ? et sur le côté emblématique de sa chute, nous avons pensé chercher des témoignages pour étayer cette idée évidente qu'il n'y a pas de chute anodine, mais des manifestations triviales, burlesques, émouvante et souvent douloureuses de notre condition.

Publier des flipbooks sur la chute et le désordre me semble assez punk comme démarche. On pourrait aussi parler du graphisme qui évoque, en plus moderne, les pochettes de disque des groupes de Oi ! et de hardcore anglais des années 80. Qui sont donc Claude Zurcher et Richard Charrier, les deux fondateurs d'Olga Editions... Un duo d'iroquois qui découpent leurs flip-books au couteau à cran d'arrêt en buvant de la bière, avec Conflict et The Exploited en fond sonore ?

RC : Personnellement j'ai toujours eu horreur de toute cette crasse musicale, pour moi la création lyrique s'arrête en 1934 avec Carmina Burana de Carl Orff. Le graphisme punk c'est pour séduire notre public.

CZ : Mon attirance pour les punks est essentiellement sexuelle.

Plaisanterie mise à part, quelles ont été les réactions des libraires lorsque vous êtes passés leur déposer des exemplaires de votre production ? Et qu'en pensent vos premiers lecteurs ?

RC : Nous ne rencontrons ni nos lecteurs, ni nos détaillants.

CZ : Ce que nos lecteurs et les libraires pensent ne nous intéresse pas. Que chacun fasse correctement son travail, c'est tout ce que nous demandons (et c'est déjà énorme).

Est-il complexe, techniquement parlant, de réaliser un flipbook ? Ce qui, le cas échéant, expliquerait sans doute leur rareté ?

RC : Très franchement cela ne doit pas être sorcier, mais comme nous sous-traitons tout le travail aux Indes?

CZ : Peu d'images, peu de pages, un format très réduit? et pourtant. La difficulté provient surtout de trouver une séquence animée saisissante et de la manière de disposer le texte, le format impose des phrases courtes, proches du slogan.

Pour en revenir au graphisme, qu'est-ce qui a motivé votre choix du noir et blanc ?

RC : Le fric? pardon? le budget.

CZ : Et la volonté d'une certaine cohérence avec le propos.

Après ce démarrage hautement subversif, avez-vous déjà une idée de ce que seront les prochains thèmes de votre collection ? Implosion, putréfaction, des recueils pornographiques ?

CZ : Oui, tout cela, et des thèmes liés au corps, à la violence, à la peur, autrement dit à l'amour sous sa forme la plus intrigante.

RC : Nous ferons selon la demande, mais si un procès nous fait de la pub tant mieux !

La page d'accueil de votre site mentionne que vous souhaitez développer d'autres publications dans le futur, notamment des recueils de textes polémiques ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

RC : Je peux vous dire pour l'instant que nous préparons un grand coup éditorial, si tout va bien nous devrions nous en mettre plein les fouilles et revendre Olga Editions à une multinationale.

CZ : Allier grammaire et licence dans des recueils percutants, c'est une perspective enthousiasmante.


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Titre : CLAUDE ZURCHER & RICHARD CHARRIER - OLGA EDITIONS
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Genre : Interview
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Date de mise en ligne :

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Claude Zurcher & Richard Charrier, Olga Editions - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

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