BART ANDERSON « THE ENERGY BULLETIN »
Enregistrement : 15/02/09
Mise en ligne : 15/02/09
Pourtant et en dépit d'un épuisement attendu des combustibles fossiles sur notre planète, Bart Anderson du site The Energy Bulletin se veut rassurant. L'apocalypse post-industrielle n'est pas pour demain. Au risque de décevoir la frange la plus hardcore du lectorat de La Spirale, d'autres schémas moins anxiogènes sont envisageables.
Etat des lieux, prospectives, études de cas et passage en revue de solutions de sortie de crise qui évoquent plus le mode de vie des communautés Amishs que la violence outrancière des premiers métrages de Mel Gibson. Humungus et ses chiens de guerre peuvent poursuivre le route de bruit et de fureur sur support argentique, le futur se passera de leurs services.
Propos recueillis par Laurent Courau.
La quantité de pétrole dont nous disposons sur terre est limitée. Les gisements les plus accessibles ayant déjà été exploités, nous nous attaquons aujourd'hui à des gisements plus difficiles d'accès (sables bitumeux qui impliquent de creuser très profondément, grands fonds sous-marins et gisements de l'Arctique). A un certain point, la production de pétrole va atteindre son apogée, ce que l'on appelle le pic pétrolier, et ensuite, il y aura de moins de moins de pétrole disponible.
La production de pétrole suit une courbe en forme de cloche, que l'on appelle la courbe d'Hubbert, du nom d'un géophysicien, Mr King Hubbert. Celui-ci travaillait pour Shell et avait présenté cette idée de pic de production dès 1956, en annonçant au passage le pic de production américain qui a eu lieu en 1970. Il n'y a pas vraiment de controverse autour de l'idée en elle-même. Le débat porte plus sur la date à laquelle on devrait atteindre ce pic de production et la violence de la baisse de production qui s'ensuivra. Ainsi que sur les conséquences économiques, politiques et environnementales qui en découleront.
La crise du pétrole des années 70 avait ravivé un intérêt pour les idées d'Hubbert, mais celui-ci s'est vite tari avec la baisse des prix du baril. Ce n'est qu'au début des années 2000 que la question a resurgi avec les travaux de Colin Campbell, de Kenneth Deffeyes et d'une poignée de scientifiques. Et c'est là, après l'avoir d'abord combattu, que les compagnies pétrolières ont fini par accepter l'idée d'un pic de production.
Ce que l'on sait moins, c'est que l'idée d'Hubbert s'applique également à d'autres ressources énergétiques. Nous devrons faire face à un pic de production du pétrole, mais aussi du charbon, du gaz naturel ou du phosphore.
Les compagnies pétrolières découvrent de moins en moins de gisements de pétroles depuis le milieu des années 60, alors que la demande continue de croître. Est-ce que ça veut dire que nous avons déjà dépassé ce pic de production et que nous sommes depuis plusieurs décennies sur une pente critique ?
Est-ce que vous me demandez si la baisse des découvertes de gisements depuis les années 60 signifie que nous déjà atteint ce pic de production ? Oui, ça pourrait signifier que le pic approche, mais ça ne signifie pas non plus que nous l'avons déjà atteint. Le pic de production se produira plusieurs décennies après le pic des découvertes de gisements, car il faut des années pour les mettre en production et pour les exploiter.
Les projections actuelles tournent entre 2005 et 2025. Avec d'un côté la communauté qui s'intéresse à cette question et qui attend le pic assez rapidement. Et de l'autre, les compagnies pétrolières qui l'annoncent plus tard dans le futur. Et nous avons tous pris conscience des liens qui lient la production de pétrole aux conditions économiques. Avec la récession, la demande est faible. Les prix et la production baissent. Et évidemment, ça repousse l'échéance du pic de production.
Mais la plupart d'entre nous ne s'intéresse pas vraiment à la date exacte de ce pic de production, puisque nous n'en aurons connaissance que plusieurs années après l'avoir dépassé. Finalement, la question n'est pas tant celle de la date que de se préparer dès maintenant à la transition que cela implique.
Je ne possède pas de permis de conduire et de fait n'ai jamais conduit de voitures de ma vie. Et je découvre de plus en plus de gens dans mon cas, que ce soit en France et en Europe. Pensez-vous qu'il s'agisse d'un phénomène de plus en plus répandu et peut-on constater la réciproque en Amérique du nord ?
Quelle merveilleuse idée. Vous ne trouvez pas que vivre sans voiture vous permet de voir les choses différemment ?
Ca me rappelle Wendell Berry, un fermier-poète et environnementaliste, qui incitait les jeunes gens à se mettre au jardinage dans les années 1970, car c'était selon lui l'acte révolutionnaire par excellence. Son argument était que le jardinage vous rapproche de la nourriture que vous consommez, du sol et du climat, bien plus que les livres ou l'intellect.
D'ailleurs, je suis certain que vous pourriez parler longuement de ce que vivre sans voiture signifie pour vous.
Dans mon cas, ça m'a procuré une qualité de vie bien meilleure. Ca fait maintenant vingt-trois ans que ma femme a insisté pour que nous emménagions dans un quartier où il nous était possible de nous déplacer à pied. Et ça s'est révélé être une des meilleurs décisions que nous ayons jamais prises. Une des conséquences immédiates est que nous connaissons nos voisins et les commerçants de notre voisinage. Nous n'avons plus à nous préoccuper des questions d'embouteillages et du prix de l'essence. Nous faisons de l'exercice et nous prenons l'air.
Malheureusement, vivre sans voiture semble plus compliqué en Amérique qu'en France. La culture des banlieues est autrement plus développée aux USA et de nombreux endroits sont inaccessibles sans voiture. Ce qui fait que j'en possède encore une...
Il n'empêche qu'il existe tout de même des pionniers d'un mode de vie non motorisé aux USA. Mais l'idée est si nouvelle que certains d'entre eux y consacrent des blogs, comme c'est le cas d'Alan Durning qui vit à Seattle : The Year of Living Car Lessly Experiment
Des réformes de nos modes de pensée et de consommation semblent effectivement inéluctables. Quelles seraient selon vous les premiers changements à mettre en oeuvre à un niveau global, mais aussi les premiers sacrifices que nous devrons concéder à un niveau individuel ?
Un changement de nos modes de pensée et de fonctionnement est peut-être plus facile qu'il n'y paraît. Quand les conditions de vie deviennent difficiles, les gens changent vite de point de vue.
En l'espace d'un siècle, la Chine est passée d'une société féodale arriérée à un combat épique contre l'invasion militaire japonaise, puis de la société communiste de Mao à une spectaculaire puissance néocapitaliste. Notre évolution vers un mode de vie durable se révélera moins extrême que ce qu'a traversé la Chine. La plupart des idées et des technologies nécessaires à une société et une économie durables existent déjà. Des formes traditionnelles de durabilité sont encore présentes ou ne demandent qu'à être ranimées.
J'ai eu l'occasion de discuter avec Julia Darley, le co-fondateur de la Post Carbon Institute, et de noter nos idées sur un bout de nappe. Voici ce que donnait notre programme, si on peut l'appeler ainsi :
1. Le déclin de l'énergie est inévitable.
2. L'énergie lourde n'est pas la solution.
3. Il faut réduire la consommation et la population.
4. Commencer à partir d'où l'on se trouve.
5. Produire localement.
6. Se réjouir des graine symboliques.
7. Remettre les services publiques à l'honneur.
8. Accepter tout le monde (ne pas être sectaire et ne pas s'enfermer dans un parti politique).
9. Espoir et raison (ne pas s'affoler ou perdre les pédales).
S'il y a une suggestion que je pourrais faire, ce serait de prendre votre temps et d'étudier sérieusement ces sujets de la diminution de votre consommation énergétique et de la durabilité. A la lumière nouvelle du pic de production, nos idées sur le progrès l'économie, la science et la politique ont besoin d'être revues. Ca m'évoque parfois les paroles de la chanson « Everything you know is wrong ».
Ce processus de repenser nos certitudes peut se révéler difficile d'un point de vue psychologique. Certains n'hésitent pas à le comparer aux « cinq phases du mourir » d'Elisabeth KÃŒbler-Ross (pour plus d'informations, cliquer ici).
Lorsque l'on parle de pénurie de pétrole, cela évoque pour beaucoup d'entre nous le film Mad Max II qui est basé sur un scénario similaire. Sans tomber dans un catastrophisme aigu, quelles seraient les conséquences d'un déclin des ressources énergétiques à court et moyen termes ?
Ah oui, le fameux scénario à la Mad Max. La bonne nouvelle, c'est que la réalité ne ressemblera pas à ce film.
Si l'on a envie de jouer aux devinettes avec le futur, il vaut mieux se tourner vers l'histoire. Avec la chute de l'Union Soviétique, Cuba et la Corée du nord se sont soudainement trouvé privés d'un pétrole à bas prix. Ces deux pays ont souffert, mais Cuba a répondu de manière positive en s'orientant vers une forme d'agriculture organique et en partageant le fardeau. Sur cette question, je vous invite à voir le film The Power of Community â How Cuba Survived Peak Oil.
Pour les pays en voie de développement, nous avons des précédents avec la crise de 1973 et la seconde guerre mondiale. Et pour les pays du sud, nous avons l'exemple de ce qui s'est passé l'année dernière, lorsque le prix du pétrole a explosé.
Je pense qu'il est important de faire la différence entre un choc temporaire, comme ce fut le cas en 1973, et le déclin à long terme de la production de pétrole. Nous avons connu des pénuries momentanées. Elles causent des crises et des troubles temporaires, mais on arrive à les gérer. Le déclin des ressources est différent. Les prix vont augmenter, comme le signifie clairement le terme de « fin du pétrole pas cher » utilisé par les grandes compagnies pétrolières. Nos moyens de transport en seront affectés, puisque nos voitures et nos camions dépendent des combustibles liquides. L'industrie sera touchée, le pétrole se retrouvant dans de nombreux produits. Et pire encore, l'agriculture s'en trouvera elle aussi handicapée, puisque l'agriculture industrielle se base sur le pétrole, les pesticides et le transport de nourriture.
Et c'est là qu'arrive le coup dur. C'est au moment même où devrait s'opérer une transition à travers la reconstruction de nos infrastructures et le développement de nouvelles sources d'énergie que nous allons réaliser que le coût sera plus lourd que prévu à cause du prix de l'essence et de ses conséquences en matière d'industrie et de transport. C'est la raison pour laquelle les gens s'intéressant au pic de production de pétrole pressent les gouvernements d'agir et de s'impliquer dès aujourd'hui dans une dynamique de transition. Je vous invite à faire une recherche en ligne sur le Hirsch Report pour de plus amples informations.
Ce qui compte au final, c'est que les conséquences du pic de production ne sont pas prédéterminées. Des politiques de prévention à l'échelle d'un pays entier et une population éduquée permette une transition difficile mais encore réalisable. Nous pourrions même en tirer certains bénéfices en matière de santé et de vie sociale.
Quelles sont les solutions de remplacement viables, renouvelables et donc valables sur le court ou le moyen terme ? Où en est-on aujourd'hui dans ce domaine, en terme de recherches et d'expérimentations scientifiques ?
Je préfère me concentrer sur la partie de l'équation qui concerne la demande. De quelle manière pouvons-nous réduire nos besoins énergétiques ? Les médias, les gouvernements et les institutions scientifiques se concentre sur la question de la fourniture d'énergie en payant peu d'attention à la réduction de la demande énergétique. Comme de plus en plus de gens commencent à le réaliser, la forme d'énergie la moins chère est le Negawatt, l'énergie que vous n'utilisez pas. Nous avons de nombreuses opportunités d'épargner de l'énergie - à la maison, au travail, à l'échelle d'une communauté toute entière. Et à l'inverse, nos voix comptent peu quand il s'agit de la façon dont notre société génère l'énergie dont elle a besoin.
La discussion des ressources énergétiques devient vite très technique. Mais je peux peut-être faire quelques suggestions pour vos lecteurs qui voudraient étudier le sujet par eux-mêmes ?
- La stratégie qui semble la plus porteuse d'espoir est celle d'une combinaison des énergies solaire et éolienne, combinée à un système de transport utilisant l'électricité. Le problème restant que ces énergies renouvelables contribuent aujourd'hui à une part infime de ce que nous consommons et que la remise à niveau prendra du temps.
- Il faut se méfier des modèles qui semblent trop beaux pour être vrais. Je ne pourrais compter le nombre d'articles que j'ai lu qui annonçaient la « solution potentielle à tous nos besoins énergétiques ».
- Prenez en considération les coûts cachés et les effets secondaires (notamment en matière de combustibles « bio »). L'éthanol à base de maïs a pour conséquence de faire monter les prix de la nourriture.
- Faites attention au Retour d'Energie sur l'Energie Investie (Energy Return on Energy Invested - EROEI). Qu'est-ce que vous gagnez en énergie pour chaque unité d'énergie dépensée ? Ca vous donnera une idée du potentiel d'une nouvelle source d'énergie. Les combustibles fossiles ont par exemple un EROEI très élevé, de l'ordre de de 10:1, alors que celui de nombreuses sources alternatives reste très bas.
- Si vous cherchez une bonne source d'information sur ces questions techniques, je vous invite à visiter le site The Oil Drum.
Je viens de découvrir sur vos pages l'existence du Transition Town Movement, originaire du Royaume Uni et qui touche aujourd'hui l'ensemble du monde anglo-saxon. Pourriez-vous nous le présenter, nous parler de son importance aux USA et dans le monde, de ses enjeux et des initiatives concrètes que ses membres soutiennent et développent ?
Vous avez raison. C'est une des voies les plus encourageantes. Le mouvement est pour ainsi dire devenu « viral », avec des villes qui le rejoignent en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
N'étant pas moi-même participant, je ne puis vous en parler de ma propre expérience. Ce qui ne m'empêche d'être impressionné par cette approche qui se veut non-dogmatique, inclusive et locale. Je vous engage à lire cet article du Guardian dont voici un extrait :
« L'idée à la base des villes de la transition est simple : si vous ne croyez plus que vos gouvernements engagent des actions significatives en réponse aux changements climatiques et au pic de production de pétrole, vous pouvez vous mobiliser en tant que communauté pour faire quelque chose.
... il propose aux communautés un guide en 12 étapes vers une économie pauvre en carbone. La première étape est de conduire un comité à faire avancer le projet. De l'étape 2 à l'étape 11, on crée des groupes de travail, on étudie les questions de la nourriture et du carburant, et on crée des liens avec les institutions locales. Et enfin, la douzième étape voit la création d'un plan d'action énergétique spécifique. »
Je recommande vivement la « bible » du mouvement, le Transition Town Handbook de Rob Hopkins. En espérant que ce mouvement se développera hors du monde anglophone.
De manière plus générale, quels conseils et indications donneriez-vous à des individus désireux d'agir et de prendre leur destinée en main ?
Dans un monde pauvre en énergie, les grandes vertus traditionnelles devraient opérer un retour fracassant. Par exemple :
- Etre heureux en sachant se contenter de peu de possessions matérielles.
- Autosuffisance et système D.
- Loyauté envers la famille, la communauté et l'endroit dans lequel on vit.
- Des liens sociaux à la place du Marché.
- Prudence et économie.
- Honnêteté, labeur et sobriété.
- Un système de croyance, qu'il soit religieux ou politique.
Ca ressemble à une liste de voeux réactionnaire, n'est-ce pas ? C'est qu'il se passe une chose étrange lorsque l'on s'interroge sur ce que sera un monde pauvre en énergie. On réalise que ces idées ont valeur de survie.
Pour en savoir plus, je vous invite à vous intéresser au Mouvement de la Simplicité Volontaire.
Où et dans quelle situation imaginez-vous vous trouver dans vingt ans ?
Je ne pense pas que ma situation soit très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Nous vivons très simplement et nous ne devrions pas être trop affectés par le monde extérieur. Je me satisfais de mes livres, de ma bicyclette et de ma vie de famille. Je m'inquiète plus des conséquences de la transition à venir pour les jeunes d'aujourd'hui que pour moi-même.
L'Energy Bulletin centralise un grand nombre d'informations sur l'état actuel du monde. Comment voyez-vous l'avenir à l'horizon de l'été, puis de l'hiver 2009 ?
Je pense que nous nous inquiéterons plus dans l'année à venir des problèmes économiques que du prix de l'essence. Jusqu'à quel point est-ce que ça peut s'aggraver ? Verrons-nous des changements d'ordre politique ? On voit des manifestations se développer en France, en Islande, en Bulgarie.
Et pour en revenir aux questions énergétiques, je m'intéresse aussi à ce qu'il se passe en Israël. Si Benyamin Netanyahou et une coalition de centre-droit prennent le pouvoir, vont-ils entamer des actions militaires contre Gaza et l'Iran ? Et quelles en seraient les conséquences sur les marchés énergétiques ?
Pour ce qui est du futur en général, je suis les travaux de Nassim Nicholas Taleb et à sa théorie du « Cygne Noir » qui annonce des événements imprévus suivis de conséquences dramatiques. Le futur comporte un facteur d'incertitude très important et nous devons nous y préparer.
Commentaires
Vous devez vous connecter ou devenir membre de La Spirale pour laisser un commentaire sur cet article.