« SUR LES TRACES DES NOUVEAUX NOMADES... »
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2008)
Un article de Laurent Courau paru dans le magazine suisse Abstract.
. Extrait du Digital Nomad Manifesto de Merrill Hartman
En ce début de 21ème siècle, la société de l'information nourrit notre appétit d'exploration et nos envies d'inconnu. Nous parcourons quotidiennement les immensités virtuelles. Nous échangeons des idées sans plus nous soucier des distances géographiques et déjà la fin de nos ancrages sédentaires programmée par les tenants du libéralisme ramène sur l'avant-scène des concepts tels que la flexibilité, l'impermanence et la portabilité, comme l'ont intégré nombre de designers contemporains. Ce qui n'a pas bien pas échappé à l'architecte Rem Koolhaas qui compare la ville contemporaine à un aéroport, espace de transition moderne par excellence, dans l'introduction de son essai critique sur la ville générique. Miniaturisation des outils informatique, compression des données, dissémination du réseau et loi de Moore, il n'est plus nécessaire de transporter une valise d'équipements électroniques pour travailler et communiquer sur la route. Libéré des lourdeurs technologiques passées, l'Homo Numericus se prépare à une nouvelle existence migrante. Les ventes de téléphones cellulaires et d'ordinateurs portables explosent. On échange les adresses des zones d'accès aux réseaux sans fil et le succès de l'emblématique iPod fait la fortune d'Apple en permettant à chacun d'embarquer dans le creux de sa poche l'équivalent numérique d'une discothèque toute entière.
Pourtant, du nomadisme ludique d'une classe aisée aux errances de populations acculées par le chômage et les restructurations, le gouffre se creuse. Les motivations ne sont pas les mêmes. La fin de l'emploi à vie et l'explosion de la précarité imposent un regain de mobilité aux classes sociales les plus défavorisées, comme si l'histoire ne faisait que se répéter. Mongols, gitans, bédouins ou tribus amérindiennes, les nomades des siècles passés se sont toujours déplacés pour assurer leur survie. Bien que disparates et souvent séparées par des océans, ces cultures se sont confrontées aux mêmes challenges : recherche de nourriture, conditions climatiques difficiles et rejet des populations sédentaires. Un cycle perpétuel dont la logique vaut toujours aujourd'hui. Au plus fort de la crise économique des années 80, l'Angleterre thatcherienne s'est ainsi vue confrontée aux travellers, des caravanes de néo-hippies motorisés qui parcouraient les campagnes anglaises au volant de leurs bus customisés dans une tentative désespérée d'échapper aux ruines d'un empire défunt. Une occasion pour les institutions britanniques de mettre en scène un nouvel acte de l'éternel conflit opposant les structures établies aux hordes migrantes, de tout temps stigmatisées puisque perçues comme un facteur de déstabilisation par les pouvoirs en place.
Malgré la constante de cette opposition, le phénomène s'est perpétué durant les deux dernières décennies, trouvant un écho sur la planète toute entière et plus particulièrement en Californie où une nouvelle génération reprend le flambeau. Nomades par choix, plutôt que par nécessité, la nouvelle vague de bohémiens digitaux tire parti de mutations technologiques dont elle a su s'assurer la maîtrise. Lassés d'une existence passée entre quatre murs devant les écrans informatique du secteur tertiaire, les zippies (appellation dérivée de l'acronyme ZIPP, pour "Zen Inspired Professional Pagans" selon un article du magazine Wired daté de mai 1994) érigent le télé-travail et la reconquête des grands espaces en art de vivre. Une autre manière de concevoir le futur au-delà des canons post-modernes et un refus d'abdiquer devant un futur annoncé comme sombre et incertain en privilégiant la fluidité et la légèreté. Less is more ! Le slogan écologiste adopté par Richard Buckminster Fuller se découvre une nouvelle jeunesse sur les traces de ces dissidents dont le mode de vie ouvre de nouvelles perspectives dans un monde souvent perçu comme cloisonné. « Vivre en état de déplacement, cela signifie appartenir à plusieurs mondes à la fois. Ce sont des manières complexes de séjourner dans un endroit et de rester lié à d'autres. Bref, non seulement nos identités changent, mais elles seront de plus en plus changeantes », analysait le philosophe Yves Michaud dans le journal Le Monde à la fin du siècle dernier. Encourager le changement et savoir s'adapter... En ce sens, il y a fort à parier que le nomadisme constitue un terreau des plus favorables pour la naissance de nouvelles utopies, un luxe dont l'époque actuelle ne saurait se passer.
Laurent Courau
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