JEAN-LOUIS COSTES « UNDERGROUND PERTURBATOR »


Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2

« Je ne me sens pas différent de mon chat... pas différent, je crois de l'homme préhistorique... j'ai vu des Bushmen en Afrique qui n'avaient jamais vu de blancs auparavant, ils n'etaient en rien différents des beaufs habituels (sauf les plumes). » - Jean-Louis Costes

Artiste censuré, musicien auto-produit, réalisateur de films undergrounds et performer provocateur, Jean-Louis Costes dérange, persiste et signe en suivant depuis plus de vingt-cinq ans un chemin de croix jonché de disques, de films et de performances données aux quatre coins de la planète.


Propos recueillis par Laurent Courau, en 2003.



Photographie de Jean-Louis Costes par Janicks.Blogspot

Comment est-ce que Costes voit Costes ?

Je me regarde dans la glace... dans la pénombre pour pas trop voir les défauts... je me hais... je ne peux pas supporter de me regarder et pourtant je passe mon temps devant le miroir a scruter mes faiblesses. Je hais ma musique et pourtant je la fais toujours. Je suis un raté qui rêve d'être un héros.

Ton rythme de production est particulièrement effréné. Qu'est-ce qui motive cette surproduction ?

L'art est autant un devoir qu'un plaisir. Il FAUT que je fasse quelque chose de spécial de ma vie, de chaque journée. J'ai un devoir a accomplir : atteindre le sommet de moi-même. Chaque oeuvre pour moi est la dernière, l'ultime effort vers le but suprême : le devoir enfin accompli et le repos bien mérité. Mais hélas c'est toujours raté alors je recommence désespérément.

Comment fais-tu pour rester motivé après tant d'années d'autoproduction ? Est-ce qu'il n'y a pas un moment où cette précarité peut décourager ?

Je pense chaque jour a tout arrêter comme je pense chaque jour a me suicider. Mais je ne le fais jamais ! D'un côté, je me rends compte de ma précarité sociale, d'un autre, je constate que l'auto-production et l'informalité peuvent finalement l'emporter face aux monopoles machines à profit culturel. Des outils comme l'Internet, le cd-r, etc... permettent à l'artiste hors normes de s'exprimer « à armes égales » avec les collabos-médiatico-merdiques. Sur Internet, j'ai la même exposition que la Fnac !?

Quelles sont selon toi les raisons pour lesquelles tu n'es pas produit par un label de disque, même indépendant ?

La raison fondamentale c'est que je peux pas leur rapporter assez de fric... ensuite c'est que ça leur rapporterait trop d'emmerdes pour très peu de fric gagné... enfin, ils trouvent que je suis de la merde ! Au début ça a été un handicap certain. Mais maintenant que je peux vivre de mon art, le fait de n'avoir signé aucun contrat me laisse entièrement libre artistiquement et propriétaire de tous les droits. Finalement la situation de marginal rejeté s'est retournée en ma faveur ?!

Est-ce que les ventes de tes disques, de tes films et les recettes de tes spectacles te suffisent ? Combien vends-tu de copies d'un disque ou d'un film actuellement ?

Je vends environ mille copies de chaque cd (mais je mets plusieurs années a l'écouler !). Une année ou je fais beaucoup de shows, je peux vendre environ 1500 produits (cds, vidéos...). Actuellement, je grave les cds moi-même et enregistre aussi les vidéos, ce qui veut dire que j'en vends de fait très peu. Ca me permet de survivre mais si je dois faire un gros investissement (ordinateur, véhicule...) alors je dois chercher un travail salarié en plus.

Tu as donné des spectacles en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. Qu'est-ce qui change dans la manière dont ton travail est perçu selon les pays ?

En effet le show est perçu différemment d'un lieu a l'autre, d'un pays a l'autre mais aussi d'une ville a l'autre, d'un jour a l'autre... Par exemple, si je prends l'exemple du nouveau show Les Otages : en Allemagne il a été reçu froidement en apparence mais les gens semblaient profondément touchés même s'ils ne l'exprimaient pas très ouvertement. En Angleterre, la nudité peut choquer certains, mais les autres sont extrêmement enthousiastes (peut-être que du fait que, pour eux, nous brisons des tabous forts ?). Au Japon, ce qui peut passer en Europe pour de la grossière provocation amorale est considéré comme du... romantisme exacerbé !!!?

Que penses-tu de la façon dont les médias te présentent ? Je me souviens notamment du numéro d'Actuel dont tu as fait la couverture...

Le journaliste d'Actuel a fait cet article la veille de la mise sous presse, sans rien savoir de moi directement. Il a carrément presque tout inventé sur les bases que je lui ai fournies. Les journalistes cherchent un discours simple, ambigu et accrocheur : ils parlent de « trash », de « provocation », de « sexe », car ces mots sont vendeurs. À part des articles faits dans des fanzines par des vrais passionnés, tout le reste est l'oeuvre de pigistes à la botte de leurs patrons qui font du sensationnalisme pour vendre sans jamais rentrer sincèrement dans le vif du sujet. Pour eux, je suis juste un phénomène social à exploiter, en rien une oeuvre artistique a promouvoir.

Tu as participé à la Nuit du Cyclone sur Canal +. Prévois-tu de remplacer les Deschiens dans la prochaine mouture de Nulle Part Ailleurs ?

J'ai apprécié la manière dont l'équipe qui a fait l'émission a travaillé avec passion sur le sujet. Mais il s'agissait juste pour eux d'un coup ponctuel : Costes comme ils feraient X ou Y. Je n'ai aucun lien régulier avec les médias et ne cherche pas a en avoir. De toute façon, je crois que Internet va mettre à mal le monopole des médias et je n'ai pas envie de courir derrière des moribonds pour leur lécher le cul déjà pourri.

Justement, ça me semble intéressant. Qu'est-ce qui te semblait différent dans la Nuit du Cyclone de la manière dont les autres médias t'ont présenté ?

Le sujet tenait beaucoup à coeur au réalisateur Pascal Toussaint car c'était sa première émission pour la télé et il a travaillé trois ans sur le sujet qu'il connaissait très bien. Ce n'a pas été fait à la va-vite. Ils ont mis le meilleur d'eux-mêmes. Et il a volontairement essayé de casser l'image médiatique caricaturale pour essayer d'en savoir plus (il faut dire que ca leur était nécessaire puisqu'à l'époque les médias me faisaient passer pour un gros facho !?) En plus ils m'ont laissé parler. Au lieu d'entendre les conneries des autres, on entend les miennes !

Est-ce que tu considères toi-même tes créations comme choquantes ou provocantes ?

Parfois je culpabilise en écoutant certaines de mes oeuvres. Elles choquent ma propre morale ! Mais je ne fais en rien de la provocation volontaire : je déballe ce que j'ai en moi, les rêves en moi et le réel autour de moi. Ca peut choquer, ok. Mais le Kosovo aussi, ça peut choquer si on a un minimum d'imagination. Disons que je rends explicite la violence sous-jacente et sous-entendue.

Quel est le message de Costes ?

Aucun. Je fais, je montre, c'est tout. A chacun d'interpréter à sa façon.

As-tu des contacts avec le milieu de l'art contemporain ? Et si c'est le cas, de quel ordre sont-t-ils ?

Je n'ai aucun contact avec le milieu de l'art contemporain officiel et subventionné que je hais et méprise autant qu'ils me haïssent et méprisent. Mais j'ai beaucoup de contacts informels et très fertiles avec de nombreux artistes indépendants hors normes à travers le monde.

Est-ce que tu te vois figurer dans les livres d'art des siècles à venir ? Ce serait un beau pied de nez. Je t'y imagine finalement beaucoup mieux que la plupart des artistes qui gravitent actuellement dans les circuits de l'art contemporain...

Si j'avoue ce que je crois au fond de moi, hors de tout masochisme auto-detructeur, je crois qu'il est possible que je sois un des plus grands artistes de l'époque, simplement parce que j'aurai explorées des zones d'ombre peu connues, ignorées par les autres chanteurs et acteurs, que j'aurai fait des milliers de titres sur toutes sortes de sujets qui forment un portrait presque exhaustif d'un individu d'aujourd'hui et de son époque.

Et que ca va être de plus en plus difficile de l'ignorer. Que je plaise ou non, je reste un phénomène, contournable peut-être, mais présent comme une montagne sur le chemin : on peut passer à cote, on peut percer un tunnel mais la montagne reste.

Je suis assez d'accord avec les résultats de ton analyse non-masochiste et justement, comment décrirais-tu l'époque dans laquelle nous vivons... ? Je n'ai pas, pour ma part, l'impression que nous ayons beaucoup avancé depuis le Moyen Age, si ce n'est d'un point de vue technologique...

Je ne me sens pas différent de mon chat... pas différent, je crois de l'homme préhistorique... j'ai vu des Bushmen en Afrique qui n'avaient jamais vu de blancs auparavant, ils n'etaient en rien différents des beaufs habituels (sauf les plumes). La technologie n'est qu'un outil : Internet n'est pas plus que le bâton du singe qui nique des fourmis. Tous les prophètes de la révolution virtuelle sont des menteurs mercantiles. Assis devant mon ordinateur, mon mal être est le même ; je dois toujours porter/supporter mon corps dont je ne m'évaderai jamais. Et c'est la même souffrance que celle de mon ancêtre chimpanzé dans les bois du Tanganyika.

Où en sont tes démêlées avec la justice ? Peux-tu nous retracer rapidement leur histoire ?

En 1996, j'ai créé mon site Internet où j'ai mis des extraits de chansons de tous mes cds dont le cd Livrez les Blanches aux Bicots de 1989, qui est une caricature/exploration de comportements racistes.

L'union des étudiants juifs de France m'a fait, à cause de ces chansons, un procès en 1997 pour « racisme et appel au meurtre », que j'ai gagné... mais en 1998, le procureur de la république (bras judiciaire du gouvernement actuel), l'UEJF, la LICRA, le MRAP et la Ligue des Droits de l'Homme m'ont refait un procès pour les mêmes raisons, que j'ai également gagné. Bien qu'il soit prouvé que je ne suis en rien un militant neo-nazi, mais un artiste qui représente le monde, bon ou mauvais, dans le cadre de fictions, le procureur et ces mêmes associations ont fait appel et je serai à nouveau jugé le 17 novembre 1999. Pour mes adversaires, l'expression artistique doit avoir des limites, limites fixées par le « respect de la dignité humaine »...

Pour moi, l'Art consiste tout au contraire a passer toujours la limite dans le cadre de l'oeuvre ; la création ne commence qu'au-delà de la limite, qu'elle soit esthétique ou morale, et si ces censeurs gagnent, ca sera une catastrophe pour l'Art, Internet et la liberté d'expression en France qui est bien plus précaire que la propagande officielle veut le faire croire.

Où en sont tes contacts avec la scène rap française ?

J'écoute beaucoup de rap, car je me sens proche de l'improvisation free-style et des méthodes de composition de cette musique, mais je n'ai pas de contact personnel, physique avec des rappeurs comme d'ailleurs avec aucun autre musicien : je fais tout tout seul.

Je suis ravi que tu apprécies ces aspects de la scène rap, mais tu l'as cependant violemment critiquée à travers tes démêlées avec le groupe NTM. Outre l'aspect comique et vaudevillesque de tes démêlées avec eux (tes histoires de copines avec Kool Shen), tes critiques les plus intéressantes me semblaient concerner l'aspect totalitaire du mouvement rap (régionalisme, uniforme, etc...). Ne penses-tu pas que ces critiques peuvent s'appliquer à l'ensemble des pseudos contre-cultures actuelles ? Qu'il s'agisse du rock alternatif, du rap, de la techno ou bien évidemment de la cyberculture...

C'est évident pour moi, toutes ces micros cultures « tribales » qui paraissent si « cooool branchées » sont fondamentalement basées sur l'exclusion des autres. On forme un pseudo-groupe pseudo-élitiste avec sa pseudo-culture, ses pseudos-signes de reconnaissance pour se constituer une identité a peu de frais. Au lieu de bosser dur pour faire son truc, on se fout un anneau dans la bite (ou une casquette Nike, ca fait moins mal à la bite !) et ca y est, on est un héros faisant partie du bon gang face aux autres minables qu'on méprise. C'est comme si la culture « ado » de mimétisme se généralisait à toutes les populations. Le besoin d'intégration des adolescents est nécessaire même s'il parait ridicule avec le recul (mes jeans pattes d'eph en velours lisse Newman !). Mais que ce type de culture « tribale » soit considéré comme la norme pour des adultes, c'est effarant !... Mais (diviser pour régner) ça doit bien arranger les vrais maîtres réels qui détiennent les vrais pouvoirs bien matériels...

Je cite Maurice Dantec dans l'interview qu'il avait donné à La Spirale : "Les soi-disantes alternatives sont déjà un vice du système." Est-ce que ce n'est pas la destinée de tout mouvement puisqu'il sera forcément récupéré plus ou moins rapidement par le marketing à prétentions culturelles ? Est-ce que ce ne serait justement pas un des points forts de ta démarche solitaire ? Le fait que tu sois quasi idéalement irrécupérable...

J'essaye simplement de faire mon truc = ma vie à fond, le mieux possible (même si je merde 90% du temps). Je ne me pose pas à priori comme une alternative ou une nouveauté ou une révolution ou une simple révolte.

Je suis porté par mon propre désir. Je vis au niveau de mes sens, sans plus. Tant que dans le cadre précis de mon oeuvre, j'agis selon mes propres règles, je ne vois pas comment je peux être « récupéré ». Je pourrais jouer mon show à la fête du Front National est n'être en rien récupéré, tant que pas un iota de mon spectacle n'aura été réadapté.

Tu revendiques souvent le fait d'être solitaire. Est-ce réellement le cas ? On t'imagine pourtant entouré d'admiratrices nymphomanes et de fans serviles et soumis...

C'est vraiment le cas ! À l'école, je ne parlais à personne, actuellement je vis seul plongé dans mon oeuvre, sans aucune vie sociale ni privée. Mais je ne me sens pas isolé : mon activité m'apporte énormément de contacts, et après les spectacles j'ai tout le loisir de sauter les « admiratrices nymphomanes » (complètement bourrées, il faut l'avouer !)

Comment vois-tu l'avenir ? Tu parlais dans une interview de partir vivre nu dans une réserve naturelle de singes...

Eh bien ! C'était un rêve et maintenant c'est fait, car j'essaye de concrétiser tous mes rêves. J'ai acheté un terrain en pleine jungle au milieu de l'Amazonie et j'y passe plusieurs moi par an au milieu des singes... et des moustiques (merde j'y avais pas pensé a ceux-la dans mes rêves bucoliques !).


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Titre : JEAN-LOUIS COSTES « UNDERGROUND PERTURBATOR »
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Genre : Interview
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Jean-Louis Costes - Une interview tirée des archives de La Spirale.

A propos de La Spirale : Née au début des années 90 de la découverte de la vague techno-industrielle et du mouvement cyberpunk, une mouvance qui associait déjà les technologies de pointe aux contre-cultures les plus déjantées, cette lettre d'information tirée à 3000 exemplaires, était distribuée gratuitement à travers un réseau de lieux alternatifs francophones. Sa transposition sur le Web s'est faite en 1995 et le site n'a depuis lors cessé de se développer pour réunir plusieurs centaines de pages d'articles, d'interviews et d'expositions consacrées à tout ce qui sévit du côté obscur de la culture populaire contemporaine: guérilla médiatique, art numérique, piratage informatique, cinéma indépendant, littérature fantastique et de science-fiction, photographie fétichiste, musiques électroniques, modifications corporelles et autres conspirations extra-terrestres.

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