OLIVIER SAINT-LEGER - WEB//MASTER MAGAZINE
Enregistrement : Automne 1997
Mise en ligne : 04/09/08
Propos recueillis par Laurent Courau.
Web//Master est un paradoxe. Il est supporté par un groupe de presse spécialisée, en l'occurrence IDG Communications, qui édite des titres liés à l'informatique. A priori, il semblait donc logique de sortir un journal parlant de la mécanique du Net. Personnellement, je ne croyais pas à une telle approche. D'où l'idée de dédier un magazine à ce que je nomme le "grand public en entreprise", donc les directeurs marketing, financiers, des ressources humaines, etc. Les informaticiens sont aussi mes lecteurs, mais sous un angle un peu différent. Etant donné que pratiquement tous sont déjà sur le Net, il vont s'abreuver à la source des informations. Web//Master doit apporter une vision prospective. Nous devons servir de décodeur. Tant que les entreprises n'auront pas compris ce qu'elles peuvent faire avec le "truc à la mode qui s'appelle Internet", il n'y aura pas de grand public sur Internet. Autrement dit, tant que les entreprises ne développeront pas de services la ménagère de moins de cinquante ans n'ira pas sur le Net...
Peux-tu nous décrire la particularité technique de Web//Master et donc l'association magazine papier + cd rom + site web dont une partie en iceberg ?
Encore une fois, la version papier sert à diffuser des concepts et des idées auprès des personnes qui ne sont pas encore connectées. Le site Web//Master est quant à lui plus proche des bidouilleurs. Ce qui n'empêche pas d'y trouver des dossiers radicalement opposés. On couvre par exemple des trucs et astuces pour les développeurs jusqu'aux magazines sur l'art et l'informatique ou la vie artificielle sur le Net. Les publications sur Internet évitent tous les inconvénients de l'atome et du temps. La souplesse est nettement plus évidente on-line. Toutes les contraintes physiques liées à la publication papier disparaissent. En contrepartie, sur le Web les mécanismes économiques ne sont pas encore suffisamment matures pour faire vivre pleinement une équipe. Mais ça devrait vite changer.
Quelles seront à ton avis les nouveautés techniques sur le net dans un futur proche ?
Les méthodes de connexions, les débits et les nouveaux protocoles d'échange. Pour l'instant se connecter au Net implique de se soumettre aux lois de France Telecom. Dès 1998 cela devrait changer un peu. D'autre part, on risque vite de voir les univers de l'informatique et de la télévision se rejoindre. Car la télévision, même si elle n'est pour l'instant qu'une "idiot box" reste le vecteur le plus impressionnant pour imposer le Net aux yeux du grand public. Il faut bien reconnaître que les ordinateurs sont encore trop compliqués pour s'imposer en la matière. De nouvelles interfaces ultra simples risquent donc de débarquer. Ce sont les grandes manoeuvres de l'informatique que nous observons aujourd'hui avec les Network Computers, Java, les télévisions Internet et les différents portages d'interfaces informatiques connues vers des biens "grand public" comme les téléphone portables, les télécommandes, les chaînes hifi, les voitures, etc.
De manière plus générale, quelles seront les évolutions majeures du réseau auxquelles nous pouvons nous attendre ?
Les transactions financières...
Paul Virilio, et de nombreux autres philosophes contemporains, dénoncent les dangers de la société de l'information (nouvelle vassalisation, rupture des liens sociaux, accroissement de la fracture nord-sud, etc...). Es-tu plutôt cyber-optimiste ou digital-pessimiste ?
Je ne crois pas qu'il soit possible d'être aussi binaire en la matière. Pour de trop nombreuses personnes Internet est le grand méchant loup par qui tout arrive. Il est le grand inquisiteur. La pédophilie et le racisme n'ont pas attendu Internet pour s'exprimer. Internet n'est que le reflet du monde. Bref, Internet, et donc un nouvel essor de l'information, n'est pas à mon sens un accélérateur de négativité dans notre société. Certains groupes de pression politiques ou industriels sont autrement plus dangereux de le Réseau de réseaux. Si ces gens contrôlent le Net alors oui, il y a un danger.
Certains n'hésitent pas à prédire la quasi-disparition de l'underground on-line (e-zines, sites à but non lucratif, etc...) suite à une arrivée massive du commerce électronique... Qu'en penses-tu ? L'age d'or des réseaux serait-il déjà derrière nous ?
Je ne vois pas le commerce électronique comme la fin de l'âge d'or du Net. Bien sûr les grandes majors vont s'approprier le cyberespace pour y générer des bénéfices. Bien sûr la plupart des connectés de demain se contenteront de flâner dans des galeries virtuelles. Est-ce pour cela que les mouvements underground devront s'arrêter d'être productifs? Dans le monde de l'atome (le monde réel) il existe encore des milliers de fanzines indépendants, et ce, même (surtout?) si la télévision est omniprésente. Je pense au contraire que l'âge d'or des e-zines est devant nous. Il est tellement simple de publier et de mettre à jour un magazine sur Internet. A côté des grandes autoroutes, il y aura toujours des petites nationales avec leurs auberges sympas. Il suffira seulement de se donner la peine de les trouver...
Crois-tu au mythe de la tribalisation on-line, ou autrement dit de la constitution de communautés virtuelles ? Est-il réellement envisageable que de nouvelles structures sociales se mettent en place sur les réseaux ?
Encore une fois, les communauté virtuelles ne sont pas une création du Net! Elles existent depuis longtemps. Les phénomènes culturels ou politiques, par exemple, regroupent des gens qui ne se sont jamais rencontrés. De temps à autre, un événement particulier les rassemble dans un même endroit géographique, lors d'un concert, d'un meeting voire la projection d'un film dans une salle. Le Net est un outil supplémentaire qui simplifie (amplifie?) les contacts entre les personnes d'une même "tribu". Toutes les communautés, ou presque, sont présentes dans le cyberespace. Ce qui n'empêche pas bien sur la création de nouvelles communautés totalement virtuelles plus étendues, plus... mondiales. Alors il est vrai que cette facilité des échanges pourra créer des mouvements ou des structures sociales mais qui ne resteront pas virtuelles. Il y a fort a parier que, dans un phénomène de miroir, elle trouveront un reflet dans le monde physique... Le cyberespace n'est pas un monde absolu où les hommes sont désincarnés. La notion de virtuel ne veut rien dire si l'on supprime la notion du "réel".
Les américains prévoient le vote on-line pour les élections présidentielles de novembre 2000. Est-ce imaginable dans nos vieilles technocraties européennes ?
Oui, dans quelques dizaines d'années...
Quelle est ta vision du futur de l'Europe face à ces nouveaux enjeux ?
L'Europe a de petites chances de réussir sa métamorphose technologique. Notamment grâce au commerce électronique qui va permettre de d'augmenter ses mécanismes économique. Car après tout, l'Europe a bel et bien été construite dans le but essentiel de devenir un vaste marché de consommation. Toutefois, la structure de plus en plus complexe (et administrative) de l'Europe n'ouvre pas des perspectives réjouissantes. Elle peut devenir l'exemple même d'une entité non seulement gérée par des impératifs purement commerciaux mais aussi totalement incapables de se sortir de sa complexité. En tout état de cause, les nouvelles technologies ne sont pas une fin en soi. Ce ne sont pas elles qui régleront les problèmes sociaux. Et en la matière j'ai l'impression que nous sommes loin du bout du tunnel.
Plus précisément, quelle est ta vision du futur de la France face à ces nouveaux enjeux ? Adhères-tu au climat dépressif ambiant ?
Il est difficile de ne pas être dépressif aujourd'hui. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu'un état n'a jamais autant favorisé l'inégalité, et ce, sur tous les plans. La question est : « Quel est aujourd'hui le rôle de l'état s'il n'est plus en mesure d'apporter des réponses concrètes ? » Aujourd'hui, la plupart des mesures sociales (ou autres) passent par des associations caritatives ou des mouvements individuels. Quel suprême paradoxe!
Où et comment t'imagines-tu dans trente ans ?
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