JONATHAN DOTSE « AFRIQUE, CYBERPUNK & SCIENCE-FICTION »


Enregistrement : 17/07/2012

L'Afrique comme ultime frontière ? Un continent de retour sur l'avant-scène, ancien et nouvel objet de fantasme depuis la Chine jusqu'à l'Occident. Territoire méconnu, propice à l'élaboration de mythologies dignes des bouleversements de ce XXIe siècle, qui repousseront l'illusion d'un monde fini véhiculée par des médias de masse globalisés et délétères.

Nouvelles mythologies et nouvelles pistes pour des oeuvres de fiction et d'anticipation... Après le très remarqué District 9, film de science-fiction du sud-africain Neill Blomkamp, et Pumzi, un court-métrage post-apocalyptique kenyan de Wanuri Kahiu, les réseaux bruissent d'éloges sur la prose d'un jeune écrivain cyberpunk ghanéen.

Adoubé par Bruce Sterling, auteur de science-fiction, fin observateur des mutations de notre temps et instigateur de Mozart en verres miroirs (1986), une anthologie considérée comme l'un des actes de naissance du mouvement cyberpunk, Jonathan Dotse apparaît comme l'une des voix les plus originales et les plus prometteuses du moment.


Propos recueillis par Laurent Courau.
Traductions par Carine Dubost.



À quelle occasion avez-vous découvert la science-fiction et le cyberpunk ? Et quelle fut votre réaction à cette époque ?

Je me suis toujours intéressé aux sciences et à la technologie, depuis mon enfance. La science-fiction a inspiré mon imagination et m'a permis d'envisager la manière dont le monde peut se former et se transformer avec les nouvelles technologies.

Une de mes expériences les plus marquantes fut de regarder un dessin animé intitulé Johnny Quest à la television et de découvrir pour la première fois la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle.

Depuis lors, je suis complètement fasciné par l'énorme potentiel de ces deux technologies.

Qu'est ce qui vous a plus particulièrement touché chez William Gibson, que vous citez comme votre principale source d'inspiration ?

La puissance visionnaire de Gibson est particulièrement frappante, notamment par le niveau de détail qu'il utilise pour décrire son monde. La richesse de ses images, associée à l'exploration cybernétique, à la réalité virtuelle et à l'intelligence artificielle font écho à mon propre intérêt pour ces sujets.

Afin de mieux vous connaître, pouvez-vous nous parler de votre enfance, de votre éducation et des études que vous effectuez actuellement ?

Je suis né et j'ai grandi à Accra. Ma famille a déménagé dans différents quartiers de la ville pendant que je grandissais, de taudis en logements sociaux au travers des banlieues.

Les sciences et technologies ont toujours fait partie de mes centres d'intérêt. J'ai passé la plupart de mon enfance à rêver d'idées fantastiques et à de concevoir des inventions qui contribueraient à changer le monde.

Aujourd'hui, j'étudie les systèmes de management de l'information à l'Université d'Asheshi.

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire au départ ? Quelles étaient vos premières motivations ?

Je n'ai jamais eu l'intention de devenir écrivain. Mes passions les plus importantes ont toujours été l'invention et le design. Bien qu'ayant toujours été brillant en cours d'écriture créative, je n'ai jamais vraiment exploité la fiction hors du domaine scolaire. Et ma première intention au travers de l'écriture restait de décrire mes inventions plus lus folles afin de les partager avec mon entourage.

Ma première tentative littéraire fut de créer une fiction dont le texte était basé sur des liens hypertextes. De manière à ce que le lecteur puisse décider du cours de l'histoire. Pour ce faire, je me suis inspiré des séries interactives Goosebumps.

Plus tard, j'ai appris par moi-même le Q-BASIC sur un vieux portable Toshiba dans le but d'automatiser ce processus et de produire ma toute première oeuvre de fiction compréhensible. C'était plutôt un jeu basé sur le texte, avec une monnaie expansive, des statistiques sur la santé, etc.

Aujourd'hui encore, mon travail de fiction est principalement basé sur le genre de technologies que j'ai toujours souhaité developper dans la vraie vie.

Vous travaillez actuellement sur un premier roman, dont l'action se situe à Accra dans le futur. Pouvez-vous nous éclairer sur l'univers et la trame de ce livre ?

Mon roman se passe en 2057, alors que le monde digital a envahi tous les aspects de la vie humaine, et que les implants cérébraux sont les principaux moyens de télécommunication. Le roman est une tentative d'exploration du potentiel dramatique des technologies digitales dans les années à venir et plus particulièrement en Afrique.

L'histoire met en avant trois personages dont les destins se rejoignent par une série de développements sans rapports apparents, qui les situent proche du coeur d'une conspiration menaçant le futur de la civilisation dans sa globalité.

Je pense que le monde s'éveille peu à peu à une nouvelle facette de la science fiction, dont les gens n'avaient pas conscience auparavant.

Même question concernant le jeu de rôle que vous développez pour Vajra Enterprises d'après la trame de Fates Worst Than Death. que pouvez-vous nous dire de cette nouvelle extension africaine de l'univers du jeu ?

Le projet sur lequel je travaille pour Vaira Enterprises en reste encore au stade conceptuel, pour ce que j'en sais. Mais d'après les échanges avec son créateur, je peux vous dire que cette extension africaine constituerait un ajout très excitant à l'univers de Fates Worst Than Death (FWTD) et pour le jeu de rôle dans son ensemble.

Avez-vous le sentiment de faire partie d'une scène littéraire de science-fiction ghanéenne ou africaine ? Quels auteurs ou quelles oeuvres, littéraires et cinématographiques, sauriez-vous nous conseiller ?

Très peu d'écrivains ghanéens se sont aventurés dans le domaine de la science fiction. Et il n'existe pas de communauté locale dont j'aurais connaissance autour de la science fiction.

Cependant, j'aimerais attirer votre attention sur des auteurs de science-fiction africains comme Ivor Hartmann et Nnedi Okorafor, qui opèrent dans ce domaine depuis longtemps, bien avant que je ne commence. Quant au cinéma, District 9 et le court-métrage Pumzi constituent les deux meilleurs exemples de cinéma de science fiction africain.

Un des premiers apports du cyberpunk fut de ramener la science-fiction au niveau de la rue, en s'inspirant notamment du roman noir. Ce qui me donne d'autant plus envie de vous interroger sur l'ambiance des rues et des nuits d'Accra ?

La ville d'Accra ne comportent pas beaucoup d'espaces publics, comme des parcs, des centres commerciaux et des centres de loisirs Ce qui fait que notre ville bénéficie d'une culture de rue très développée.

Tout ou presque tout se passe dans la rue, du shopping aux ventes de boissons dans des bars ouverts sur la rue le long des routes. Les habitants d'Accra sont accueillants, intéressants et curieux de tout. Les clubs sont ouverts toute la nuit, jusqu'au petit matin, et tous les mercredi soir c'est la Nuit du Reggae, un carnaval hebdomadaire qui se déroule sur la plage, avec des concerts dans une ambiance permissive.

Accra se transforme rapidement pour devenir une ville internationale où l'on trouve des gens venus du monde entier qui se réunissent dans nos rues.

Quel est le taux de pénétration des nouvelles technologies de l'information au Ghana ? On peut imaginer que la majorité des nouveaux internautes accèdent à l'Internet par le biais de terminaux mobiles, notamment de téléphones portables...

Pratiquement tout le monde possède un mobile, y compris les enfants et adolescents. Voilà pour le taux de pénétration des téléphones portable au Ghana. L'accès à Internet est quant à lui rendu possible par l'intermédiaire des cyber-cafés, mais aussi via le haut debit, les téléphones portables ou les modems USB, qui sont de plus en plus accessibles.

Connaissez-vous l'oeuvre du photographe sud-africain Pieter Hugo et surtout son livre Permanent Error consacré au dépotoir d'Agbpgbloshie ? Ce travail photographique n'aurait pas déparé dans un roman de William Gibson. Est-ce que vous connaissez ce lieu et que pouvez-vous nous en dire ?

Agbpgbloshie est associée à la pauvreté et l'insalubrité à Accra et ce depuis des années, à cause du dépotoir massif de déchets communs et des communautés de squatteurs et de sans abris.

De nos jours, la masse croissante de déchets électroniques déchargés sur la côte ouest de l'Afrique métamorphose la physionomie de lieux comme Agbpgbloshie, ainsi que la vie des éboueurs qui ramassent et recyclent les métaux précieux provenant des amas d'appareils électroniques.

Bien sûr, cela comporte des risques pour la santé, mais la plupart de ces jeunes migrent depuis d'autres régions du pays pour trouver du travail et finissent par faire ça pour survivre.

La quantité grandissante de déchets électroniques expédiés dans notre partie du monde constitue un problème grave que nos gouvernements et nos représentants internationaux ne prennent pas suffisamment en compte.

Dans l'interview que vous avez accordé à Johnny Laird, vous dites que le cyberpunk trouve s palace partout où le darwinisme social et l'échec des institutions ont laissé la place au marché noir et aux trafics parallèles. Que pouvez-vous nous dire de la situation économique et sociale du Ghana aujourd'hui ?

La situation actuelle du Ghana est bien meilleure que celle de beaucoup d'autres pays africains qui soufffrent encore de la faiblesse de leurs institutions et de la pression d'organisations prédatrices, locales et étrangères confondues, qui exploitent depuis toujours leurs faiblesses.

Le Ghana fait partie des économies qui connaissent les croissances les plus rapides. Bien que le rythme de progression technologique du Ghana devance de loin celui des réformes sociales, un fossé croissant qui laisse subsister quelques inquiétudes.

Paris est la ville d'origine de la marque de vêtements Africa Is The Future. Comment voyez-vous le futur du Ghana et plus généralement celui de votre continent ? L'Afrique me semblant évoluer plutôt favorablement dans l'actuel contexte de crise globale...

L'Afrique est la frontière finale. Tous les autres continents ont joué un rôle majeur dans le profilage du monde moderne, à l'exception de l'Afrique dont le potentiel économique, culturel et intellectuel reste majoritairement inexploité.

L'actuelle crise mondiale montre que l'Ouest arrive à un point de saturation, tandis que l'Asie et l'Amérique latine suivent de près derrière. Aujourd'hui, l'Afrique est encore endormie, mais elle ne tardera plus à se réveiller et le monde s'en verra transformé au-delà de tout ce que l'on peut imaginer.


Commentaires

Vous devez vous connecter ou devenir membre de La Spirale pour laisser un commentaire sur cet article.

A propos de cet article


Titre : JONATHAN DOTSE « AFRIQUE, CYBERPUNK & SCIENCE-FICTION »
Auteur(s) :
Genre : Interview
Copyrights : La Spirale.org - Un eZine pour les Mutants Digitaux !
Date de mise en ligne :

Présentation

Nouvelles mythologies et nouvelles pistes pour des oeuvres de fiction et d'anticipation... Après le très remarqué District 9, film de science-fiction du sud-africain Neill Blomkamp, et Pumzi, un court-métrage post-apocalyptique kenyan de Wanuri Kahiu, les réseaux bruissent d'éloges sur la prose d'un jeune écrivain cyberpunk ghanéen. Jonathan Dotse apparaît en effet comme l'une des plumes les plus originales et les plus prometteuses du moment.

Liens extérieurs

Afrocyberpunk.com
Twitter.com/Afrocyberpunk

Thèmes

Littérature
Cyberculture
Mutation
Science-fiction
Prospective
Afrique

Mots-clés associés

Jonathan Dotse
Dotse
Cyberpunk
Science-fiction
Littérature
Afrique
Ghana
Accra

Contact


Connexion


Inscription
Lettre d'informations


Flux RSS

pub

Image aléatoire

pub


pub

Contenu aléatoire

Video Photo Graphisme Texte Photo Photo Texte Texte Texte