RÉMI PÉPIN « REBELLES, UNE HISTOIRE DE ROCK ALTERNATIF »
Enregistrement : 16/04/2020
Mise en ligne : 16/04/2020
Au travers de Rebelles, une histoire de rock alternatif, Rémi Pépin nous transporte dans le Paris des années 1980. Zone d'agitation de haute intensité, depuis les concerts des squats du nord-est de la capitale, au début de la décennie, jusqu'à la signature de La Mano Negra chez Virgin Records en 1988 et dans son sillage l'explosion commerciale d'un rock de moins en moins « indépendant », avec les innombrables embrouilles qui s'ensuivirent.
Présentation de Rebelles, une histoire de rock alternatif par les Archives de la Zone Mondiale :
Paris, 1979. Le cyclone punk a traversé le pays mais la météo culturelle ne s’en est guère trouvée bouleversée. Les rejetons des années contestataires entendent pourtant bien faire valoir leur droit d’inventaire tant en matière de décibels que de révolution. Punks en galères, zonards de l’ex-planète rouge ou fugueurs de la place Saint-Michel, ils sont une minorité d’éternels déclassés, de marginaux bien décidés à ne déposer ni les armes, ni les guitares.
Rebelles est l’histoire de leur rencontre improbable dans les quartiers de l’est de Paris au début des années 80. Une histoire de squats, de concerts clandestins montés à l’arrache, de radios libres et de labels autogérés.
Format : 175 x 215mm
288 pages
Réédition de l'ouvrage du même nom paru en 2007 (Éditions Hugo), dans une version augmentée d'un chapitre complet sur les Barrocks.
Après avoir été bassiste de Guernica, groupe punk proche de Bérurier Noir, illustrateur, chauffeur-livreur, colleur d’affiche et gardien de musée, Rémi Pépin se consacre depuis quelques décennies au graphisme dans le secteur de l’édition et assure la direction artistique des éditions Inculte, depuis 2015.
Propos recueillis par Laurent Courau.
À vrai dire, ça faisait un bon moment déjà que je trimballais cette idée avec moi, mais je renâclais à chaque fois devant la quantité de boulot à fournir (entretiens, transcriptions, etc.). J’avais accumulé des notes, des idées sur des carnets à droite à gauche, mais il me manquait le déclic nécessaire (voire le coup de pied au cul) pour décider de m’y coller sérieusement. Il est venu par le biais d’un bouquin de Christian Eudeline, sorti en 2002 et intitulé Nos années punk que j’ai reçu et lu d’une traite. J’en suis sorti un peu agacé, pour ne pas dire carrément énervé (sourire, aussi). En gros, la thèse du bouquin était que le punk français avait duré de fin 1976 à 1978 et qu'après, il avait ouvert la voie à des groupes comme Trust ou Téléphone... Il y avait même un chapitre consacré à Plastic Bertrand et à Ça plane pour moi... Soupir.
Pas une ligne sur un seul des groupes nés au tout début des années 80, rien sur Bérurier Noir ou même La Mano Negra, pour les plus mainstream. Et même si je suis un grand fan de Métal Urbain et de 1984, il me paraissait vraiment curieux que le bouquin ne se termine pas au moins sur un chapitre consacré à la génération suivante. Du coup, je me suis dit que j'allais rendre hommage à mes camarades de l'époque avec qui nous avons œuvré à entretenir la flamme la plus haute possible et qui ont surtout permis à des tas d'autres groupes que Trust et Téléphone de jouer et d'enregistrer dans de meilleures conditions et en dehors des réseaux traditionnels.
Guernica dans ses oeuvres : Rémi Pépin à la basse et Loran (futur Bérurier Noir) à la guitare. Photo © New Wave.
Comment t’es-tu toi-même trouvé initié aux joies du punk ? Si j’en crois les premiers chapitres de Rebelles, il est question d’une expédition à la Fnac et des premiers albums des Damned et du Clash.
J'ai été biberonné au rock très tôt. Mon père était un grand fan de jazz et de blues avec une discothèque très bien achalandée pour l'époque et il a naturellement enquillé sur le rock de la fin des années soixante et du début des soixante-dix. C'est lui qui m'a fait découvrir Janis Joplin, Hendrix, les Kinks et surtout, le groupe qui a compté le plus pour moi dès le début : les Stones. Sauf que je constatais à chaque fois que les meilleurs disques de ces groupes étaient sortis depuis des années déjà. Ce qui sortait à la fin des années soixante-dix ne m'accrochait pas vraiment, voire commençait carrément à me gonfler, en particulier lorsque sont arrivés les Yes, Genesis et autres machins balourds et pompeux. Seule exception mais tout ce qu'il y a de notable : Doctor Feelgood, groupe découvert à une fête du PSU où nous avait trainé mon père (alors très gauchiste) et qui présentait le mérite (hormis le fait d'être über sexy et teigneux) de renouer avec une autre de mes passions musicale : le rock des origines. Vivant à Montreuil et côtoyant, pour le pire comme le meilleur, les barlous de ces années là, j'aimais passionnément Chuck Berry, Gene Vincent, Eddie Cochran et, évidemment, Vince Taylor. Mais, là encore, c'était des musiques qui appartenaient aux générations précédentes, elles avaient déjà servi... Du coup, quand j'ai commencé à sentir bruisser le vent nouveau du punk, j'étais prêt. J'ai dû lire une chronique du premier album des Clash dans Best ou R&F qui disait un truc du genre : « Écouter cet album, c'est avoir l'impression qu'un autobus vous passe sur la tête. » C'était exactement ce que je cherchais. Quand j'ai vu qu'ils passaient au Bataclan en septembre 1977, j'ai pris mon billet et j'y suis allé avec mon meilleur pote d'alors (qui est devenu le chanteur de Guernica un peu plus tard). Ma vie a changé définitivement ce jour là, et ce n'est pas une phrase à la con. Elle a vraiment changé. Et si j'avais encore un doute, j'ai vu les Damned au même endroit, un mois plus tard, et ils se sont chargé de la deuxième couche.
Guernica en concert au squat des Cascades, circa 1982
Comme tu l’évoques à plusieurs reprises dans Rebelles, la capitale se trouvait constellée de territoires et de lieux plus ou moins tenus par des bandes : Les Halles, Luxembourg, Buzenval, Bonsergent, Botzaris, Belleville, Tolbiac, etc. Peux-tu revenir pour les lecteurs de La Spirale sur cette géniale psycho-géographie, qui reste à produire ?
Tu as entièrement raison, il y a effectivement une psycho-géographie du punk, du rock, voire des musiques populaires en général qui reste à faire même si certains se sont déjà essayés à l'exercice. Éric Tandy et Marsu en collaboration avec la médiathèque Marguerite Duras avaient, par exemple, travaillé à une cartographie des lieux consacrés au rock dans l'est parisien en 2017.
Ce que j'ai toujours trouvé fascinant avec ce sujet, c'est le fait que tout cela soit l'objet d'un mouvement permanent, que ça bouge sans cesse. Déplacement des bandes de gosses d'un spot à un autre (le Luxembourg, la Fontaine des innocents ou, plus vieux encore, la Trinité, le Drugstore, etc.), fermeture d'un magasin de disques, puis ré-ouverture ailleurs (l'Open Market, Harry Cover, Music Box, New Rose), squats accueillant des concerts (Chevaleret, Cascades), bars hébergeant les premiers prestations de la bande des Barrocks (Chez Jimmy, L'Auvergne) des rues, des places, des boutiques deviennent mythiques au gré des mouvements des musiciens comme des spectateurs dessinant une sorte de carte des transmissions d'une culture populaire en dehors de toute logique marchande organisée.
Je me souviens, par exemple, de ce magasin aux Halles à l'esthétique post apocalypse qui s'appelait Survival. Le quartier était encore l'immense chantier qui allait donner naissance au Forum et cet endroit improbable plein de visuels de Bazooka Production aux murs noirs couvert de sigles radio-actifs m'avait complètement fasciné, à tel point que je n'ai jamais compris précisément ce qui s'y vendait. Mais pour moi, il fait totalement partie de la cartographie du punk parisien.
Je ne sais pas si quelqu'un s'attellera un jour à ce chantier mais ce serait réellement passionnant, d'autant que Paris n'est qu'un des aspects de l'affaire... Cette logique est, évidemment, à étendre à la banlieue, aux grandes villes de province et à leurs salles de concerts mythiques, etc...
Au-delà d’une certaine mythologie culturelle, qui fait encore rêver les gamins, je me souviens aussi des années 1980 comme d’un long cortège d’embrouilles, de violence gratuite, d’overdoses d’héroïne et de cas de sida. Ce qui n’excluait pas, bien au contraire, une intensité, une folie, une liberté et une créativité débridée, que l’on ne saurait trop regretter. Quel regard portes-tu sur cette décennie folle, aujourd’hui en 2020 ? Qu’est-ce que tu regrettes – ou pas, de cette époque ?
Marrant que tu mentionnes ça. Nous avons évoqué cette atmosphère récemment avec François, chanteur de Bérurier noir, et on se souvenait effectivement de ces années-là comme étant traversées en permanence par une violence récurrente mais, paradoxalement, c'est l'humour qui nous permettait de naviguer là-dedans sans trop de dommages. L'humour, et aussi une certaine insouciance liée à notre jeune âge, j'imagine.
Il y avait plusieurs niveaux de violence. Celle qui habitait notre quotidien de gosses de la fin des années soixante-dix avec par exemple la dope, et en particulier l'héroïne qui finissait de faire de sérieux ravages. Un doc comme Les Anges perdus de la planète Saint-Michel en est un excellent témoignage. Et puis il y avait la baston et la dépouille qui étaient des pratiques intrinsèques aux bandes. Que ce soit chez les rockers, les skins ou plus tard les zoulous des débuts, dépouiller était un passage obligé et pouvait occasionner de sérieuses embrouilles. J'ai un pote qui s'était fait dépouiller sur le palier de son appartement et qui avait fini par rentrer chez-lui en calbute. Il portait un pantalon en skaï, article très prisé à l'époque et donc négociable sur le marché... On retrouvait parfaitement cet espèce de folklore entre violence et déconnade dans les premières BD de Vuillemin, de Margerin et surtout chez Kebra (de Tramber et Jano), avec la bande à Kruel et leurs galères tragi-comiques.
Et puis, il y avait la violence politique qui était très vivace, elle aussi. On bouclait tout juste les années soixante-dix en assistant à l'agonie d'un certain type de militantisme et on entamait la décennie suivante dans un climat encore marqué par ces évènements. Notre adolescence, en tous cas la mienne, a été rythmé par des morts violentes. En vrac et sans que ce soit pour des raisons politiques à chaque fois, je me souviens avec une grande acuité de la mort de Pierre Overney, Pierre Goldman, Jacques Mesrine, Bobby Sands et les neuf autres grévistes de la faim, Vital Michalon, l'ensemble des membres de la RAF mais j'ai encore en tête l'attentat de la gare de Bologne ou l’assassinat d'Aldo Moro, ou encore celui du général Audran. Du coup, c'est sûr que c'était une époque violente et que fréquentant d'un côté les tribus urbaines du rock et de l'autre les franges les plus radicales de la militance d'extrême gauche, nous y étions inévitablement confrontés.
Et on oubliera pas la mouvance skin et sa dérive vers l'ultra-droite à la fin des années 80. Les Bérus sont quand même le seul exemple d'un groupe qui a créé un service d'ordre pour protéger son propre public...
Outre la compilation Paris Mix, sur laquelle figure ton groupe, Guernica, et dont je conserve précieusement un exemplaire acquis à l’époque chez New Rose, quels sont les dix, vingt ou trente disques – au choix - que tu conseillerais en priorité au novice désireux de s’initier au bouillonnement culturel de cette période ?
- Bérurier Noir - Guernica Gloco/Nada (Maxi45t. split)
- Lucrate Milk Nepla Relou (45t.)
- MKB Fraction provisoire Terminal Toxique (33t.)
- Les Cadavres – Vatican Rien n'a changé (Maxi45t. Split)
- Bérurier Noir Meilleurs extraits des concerts à Paris (Cassette VISA)
- Bérurier Noir Concerto pour détraqués (33t.)
- The Brigades Bombs N' Blood N' Capital (33t.)
- Les Thugs Still Hungry Still Angry (33t.)
- Wampas Chauds, sales et humides (33t.)
- Les Garçons bouchers Les Garçons bouchers (33t.)
- Parabellum Gratuit : deux morceaux en moins (33t.)
- Mano Negra Patchanka (33t.)
- Les Nonnes Troppo Les Nonnes Troppo (33t.)
- Les Washington Dead Cats Go Vegetables Go ! (33t.)
- Ludwig Von 88 Houla la ! (33t.)
- OTH Réussite (33t.)
- Cascades 82 (Compilation cassette V.I.S.A.)
D'une manière générale, l'ensemble du catalogue V.I.S.A.
Après, il faudrait répertorier tout un tas d'autres groupes comme Laid Thénardier, Les Maîtres, Les Kamionërs du suicide, A.R.T., Achwghâ Ney Wodeï, Haine Brigade, Corazon Rebeldes, etc. On trouve une partie de ces groupes chez Archives de la Zone Mondiale, qui fait un important travail de préservation de cette mémoire là.
Concert des Béruriers (pas encore noirs) le jour de la fête de le musique, devant la fameuse galerie Abattoir, avec Loran, encore Guernica mais futur guitariste de Bérurier Noir, Olaf (créateur des Béruriers et des Ludwig Von 88 originaux), François (futur chanteur de Bérurier Noir).
Où est-ce que tu retrouves l’esprit du punk et de la scène alternative, aujourd’hui ? Plus que jamais, il me semble voir éclore des milliers d’initiatives auto-produites, bourrées de rage et d’énergie, même si les esthétiques ont – heureusement – su évoluer.
Très compliqué de faire une analogie complète dans la mesure ou le contexte historique, politique, économique ont considérablement changés, mais il est évident que cet esprit DIY et insolent se promène un peu partout. Politiquement, il s'est pas mal incarné dans tous les moments des « sans » (sans papiers, droit au logement, etc.), dans l'idée de vivre sans attache, sûrement chez les teufeurs, en particulier au tout début quand la mouvance comprenait aussi les travellers de Spiral Tribe, etc. Mais tu retrouveras aussi cet esprit un peu partout, en BD avec des collectifs types Les requins marteaux, au cinéma avec les gens de Kourtrajmé. De toute façon, l'idée que la technologie te permet maintenant de créer des disques entiers, voire des films chez-toi et très DIY...
Plus généralement, quel est pour toi l’héritage de cette scène alternative française ? Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ?
Ça, c'est un peu plus compliqué parce que toute l'histoire du punk et aussi de l'alternatif est construite sur un paradoxe, celui du No Future. Slogan que l'on peut lire selon moi de deux façons : soit comme un constat désabusé et cynique, l'attitude Fuck Off des débuts signifiant que le mouvement porte en lui sa propre destruction, soit comme le point de départ de quelque chose. De toute façon, c'est souvent à partir de paradoxes ou de situations contradictoires ou conflictuelles que naissent les aventures intéressantes. En particulier en matière de contre-culture. Quant à savoir s'il y a un « héritage » à proprement parler, je ne sais pas. Il y a probablement quelque chose qui est plus de l'ordre de la transmission, donc beaucoup moins facilement quantifiable.
Guernica / Bérurier Noir – Gloco / Nada (1983)
Dans une précédente interview, le journaliste américain Gareth Branwyn nous rappelait que « le système finit toujours par récupérer l’énergie des marges pour s’en repaître, après l’avoir nettoyé de tout ce qui peut déranger le statu quo ». Ce qui me semble bien résumer le torpillage en règle de la scène alternative, schématisé par la signature de Mano Negra chez Virgin Records, période que tu évoques amplement. Bien qu’il faille bien payer son loyer et nourrir ses enfants, n’était-ce pas un énorme gâchis ?
Ah ça, c'est toujours la grande question. Rester dans la marge ou juste y passer un moment. Qui récupère qui et pourquoi ? Je me rappelle que quand j'avais interviewé Didier Wampas en préparation de Rebelles, il m'avait dit : « Mais moi je ne voulais surtout pas vivre dans un squat. C'est crado un squat et tu risques toujours que les flics débarquent. Je venais de banlieue, moi. Je voulais un appartement et pouvoir faire ma musique peinard. » Et il l'a fait, toute sa vie et je respecte totalement ça. Même si l'idée de réussir à construire des circuits en dehors du pouvoir ou du fric reste, à mon avis, hyper pertinente et risque même de le redevenir dans les décennies qui s'annoncent.
Le squat et l'alternatif pour les punks, au début en tous cas, n'étaient pas vraiment une affaire de posture politique même si, de toute façon, la raïa était intrinsèquement en marge, c'est dans l'A.D.N. des gangs de jeunes d'être en marge. Au moins un temps en tous cas. Pour les musiciens de la scène, c'était plus une histoire de nécessité qui fait loi : on cherchait des lieux pour jouer, les squatters en avaient et aimaient l'idée d'organiser des concerts, tope-là ! On ne pouvait pas enregistrer de disques parce que les majors n'en avaient rien à foutre de nous ? V.I.S.A. faisait des cassettes géniales : banco ! Les radios venaient de se libérer, tout le monde montait son émission de rock. Idem pour les fanzines. Tout ça ramenait donc aux origines du punk et à la première couverture du fanzine Sniffin' Glue : voici un accord, en voici un autre, vas-y, monte un groupe.
Mais, du coup, ce sont ces mêmes squatters qui nous ont immédiatement questionné sur nos choix politiques. Le fameux « D'où tu parles ? » de 68 qui nous a obligés à nous poser la question de notre pratique, de la façon dont nous voulions diffuser notre musique. En gros, il y avait un truc du genre : puisque, de toute façon, nous sommes déjà dans la marge, restons-y mais en transformant tout ça en moyens d'action. Sauf que je pense que, ça, c'était le choix de certains et pas de tout le monde. Il y avait des gens qui étaient ultra-politisés, d'autres dans une sorte de dilettantisme libertaire assez cool et encore d'autres pour qui la politique ne signifiait pas grand chose à part un machin de vieux cons répressifs et ringards qu'il fallait, de toute façon, ignorer. Du coup, dans toute cette confusion, c'est sûr que quand les groupes importants ont commencé, soit à signer, soit à s'embrouiller avec les acteurs des débuts, ça a un peu mis le truc par terre mais, en même temps, tout le monde commençait aussi à vieillir et à se poser des questions tout ce qu'il y a de triviales du genre : je mange avec quel fric ? Où est-ce que j'habite ? Est-ce que j'ai envie de faire des enfants ? Des trucs qui mettent la théorie à l'épreuve des balles, en somme.
Ce qui est probablement dommage, c'est que les structures comme Bondage, VISA, Boucherie n'aient pas pu survivre et se transformer sur la durée et devenir des structures pour les groupes qui, de toute façon, ne trouveront jamais leur place dans l'industrie du disque.
Donc, aujourd'hui, j'ai tendance à penser que toutes ces histoires de contre-culture s'inscrivent dans une durée, qu'elles portent en elles-même leur propre disparition, mais que l'essentiel se transmet de toute façon et que la graine prends plus tard, ailleurs, autrement mais avec la même envie de faire autrement.
Le groupe Guernica au grand complet (1982) Photo © Pascale Faure.
Est-ce que la seconde vague punk, celle du début des années 1980, n'a pas été le grand mouvement prophétique de l'underground ? Dans son incarnation du No Future et d'un avenir marqué par l'avènement d'une société de surveillance, un possible effondrement de notre biosphère, le grand retour des totalitarisme et d'une dictature de l'hyper-consommation ? Je pense autant aux disques et visuels de CRASS, qu'à ceux des Dead Kennedys ou de The Exploited (entre mille exemples) ? Bref, est-ce que les keupons n'ont pas été les grands prophètes oubliés de la fin du 20e siècle ?
Alors, prophétique me paraît un peu beaucoup. Ne jamais perdre complètement de vue que tout ça se faisait dans des conditions assez extrêmes et très spontanées et que les agitateurs de la mouvance étaient aussi une bonne bande de déconneurs et d'hédonistes. J'ai le souvenir de la visite d'un kraker (squatter) hollandais, membre d'un collectif d'activistes très engagés (il me semble qu'ils s'appelaient Red Alert, ils éditaient une BD qui s'appelait Red Rat et côtoyaient des groupes comme The Ex) qui devait dormir chez une copine responsable d'un fanzine. La soirée se passe, on discute de choses et d'autres et on lui propose une bière, puis un pétard, il décline l'offre à chaque fois. Au point que l'un d'entre-nous (je ne sais plus lequel) se met à le chambrer gentiment sur le mode « Tu es bien sérieux. », le mec lui a répondu que le lendemain, il serait debout vers sept heures pour faire son jogging, parce que la révolution ne se ferait pas toute seule... ». On était restés comme deux ronds de flanc. Et, en même temps, ce que le punk rock et le DIY ont apporté à cette génération (la mienne), c'est un accès décomplexé à la politique. Si, pour la musique, tu n'avait pas à te farcir le solfège ou les tablatures avant d'attaquer un morceau, tu n'étais pas forcément obligé non-plus de maitriser ton Bakounine ou ton Gramsci pour ouvrir un squat ou auto-produire des biens culturels.
Et que cette vague ait été comme une sorte de bulletin de santé d'un monde en devenir, oui, ça me paraît plausible. Après tout, c'est de cette mouvance dont sont sortis les premiers activistes anti-fascistes (SCALP-Reflex). Le combat du Droit Au Logement découle, lui aussi, des luttes des squatters européens, certain mouvements pour la cause animale ou d'écologie radicale en Grande-Bretagne. Il y a eu, c'est vrai, toute une série de mouvances, d'agitations groupusculaires qui mettaient le doigt sur des problématiques en devenir. Probablement plus sur le mode du constat, d'ailleurs, que de la prophétie. Les anarcho-punks de Crass étant un exemple très particulier avec leurs expériences communautaire et les groupes du label (de Crass à Poison Girls en passant par Annie Anxiety ou Zounds) qui brassaient des thématiques très larges. Anti-fascisme, évidemment mais aussi, féminisme, pacifisme, auto-gestion, végétarisme... Une suite et une interprétation très politique du No Future des débuts.
Question hyper classique, et néanmoins justifiée dans le cas présent. Et si c’était à refaire, est-ce que tu replongerais ?
Sans l'ombre d'une hésitation. Je ne regrette pas une seconde de ma jeunesse.
Une du fanzine New Wave consacrée à la compilation Paris Mix, avec l'ensemble des groupes présents sur le disque photographiés au Trocadéro. Photo © New Wave.
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