BEB-DEUM « DIGITAL TERMINAL »
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2008)
Dessinateur de bande-dessinée et illustrateur pour la presse, Beb-Deum a publié plusieurs albums aux Humanoïdes Associés et chez Albin Michel avant une incursion par le Japon pour les éditions Kodansha en 1996, et plus récemment E-Dad et Eloge de la Moue, deux livres parus chez PMJ Editions et que vous pouvez vous procurer dans toutes les librairies dignes de ce nom.
Propos recueillis par Laurent Courau.
Clonage, pollution, eugénisme, totalitarisme médiatique. On cite souvent Brazil de Terry Gilliam et 1984 de George Orwell pour décrire votre univers. Et vous paraissez effectivement fasciné par la face sombre du monde contemporain. Doit-on y voir une forme de rébellion pessimiste ou de critique révoltée à l'égard de notre société ?
En partie, oui, mais ce sont avant tout des univers qui ont excité mon imagination. Le fascisme, le système soviétique, le décorum monumental des années 30, j'y trouvais là une inspiration, un théâtre pour faire évoluer mes personnages, et développer le thème récurrent chez moi, de l'individu face à une société écrasante. Les très nombreuses images que vous avez réalisé pour la presse autour des nouvelles technologies et de la nouvelle économie n'ont jamais manqué de se moquer de leurs sujets, pour ne pas dire de s'en défier. Comment est perçue la dimension caustique de vos illustrations par leurs propres commanditaires ?
Les traits sont un peu forcés, légèrement caricaturés, avec le temps je peux imposer un peu plus mon point de vue, mais le commanditaire a, hélas, toujours le dernier mot: "arrondir les angles"...
D'où cette nécessité pour moi d'un travail personnel, pour pallier aux frustrations de la commande.
Je me souviens d'avoir entendu parler pour la première fois du cyberpunk dans un article de Métal Hurlant vers le milieu des années 80 . Quel était votre vision du futur et plus particulièrement de l'an 2000, à l'époque où vous faisiez vos premiers pas dans cette revue ?
Je n'avais pas de réflexion ni d'analyse par rapport au futur, je n'ai d'ailleurs jamais été un grand lecteur de SF et ne me suis jamais senti dessinateur ou auteur de ce genre. Seul m'importait de créer des univers originaux à partir du présent, présent que je poussais à l'extrême - caricaturais? - jusqu'à ce qu'il ressemble inconsciemment... au futur.
Votre trait est si parfait qu'il m'est arrivé de m'interroger sur vos méthodes de travail, en me demandant si vous aviez recours à la retouche de photographies retouchées. Il semblerait qu'il n'en soit finalement rien et que vous utilisiez simplement les logiciels de traitement d'image comme des outils de dessin perfectionnés. Comment s'est passée votre rencontre avec l'informatique ? Et pouvez-vous nous dire ce qu'elle a apporté à votre travail ?
Je suis passé des aquarelles aux encres, puis aux feutres et l'informatique. Le numérique est pour moi simplement un outil, qui s'inscrit dans une évolution technique logique. Bien sûr ce "super" outil me permet d'aller beaucoup plus vite, et me propulse - avec ses dangers - dans des mondes créatifs illimités, dans le fond comme dans la forme.
Dessin de presse, publié dans Enjeux - Les Echos - © Beb Deum
Quelles sont les grandes étapes de l'élaboration d'une de vos images ? Vous arrive-t-il encore de réaliser vos croquis sur papier ou êtes-vous entièrement passé sur palette graphique ?
J'ai toujours besoin de jeter mes idées sur le papier; crayonnés que je scanne et mets très vite en forme, couleur et volume avec la machine.
Une question certes classique, mais toujours appréciée. Quels conseils donneriez-vous à un dessinateur désireux d'utiliser ce type d'outils ?
Avant tout d'avoir une démarche personnelle, savoir dessiner, vouloir dire quelque chose et surtout de ne pas se laisser bouffer par la technique et les effets faciles que permet cet engin.
Que l'homme arrive à maîtriser la machine qu'il a créé est un grand thème de SF, et très d'actualité avec cet outil numérique.
Double planche originale, extraite de Cyber Dad - © Beb Deum
William Gibson, Romain Slocombe, Ridley Scott. De très nombreux artistes contemporains reconnaissent, voire revendiquent l'influence de la culture japonaise dans leur travail. Quelles sont vos sentiments sur ce pays et sa culture, notamment les mangas et le cinéma d'animation, après votre aventure éditoriale avec Kôdansha, une maison d'édition nippone ?
J'ai toujours été attiré par ce pays d'une manière fantasmatique. La découverte de ce mélange de tradition séculaire et d'ultra modernité débridée de Tokyo, Kyoto et surtout du quartier Namba à Osaka (qui a visiblement inspiré Ridley Scott pour Blade Runner) fut un choc qui m'influence encore aujourd'hui. Néammoins, je pense que l'idée que l'on s'en fait est toujours plus importante pour la création, que de toucher la réalité du doigt.
Outre la science-fiction dont l'influence fut évidente dans votre travail par le passé, quelles sont aujourd'hui vos sources d'inspiration ? J'ai noté la présence de très nombreux pictogrammes et logos dans vos images, ce qui m'amène à penser que vous vous intéressez au graphisme industriel et peut-être par ce biais à la culture électronique...
J'ai toujours été attiré par les extrêmes, la froideur d'un graphisme industriel, par exemple, combiné avec du sentiment humain (mon thème récurrent n'est pas loin). Je dois trouver des sources d'inspirations plus ou moins conscientes partout; je me nourris de tout, graphisme, archi, mode... Nous allons vers un art "total", une hybridation, et l'informatique est un bon médium qui m'intéresse pour cela.
Les innombrables écrans qui parsèment votre univers laissent également supposer que vous vous intéressez de près aux réseaux informatiques et aux jeux vidéo. J'ai par ailleurs lu que vous aviez participé à l'élaboration de cd-roms. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Je n'ai pas trop envie de créer des produits, fussent-ils high-tech ou non. Je me suis sans doute marginalisé dans l'édition BD pour ça : le désir de rester indépendant et la liberté de créer.
L'informatique et ses réseaux me fascinent comme jadis l'esthétique totalitaire, ils stimulent mon imaginaire.
J'ai appris en visitant le portfolio d'illustrations de votre site que vous aviez travaillé avec Jean-Baptiste Mondino pour les publicités Tv Kodak. Quelle fut votre participation à ce film ? Vous est-il arrivé de collaborer à d'autres productions audiovisuelles ?
J'ai créé des personnages qui par la suite ont été rentré dans la machine et animé ; ce fut une bonne expérience... avant tout alimentaire!
Votre planning semble partagé entre la bande-dessinée et les illustrations pour la presse. Quels sont vos projets pour l'année 2002 ? Pouvons-nous espérer la sortie prochaine d'un nouvel album ?
J'ai un petit carnet de voyage africain que je souhaiterais voir édité, puis le désir de revenir à une imagerie personnelle, débarrassé des contraintes de la bande dessinée, si j'arrive à atténuer le flux des commandes...
© Beb Deum
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