CHRISTIAN GATARD « NOS 20 PROCHAINES ANNEES »


Enregistrement : 25/10/09

Christian Gatard est à la tête de Gatard & Associés, un institut d'études et de recherches internationales en marketing et communication dont il est le fondateur.

Son dernier essai prospectif Nos 20 prochaines années est actuellement disponible en librairie. Un livre qui se risque dans la jungle des possibles, entre utopies, dystopies et nouveaux paradigmes, pour annoncer un XXIe siècle baroque et déroutant.



Commençons par le commencement et le titre du livre... Comment est né le désir d'écrire ce livre et qu'est-ce qui a déterminé le choix d'une période de vingt ans, plutôt que de dix, trente ou cinquante ans ?

Mon projet a été de faire se rencontrer deux dispositifs: d'un côté la sociologie de la modernité, l'observation et l'analyse des tensions du monde – ça, c'est ma profession - et de l'autre l'écriture, mes romans et mes essais. Un des thèmes de Nos 20 prochaines années, c'est la porosité entre le réel et la fiction. La ligne de partage entre les deux sera de plus en plus floue – autant à cause des avancées technologiques que des pressions spirituelles et artistiques qui se dessinent dès maintenant. Le choix de deux décennies 2010-2030 est du même ordre : vingt ans ce n'est pas beaucoup, c'est une période entre, d'une part, les tendances et le prolongement possible des courbes, c'est-à-dire la logique de ce qui se passe en ce moment – monde plus ou moins objectif – et , d'autre part, la futurologie, la prospective à plus long terme qui relève d'une vision, elle, plus ou moins subjective. C'est le défi de mon livre : explorer la frontière entre aujourd'hui et demain, entre nos réalités vécues et les fictions possibles du monde de demain. Marcher sur la ligne de crête... Jean Daniel Belfond, mon éditeur chez Archipel, m'a donné carte blanche. Depuis il m'a confié le projet d'une collection prospective. Il y a peut-être dans cette approche une certaine pertinence.

Très intéressant, peux-tu nous en dire un peu plus sur ce projet de collection prospective ? Et d'ailleurs, comment expliques-tu l'engouement actuel pour la prospective ? S'agit-il d'une forme de réponse aux angoisses collectives que l'on peut percevoir notamment à travers la culture populaire (2012, etc.) ?

Le futur est une zone blanche sur la carte du temps, une terra incognita aussi mystérieuse et fascinante que les continents inconnus pour les Anciens. La « collection prospective » aura pour mission de lancer des expéditions dans ces zones du temps. Ce qui dénote un certain enthousiasme pour le futur. Toutefois je ne nie pas qu'il y a dans l'engouement actuel pour la prospective une forme d'incantation – pour employer des mots savants et très antiques : quelque chose d'apotropaïque – il s'agit d'effrayer et repousser les esprits mauvais. Les temps qui viennent annoncent pour beaucoup de monde une dystopie apocalyptique. Tous les moyens sont bons pour gérer au mieux ces angoisses : se faire encore plus peur que la peur qu'on a en fait partie. Pourtant je ne réduis pas l'intérêt actuel pour la prospective à cette pente paranoïaque. Les explorateurs qui avançaient en territoire inconnu étaient poussés par une intense curiosité. Celle-ci est peut-être une des qualités principales du vivant – de l'espèce humaine et aussi de tout ce qui vit. Pourquoi cette curiosité est-elle plus intense aujourd'hui ? Ce sera un des chantiers de la collection.

Comment s'est déroulé ton travail de recherche et d'écriture ? Est-ce qu'il s'est par exemple agi d'aller à la rencontre d'un certain nombre d'acteurs ou de visionnaires sur une courte période ? Et surtout, est-ce que le propos du livre a considérablement évolué au fil de tes recherches ?

Mon travail a été, je crois, assez caractéristique de ce qui peut émerger dans les temps qui viennent. Je suis parti d'une série de thèmes simples : manger, dormir, aimer, créer, se déplacer , etc...et j'ai effectivement rencontré une foule de gens. Des futurologues, des planeurs stratégiques, des artistes, des écrivains, des sociologues, des pessimistes définitifs et des optimistes béats et des gens... une foule de gens. Internet et les moteurs de recherches ont été évidemment un levier précieux, un booster permanent. C'est ainsi que j'ai croisé la Spirale et de liens en liens que nous avons été en contact, toi et moi. Cette expérience de la rencontre entre le virtuel et le réel s'est multipliée, enrichissant sans cesse ma recherche. Effet boule de neige, effet papillon : tout était au rendez-vous, avec à la clef quelque chose qui allait bien au-delà d'un essai de socioprospective à moyen terme. L'écriture devenait une expérience, une performance en soi qui me faisait cheminer dans tous les mondes de demain , lampe de mineur au front. En lisant tes livres - Vampyres et Mutations pop et crash culture et ta façon toute personnelle d'être si « présent » dans tes sujets je me suis dit qu'il y avait là quelque chose du même ordre. Ce qu'il y a d'intéressant aujourd'hui dans ces approches, c'est l'implication, c'est une forme de participation empathique avec ces désordres joyeux. Alors oui, il y a eu une évolution dans mon travail : le sentiment de plus en plus fort que cette période de 20 ans qui vient sera – est déjà – assez époustouflante. L'est-elle moins que les vingt dernières années ? Peut-être pas au motif que toute époque a sa magie propre, mais ce qui est enthousiasmant c'est que les 20 ans qui viennent seront les nôtres et que nous en serons les acteurs.

Que l'époque soit passionnante, j'en suis certain. Mais je suis par contre moins convaincu de la joyeuseté des désordres actuels. Peux-tu m'éclairer sur les raisons que tu vois de se réjouir des différents scénarios à l'approche ?

C'est leur intensité même qui me réjouit. Le scenario est imprévisible et le spectacle sera total. Ce sera une performance à l'échelle de la planète. Le théâtre des opérations sera un spectacle shakespearien où la pièce elle-même sera sublime et cruelle, où les spectateurs seront sur la scène, mêlés aux comédiens. Mélange des genres, confusion des temps, métissages et transcultures. Il y a quelque chose de l'ordre de la jubilation dans cette affaire. Cette jubilation, il ne faut pas se faire d'illusion, sera faite autant de délectations que d'amertumes. C'est la nature même d'une oeuvre intéressante que de faire éprouver une joie profonde au contact de l'essentiel. Il y a et il y aura encore des zones de sérénité absolue, des havres protégés, il y aura, il y a déjà, des territoires ouverts, assiégés et mis en pièces. Dans la fiction (c'est à dire dans les livres ou les films puissants et convaincants), on jubile (avec délectation ou amertume). J'ai dit tout à l'heure que ce qui se dessine dans les temps qui viennent c'est une confusion entre réel et fiction. On entre peut-être dans une période de jouissances radieuses ou délétères. Autre chantier d'exploration à mener.

L'opposition entre nomades et sédentaires est revenue à la mode. On l'a vu évoquée sous ses différents aspects par Paul Virilio, Jacques Attali et de nombreux autres commentateurs des temps présents et futurs. Qu'est-ce qu'un nomade du XXIe siècle selon tes propres termes ?

En ce qui me concerne j'ai beaucoup voyagé. Je me suis intéressé pendant de nombreuses années aux tribus Dayak de Bornéo, j'ai vécu en Corée du Sud, mes missions professionnelles me font visiter de nombreux pays et autant de cultures. Demain je pars à Varsovie, je suis bientôt à Shanghai et à New York dans la foulée. C'est une forme finalement assez classique du nomadisme. Elle a un avantage : celui de la palpation physique, sensorielle. Bientôt ces sensations seront disponibles à la maison. Le nomade du XXIème siècle est déjà aux prises avec une transformation profonde : le nomadisme peut être immobile. Bientôt, la rencontre avec le monde dans sa totalité ne sera plus uniquement une question de voyages aériens ou pédestres. Les écrans et bientôt les hologrammes permettront un partage d'expériences transculturelles inouïes. Ce qui sera prioritaire ce sera le partage et la contribution de chacun à la création d'une culture en réseau, nourrie des fertilisations entre le réel et le fictif. On va sans doute vers une réconciliation entre nomades et sédentaires.

En même temps, qu'est-ce qui différencie ce nomade du couch-potato télévisuel ? Certes, les supports de transmission évoluent et les expériences des utilisateurs en bénéficient, mais l'expérience se heurte aux frontières du virtuel... Et peut-être est-ce là un des plus grands problèmes de la période actuelle ? Ne devons-nous pas retourner au réel et à une implication physique / sensorielle directe ?

Je pense que le virtuel va repousser sans cesse davantage ses propres frontières. Ce que nous nommons aujourd'hui l'expérience virtuelle (avec pas mal de scepticisme) sera de plus en plus difficile à distinguer de ce que nous nommons encore (avec un peu d'arrogance nostalgique) l'expérience du réel. Pour autant ce qui différencie le nomade créatif, entrepreneur et transculturel du couch-potato paresseux et télévisuel c'est le désir de sortir du village, de partir à l'assaut du monde, de se laisser emporter par l'esprit de curiosité. C'est une histoire très ancienne. De tout temps il y a eu des gens qui ont eu envie de partir à l'aventure. Sans doute ont-ils ça dans les gènes – vas donc savoir si c'est de l'inné ou de l'acquis ! Pour ce qui est du réel et des implications physiques et sensorielles, elles sont annoncées. Elles pourront s'appuyer parfois sur ce qu'on appelle la réalité augmentée (termes qu'on emploie à toutes les sauces mais qui dit bien ce que ça veut dire), parfois sur un bon vieux réel en chair et en os. J'aime bien l'image de la spirale ascendante : on avance dans l'histoire en tournant en rond, en cycle, mais en montant. Au fait est-ce que c'est de là que vient le nom de ton e-magazine ? Quoiqu'il en soit on va se réapproprier un réel bien réel et un réel augmenté, on va amalgamer tout ça et au bout du compte on ne fera guère la différence. Ce qui sera important ce sera une expérience puissante, enivrante et jubilatoire du monde. Le réel, donc, est pour moi une certitude et une pratique.

On connaît la phrase sur « un XXIe siècle qui serait religieux ou ne serait pas », faussement attribuée à André Malraux. Le sujet fut évoqué le 15 septembre 2009 à l'Echangeur à l'occasion de la présentation de Nos 20 prochaines années. La Spirale regorge elle-même de références mystiques et religieuses de tous ordres, sans même rentrer dans le film et le livre Vampyres où le sujet est central. Comment analyses-tu, en ta qualité de sociologue adepte de la pensée buissonnière, le rôle de ces croyances ?

Les nouvelles technologies seront au service des choses de l'esprit. On va revisiter la notion de sacré. Ce ne sont plus des signaux faibles et incertains. Ce sont des « marronniers » des medias. Au demeurant c'est le sujet même de mon prochain livre – Savoirs, Croyances et Jouissances à l'horizon 2030. Je compte bien y appliquer cette « pensée buissonnière » : une démarche d'enquête non académique, une exploration avec une boussole qui aurait un peu perdu son nord et choisi de nouvelles polarités. La pensée buissonnière relève de la « sérendipité », c'est-à-dire l'art de saisir au bond ce qu'on cherche sans le savoir. C'est une technique nomade, précisément, un art de survie dans la forêt, une façon peut-être de chevaucher la flèche qu'on vous décoche. C'est une façon de faire feu de tout bois. C'est de cela que sera fait le sacré : une quête ouverte, sans exclusive. Encore que je m'avance là peut-être un peu. En parallèle ou souvent en opposition avec un sacré libre et créatif, des instances beaucoup moins réjouissantes vont continuer de s'imposer – les intégrismes ont de beaux jours devant eux. Cette tension dans les croyances sera une ligne d'horizon qui n'est pas disposée à se dissiper.

Autre concept intéressant, qui n'a pas manqué de m'interpeller dans la vidéo de la présentation de l'Echangeur, celui de « régression ». Est-ce à dire que les consommateurs du futur seront tous des geeks tournés vers leur enfance, accros aux peluches et aux jeux vidéo ?

Ce terme de régression est à prendre avec des pincettes, bien entendu. On observe depuis un moment la montée en puissance de la fascination du passé et de l'histoire. L'Histoire de l'espèce humaine, l'histoire personnelle de chacun sont aujourd'hui des préoccupations majeures. Il y a quelque chose qui est de l'ordre du repli (peluches et jeux video) mais c'est peut-être une stratégie pour réinvestir une ligne évolutive complète – passé, présent, futur – et d'y trouver un sens. Au-delà de la phase de « régression » - qui a sa charge de jouissance personnelle – il y a une transgression : le refus de l'ordre temporel établi : hier, aujourd'hui et demain ne seront plus enfermés dans un schéma linéaire. Les temps qui viennent se délecteront des dérivations et des résurgences. Il faut repenser le poids des cycles. On parle beaucoup de la Renaissance – au prétexte que nous serions sortis de notre propre Moyen Age ombrageux et sombre incarnés par le nazisme et le communisme du Goulag, nous serions dans une période de retrouvailles avec des origines lumineuses de l'intelligence du monde.

Je me souviens d'une couverture du magazine Wired à la fin des années 90 qui titrait : « The Future Smiles Again ». Ce qui laisse entendre que nos congénères s'inquiétaient déjà de lendemains qui déchantent à la fin du XXe siècle. Aujourd'hui, l'époque semble encore plus sombre. Où trouvez-vous l'énergie et les motifs d'espoir nécessaires pour écrire un livre aussi enthousiaste et même optimiste dans une période aussi anxiogène ?

C'est qu'il s'agit d'une mutation et non d'un désastre annoncé. La délectation morose d'une partie (assez majoritaire) de l'intelligentsia contemporaine alimente les fantasmes sur le futur. Personnellement je me réjouis tous les jours de vivre ce que nous vivons et d'avancer dans une allégeance rebelle à l'ordre des choses. C'est là aussi un thème qui parcourt tes livres et c'est une des inspirations de La Spirale. Le changement se fera de l'intérieur, en pesant de toutes nos convictions au coeur des systèmes, pas en nous ostracisant, pas en jouant les effarouchés affolés par un monde que l'on décrète illisible. En apprenant à lire la totalité du champ temporel, en lisant les anciens, en déchiffrant les transhumanistes, en nous encanaillant avec les canailles, en vivant embedded dans le temps présent nous serons acteurs et spectateurs, consommacteurs de toutes les transactions qui émergent.

Admettons que la morosité ambiante soit en partie due à l'onanisme morbide d'une large part de l'intelligentsia. Il reste que nos sociétés doivent faire face à des problèmes sociaux, macro-économiques et environnementaux très concrets. Quelles seraient selon toi les pistes de sortie, au moins sur un terrain psychologique ? Où et comment va-t-on retrouver du sens, de l'envie, de l'enthousiasme et du lien social ? En quelque sorte, comment faire pour réenchanter le monde ?

L'espèce humaine en tant que projet porté par les sentinelles et les éclaireurs que sont parfois tel artiste, tel écrivain, tel savant - peut-être tel mystique ou tel politique - a sans doute ça en tête : réenchanter le monde. Mais l'espèce humaine c'est aussi une grosse machine, un paquebot gigantesque lancé dans l'océan du temps, son inertie n'est pas facile à gérer, les icebergs pas faciles à éviter. Y-a-t-il même un commandant à bord ? Parfois on se dit qu'il faut réenchanter le monde malgré lui, malgré les caprices de l'espèce, malgré sa mauvaise volonté. Et puis une fois passé cet énervement et cette impatience qu'est-ce qu'on a à disposition ? Les utopies. Et elles servent à quoi, les utopies ? à donner des idées de scénarios. Le dernier bouquin de Luc Dellisse, L'Atelier du Scénariste, paru aux Impressions Nouvelles le mois dernier, devrait être mis entre les mains de tous les politiques. En s'attaquant à l'acte même de la création, il donne des clés pour réinventer le monde. Je crois d'ailleurs que la littérature n'a pas dit son dernier mot dans cette affaire de sauvetage de l'espèce.

Aujourd'hui la principale utopie est construite en cascade. Premier palier, tout en hauteur: on attend de la part de tous et de chacun une prise de conscience globale, c'est la mission que se sont donnés les médias qui relaient la parole des prophètes et des visionnaires. Second palier : cette prise de conscience va avoir effet sur le politique et sur le choix d'un personnel politique plus conscient et vigilant, c'est la mission du vote démocratique qui gère encore la vie de la cité pendant les 20 ans qui viennent. Troisième palier : cette nouvelle bonne gouvernance du monde va rebondir sur l'économique et nous sortir des crises à répétition, c'est la mission des samouraïs de l'industrie, du commerce, des nouveaux humanismes, des humanitaires . Quatrième palier : cette prospérité va permettre de réinventer les relations de bon voisinage et faciliter la vie quotidienne, c'est la mission de chaque citoyen, de chaque consommateur, qu'il soit nomade ou sédentaire. Et enfin, dernier palier - là on n'est plus dans la rivière mais dans le delta avant l'océan des songes – cette fraternité va diffuser sur le poétique d'un monde enfin tiré d'affaire. Cette mission là est celle des réseaux de demain, des futurs FaceBook et autre Linkedin qui vont devoir jouer la carte de l'alchimie des multitudes dont parle Francis Pisani dans son dernier livre et à qui je consacre un chapitre dans le mien. Cette utopie-là, c'est pas gagné !

Mais on a sans doute besoin de croire à des grandes sagas rédemptrices. Je pense qu'elles sont bienvenues. La réalité vraie, elle, sera évidemment plus bricolée. Ce qui n'enlèvera rien au plaisir qu'on va avoir à vivre nos 20 prochaines années. On n'aura pas une seconde pour s'ennuyer.


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Titre : CHRISTIAN GATARD « NOS 20 PROCHAINES ANNEES »
Auteur(s) :
Genre : Interview
Copyrights : Laurent Courau
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