JEAN MICHEL ROUX « L’ANGE DU NORD » (POHJOLAN ENKELI)
Enregistrement : 25/05/2018
Mise en ligne : 25/08/2018
Il représente deux enfants portant sur un brancard un ange aux yeux bandés, l’aile gauche tachée de sang. L’auteur s’était toujours refusé à l’expliquer et à vrai dire, même à le nommer puisqu’à son dos, en lieu et place de titre, ne figure qu’une rature.
Comment ne pas être intriguée ? Loin de satisfaire à ma curiosité, les réponses de Jean Michel Roux à cette interview n’ont fait que me captiver plus avant. Un rendez-vous a donc été pris, après la projection du film, pour un second entretien.
Pour l’heure, le mystère de l’Ange du Nord reste tout entier…
Propos recueillis par Ira Benfatto.
L'Islande comme la Finlande ne sont qu'à trois heures d'avion de Paris. Ces deux pays très différents l'un de l'autre ont à mes yeux un intérêt exotique puissant. Après le choc de l'île volcanique, j'ai parcouru le nord de l'Europe et c'est en Finlande que j'ai trouvé à nouveau un sujet inspirant. Je me sens proche de ces deux peuples, je comprends leur mélancolie et leur vie au contact d'une nature totalement préservée. En Islande, le phénomène des Elfes avec son mystère et sa réalité dans une société moderne devait être transposé au cinéma. Et en Finlande, il y avait ce tableau L'Ange Blessé, une énigme plus vertigineuse que le sourire de Mona Lisa.
Votre film s’articule autour de la peinture d’Hugo Simberg de 1903, L’Ange Blessé. Pourquoi ce tableau à essence toute chrétienne dans un pays qui regorge pourtant de mythes antiques qui lui sont propres, de créatures fantastiques et de pratiques magiques comme chamaniques ? Comment avez-vous découvert que vous aviez là matière à un documentaire ?
Au départ, l'énigme du tableau repose sur le fait que le peintre n'a jamais transmis aucune explication à son sujet. Il représente deux pré-ados transportant un ange blessé sur un brancard dans un paysage désertique. Cette vision est l'inversion de l'image d’Épinal de l'ange gardien omnipotent. Tous les Finlandais connaissent ce tableau dont les posters sont partout, même dans les écoles maternelles... et ils s'interrogent toujours un siècle après sa création. Le plus troublant est que nombreux sont ceux qui disent : « L'ange, c'est moi » ou « cet enfant, c'est moi ». Le tableau leur fait revivre un drame intérieur par procuration. Il fonctionne comme une catharsis à l'échelle nationale.
C'est un point de départ excitant pour enquêter aussi bien sur le mystère des anges que sur l'âme finlandaise et donc sur le mystère de l'âme humaine. Détail important : une étude sociologique récente a révélé qu'environ 50% des Finlandais croient en l'existence des anges. Ce n'est pas lié aux anges du christianisme mais à l'animisme viscéral du « peuple de la forêt » comme il se surnomme parfois. Le peintre était influencé, comme d'autres artistes européens et en particulier les symbolistes, par les mouvements spirituels de la fin du XIXe, très éloignés de l’Église. Il s'agit d'art ésotérique et non de religiosité.
Après trois ans de recherches, je me sens comme le journaliste à la fin de Citizen Kane, l'énigme est encore plus vaste qu'au début. Je vois beaucoup de couches superposées, d'idées paradoxales et d'émotions profondes. Je n'oublie pas la première impression : derrière l'énigme, il y avait aussi le style esthétique. Cette image est bizarre, un peu gothique. Nous sommes au milieu d'un film de genre fantastique avec du drame, un peu d'humour, une touche métaphysique et aussi de l'espoir. Ce super-héros va peut être survivre à une tragédie terrestre. La figure de l'ange qui est au centre du tableau apparait dans tous les systèmes spirituels et religieux. C'est un symbole ancestral, une porte vers l'inconscient collectif et l'au-delà.
Après trois court-métrages et un long Les Mille Merveilles de l’Univers (1997), vous vous êtes définitivement détourné de la fiction pour ne tourner plus que des documentaires. Pourquoi ce changement de bord ?
En 1997, j'ai découvert en Islande des paysages visuellement époustouflants.
Et simultanément, un sujet plus extraordinaire que ce que mon imagination pouvait inventer : les Elfes et le monde invisible. Pourquoi s'embêter à faire de la fiction, créer des personnages, des décors et des mate paintings, quand une nation entière est d'accord pour collaborer à mon enquête ? Le terme « documentaire » est un peu flou et évoque pour certains des reportages télévisés indigents. Je préfère parler « d'essai cinématographique » ou de « documentaire fantastique », même si c'est hors genre.
J'ai aussi développé plusieurs nouveaux scénarios de fiction. Ils sont provisoirement en stand-by. Je suis impatient de mettre en pratique dans la fiction certains dispositifs de mise en scène mis au point pour les « documentaires ».
Avez-vous été témoin de phénomènes étranges ou inexpliqués à l’occasion de ce tournage ?
Pas particulièrement, alors qu'en Islande c'était fréquent. Mais j'ai eu la chance de participer à une expérience chamanique sur un site sacré dans la forêt de Nuuksio. Il s'agit de chamanisme nordique dans la tradition sibérienne. C'est très différent de ce qui se pratique en Amérique du Nord ou du Sud. Difficile à décrire mais pour résumer il s'agissait d'un voyage dans le temps.
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