AMERICAN K.O. PAR ERIC OUZOUNIAN


Enregistrement : 11/11/2008

L'élection de Barack Obama a été accueillie avec joie et soulagement par la majorité de l'humanité, consciente qu'un peu de lucidité avait gagné le peuple américain. Mahmoud Ahmadinejad lui même, dont le régime s'oppose depuis 33 ans aux USA, a été jusqu'à saluer ce verdict électoral américain qui éloigne toute perspective d'embrasement dans la région...

Un article d'Eric Ouzounian sur l'après-quatre novembre 2008 et les options qui se présente à l'équipe Obama prochainement à la tête d'une superpuissance au bord du chaos systémique.


Entendu en Février 2007 par le Commitee On Foreign Relations, un organisme dépendant du Sénat américain, l'ancien conseiller à la Défense de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, considérait sérieusement l'hypothèse d'une guerre en Iran. A partir d'une situation durablement enlisée en Irak, qu'il considère comme une erreur stratégique sans équivalent contemporain : « La guerre en Irak est une catastrophe historique, stratégique et morale. Entreprise sur la base de suppositions erronées, elle sape la légitimité de l'Amérique. Les pertes humaines civiles collatérales ainsi que divers abus entachent le crédit des USA. Conduite par des motivations manichéennes et impérialistes, elle intensifie l'instabilité régionale. »

Brzezinski évoque sérieusement la possibilité d'étendre la guerre vers le pays voisin. Le souvenir des prétextes invoqués pour justifier l'intervention en Irak, qui ira jusqu'à exercer des pressions très fortes sur la CIA afin que l'agence accrédite la thèse des armes de destruction massive, reste très présent. La récente communication par la direction du renseignement américain des conclusions invalidant la thèse d'une bombe iranienne montre que l'éventualité de frappes préventives ne reposait sur aucun fait tangible. Quatre ans auparavant, L'équipe Bush comptait bien favoriser la réélection de son candidat en jouant sur la corde nationaliste et sur l'idée du destin civilisateur des USA. Aujourd'hui, l'Irak est au centre du chaos, on y assassine comme on respire, la guerre de religions est rallumée et la contagion s'étend.

D'Islamabad à Nouakchott, à des degrés divers, l'exécutif américain avait semé un sept ans les germes d'un chaos durable. La "Franchise" qu'est devenue Al Qaeda, dénonce les visées impérialistes de "juifs et des croisés". En Iran, les mollahs menacent les infidèles et pendent en place publique les homosexuels, tandis qu'à Washington, on parle de croisade et d'axe du mal.

D'après une étude réalisée en 2006 par l'économiste Joseph Stiglitz, le coût estimé de la guerre en Irak après quatre ans était de plus de 2000 milliards de dollars en 4 ans. L'administration Bush est encore aux affaires jusqu'au 20 Janvier, mais les démocrates contrôlent désormais la quasi-totalité des pouvoirs : législatifs : sénat et chambre des représentants et l'exécutif : la Maison Blanche, à l'exception notable de la cour suprême, dont la quasi-totalité des membres a été nommée par les Républicains. Ces derniers, malgré la dignité remarquable du sénateur Mc Cain qui a salué la victoire de son adversaire, viennent de connaître une déroute historique dont le Grand Old Party ne se relèvera pas de sitôt, plombé par une foi aveugle dans l'ultra-libéralisme initié par Ronald Reagan.

Une économie en ruine

Barack Obama aura plusieurs défis de grande ampleur à relever et le premier est de tout tenter pour éviter une cessation de paiement à l'été 2009. L'économie américaine agonise. General Motors est en quasi faillite et le sera à coup sur au début 2009, l'entreprise a perdu 85% de sa valeur en un an. Chrysler et Ford ne se portent guère mieux. L'automobile, symbole de la puissance industrielle américaine, ne sera bientôt qu'un souvenir pour les dizaines de milliers de salariés bientôt licenciés dans le région des grands lacs, de Detroit à Akron, ou Goodyear annonce des pertes importantes.

Le pilier du financement américain Fannie Mae, pourtant recapitalisé à grand frais par le contribuable américain, a annoncé mi-Novembre une perte de 29 milliards de dollars au troisième trimestre 2009. Pour le moment le gouvernement américain refinance en creusant la dette abyssale des USA, mais le risque qui pèse sur les bons du trésor américain, largement détenus par la Chine et le Japon, s'intensifie de semaines en semaines, à mesure que les fonds prêtés aux banques américaines par la Réserve Fédérale deviennent d'un gigantisme déraisonnable. La première étape sera la faillite des fonds spéculatifs (hedge funds) et des fonds de pension. Selon USA Today, ce sont 2000 milliards de dollars de retraites par capitalisation qui ont été perdus au cours de ces dernières semaines et cette situation va s'aggraver. Le nombre de septuagénaires américains contraints de retourner travailler pour vivre va être important, au moment même ou un chômage massif va toucher le pays. Bien évidemment, l'assurance chômage étant quasi inexistante, la consommation attendra rapidement un seuil critique.

Les experts du LEAP (Laboratoire européen d'anticipation politique) prévoient qu'à l'été 2009 :« le gouvernement américain sera en cessation de paiement et ne pourra donc pas rembourser ses créditeurs (détenteurs de Bons du Trésor US, de titres de Fanny Mae et Freddy Mac, etc.). Cette situation de banqueroute aura bien évidemment des conséquences très négatives pour l'ensemble des propriétaires d'actifs libellés en dollars US. Selon notre équipe, la période qui s'ouvrira alors deviendra propice à la mise en place d'un« nouveau Dollar » destiné à remédier brutalement au problème de la cessation de paiement et de la fuite massive de capitaux hors des Etats-Unis ». Il s'ensuivrait une dévaluation massive du dollar, dont le leadership historique depuis Bretton Woods ne pourrait qu'en partie être repris par l'euro ou le Yuan. Cette situation correspondrait à un retour de balancier historique et verrait l'Europe reprendre un rôle international prépondérant, au côté des géants asiatiques et des pays d'Amérique du Sud. Comme d'habitude, les agences de notation boursière ont sous évalué le risque et n'ont que peu joué leur rôle de vigie des marchés. Comme d'habitude le capitalisme aura privatisé les profits et fait supporter les pertes par la collectivité.

La nécessaire fin d'un cycle interventionniste

L'élection de Barack Obama crée une situation nouvelle, mais tout reste à faire après huit ans d'une des présidences les plus catastrophiques des Etats-Unis. L'image des USA dans le monde n'a jamais été aussi désastreuse, y compris dans les pays alliés. L'implosion de l'Etat irakien, l'anarchie allant de pair avec les succès militaires des talibans en Afghanistan ou la production d'opium a été multipliée par 21 depuis l'intervention américaine, la mise en échec dans les deux pays des armées américaines ne sont que les résultats les plus spectaculaires de l'aventurisme néoconservateur. Le bilan réel est plus lourd encore. L'administration Bush a profité de la conjoncture pour multiplier des lois répressives rappelant le climat de l'époque maccarthyste. Elle approuve le comportement d'Etats policiers quand ceux-ci répriment leur opposition ou des minorités opprimées. Aux yeux de Washington, sont terroristes les mouvements qui résistent à l'hégémonie américaine ; ne le sont pas ceux qui acceptent cette hégémonie. Le passage sous les fourches caudines des intérêts américains ne peut désormais plus être l'unique règle.

Le clivage Républicains/Démocrate reste la plupart du temps insuffisant pour comprendre les véritables enjeux de la géopolitique américaine. Pour les percevoir, il faut remonter aux héritages fondamentaux de la politique étrangère américaine que sont les notions de réalisme et d'idéalisme. Vers la fin du 19e siècle, le publicitaire John O'Sullivan, directeur de la Democratic Review avait inventé le concept de la Destinée Manifeste, fondé sur l'idée d'une mission civilisatrice des Etats-Unis. L'histoire des Etats-Unis est jalonnée de cycles successifs de protectionnisme et d'interventionnisme.

Le 26ème président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt, avait une vision dite réaliste (c'est-à-dire: voir les choses telles qu'elles sont) des relations internationales : il considérait que les états étaient des entités égoïstes défendant avant tout leurs intérêts, par la force si besoin. Th. Roosevelt reprenait le concept de « destinée manifeste » afin de justifier l'expansionnisme et l'interventionnisme des Etats-Unis hors de ses frontières. Ainsi, en 1904, par ce qu'on appelle le corollaire Roosevelt à la doctrine Monroe, il affirmait le devoir des Etats-Unis à intervenir dans la zone des Caraïbes et de l'Amérique Latine quand leurs intérêts seraient menacés. A l'inverse,« L'idéalisme » de Woodrow Wilson prônait en modèle de relations internationales devraient être harmonieuses et pacifiques grâce à l'obéissance des états à des règles de droit international et à un ordre garanti par des organisations supranationales. « C'est principalement l'idéalisme wilsonien qui a imprimé son rythme à la politique américaine depuis sa présidence historique, et qui l'inspire aujourd'hui encore. »

Barack Obama devra réfléchir à un retour des USA au sein des institutions multilatérales, désertées depuis le 11 Septembre 2001. L'analyse la plus inquiétante est celle d'un orfèvre en la matière, Henri Kissinger :« Les Etats-Unis ont fait voler en éclats les structures communes en intervenant toujours unilatéralement. Le garde-fou n'existe plus. Le prochain, ou la prochaine, président(e) des USA, devra bien réfléchir avant d'envisager l'ensemble de la situation géopolitique américaine, actuellement proche du chaos ».

Le nouveau président américain ne pourra se contenter de croire, comme le Prince Salina dans Le Guépard de Lampedusa,« qu'il faut que tout change pour que rien ne change ». Les USA cheminent maintenant à la lisière d'un chaos qui peut leur être fatal.


Commentaires
suicyco - 2008-11-26 08:53:25
C'est clair qu'Obama aura devant lui une situation désastreuse qui handicapera surement sa marche de manoeuvre... Mais le veut-il vraiment Le représentant de ses sponsors voudra-t-il (ou pourra-t-il) réellement infléchir assez la direction qu'on pris les USA ces dernières années. Comme dit dans le texte le clivages Républicains/Démocrates est souvent théorique. L'élection d'Obama est un mieux indiscutable par rapport à son concurrent et aux années W mais ne mettons-nous pas trop d'espoir dans un homme dont beaucoup de points du programme étaient communs avec Mc Cain

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