LAURENT COURAU « CHRONIQUES D'UN MONDE AU BORD DU GOUFFRE »


Enregistrement : 11/01/11

« We're not in Wonderland anymore Alice. » - Charles Manson

Les Chroniques d'un monde au bord du gouffre, première étape d'un récit de fiction en prise directe avec la réalité d'une époque aussi charnière que dynamique et tourmentée. Où l'on retrouve, comme point de départ de cette épopée millénariste, les tribulations de l'étrange Mr Assange, incarnation d'un certain imaginaire cyberpunk à l'orée du troisième millénaire.

Ce projet s'est depuis transposé sous la forme d'une série de nouvelles, le Manuel de survie pour un monde au bord du chaos.



LES CHRONIQUES D'UN MONDE AU BORD DU GOUFFRE

« We're not in Wonderland anymore Alice. » - Charles Manson

Date : 23 septembre 2009
Heure : 07:14
Localité : Sydney, État de Nouvelle-Galles du Sud - Australie
Latitude : -33.8830555556
Longitude : 151.216666667

WNCX - La radio du Grand Est - Alerte matinale : Portée par des vents violents, une vague de poussière rouge déferle depuis l'intérieur et le sud du pays sur la ville de Sydney et ses environs. Conséquence de ce phénomène exceptionnel, dû à une sécheresse persistante, les vols sont suspendus au départ de l'aéroport de Sydney et de nombreux avions arrivant de l'étranger doivent être détournés vers Melbourne et Brisbane. Submergées d'appels de détresse d'habitants de l'agglomération, les autorités recommandent la plus grande prudence sur les routes où la visibilité est quasiment nulle.

Comme un lever de soleil sur la planète Mars... ou l'aube d'une ère nouvelle.

Cette tempête rouge qui envahit l'horizon à l'orée du jour, cette poussière surréaliste suspendue dans l'atmosphère matinale comme un signe de la fin d'une époque, la sienne. Depuis la chaise à bascule de sa véranda, Margaret est consciente d'assister à la naissance d'un âge tragique et somptueux, le XXIe siècle. La lueur de ce soleil rouge lui ouvre une porte de sortie, le moment est venu pour elle de s'effacer. Elle n'appartient pas à la période qui se profile devant elle. Il lui faut maintenant partir, quitter cette existence et laisser place aux nouvelles générations, à une vague de créatures plus aptes à se mouvoir dans le chaos du monde balbutiant qui prend forme devant ses yeux.

Jusque-là, l'ancienne infirmière en pédiatrie avait tenu, malgré la culpabilité et une conscience aiguë de la gravité de ses actes passés. Ces enfants drogués, abrutis par les neuroleptiques, leurs cheveux décolorés en blond, soumis à une discipline de fer et manipulés par le groupe de médecins, de nurses et de professionnels de la santé dont elle faisait partie au nom d'un syncrétisme criminel et délirant. Une démence paroxystique qui s'était pourtant maintenue durant de longues années, jusqu'à l'intervention de la police en 1987. Margaret rêve encore chaque nuit de ces corps chétifs qui erraient furtivement dans les couloirs de la résidence Kia Lama.

Elle se rappelle encore de ses premiers doutes apparus dès 1969, lorsque l'appellation de « Famille » leur était revenu de plein fouet depuis la Californie, où un groupe de freaks agglomérés autour d'un autre gourou avait commis un quintuple meurtre, dont celui d'une jeune actrice enceinte de plusieurs mois. Mais l'esprit humain est prompt à effacer ce qui le dérange. Un mécanisme d'autodéfense, soutenu au sein de la Santiniketan Park Association par d'interminables jeûnes, des séances de méditation transcendantale et de siddha yoga, auxquelles il convenait d'ajouter d'importantes doses de calmants, de somnifères et de drogues psychotropes.

De telles expériences ne pouvaient donner naissance qu'à des monstres, reliefs d'un siècle tourmenté. Une responsabilité qu'ils emporteraient tous dans leurs tombes. Deux flacons vides à portée de sa main sur le guéridon, Tofranil et Mogadon, un cocktail imparable pour trouver l'oubli. Une torpeur chimique envahit la vieille femme. Son regard embrasse le voisinage, longue succession de pavillons d'inspiration victorienne qui diffusent une aura inquiétante dans cette aube écarlate. Ce dernier lever de soleil, rouge comme un cauchemar. Margaret perd connaissance sur une ultime vision, celle d'un démon blond au visage d'ange. Elle emporte son sourire hautain avec elle, vers d'autres dimensions.


***



Date : Printemps 2011
Heure : Inconnue
Localité : Inconnue
Latitude : Inconnue
Longitude : Inconnue

Une salle d'interrogatoire dénudée. Une table, deux chaises, trois murs gris et un immense miroir qui occupe la totalité d'une cloison. La porte s'ouvre. Costume noir, cheveux poivre et sel, un homme d'âge mûr entre dans la pièce.

Retranscription N° 09-061-M0 / Première partie

« Monsieur Assange, bonjour.
- Bonjour Monsieur ? »

Le nouvel arrivant ne daigne pas répondre à la question sous-jacente, se contentant de le fixer d'un air dubitatif. Traditionnel round d'observation avant l'engagement d'hostilités qui ne sauraient tarder. Détachement zen, le calme avant la tempête, indice d'une pratique martiale maîtrisée.

« Alors, il semblerait que l'on soit pris par la folie des grandeurs, Monsieur Assange... On se prend pour Néo ? On se prend pour l'Élu qui va délivrer l'humanité des méchants tyrans ?
- Matrix, la trilogie des frères Wachowski... Vous me décevez. Je m'attendais à plus de subtilité dans cette première passe d'arme. Est-ce vraiment là tout l'éventail de vos références culturelles ? Avez-vous déjà ouvert un livre, autre que vos manuels de tir et le B.A.-BA de la filature en dix leçons ? Les grands textes sacrés, la mécanique quantique ou l'Internet profond, ça vous évoque quelque chose ? »

Précautionneusement, l'homme en noir extirpe une sucette de sa poche qu'il observe avec attention avant de la déballer. Discret coup de langue et mise en bouche songeuse, ce n'est qu'après cet instant de réflexion qu'il revient vers son interlocuteur.

« Non, c'est bien connu. Les services secrets américains n'engagent que des imbéciles et, comme chacun sait, nous n'avons pas été capables de stopper les kamikazes du 11 septembre, alors que le monde entier nous avait averti de l'imminence de l'attaque. »

Nouvelle pause méditative. L'homme évalue son reflet dans la glace sans tain, évacuant une poussière d'un revers de la main. Un véritable jeu d'acteur que l'on croirait destiné aux observateurs postés de l'autre côté du miroir.

« Mais revenons au sujet qui nous concerne plus directement et qui me vaut l'honneur de vous accueillir dans nos charmantes geôles souterraines, Monsieur Assange. Qu'est-ce que ça vous fera d'avoir déclenché deux ou trois conflits militaires ? D'avoir occasionné des dizaines de milliers de morts par la diffusion de documents confidentiels obtenus illégalement en soudoyant un officier américain? Quelles seront les circonvolutions de votre brillant cerveau lorsque vous réaliserez que votre entreprise terroriste est responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts et que vous avez attisé une crise économique qui causera la faillite de millions de foyers ?
- Je ne crois pas que l'information puisse être la cause des catastrophes que vous décrivez. À l'inverse, les agissements occultes de gouvernements dévoyés ont largement prouvé leur capacité de destruction massive à travers l'histoire. »

Étonnant changement d'humeur, d'une rapidité déconcertante. Cette fois, le bâton de la sucette oscille dangereusement entre les lèvres de l'homme en noir qui laisse échapper un sourire carnassier.

« Espèce de pauvre fou ! Vous êtes perdu dans votre égotisme, comme la plupart de nos contemporains. Vous baignez dans l'illusion de votre toute-puissance, en vous considérant au-dessus des lois. Et c'est bien cette folie contemporaine qui causera la chute de notre monde. Nous avons tous péché. Un péché d'orgueil qui cause l'effondrement de notre monde et de notre mode de vie. Vous n'êtes pas un héros et encore moins un sauveur, Assange. Vous n'êtes qu'un contemporain pétri d'orgueil, comment tant d'autres, tenaillé par le besoin d'exister. Perdu dans votre errance et inconscient des motifs réels de vos actes. De nos jours, vous ne constituez plus une exception, mais bel et bien la norme. Aussi narcissique que les troupeaux de moutons de Panurge bodybuildés des émissions de téléréalité !
- J'avoue ma surprise, ne m'attendant pas à un exposé de sciences philosophiques et sociologiques en ces lieux. Comme vous ne manquerez pas de l'avoir remarqué au fil de ma revue de presse, j'ai toujours justifié ma présence dans les médias par mon rôle de paratonnerre, destiné à prendre les coups afin que le reste de notre équipe puisse travailler dans le confort de l'anonymat. Autre point d'importance, nos actions au sein de Wikileaks impactent la réalité consensuelle, loin de se borner à entériner ce que l'on entend nous imposer. Vous devriez savoir, cher Monsieur, que de nos jours le hacking ne se limite plus au seul champ des ordinateurs et de leur interopérabilité en réseau... »


***



Date : Jeudi 02 décembre 2010
Heure : 17:45
Localité : Lyon, région Rhône-Alpes - France
Latitude : 45.75‹Longitude : 4.85

Radio Saône - Flash d'information : L'affaire Wikileaks bat son plein depuis la divulgation des premiers mémos diplomatiques américains dans The New York Times, Der Spiegel, Le Monde et The Guardian. Depuis les unes des plus grands quotidiens des cinq continents jusqu'aux piliers du comptoir du Café du Commerce, l'affaire est sur toutes les lèvres. Les éditorialistes s'affrontent à coups de tribunes acérées sur la dictature de la transparence et la liberté de l'information, tandis que Julian Assange se débat à distance avec la justice suédoise.

Rue Saint-Jean - l'artère fémorale du Vieux Lyon, le quartier médiéval qui s'étale aux pieds de la colline de Fourvière et de son inflexible basilique, forteresse immaculée du Primat des Gaules. Un haut lieu de l'alchimie, voué depuis le Moyen Âge au secret des cornues et du grand oeuvre, loin de l'hyperactivité des réseaux numériques contemporains. L'enseigne de fer forgé du Chat Noir trône sur une façade séculaire, à l'angle de la rue du Palais de Justice. À l'intérieur, une tablée d'étudiants débat autour d'une lourde table de chêne. « Il paraît que Thierry Ehrmann serait derrière tout ça, lance un grand brun dégingandé affublé d'un t-shirt aux couleurs du Chaos Computer Club allemand.
- Thierry qui ?
- Ah, c'est vrai. Tu n'es pas de Lyon, tu arrives de Perpignan. Thierry Ehrmann, le patron de la Maison du Chaos, dans les Monts d'Or.
- Ah, ouais. Le Disneyland de l'horreur ! On m'en a parlé. Mais je ne suis jamais passé voir. »

Rires gras de la tablée. L'apprenti hacker savoure son effet en prenant la pose. Coup d'oeil équivoque vers les deux jeunes touristes américaines de la table voisine dont il essaie de déterminer si elles suivent leur conversation. Las, les filles n'accordent aucune attention à leurs préoccupations de geeks, probablement plus concernées par les dernières nuisettes de Lady Gaga.

« On dit qu'il a mis ses serveurs informatiques au service de Wikileaks. Il en aurait un peu partout dans le monde, sur des territoires qui échappent à toute juridiction, comme des plateformes off-shores, ce genre de trucs.
- Tu crois que c'est vrai ?
- D'après ce qu'il se dit, il était déjà derrière l'affaire de Tarnac, avec Julien Coupat, tout ça...
- Mouais, ça reste à prouver. Et de là à dire qu'il est aussi en lien avec Assange et Wikileaks !?
- Je ne sais pas, mais c'est sûr qu'ils ont des points communs. Ce sont tous les deux des pionniers de l'Internet, fournisseurs d'accès depuis les débuts du Web, toute la bande de Net Nobility et leur groupe secret. Et puis Ehrmann est polygame et Assange aussi, il aime les femmes. Comme on a bien pu le voir récemment avec ses embrouilles judiciaires en Suède... »

Nouveaux esclaffements. Cette fois-ci, les deux touristes prêtent l'oreille d'un air intrigué.

« Mais ce serait quoi l'intérêt d'Ehrmann dans cette histoire ? poursuit le Catalan.
- Ben, je ne sais pas. C'est quoi son intérêt avec la Demeure du Chaos ? Ca n'a pas l'air de lui rapporter beaucoup de pognon. L'entrée est libre et il distribue gratuitement plein de livres et de dvds.
- C'est vrai. Tu marques un point. Après tout, il est milliardaire et ils sont souvent un peu dingues.
- Carrément ! Et il ne faut pas oublier que les grands bourgeois ont toujours été à l'initiative de toutes les grandes révolutions. Et dans le contexte actuel, il ne manque qu'une étincelle pour faire parler la poudre. Ce ne sont pas des chômeurs réduits au revenu de solidarité active qui vont faire grand-chose. Ils ont déjà assez de mal à survivre comme ça. Il n'y a plus que les riches qui ont le pouvoir de faire quelque chose.
- Va savoir... On ne sait pas ce qu'il se trame derrière les façades de leurs hôtels particuliers. Si tu regardes sur le Net, tu trouves plein de documents sur les Illuminatis, les Skulls & Bones, le groupe Bilderberg ou encore le Bohemian Club et ses rituels devant la statue d'un grand hibou. Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne sont pas en train de se livrer une guerre occulte dans laquelle les États-nations et leurs citoyens ne sont que des pions ?
- Je crois surtout que tu devrais passer moins de temps sur des sites conspirationnistes et te mettre à la pornographie. Ca te détendrait un peu... »


***



Date : Mercredi 15 décembre 2010
Heure : 05:45
Localité : Quantico, État de Virginie - USA
Marine Corps Base Quantico
Latitude : 38.3742854‹Longitude : -75.7424304

Des bruits de bottes qui approchent, une silhouette massive se dessine à l'angle du couloir. Volée de coups de pied dans une porte anonyme.

« Alors Bradley, mon gentil petit bichon, on se réveille !?
- Qu'est-ce que vous me voulez encore ? »

Quelques sanglots étouffés à travers le judas.

« Ta petite copine australienne vient d'être nommée pom-pom girl de l'année par les lecteurs de Time Magazine. J'ai pensé que ça te ferait plaisir de le savoir, non ? »

Silence de tombe.

« Et toi, pendant ce temps, tu croupis ici. Sans draps, ni couvertures, condamné à chier dans un trou comme un vulgaire clébard. T'en penses quoi ? Quel effet ça produit sur ta libido d'inverti ? Ca t'excite d'être le dindon de la farce ?
- ...
- Il va pouvoir s'en taper des Suédoises, des modèles et des actrices ton ami Julian Assange. Et leur refiler toutes ses maladies, comme il a l'air d'aimer le faire. Regarde, je te fais passer une impression de l'annonce de sa nomination. »

Chuintement d'une feuille qui glisse et tombe à l'intérieur, sur le sol de la cellule.

« Et toi, tu vas en prendre pour cinquante ans au printemps prochain. C'est ce que tes petits copains musulmans appellent le mektoub. Un joyeux destin t'attend, ma jolie ! Tu n'aimais pas ce qu'il se passait à Abou Ghraib ? Tu vas bientôt pouvoir les rejoindre tes petits copains arabes. Tu vas voir, ça va te plaire... »

Le judas se referme. Les pas s'éloignent. Un dernier éclat de voix plus lointain.

« Ah, dernier truc ! Si j'étais toi, j'écouterais la proposition qu'on va te faire cet après-midi. Ce sera peut-être bien ta dernière chance d'échapper à une vie d'ignominie entre quatre murs de béton souillés par des années de merde et de crasse. On va venir te voir et te parler. Alors, mon p'tit Manning, tu ferais bien d'écouter et de prendre en considération la proposition qu'on va te faire. Si ce n'était que moi, je pense que tu ne la mérites même pas, sale petit traître. Tu ne vaux pas la nourriture pour animaux que nous t'apportons deux fois par jour. Je te laisserais bien pourrir dans ton jus. »


***



Date : Jeudi 16 décembre 2010
Heure : 15:30
Localité : Genève - Suisse Romande
Latitude: 46.2
Longitude: 6.1666667

L'hôtel des Bergues déploie ses fastes à l'embouchure de Rhône, face au jet d'eau du lac de Genève. Une situation privilégiée qui en fait un des fleurons de l'austère cité calviniste dont la rumeur voudrait que les banquiers gèrent à eux seuls près d'un tiers de l'argent sale mondial pour le compte de leur clientèle internationale. Une des villes les plus prospères de ce début de troisième millénaire, refuge de nombreuses grandes fortunes qui en apprécient le calme voluptueux, tout autant que la légendaire discrétion suisse.
Deux hommes d'affaire devisent gaiement des valeurs boursières et de la dernière affaire d'espionnage industriel chinoise dans les salons du rez-de-chaussée de l'hôtel, à l'abri du ballet de berlines et de voitures de sport qui occupe le personnel d'accueil. Monsieur George, tel qu'il se fait appeler dans les meilleurs cercles lémaniques, s'essuie délicatement les lèvres et attend poliment que son hôte ait terminé sa bisque de homard, spécialité de la carte, pour recentrer la conversation vers le but réel de ce déjeuner.

« Je ne doute pas que vous soyez déjà au fait de notre premier objectif, transformer cette affaire journalistique, comme il se doit protégée par le premier amendement de la constitution américaine, en affaire d'espionnage. Ce qui nous laisserait toute liberté d'intervenir, d'autant que l'individu est actuellement retenu sur le territoire britannique pour les raisons que nous connaissons. »

Sourire entendu de son interlocuteur qui reste silencieux dans la perspective de ce qui ne manquera pas de suivre.

« Mais nous souhaiterions également profiter de la période des fêtes de fin d'année. Les médias sont versatiles et il ne faudrait pas beaucoup les pousser pour que d'autres sujets les accaparent à partir du mois de janvier. Une aubaine pour nos commanditaires qui souhaitent autant que faire se peut éviter de provoquer des vagues d'indignation dans la presse internationale.
- Partant du principe que vos commanditaires n'ont nullement besoin de recourir au service de notre société pour réaliser leur premier objectif, j'en viens à supposer que l'objet de ce rendez-vous concerne nos activités de lobbying ?
- Vous pensez fort bien et j'en suis fort aise. Tout à fait entre nous, on m'a informé que le premier objectif est actuellement en cours de traitement, quelque part dans un sous-sol lugubre sur les bords du Potomac. Pauvre garçon, de l'art et la manière de se placer dans des situations embarrassantes...
- Comme avait l'habitude de le dire cette chère Marie-Antoinette, qu'il mange de la brioche.
- J'entends que votre esprit ne vous a pas abandonné. Je me suis d'ailleurs laissé dire qu'il pourrait apprécier la compagnie de ces virils combattants d'élite. Mais revenons à nos préoccupations initiales. Il pourrait en effet se révéler intéressant d'intervenir auprès de vos contacts et plus particulièrement au sein de quatre rédactions qu'il n'est nullement nécessaire de nommer. »

Comme à point nommé, un maître d'hôtel vient couper leur conversation pour s'enquérir d'éventuelles requêtes. La discussion reprend, après une rapide dénégation.

« Certes, on peut certainement imaginer que d'autres affaires accaparent leur attention avec la nouvelle année. La crise économique qui redémarre après une courte trêve hivernale, la hausse du prix des matières premières, les nouveaux chiffres du chômage, les prémices de prochaines campagnes électorales, sans oublier la traditionnelle période des soldes qui suit rapidement les fêtes de fin d'année.
- Évidemment, comme il est d'usage de dire... Tout passe, tout casse, tout lasse. »


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Date : Printemps 2011
Heure : Inconnue
Localité : Inconnue
Latitude : Inconnue
Longitude : Inconnue

Retranscription N° 09-061-M0 / Seconde partie

« Vous n'ignorez pas, Monsieur Assange, qu'une majorité du peuple américain s'est offensée, pour ne pas dire pire, de vos actions. Certains de ses représentants n'ont pas hésité à qualifier vos agissements de terroristes...
- Imaginant que vous faites référence à Mike Huckabee et Sarah Palin, il m'est difficile de prendre ces accusations au sérieux. Outre sa carrière d'homme politique au sein du parti républicain, Mike Huckabee s'est distingué en abandonnant ses études pour collaborer avec le télévangéliste James Robison, avant de faire campagne en 2007 en défendant le droit au port d'armes et en s'opposant à l'avortement. On connaît également ses diatribes contre l'homosexualité qu'il assimile à un comportement criminel. Sans oublier ses positions créationnistes et sa défiance vis-à-vis de la théorie de l'évolution de Charles Darwin. »

Rictus de l'homme en noir, pris à son propre piège. Sentant qu'il prend momentanément l'avantage, Assange poursuit.« Quant à Sarah Palin, on connaît le potentiel de ses campagnes depuis la fusillade qui a causé la mort de six personnes et blessé gravement une parlementaire démocrate au début du mois de janvier en Arizona. Ces deux personnes se sont rendu responsables d'appels au meurtre sur des chaînes de télévision nationales, en contournant et en devançant tout processus judiciaire. Une attitude qui laisse présager d'heures sombres pour les Etats-Unis d'Amérique, comme de plus en plus d'Européens et de citoyens du monde entier commencent à le craindre. Votre pays peut-il être encore considéré comme une démocratie, alors que ses élus bafouent impunément sa constitution et ses lois ?
- J'entends votre défiance à l'égard de nos rangs les plus conservateurs, mais vous n'espérez tout de même pas la clémence du Président Obama. Tout porte à croire qu'il a d'autres sujets de préoccupation en ce moment...  »


***



Date : Lundi 19 décembre 2010
Heure : 22:00
Localité : Scottsdale, État d'Arizona - USA
Latitude : 33.5722
Longitude : -112.088

Scottsdale, une banlieue pavillonnaire de la ville de Phoenix, aux portes du désert de l'Arizona. Piscines et gazons des terrains de golf à perte de vue. La nuit tombe et les décorations de Noël s'illuminent progressivement sur les façades des villas chics. Étalé sur une chaise longue, un post-adolescent obèse tapote sur le clavier de l'ordinateur portable qui vacille sur ses cuisses. Il ajuste ses lunettes d'un geste fébrile, avale une longue bouffée d'air et déglutit en se penchant vers le micro intégré de l'ordinateur.

« Bonsoir, chers frères et chères soeurs, vous êtes connectés en direct sur The Occult Show XXIII, cinquante-septième édition de votre rendez-vous hebdomadaire consacré aux mystères de l'univers et à l'ésotérisme, en compagnie d'Igor, votre hôte pour la nuit... »

Le générique démarre... Musique sombre, roulements de tambours et coeurs de trompettes, une voix d'outre-tombe démultipliée par un écho répète le nom de l'émission. Un bref larsen agace les tympans des auditeurs, avant que la voix de l'animateur ne revienne.

« Ce soir, nous sommes en ligne en direct avec la Nouvelle-Orléans afin de recevoir Lord Vladimir Obscura Toth, Frater Superior de la Grande Fraternité d'Horus et fondateur de l'Ordre Très Hermétique de Pazuzu, reconnu internationalement comme un grand professionnel du spiritisme et de la magie des énergies, pour une émission spéciale consacrée au phénomène Wikileaks et à sa figure de proue, l'étonnant Monsieur Julian Assange. »

Cette fois, c'est une sirène de police qui déchire le silence du voisinage en déclenchant une nouvelle interruption. L'avènement du numérique n'a pas totalement résolu les problèmes du producteur de radio libre. Déstabilisé, Igor reprend le fil de son discours en essayant de se donner une contenance.

« Bonsoir Lord Vladimir Obscura Thoth et bienvenue sur The Occult Show XXIII ! Entrons directement dans le sujet de notre émission de ce jour. Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à vous intéresser au phénomène Wikileaks ?
- Cher Igor, comme vous ne l'ignorez pas, nous entrons dans un Nouvel Âge, un nouvel Æon, l'Æon d'Horus, l'enfant couronné et conquérant, seigneur du nouvel Æon. Celui-ci supplante l'Æon d'Osiris, le dieu agonisant, ayant lui-même succédé à celui d'Isis. Une période de grands changements, selon Aleister Crowley, la Grande Bête 666, dans son Livre de la Loi. Et il m'est apparu à l'occasion de rituels et de séances de méditation que Wikileaks et son porte-parole Julian Assange sont porteurs d'un message qui va bien au-delà de simples considérations pratiques, temporelles et géopolitiques, comme les médias de masse entendent nous le faire croire. La vérité se cache entre les lignes, les bits et les octets, ce que sait distinguer l'initié à l'inverse du profane ! »

Toussotements disgracieux et froissements d'emballages de confiseries, Igor reprend le micro avec un temps de retard.

« Nous venons de recevoir une première question d'une auditrice sur notre forum de discussion en temps réel. Lady Blood, qui nous écrit depuis Rochester, au nord de l'état de New York. Notre chère soeur nous demande si vous établissez des connexions entre Monsieur Assange et les grands archétypes mythologiques ?
- Oui, bien sûr. Citons Prométhée, que l'on peut considérer comme le rebelle originel, le prototype de tous les révoltés qui se sont élevés contre l'ordre établi. Ou encore Lucifer, le Porteur de Lumières, identifié comme le Grand Dragon de l'Apocalypse par saint Ambroise au IVe siècle. Ange déchu, puni pour avoir tenté d'apporter la connaissance aux hommes contre l'avis des dieux. C'est à la lumière de ces traditions multimillénaires que nous pouvons aujourd'hui prendre la pleine mesure de la tâche périlleuse entreprise par Julian Assange. »

L'animateur transpire et fond d'aise sur sa chaise longue. Les auditeurs vont adorer. « En ce sens, Julian Assange constitue l'ultime maillon d'une longue lignée de révolutionnaires. C'est pourquoi il paiera de son propre sang le prix de sa transgression. Le tribut du sang royal, versé par tous les élus, prophètes et martyrs. Le sang de ceux qui ont lutté pour nous libérer du joug des forces qui entendent empêcher l'humanité de prendre son envol vers de nouvelles dimensions en révélant la part de divin qui sommeille en chacun de nous.
- Pensez-vous qu'il existe un lien entre Julian Assange et la date fatidique du 21 décembre 2012 ?
- Comme vous ne manquez pas de le savoir, cher Igor, le mot "apocalypse" nous vient du terme grec "apokalupsis", que l'on peut traduire par mise à nu, enlèvement du voile ou révélation ! Et qui d'autre que Julian Assange se sacrifie pour faire éclore la vérité au grand jour, pour faire voler en éclats les portes du temple ? Julian Assange est Prométhée, Jésus-Christ, ou SiddhÄ?rtha, la dernière incarnation d'une longue lignée d'êtres purs et parfaits qui nous ont porté jusqu'en cette période trouble, aube dorée d'un Nouvel Âge pour notre humanité balbutiante. J'ose le dire ! Julian est notre Sauveur ! »


***



Date : Printemps 2011
Heure : Inconnue
Localité : Inconnue
Latitude : Inconnue
Longitude : Inconnue

Retranscription N° 09-061-M0 / Troisième partie

Léger déclic de la serrure électronique et nouvelle apparition de l'homme en noir, tel un diable sorti de sa boîte. L'interrogatoire reprend après une attente interminable, impossible à quantifier lorsque l'on se trouve dépourvu de tout instrument de mesure temporelle.

« Vous êtes conscient de vous trouver dans une situation difficile. Vous n'ignorez pas qu'un grand jury attend de vous juger et que vous comparaissez pour un chef d'accusation grave, celui d'espionnage. Pourquoi ne pas nous simplifier la vie et motiver la clémence de ceux qui vont vous juger, en reconnaissant que vous avez vous-même manoeuvré pour obtenir des informations du soldat Bradley Manning ?
- Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il nous est techniquement impossible de connaître l'origine de nos sources. Notre système est ainsi conçu, de manière à les protéger. Je n'avais même jamais entendu son nom avant qu'il n'apparaisse dans la presse américaine.
- Vous n'ignorez pas que votre attitude peut vous coûter cher et que la condamnation risque d'être très lourde, pouvant même aller jusqu'à la peine capitale ?
- Je le sais et ce procès ne fait que renforcer ma détermination. Je reste fidèle à mes idéaux et ma volonté ne s'en trouve pas altérée, bien au contraire. Je suis maintenant impatient de pouvoir me défendre devant votre grand jury afin de faire valoir mes droits, ainsi que ceux du peuple américain tels qu'ils sont définis par votre constitution. »

Léger haussement de sourcils et encore une sucette, un rituel qui semble désormais bien inscrit dans le mode d'opération de l'homme en noir. Tentative de diversion ? Trouble compulsif ou technique de programmation neurolinguistique ? Julian Assange s'enfonce dans sa chaise et observe en réservant son jugement.

« Quels étaient vos objectifs, Monsieur Assange ? Votre jeunesse fut pour le moins anti-conformiste. Il se dit que vous avez fréquenté trente-sept établissements scolaires et six universités, avant de vous lancer dans le piratage informatique. Ce qui vous a valu d'être poursuivi pour avoir pénétré sans autorisation des serveurs, dont ceux de la NASA. Quelque chose comme une névrose obsessionnelle qui prendrait notre pays pour cible ? Ou un désordre d'ordre plus général ? Vous pensiez vivre dans un film de science-fiction, WarGames de John Badham peut-être ?
- Dorénavant, il me semble que nous sommes tous captifs entre les lignes d'un roman de science-fiction dystopique. Qu'il s'agisse des écrits de George Orwell ou de Philip K. Dick, voire de William Gibson, pour ne citer que les plus évidents... Ces auteurs n'ont fait que définir alors un monde en devenir, lequel s'est définitivement incarné dans la réalité de ce début de XXIe siècle.
- Rien de très surprenant de votre part. On m'a d'ailleurs fourni ce document, daté de 2006, dans lequel vous faites preuve d'un intérêt tout particulier pour les conspirations, notamment dans les modes de gouvernance. Est-ce ainsi que vous voyez le monde ? Les méchants dirigeants d'un côté et les gentils citoyens de l'autre ? Et vous au centre en preux défenseur de la veuve et de l'orphelin ? »

Sans attendre de réponse, l'homme en noir se retourne pour se diriger vers la porte. Il marque un temps d'arrêt avant de sortir.« Je vous laisse à vos geôliers, Monsieur Assange. Ne vous inquiétez pas, nous aurons l'occasion de nous revoir très prochainement afin de poursuivre cette conversation. »


***



Date : Vendredi 11 février 2011
Heure : 19:23
Localité : Parliament Square, Londres – Royaume-Uni
Latitude : 51.5
Longitude : -0.116667

The Independent Press Network - Mise à jour de 19:23 : L'annonce par le gouvernement conservateur d'un vaste plan de rigueur destiné à économiser près de 110 milliards d'euros d'ici 2015 a été rapidement suivie des faits en Grande-Bretagne. Gel des salaires des fonctionnaires, augmentation de la TVA de 17,5 à 20 %, réduction de 25 % des budgets de nombreux ministères. Initialement fatalistes, les Britanniques se rebellent et descendent dans la rue. Le mouvement prend de l'ampleur et de nombreuses manifestations bloquent les centres des grandes villes du pays.

Les feux de Bengale sont jetés par dizaines sur les forces de l'ordre qui bloquent l'accès à la Chambre des Lords et au palais de Westminster. Associés à l'écho démultiplié des gyrophares, leurs crépitements donnent une teinte psychédélique à la scène, light-show lysergique en grandeur nature, une scène de guérilla urbaine sous acide, sensation amplifiée par le vrombissement des hélicoptères qui tournent au-dessus de la place. Un bus à impériale achève de se consumer à l'angle de la place. La fumée grasse de l'incendie se déploie dans l'atmosphère, puanteur envahissante qui prend la foule aux poumons. Tombé à genoux, un étudiant hurle. Ses cris s'étouffent dans sa gorge, brûlée par les lacrymogènes. Sur une façade, l'Union Jack ondule sous les volutes, métaphore des ruines d'un empire gangrené jusque dans ses mémoires.

Une jeune présentatrice de télévision eurasienne prend la pose devant son cadreur. « Pour la troisième nuit consécutive, les manifestations contre les nouvelles lois de rigueur dégénèrent en affrontements d'une extrême violence entre la police et les manifestants. Plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées depuis la fin de l'après-midi. Le Premier ministre David Cameron et de nombreux membres du gouvernement ont à nouveau appelé au calme. Des appels qui n'ont pas été suivis d'effets. Scotland Yard s'attend à une nouvelle nuit difficile et demande aux londoniens d'éviter le centre de l'agglomération. Julia Helton, depuis le parvis de la Chambre des Lords pour BBC1. »

Masques de Julian Assange contre filtres respiratoires des brigades anti-émeutes. Faciès d'archanges et corps juvéniles écrasés contre barrières de sécurité, les visages grimacent. Un tonfa s'abat sur le crâne d'une jeune manifestante. Elle s'écroule, entraînant dans sa chute une pancarte pour un accès égalitaire aux soins médicaux. D'un revers de sa matraque, le policier tente d'essuyer, mais ne fait qu'étaler les traînées de sang qui maculent l'extérieur de son bouclier. Des silhouettes sombres courent, ombres furtives sous la lueur des réverbères. Pierres, canettes de bière, éléments de mobilier urbain, rétroviseurs ou essuie-glaces arrachés des véhicules stationnés dans les rues adjacentes, une pluie de projectiles s'abat sur les forces de sécurité.

« Engerland ! Engerland ! Nous sommes un et indivisible ! Mon nom est légion ! Nous sommes le Dragon ! » La clameur reprend de plus belle, portée par le vent vers les bâtiments administratifs. Un bataillon de gros bras de l'English Defence League tente une percée. Black blocs anti-capitalistes et hooligans nationalistes au coude à coude, la nouvelle alliance de la rue. Plus loin, un skinhead se fait menotter au sol par trois agents en civil. L'un d'entre eux enfonce de tout son poids son genou dans les reins du prisonnier pour le maintenir plaqué contre la chaussée. Le t-shirt du manifestant remonte sous la pression, dévoilant des hanches charnues de buveur de bière et un tatouage celtique.

Fumées éparses, mouvements de foule chaotiques, deux policiers montés sont désarçonnés par la foule. Le premier est piétiné par son cheval. Sa mâchoire disloquée qui pend lamentablement laisse échapper des hurlements inhumains. Le second est sauvé de justesse par ses collègues qui l'arrachent aux sabots de sa monture. Bouches écumantes, les chevaux roulent des yeux fous et se dressent sur leurs pattes arrières. Un homme hurle dans un talkie-walkie pour appeler des secours. Ses phrases se perdent dans le brouhaha général. Quelques gouttes de pluie tombent, bientôt suivies par une averse qui lustre les armures. Une dilution rougeâtre parcourt les caniveaux en direction des égouts et la brume monte du sol, en imposant une lueur diffuse qui gomme les contours des êtres et des bâtiments.


***



Quelques dizaines de mètres plus bas, la station de Westminster est fermée au public. Une ombre furtive se déplace sur les quais réduits au silence. Anthony vit dans les sous-sols londoniens depuis le début des années 2000, naufragé de la première bulle financière du nouveau millénaire. Traverser l'existence comme un fantôme, ne jamais faire confiance à autrui, une existence âpre et solitaire, faite de petits larcins, de mendicité et de recyclage. Une écologie de la misère pour seul mode de consommation. Jouets abandonnés, couverture de survie et vêtements de seconde main récupérés auprès des aides sociales, autant de trésors récupérés au fil de ses déambulations, qu'il dissimule au plus profond du havresac qui ne le quitte jamais.

Anthony fouille dans une poubelle à la recherche de merveilles inédites, lorsque son oeil est attiré par un petit cube de plastique noir abandonné sur un banc. Bien qu'incapable de reconnaître la fonction de cette clé USB, il empoche l'objet et s'enfonce dans les profondeurs du tunnel, en route vers son seul refuge.

Laurent Courau

À suivre...


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A propos de cet article


Titre : LAURENT COURAU « CHRONIQUES D'UN MONDE AU BORD DU GOUFFRE »
Auteur(s) :
Genre : Fiction
Copyrights : Laurent Courau - La Demeure du Chaos
Date de mise en ligne :

Présentation

Les Chroniques d'un monde au bord du gouffre, première étape d'un récit de fiction en prise directe avec la réalité d'une époque aussi charnière que dynamique et tourmentée. Où l'on retrouve, comme point de départ de cette épopée millénariste, les tribulations de l'étrange Mr Assange, incarnation d'un certain imaginaire cyberpunk à l'orée du troisième millénaire.

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