MARILYN MANSON « MECHANICAL ANIMALS »
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2008)
La popstar nous y parle des rapports qu'elle entretient avec son image médiatique, de ses responsabilités vis-à-vis de son public, de ses plans pour détruire la société de l'intérieur, de son penchant pour l'automutilation et de sa détestation de Courtney Love.
Propos recueillis par Frédéric Audran.
En fait j'ai pour la première fois de ma vie eu l'impression d'avoir des sentiments durant l'écriture de Mechanical Animals. Plus qu'une simple lamentation, cet album contient même plus qu'une tragédie. Une fois que vous avez trouvé quelqu'un à qui vous êtes attaché, il devient vraiment douloureux d'évoluer dans ce monde tragique. Dans le passé, lorsque je criais sans retenue mes émotions à tous ceux qui écoutaient, je me moquais de savoir que le monde pouvait être détruit le jour suivant parce que je n'avais jamais eu quelqu'un à qui j'étais attaché.
Est-ce que vous vous sentez responsable vis-à-vis de votre public ? Les tabous que vous manipulez peuvent être dangereux pour des esprits impressionnables.
Je pense avoir la responsabilité d'inspirer mon public, et je pense qu'ils ont la responsabilité d'évoluer intelligemment. Si vous voulez apprécier l'art, la littérature ou la musique, vous devez avoir un certain niveau d'intelligence de manière à saisir les messages et les interpréter de manière personnelle en évitant de tout prendre au pied de la lettre.
Comment a évoluée votre attirance pour l'automutilation ?
Je pense m'être volontairement mis dans des situations de douleur physique parce que je ne ressentais rien d'un point de vue émotionnel. C'était à mon avis la raison de cette attirance. Ceci dit, j'ai le sentiment d'avoir évolué depuis que je ressens des émotions.
Votre dernier album s'adresse à un plus large public. En avez-vous fini avec le satanisme ?
Le satanisme était juste un des thèmes qui m'ont inspirés durant ma carrière. Cette album traite de la renaissance, ainsi que de l'aliénation que je ressens dans ma position actuelle. En fait, je commence tout juste à réunir les côtés gauche et droit de mon cerveau. Plus je ressens et j'expérimente, plus le monde me semble froid et mécanique.
Le titre Mechanical Animals fait référence à des philosophes comme Spinoza ou Descartes qui avaient une vision mathématique de la nature humaine. Une vision que je trouve proche de votre description de l'âme humaine comme machine.
Si vous étudiez l'histoire, vous constaterez que l'homme passe son temps à concevoir des machines qui se comportent comme des machines. Parallèlement, de plus en plus de gens se comportent comme des machines. J'ai réalisé cela en ressentant ces émotions, ce qui paradoxalement m'a amené à me sentir encore plus seul dans ce monde.
Sur vos deux premiers albums, les plus extrêmes, on avait le sentiment que vous faisiez le maximum pour attirer l'attention des gens ; cette faiblesse, par exemple l'acte de baisser votre garde, de montrer vos émotions pourrait aussi être une force ?
Oui, c'est une bonne vision des choses. J'ai réussi à attire l'attention des gens et je ressens maintenant le besoin de leur faire ressentir quelque chose. Cet album a été conçu pour faire ressentir quelque chose aux gens qui l'écoutent.
Un des messages que vous semblez vouloir nous transmettre est que nous avons tous de bons et de mauvais côtés, que ça ne sert à rien de tenter de les dissimuler, qu'il faut les accepter pour évoluer et nous en débarrasser. Vous pensez que si les gens appliquaient ces principes simples, le monde en deviendrait meilleur ?
Je pense que les gens n'accepteront jamais ces idées parce que, malheureusement, ils adorent contrôler les autres. Certains s'auto-étiquettent comme étant de bonnes personnes afin de pouvoir désigner en contrepartie ce qui est mal, ce qui n'est pas bien.
Sur le morceau New Model N° 15, vous vous attaquez à l'autosuffisance et à la superficialité de Hollywood en prenant les top models pour cible. Que diriez-vous à ceux qui vous retourneraient le compliment ?
Mais je m'inclue moi-même dans ce cirque. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je caricature dans cet album les différentes façons dont les gens de m'interprètent.
Mais il y a tout de même une différence entre un top model qui se gargarise de défiler sur un podium et votre travail d'artiste...
C'est vrai. Mais les gens, les médias et les magazines essaient de me vendre de la même façon qu'un mannequin. Les gens ont besoin d'étiquettes et de catégories. Je suis partie prenante de tout ça. Et je suis du même coup ouvert à la critique.
Il semblerait que, malgré le marketing réalisé autour de votre image, vous ne soyez pas motivés que par l'argent.
Ce n'est pas un travail pour moi. L'art est ma passion. Il n'est pas très important qu'on me paie pour m'être exprimé à la fin de la journée. Bien sur, l'argent me donne l'opportunité d'être plus créatif, mais ce n'est pas le but final.
Comment réagissez-vous lorsqu'un journaliste vous traite d'imbécile, lorsqu'il s'arrête à votre seule image médiatique ?
Qui s'intéresse à ce que pensent les journalistes ? Qu'ils m'adorent ou me descendent en flammes? Ils ont quand même besoin de mon nom pour vendre leurs magazines. C'est assez ironique, malgré tout ce qu'il peuvent dire sur mon look, ils ne manquent jamais de publier une photographie de moi.
En d'autres termes, pensez-vous être ici pour tout faire exploser ?
Oui, la seule manière de changer le système est de le détruire de l'intérieur. C'est devenu mon but premier avec l'art.
Alec Empire de Artari Teenage Riot revendique un mot d'ordre plutôt radical : « Détruisez-vous avec les drogues avant que le système ne vous détruise. » Adhérez-vous à ce principe ?
Non, parce que c'est justement ce que désire le système. Je pense que les drogues peuvent être utiles pour nous inspirer ou nous distraire, mais je ne crois pas qu'il faille se laisser contrôler ou détruire par quoi que ce soit. J'aimerais m'opposer à ceux qui ont cette volonté. Les drogues ont été, dans mon cas personnel, des outils. Vous ne pouvez pas non plus savoir si quelque chose vous contrôle avant d'en faire vous-même l'expérience.
Travaillerez-vous encore avec David Lynch ?
Certainement, mais je ne peux pas vous en dire plus aujourd'hui. Nous avons récemment parlés au téléphone et nous en avons envie tous les deux. Nous vivons d'une certaine manière dans le même univers et partageons des approches artistiques similaires. Blue Velvet est ce qui m'a le plus affecté dans son travail. J'étais plus jeune et ce film a eu un impact énorme sur moi.
Vous avez flirté avec le satanisme d'Anton La Vey. Sa promotion de l'élitisme me gène un peu...
Je crois avoir bravé l'idée selon laquelle l'intelligence est le seul critère acceptable pour sélectionner des leaders ou des décideurs. Personne ne choisit sa race ou son sexe, mais chacun peut enrichir son esprit en étudiant. Ceux qui s'expriment sans barrière, les artistes, les architectes et les musiciens, constituent un terrain dans lequel nous devrions puiser pour trouver nos leaders car ils sont plus à même d'utiliser leurs talents pour créer ou s'exprimer. Ces gens apportent une gigantesque contribution à la société.
Vous êtes devenu très populaire. Comptez-vous poursuivre sur cette route et l'être encore plus ?
J'ai découvert que c'était utile pour diffuser mes idées. Plus je serai populaire, plus les gens seront exposés à ces concepts. Les clichés avec lesquels on les bombarde tous les jours sont nettement moins stimulants pour l'esprit, enrichissants ou provocateurs.
Avez-vous vu le film Kurt & Courtney ?
Oui, bon film. Mais je le trouve encore trop gentil envers Courtney. (sourire) Je n'aime pas Courtney Love.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
(éclat de rire) Elle s'expose suffisamment dans les médias et n'a en aucun cas besoin de moi pour l'enfoncer encore plus.
Mais ce film est déjà très critique envers elle. Est-ce qu'il reflète la réalité ?
Le film aurait pu être beaucoup plus dur à son sujet. Ils auraient pu la descendre cent fois plus.
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