ANNIE LAM « CHAMANISME, ART, ZEN & BDSM »


Enregistrement : 20/07/2014

Chamanisme, danse buto, dessin, peinture, érotisme et BDSM... Annie Lam évolue sur des terres méconnues du grand public, en marge de la culture de masse. Une dimension parallèle au travers de laquelle l'art prend valeur d'exutoire et d'antidote ; tel un grain de sable dans les rouages de la Machine.

Un entretien qui retrace un parcours libre, en rupture, et dorénavant la recherche d'une écriture universelle et cosmologique.

Également en ligne sur La Spirale, un portfolio de peintures, de pastels, de sculptures, de collages numériques et dessins d'Annie Lam, accompagné de photographies de Mickaël Parque, Yves Boisset, Bénédicte Hummel, W. Boustouler, Philippe Logeais, Laurent Ouisse, XL, Michel, Gnom et Emu.


Propos recueillis par Laurent Courau



Séance« Chaos » (2010) - Photographie de XL

Ta biographie évoque la nécessité de« briser les images qui nous maintiennent dans l'illusion sociale ». Une approche qui me rappelle forcément la distanciation de la« réalité consensuelle de masse » dont il est fréquemment question dans La Spirale. Peux-tu nous parler de cet esprit zen que tu sembles revendiquer et qui exige une telle rupture ?

De 1994 à 2008, je n'ai cessé de « briser les images », les « consensus », les « tabous », faire table rase d'avec une codification sociale qui ne me seyait pas. La forme provocatrice juvénile du début a évolué poétiquement, politiquement vers la ritualisation minimale et contemporaine de l'érotisme. Implicitement, dans mes expérimentations humaines, je voyais germer d'autres codes, d'autres images, aux valeurs quelquefois diamétralement opposées à celles imposées par le consensus de masse et l'intérêt commercial.

Les miens dépendaient des personnes, de leurs besoins, La rupture est devenue nécessaire quand j'ai dû apposer l'étiquette « déviances sexuelles » sur le propos de mon travail artistique. Le jugement ou regard de l'autre devant mes actes sexuellement libérés de jeune fille (performance, prostitution, libertinage, striptease en peep show), puis de femme mûre (chamanisme, performance, buto, transe, domination SM) a stigmatisé ma vie. J'ai réussi à garder la foi en la liberté, tout en maintenant mon cap. Lorsque j'ai compris que les modes pornographiques étaient juste l'image d'un lobby et d'une forme de manipulation de masse, j'ai accepté la marge, commencé à travailler et expérimenter modestement et ardemment l'autre face de la sexualité.

Aujourd'hui, ce travail est terminé et je recherche maintenant une écriture universelle, cosmologique, conséquente d'un mouvement. Une énergie, une intégrité que ce soit dans la peinture ou la danse. J'expérimente l'esprit zen, car il s'est imposé à moi comme l'attitude la plus sage, celle qui me maintiendra vivante. Je fais en sorte qu'il guide mes pas, au même degré que le buto ou que l'art. Il m'est apparu comme une nécessité vitale, au même titre que celle de manger ou de dormir, de rêver, de créer... outre le fait qu'il constitue l'acte primordial au bon fonctionnement et à la réparation de l'âme et du corps biologique. Autrement, dans mes expérimentations, en allant progressivement vers une libération des chakras, du sexe au sommet du crâne, la décorporisation est devenue palpable et jouissive. Le rien s'anoblit, mais plus que de perdre ses lettres de noblesse, la pornographie, en restant dans une vulgarité contraire aux valeurs pures de l'amour, reste une arme pour mieux diviser.



Photo-performance « Autoportrait » (1998) - Photographie de W.Boustouler

Tu écris que « l'art ne t'a jamais déçue ». Et justement, j'aimerais revenir sur tes premiers pas et ce qui t'a entraînée au départ vers l'art - et a fortiori vers les pratiques artistiques singulières qui sont les tiennes ?

L'art est apparu dans ma vie comme un exutoire libérateur face à un environnement familial trop complexe. J'ai commencé par la danse classique, la musique, et finalement j'ai choisi les arts plastiques par dépit de ne pouvoir exercer le tout.

L'art a d'abord été un antidote, pour ne pas mourir de douleur, puis, c'est devenu des actes de prescience sur mon histoire, des preuves, et enfin, une conscience à travers entre autre le buto. J'ai commencé par les dessins automatiques, d'où surgissaient mes monstres, puis rapidement, où plutôt dès que j'ai pu, après les Beaux Arts, la performance ; car elle est une forme complète et inter-active. Je me suis prise comme modèle et ai expérimenté sur moi, puis sur et avec d'autres le corps matière. Le corps objet. Sexué.

L'installation est devenue essentielle, comme la forme dans le fond d'un tableau. La danse buto, dernière logique de la représentation en trois dimensions. Par ailleurs, j'y ai retrouvé l'accord avec ma conscience de la nécessité du rite et du rien, qui m'avait interpellé jeune dans les rites vaudou. C'était à Orléans, j'avais vingt-deux ans ; un ami m'a montré Les maîtres fous de Jean Rouch, j'engouffrais Georges Bataille. Je ne me souvenais plus du contenu vraiment, c'est toi qui me l'a réveillé.

Le mystère autour du vaudou me fascinait, sans en être consciente. Je ne cherchais pas à savoir si c'était bien ou mal, d'ailleurs les documents à cette époque, autour de ce sujet étaient plus rares et de moins bonnes qualités (pour le grand public). J'admirais la composition théâtrale, l'importance des objets, des situations, de la nature, de la musique, bref, du cadre. Et quand l'installation était parfaite, par rapport à toutes ces lois, la transe pouvait avoir lieu. Je ne connaissais pas encore cet état de transe, mais je crois que c'est à ce moment que j'ai tout fait pour l'expérimenter.



Peinture « Autoportrait Enfant » (2004) par Annie Lam

Le portolio d'images qui accompagne cet entretien contient de nombreuses photographies de tes performances et de tes chorégraphies, mais aussi des dessins, des collages numériques et de la peinture. Quelle est la place de ces médiums dans ton travail, que l'on connaît surtout pour son aspect le plus corporel ? Est-ce qu'il s'agit de projets distincts, parallèles ou complémentaires ?

Les arts plastiques ont toujours tenu une place importante, comme finalité d'abord, puis comme moyens pour accéder à d'autres illusions, connectées à la transe. Ma première« vraie » peinture est une reproduction d'Emile Nolde : Le veau d'or, puis j'ai gravé, dessiné des rituels en tout genre ; rapidement, j'ai cherché tous les moyens pour me déconnecter de mon« intelligence culturelle » pour explorer sur papier mon inconscient. J'ai dessiné avec l'âme d'une adolescente, d'un enfant, mes cauchemars sous champignons hallucinogènes, puis sans.

Comme je l'ai dit plus haut, les dessins, puis les collages numériques étaient des exutoires. Le dessin, je l'ai aussi exploré comme moyen de communication universel, comme acte érotique, comme témoignage quand la photographie n'était pas possible. Dans certaines performances, les« Action Painting » ; il est le prétexte à la séance. Les performers sont hommes-objets, et donc outil-sensibles, sorte de pinceau sensitif géant animés par leurs sens. Je dirais donc que les arts plastiques dans mon travail de performance sont complémentaires, distincts et parallèles.

Puisque nous venons d'évoquer la singularité de ton travail, est-ce que tu te considères comme étant à la marge, à la fois de la société de masse et des milieux artistiques intégrés ? Et si c'est le cas, comment analyses-tu ta propre marginalité, artistique et peut-être quotidienne ?

Je suis dans la marge pour plusieurs raisons, volontaires ou pas.

La première est la nécessité de rester intègre face à mes charges de mère, de femme, de Maitresse, d'artiste ; à mes convictions. Je n'ai par exemple jamais voulu mettre de petites culottes à mes modèles ou à moi quand je parlais de nudité... Je ne supporte pas qu'on me prenne pour une chienne ou une saltimbanque, ou un cas social quand je monte sur scène, alors, souvent, on ne me réinvite pas voire pire... Je travaille en collaboration avec une multitudes d'artistes et nous formons pour une performance un groupe.

Mes modèles sont aussi mes muses, mes patients, nous sommes cobayes de nous-mêmes. J'interdis toute prise de drogue durant les performances, toujours expérimentales... lorsque ça dérape, je perds le groupe... Je suis libertaire et non libertine... il y a souvent confusion... de l'image aussi. J'ai sûrement fait l'erreur de mêler ma vie familiale et artistique.

Par ailleurs, j'expérimente, avance doucement suivant la vie que j'ai choisie, celle d'aller vers la mort en toute conscience, déchargée de mes peurs et en ayant accompli une oeuvre achevée. J'entame la fin d'un chapitre en quittant bientôt Gravotel, un lieu chargé d'énergies que je dois finir de dompter, un des nombreux chapitres que je dois boucler en une année, afin de fermer le tome. Mes priorités ne sont plus celles de la reconnaissance, mais celles de continuer à chercher, à expérimenter, à diffuser, au moment présent, avec des moyens moindres mais efficaces.

Un autre élément, je pense, m'assigne à résidence. Depuis que j'ai arrêté de regarder la télé il y a vingt-cinq ans, de lire les journaux ou d'écouter la radio, mes seules sources d'informations extérieures me sont données par des amis, sans guillemets, via les réseaux sociaux. Par conséquent, je ne suis plus du tout intégrée ni comprise par une grande majorité. Je boycotte autant que possible au quotidien les facilités temporelles, entrer dans les codes me semble de plus en plus impossible.

Mes idéologies sont contre la machine, radicalement contre, je n'ai jamais pu espérer d'aide m'aidant à diffuser mon art, de le produire à sa juste valeur. J'ai mis du temps à le comprendre...



« Séance » (2012) - Photographie de Philippe Logeais

Outre ta pratique du Buto, tu sembles accorder une attention toute particulière à la ritualisation des actes, notamment en matière d'érotisme. Outre la place très importante de la danse dans les rites de nombreuses religions et le lien étroit entre ces derniers et les origines de l'art, qu'est-ce qui t'interpelle dans ces pratiques chargées et codifiées ?

Les actes codifiés sont pour moi des armures protectrices contre la folie, des référents, des cheminements, des électrochocs. Les codes apparaissent par nécessité technique, symbolique, culturelle. Quelquefois, ils ne sont là que pour le spectateur, membre actif d'une séance publique. Au départ, les éléments étaient là pour perturber l'accès direct au sexe et accessoiriser pour le comprendre.

Car si on ne regarde que le sexe, on ne peut pas voir l'autre dans son entité secrète, et c'est bien là l'intérêt de la sexualité. J'entends par identité secrète, celle que tu ne peux découvrir qu'en aimant la personne avec qui tu baises. Quand la confiance est presque totale, ou l'illusion parfaite ; quand les déviances paraissent ne pas en être.



Chorégraphie - danse - performance en collaboration avec Axel Vanlerberghe (2014) - Photographie de Bénédicte Hummel

Puisque nous les évoquions au cours d'une discussion sur Internet, quelle est l'importance de ces déviances à tes yeux ? Est-ce qu'elles agissent à un niveau individuel ou sociétal ?

Dans les conséquences qui s'en dégagent. Les déviances se repaissent dans les névroses, parfois insoupçonnables, elles sont plus ou moins contrôlables en société. Certaines ne le sont pas, et des personnes en sont réellement handicapées dans leur vie quotidienne, que ce soit au travail ou à la maison. Les conséquences, c'est un patron frustré qui va se venger sur ses employés, qui vont se venger sur leur conjoint, puis sur les enfants, les animaux, les étrangers, la nature... jusqu'à désirer inconsciemment l'extinction de sa propre race, ou en effet désirer ne plus avoir besoin de sexualité.

Quand je créais une performance plastique, érotique, je lie des personnes ensemble, suivant leurs désirs, leurs envies, leurs talents, je maximise, sublime un fantasme rendu salace par une société perverse. Par la désinhibition de tabous en effet fabriqués, je tente de les rendre concrets et réalisables comme acte de délivrance. Le lieu aussi et le public sont prédominants pour le choix des installations.

La musique, live et improvisée, inscrite comme la performance dans des scènes et des actes écrits insuffle les énergies entrainant les formes de la danse, l'énergie de la performance. La finalité d'une séance est l'oeuvre inscrite de cette histoire. Une calligraphie, une peinture, des photographies, un film...une musique. Le performer, objectivé, est l'outil sensible d'une énergie commune. personne ne connait le résultat.



« Autoportrait », pastels gras d'Annie Lam (2004)

Peux-tu nous parler de ton rapport aux sexe, à la fois en tant que femme et en tant qu'artiste ?

Mon rapport au sexe en tant que femme. Il va avec l'âge et la société dans laquelle je vis. On n'a pas les mêmes priorités selon les âges ; et pour une femme, c'est très court. Elle est appétissante et interdite jusqu'à dix-huit ans, appétissante et autorisée jusqu'à vingt-cinq, vers le rebut jusqu'à quarante, et puis rien. Sans les p... de paramètres qui rendent la sexualité de plus en plus taboue et difficile d'accès (le net, c'est pour les riches).

Le sexe, c'est la jeunesse et l'énergie de la découverte, la maturité vers la libération. Entre les deux, l'apprentissage.

Artiste, mon corps ne devient qu'objet de représentation d'une idée. Je n'ai aucun tabou, aucune pudeur. Maîtresse, il est l'objet intelligent du désir du soumis.

D'un autre point de vue, le sexe peut, au contraire, devenir l'instrument d'asservissement ultime, y compris dans ses déviances. Par exemple, dans une dynamique purement capitaliste, de marché...

Tel qu'il est présenté, oui, et on va même assez rapidement vers un rejet total de la sexualité en général. Je pense que c'est une grande erreur, pour l'avenir de la planète, et de l'homme naturel. Si la finalité est celle de l'extinction de la race humaine, en effet, le sexe n'est pas nécessaire, il est trop complexe, et son énergie est trop violente. En tout cas, ce qui est lié au sexe dans ses déviances.

L'abstinence ou la négation simple de la sexualité devrait être palliée par d'autres pratiques cérébrales sans doute ? À un certain âge, selon le travail accompli, c'est la délivrance. L'utopie voudrait plutôt qu'il soit temps de réparer nos erreurs, et de rendre humble un acte vampirisé et qui nous échappe, en tout cas dans les bénéfices qu'on peut en tirer. Je préfère m'y rallier, et continuer à chercher humblement, une voie possible vers la communion transcendantale, vers une amélioration naturelle de l'espèce humaine.

Ce qui me semble effectivement rejoindre l'écriture universelle et cosmologique que tu évoquais plus haut... Est-ce qu'il t'est possible de développer sur ce nouvel axe de travail pour nos lecteurs ?

Je tends depuis longtemps vers une écriture universelle, lisible mondialement, avec le minimum de codes sociaux, culturels,« intelligents ». c'est pour cette raison au départ que j'avais choisi le nu, puis le maquillage corporel blanc que l'on retrouve dans le buto. Je cherche dans la danse à trouver un mouvement automatique, comme je l'ai fait avec la peinture et le dessin. Avec l'acceptation de l'état de rien pour y danser un tout ; animal, minéral, végétal, humain, énergie... je ne suis plus qu'un transit d'énergies vers des espaces temps inconnus. J'expérimente en ce moment avec Arthur Narcy, musicien éclectique et talentueux, sur l'écriture automatique danse-musique. Je développe avec les performers une pratique de désihinibition, pour tenter d'accéder à la négation de chaque être, (musiciens et performers compris), pour que seules les énergies engendrées par la chorégraphie, via la musique, via les homme-pinceaux, soient apposées sur la toile et créent la forme.



« Séance Bleue » (2010) - Photographie de Laurent Ouisse

Qu'est-ce qui définit l'art, selon toi ? Et qu'est-ce qui mérite, à tes yeux (que je sais donc engagés), l'appellation artistique ?

Tout ce qui est sincère ou intègre. Tout ce qui sublime dans un sens comme dans l'autre, qui manifeste, qui résonne, qui prouve, tout ce qui nous fait sortir de notre corps quand on est devant.

Question désormais rituelle dans La Spirale, comment vois-tu l'avenir, d'un point de vue à la fois personnel et général ? Te considères-tu comme optimiste, pessimiste ou encore sur d'autres modes d'appréhension ?

Ma maxime est« je vais bien dans le pire des Mondes » en clin d'oeil à Candide. C'est terrible ce qui nous arrivent tellement c'est absurde. L'humain ne veut pas grandir, évoluer. Il préfère rester dans le déni, la paresse, l'ignorance, et donc dans la cruauté. Je suis devenue une guerrière de la paix, paradoxe des sentiments. L'avenir appartient encore au présent, tant qu'il y aura des hommes assez humbles et courageux. Je suis plutôt optimiste pour le moment présent, même si je constate depuis vingt ans une crétinisation générale exponentielle. Maintenant pour la science fiction que l'on tend toujours à rendre réelle, je lutterai autant que je pourrai pour mettre un grain de sable dans le rouage de la Machine. Artistiquement.



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Chamanisme, danse buto, dessin, peinture, érotisme et BDSM... Annie Lam évolue sur des terres méconnues du grand public, en marge de la culture de masse. Une dimension parallèle au travers de laquelle l'art prend valeur d'exutoire et d'antidote ; tel un grain de sable dans les rouages de la Machine.

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