« MUTATIONS 000 »
Enregistrement : 13/02/2017
Mise en ligne : 13/02/2017
Avec toujours cette même motivation : provoquer des échanges et alimenter les cerveaux (plutôt que la machine), redonner du sens à l'idée même de « contenu », dévoyée par des années de narcissisme en réseau, et enfin renouer avec les délices du monde analogique, nouvel espace de liberté et de rencontres à l'heure de la surveillance de masse.
Sous-titré « technologies, pop culture et contre-cultures du 21e siècle », Mutations ouvre le bal avec deux interviews de Douglas Rushkoff et de Robert Anton Wilson, figures tutélaires des marges agissantes et références culturelles pour de nombreux entrepreneurs ou activistes de l'accélération technologique qui caractérise notre époque.
Pour l'heure, le premier millier d'exemplaires de Mutations est en cours de distribution, avec une liste de points de dépôts en cours de constitution sur La Spirale.org. Et nous invitons toutes les personnes ou les structures susceptibles de nous diffuser physiquement et de relayer l'information (médias bienvenus) à nous contacter. L'interaction fait la force !
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Guérillero ontologiste, magicien psychédélique, illuminati au vingt-troisième degré du terme, psychologue quantique, prophète punk et pape discordien ! Autant de qualificatifs pour circonscrire, sans y parvenir, le champ d'action du regretté Robert Anton Wilson (1932-2007).
Coécrite avec Robert Shea et décrite, non sans humour, par ses lecteurs, comme un « conte de fées pour paranoïaques », la trilogie Illuminatus! reste l'oeuvre la plus connue de cet écrivain farceur et essayiste américain, proche de la contre-culture depuis les années 1960.
Ami et défenseur des thèses de Timothy Leary, Wilson aura durant toute sa vie assuré la promotion de disciplines aussi exotiques que le bouddhisme zen, le discordianisme, le soufisme, l'« éphémèralisation » de Buckminster Fuller, la magick de Crowley ou la sémantique générale d'Alfred Korzybski.
Traduit de l'anglais par Ira Benfatto et Laurent Courau. Entretien réalisé à partir d'extraits de The Anarchist Library, Hyperreal Media Archive et High Times.
Pouvez-vous nous parler de votre enfance et de vos origines ?
Je suis né à Brooklyn, dans une famille ouvrière, catholique et irlandaise, au plus profond de la Grande Dépression. Ce qui m'a marqué et conditionné dès mon plus jeune âge, en me radicalisant pour la vie. Par la suite, mon éducation fut principalement scientifique, je me suis spécialisé en ingénierie électrique et en mathématiques appliquées, à Brooklyn Tech, puis à Brooklyn Polytech. Une formation à laquelle je dois mon rationalisme.
Depuis, je suis devenu plus sceptique et je me suis un peu détaché du postulat selon lequel le radicalisme et le rationalisme constituent les meilleurs points de vue pour envisager la vie, mais ils n'en gardent pas moins ma préférence.
Faites-vous partie d'un mouvement, aujourd'hui ?
Je m'implique plus dans la migration vers l'espace, l'augmentation de l'intelligence et la prolongation de la vie humaine, que dans une quelconque forme de politique mammalienne. L'énergie dont je dispose pour ce genre de querelles terrestres, je la mets dans la campagne« Nobody for President » du clown alternatif Wavy Gravy ou le« Linda Lovelace for President » (que j'ai inventé tout seul, car nous mériterions d'avoir une jolie suceuse de bite à la Maison Blanche, histoire de changer).
Voter m'intéresserait si ça impliquait de choisir les dirigeants des grandes banques et des grandes entreprises, ceux qui prennent réellement les décisions qui affectent nos vies. Alors que là, il m'est difficile de m'enthousiasmer pour les chiens savants de Washington. Bien entendu, si voter pouvait changer le système, ce serait illégal.
Revenons à la prolongation de la vie, à la migration spatiale et à l'accroissement de l'intelligence, on peut s'inquiéter que les hommes politiques bousillent tous ces beaux projets. Qu'en pensez-vous ?
Si les politiciens (ou les entreprises) arrivent à foutre en l'air notre future mutation vers l'immortalité inter- stellaire, ce sera la faute de ceux d'entre nous qui avaient compris le potentiel de la science moderne, mais qui n'auront pas été suffisamment adroits pour contrer ces forces d'inertie, de stupidité et de cupidité. Si nous ne sommes pas assez intelligents pour éviter de tels obstacles, nous ne méritons pas d'en arriver à un tel stade de mutation et d'évolution.
Auquel cas, la seule chose qu'il nous reste à faire est de nous asseoir et de rire de nos présomptions, à la manière des taoïstes. En attendant et tant que la partie n'est pas finie, j'ai tendance à croire que nous sommes en train de gagner.
Pensez-vous que l'intelligence artificielle et les robots surpasseront, un jour, les humains ? Est-ce que vous vous intéressez à ce débat ?
Absolument. Je pense qu'ils se doivent de nous surpasser. D'une certaine manière, certains des appareils qui m'entourent sont déjà plus intelligents que moi.
Comment envisagez-vous l'avenir de notre planète et de ses habitants ? Avons-nous encore quelques raisons d'être optimiste ?
Comme avait coutume de le dire Lénine,« la machine contrôle les ingénieurs ». Nous ne pouvons pas arrêter la marche du temps. L'information continuera à se multiplier indéfiniment, toujours plus vite, en engendrant de nouvelles technologies. Celles-ci déchaîneront le chaos, au sens mathématique du terme. Et la société s'en trouvera changée de manière imprévisible, inattendue.
On peut penser que l'accélération continue de cette révolution et évolution« info-techno-sociologique » suit les lois d'un système organique, en se réorganisant continuellement à des niveaux de cohérence toujours plus élevés, jusqu'au jour où elle mourra. Puisque les pools génétiques subsistent bien plus longtemps que les simples unités biologiques, ou que les personnes, ils doivent bénéficier d'une intelligence supérieure à celle d'un gène isolé. Et les espèces se perpétuant plus longtemps que leurs subdivisions, je suppose qu'elles sont plus intelligentes que les éléments qui les constituent. Jusqu'à Gaïa, le Grand Ordinateur, ou quel que soit le nom que vous donnez à l'ensemble de la biomasse terrestre qui perdure depuis des millions d'années, malgré les inondations, les tremblements de terre, les météorites, les extinctions de masse, les périodes glaciaires, je suppose qu'il ou elle a plus de capacités qu'une quelconque subdivision, que ce soit un royaume, une famille, une génération, etc.
Ce qui motive mon optimisme ? Ça vous maintient actif et heureux, y compris à un niveau biologique, alors que le pessimisme conduit juste à ne rien faire et à se plaindre. Je préfère me sentir heureux et occupé, plutôt que de ne rien foutre et de me plaindre, mais je suis conscient que cette argument ne convaincra pas ceux qui ne foutent rien et qui se plaignent. Nietzsche disait qu'optimisme et santé vont toujours de paire, il en va de même pour le pessimisme et la morbidité, au sens médical du terme.
Pourquoi devrais-je prendre le parti de ce qui me rend misérable et raccourcit mon espérance de vie, alors que le futur m'est inconnu ? Je préfère parier sur ce qui me stimule, sur ce qui me rend heureux et créatif. Et sur ce qui prolonge, aussi, mon espérance de vie.
Qu'est-ce qui justifie que vous vous montriez si sceptique face au« scepticisme organisé » ?
Comme je le dis toujours, les systèmes de croyance rigides m'effraient et me font penser aux robots, à un genre d'humanoïdes ou une quelconque entité sinistre dans le genre. Le scepticisme organisé, tel qu'il existe aujourd'hui aux USA, ne comprend aucun vrai sceptique, au sens philosophique du terme. Il s'agit juste d'un autre gang de fanatiques dogmatiques, en guerre avec l'autre gang de fanatiques dogmatiques, et bien sûr avec nous, les agnostiques modèles. Regardez le Committee for Scientific Investigation of Claims of the Paranormal (CSICP), ils ne mènent jamais aucune recherche scientifique, jamais. Pourquoi ? M'est avis que, comme les inquisiteurs qui refusèrent de regarder dans le télescope de Galilée, ils craignent que de telles recherches mettent en doute leur dogme.
Est-ce qu'il vous arrive, parfois, de ressentir de la frustration à l'idée de vivre dans le monde « réel » ? Après la lecture d'Illuminatus!, j'ai trouvé déprimant de revenir à la réalité. Comment le vivez-vous ?
Chaque système nerveux crée sa propre« réalité », minute après minute. Selon Don Juaan Matus, le chaman de Carlos Castaneda, nous vivons comme dans une« bulle » d'abstraction neurologique, que nous identifions comme la réalité.
Les systèmes méta-programmés, tels que le tantrisme tibétain, l'exo-psychologie de Leary ou la magick d'Aleister Crowley, nous permettent de transformer cette « réalité » neurologique en expérience consciente et de ne plus connaître l'ennui ou la dépression.
S'arrêter à en lire les preuves scientifiques, que ce soit en psychosociologie, en sémantique générale, en neurologie ou en quoi que ce soit d'autre, ne vous libérera pas. Ce dont vous avez besoin, c'est d'un reconditionnement, d'un enseignement pour en faire l'expérience par vous-même et comprendre ce dont je vous parle. Ãtre conscient constitue un grand privilège dans ce monde. Ceux qui le comprennent irradient.
Je suppose que vos livres, notamment Illuminatus!, ont constitué la première étude approfondie des théories du complot. Et que ça a fait de vous quelqu'un de respecté et d'admiré ?
Je suppose que oui. Mais ça a aussi fait de moi une cible de choix pour tous les obsédés paranoïaques de la conspiration, qui n'arrivent pas à s'expliquer ce que je fais, une fois sortis de l'hypothèse que je sois un agent du gouvernement chargé de les embrouiller.
Oserais-je le demander... Seriez-vous un agent du gouvernement ?
Et bien... Parfois je me le demande. Est-ce que vous connaissez le terme dans le jargon de la CIA pour« quelqu'un qu'elle utilise et qui n'en a aucune idée » ? Ils appellent ça un« idiot utile ». Par exemple, ces journalistes qui obtiennent l'exclusivité des propos d'un membre du congrès, mais qui ne savent pas que ce membre du congrès travaille pour la CIA, ou encore que cette exclusivité n'est qu'un mythe inventé de toute pièce pour faire passer, par leur intermédiaire, des informations dans la presse. Si les journalistes publient ces informations exclusives, ils deviennent des« idiots utiles ». Donc, bien sûr, je me demande, de temps à autre, si je ne fais pas partie de ces« idiots utiles » (rire)
Croyez-vous en l'existence de véritables conspirations qui affecteraient la marche du monde ?
Je ne crois pas en l'existence d'une« conspiration », mais en la présence de douzaines - ou de centaines - de gangs rivaux qui affectent la marche des choses, à un niveau local ou global. Parfois, l'une de ces bandes de pirates peut avoir plus de poids que les autres, mais ça dure rarement plus de deux jours, encore moins deux ans.
Histoire de ne pas paraître trop évasif, parmi les gangs que je redoute le plus, au nombre de ceux qui m'inquiètent sur la durée, il y a celui du Vatican et de la mafia, celui des banquiers anglais et hollandais qui contrôlent les banques américaines, la CIA, les fondamentalistes islamiques en général et la banque mondiale. Mais la compétition reste féroce.
J'ai lu dans une interview que vous vous considériez comme anarchiste, plus tôt dans votre carrière...
Il fut un temps où je me revendiquais anarchiste, athée et sorcier. En atteignant la quarantaine, je me suis adouci. J'ai commencé à me dire libertaire, panthéiste et néo-païen. Et depuis je suis passé à partisan de la décentralisation, pragmatiste et adepte de la« Maybe Logic »...
Lors de l'une de vos précédentes interviews, vous disiez que la cybernétique sera la technologie qui, appliquée à l'industrie, instaurera les idées chéries par l'anarchie.
Le type d'anarchisme le plus intelligent reste celui qui revendique la décentralisation de l'information et de la communication. Imaginez donc mon enthousiasme, lorsque j'ai découvert le premier livre du mathématicien Norbert Weiner. La cybernétique : information et régulation dans le vivant et la machine se base sur l'idée que cette décentralisation permet aux sujets d'agir de manière plus intelligente, qu'il s'agisse d'une machine, d'un troupeau d'animaux ou d'une société humaine.
J'y vois la confirmation scientifique des théories anarchistes, même s'il peut parfois me sembler que nous nous dirigeons toujours vers plus de fascisme, que ce soit d'un point de vue sociétal ou étatique. Reste qu'aussi longtemps qu'existeront ces foutus hiérarchies, au travers desquelles la communication se s'opère du sommet vers la base et ne remonte jamais, nous continuerons d'agir comme la créature du Dr Frankenstein, titubant alentours, au risque de nous tuer par accident.
En conclusion, que pourriez-vous recommander à nos lecteurs ?
Ne croyez pas un mot de ce que je dis : pensez par vous-même.
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