TOMOMI HOSHINO
Enregistrement : Archives de La Spirale (1996-2008)
Mise en ligne : Archives de La Spirale (1996-2008)
J'imagine aujourd'hui avec un léger sourire l'embarras dans lequel se serait trouvé un japonais posant les yeux sur cet objet pour le moins insolite mis bien en évidence au milieu d'autres souvenirs et prenant conscience de mon ignorance. C'est par un article parlant de son livre dans le magazine japonais Burst quelques mois plus tard, que j'ai découvert avec une certaine surprise le propos de ce que je prenais pour un roman de midinette. Il me fallut ensuite deux ans pour comprendre et connaître un peu mieux cette fille qui au fil du temps est devenue une de mes plus précieuses amies dans ce pays. Deux ans pour comprendre un peu mieux son travail, en saisir la dimension onirique et poétique et essayer de trouver un moyen de rendre compte de sa passion si particulière sans faire d'elle un monstre de foire. J'espère sincèrement y être arrivé.
Propos recueillis par Lukas Zpira.
J'ai commence à écrire ce livre à l'âge de dix-sept ans. Je l'ai intitulé Shitaii Bakari Miteita Traduction : Je ne vois que des corps morts. Un titre un peu choquant je crois, mais le contenu est très doux, presque humoristique par moment.
Quel est le propos de ton livre ?
J'étais employée dans un salon funéraire, je m'y rendais les week-ends et parfois en semaine après l'école. Après chaque journée de travail, j'écrivais dans mon journal intime ce que j'avais vu, ressenti, etc. J'envoyais également mes textes au magazine Gon. J'ai rassemblé ces écrits pour en faire un livre un peu plus tard. Ce livre concerne mon intérêt pour les corps morts.
Quel était ton état d'esprit à ce moment là et comment as-tu traité le sujet ?
J'aimais beaucoup ce que je faisais et ce que je découvrais à travers ça. J'ai simplement tenu un journal comme le font beaucoup d'adolescentes, juste de simples impressions. A quoi ressemblaient les corps, les expressions de leurs visages, les actions et les propos des membres de leurs familles. Il y a eu tant d'émotions différentes : de la tristesse à la rage, de l'émerveillement à la joie. J'ai décidé de décrire tout ce que je voyais, un peu comme on décrit une après-midi au cinéma avec des copines. Le ton est léger, presque enfantin.
Tu as été jusqu'à faire partie de certaines équipes de secours afin d'approcher les corps ?
Oui, en effet. J'ai travaillé dans une équipe de secours en Thaïlande où j'ai vu et vécu beaucoup de choses. Notre tâche consistait à nous rendre sur les lieux d'accidents afin de nettoyer les victimes et parfois à leurs domiciles en cas de suicide et même de meurtres. La plupart du temps les corps étaient encore frais, mais il est arrivé que les corps n'aient pas été découverts depuis un bon moment. Nous étions pour la plupart des bénévoles.
Tu t'es longuement documentée pour tes recherches? Comment étais-tu perçue au sein de cette équipe ?
La manière dont ils percevaient ma passion différait énormément de celle des japonais. Bien qu'à la base notre religion soit la même, leur philosophie était différente. On m'a souvent dit que j'étais un peu étrange quand je montrais mes magazines avec leurs photos de corps morts, mais ceci toujours avec le sourire aux lèvres, contrairement aux visages renfrognés que j'ai couramment côtoyés ici au Japon. En Thaïlande, on m'a toujours permis de toucher si je le voulais, on ne m'a jamais défendu de photographier les corps.
Te places-tu plutôt en temps que collectionneuse fétichiste ou simplement poses-tu ta recherche comme une forme de voyeurisme ?
Fétichiste? Peut-être mais je me considère plus comme une collectionneuse. Je collectionne de belles choses, des photos de corps morts. C'est très joli !
Il y a-t-il une dimension sexuelle dans ton attrait pour les corps morts ?
Non, mais je n'ai aucun mal à comprendre ceux chez qui elle existe. Cela m'excite quand je me retrouve face à un corps, mais pas de manière sexuelle. Une copine m'a dit qu'il est possible de se procurer un corps mort aux Etats-Unis pour approximativement dix mille dollars. Tu peux le ramener chez toi et en faire ce que tu veux. Moi, je n'ai aucun intérêt pour la nécrophilie, je préfère le cannibalismeïŒ?Il y a une région dans le sud de la Thaïlande où le cannibalisme était pratiqué. Quand une personne importante du temple décédait, ses organes étaient distribués aux membres de la famille pour ensuite être dégustés. Je trouve cette tradition très belle, je préfère grandement ça à ce que Issei Sagawa a fait à sa copine. Je comprends son désir mais je n'irais jamais jusqu'à tuer mon partenaire pour le manger. La prochaine fois que je ferai percer mes oreilles au scalpel, je voudrais bien manger ma propre chair.
Dans la culture japonaise, en grande partie bouddhiste animiste, la mort a un statut particulier, différent de celui qu'elle a dans les cultures judéo-chrétiennes. On connaît par exemple le suicide rituel des samouraïs, le seppuku, et toutes les formes rituelles reliées à la mort dans ce contexte religieux. Comment situes-tu ton travail par rapport à cela et a-t-il été difficile à assumer ?
Je ne sais pas comment la mort est perçue dans la culture occidentale, mais cela fut difficile pour moi d'assumer car la mort est un sujet tabou. Elle doit être honorée et ce que je fais est très mal perçu. On me critique et on critique mon travail. On me dit que c'est sale, malsain et que c'est un manque de respect envers les corps. Je ne suis pas d'accord, évidemment. C'est plutôt le contraire, car très peu de gens sont capable d'apprécier la beauté de la mort dans son état le plus brut. Il y a cette vieille attitude présente dans le système hiérarchique japonais. Les moines qui exécutaient les cérémonies funéraires étaient révérés, tandis que ceux qui s'occupaient de préparer les corps se retrouvaient en bas de l'échelle sociale. Les choses n'ont guère changées. Au salon funéraire où je travaillais, nous étions très mal rémunérés. On me demandait souvent pourquoi j'avais choisi ce métier, alors qu'il n'y avait pas d'argent à se faire.
La philosophie, particulièrement en occident, a toujours placé la mort au centre de sa réflexion, je pense notamment à Hegel, entre autres. Il y a-t-il une réflexion philosophique engagée dans ta recherche ?
Définitivement, c'est précisément la raison pour laquelle je n'envoie plus rien aux magazines. Je suis attristée par la façon dont les gens regardent les photos et lisent les textes, avec des petits rires nerveux et des commentaires comme « c'est bizarre » ou « c'est dégueulasse », etc. Pour moi, c'est très symbolique. Je ne crois ni en la réincarnation, ni dans le concept de l'âme qui ira soit au paradis, soit en enfer. Je crois que quand on meurt, c'est fini. Le corps est la dernière chose que l'on verra d'une personne, il fera partie des derniers souvenirs. La plupart trouvent ça laid et ils ressentent le besoin de l'habiller, de le maquiller. Pour ma part, je trouve ça ridicule et inutile car je peux voir la beauté du corps dans sa forme pure.
« La mort est essentielle dans le regard que l'on porte sur la vie. » - Spinosa. Quel regard portes tu sur la vie en général et sur la tienne en particulier ?
Depuis que je travaille étroitement avec la mort et que j'ai été en contact direct avec celle-ci pendant longtemps, je vis pleinement. J'apprécie chaque jour de ma vie. Je n'ai plus peur de mourir mais je ne sais pas comment je réagirais si on m'annonçait que j'allais mourir bientôt.
Quel regard portes-tu sur le travail de photographes tels que Andres Serrano, Joel-Peter Witkin, ou encore de Gunter Van Agens, qui tous trois travaillent sur la mort. Et en règle générale, quelles sont tes influences, artistiques ou autres ?
Je trouve leur travail intéressant et je suis ravie de voir des artistes s'inspirer de la mort et de la montrer d'une façon insolite mais personnellement, je n'aime pas voir les corps découpés et plastifiés, je les préfère à leur état brut, sans artifices. Ces oeuvres ne m'inspirent pas vraiment mais j'adore les films de David Lynch, l'ambiance y est franche et directe.
Qu'est ce qui a amené à ce que ton travail devienne un livre ?
C'est une coïncidence car ça ne fut jamais dans mes intentions de publier un livre. Je suis fan de lutte et je discutais avec un ami qui est justement l'éditeur d'un magazine de lutte. En passant d'un sujet à l'autre, nous avons commencé à parler de mon travail. Il m'a proposé de m'aider à publier un ouvrage. J'étais si contente et c'est à ce moment la que j'ai rassemblé mes textes, je les ai édités et retravaillés afin d'en faire un livre avec une suite cohérente.
Quel feedback as-tu à la publication de ton livre ?
Je reçois très peu de feedbacks. Le livre n'a pas connu un grand succès, peut-être à cause du sujet traité, mais les rares feedbacks que je reçois sont très positifs.
Connais-tu d'autres personnes impliquées dans ce type de démarche ?
J'ai déjà reçue une lettre d'une fille qui comme moi était passionnée par ce sujet. Elle avait beaucoup aimé le livre et me remerciait. J'ai aussi une copine qui travaille dans un salon funéraire. Mais je ne crois pas que nous soyons nombreux.
Le livre est-il encore disponible? A-t-il été traduit ?
Oui le livre est toujours disponible mais malheureusement il n'y a pas encore de traduction. J'espère qu'il sera traduit un jour !
Au delà de ton travail de documentation que tu as d'ailleurs arrêté, il y a ces croquis que tu as commence à réaliser depuis une paire d'année. Peux tu m'en expliquer un peu plus le sens ?
Ce sont des sortes d'installations funéraires. J'imagine des sculptures à base de corps morts ou d'os, principalement des animaux mais aussi parfois des humains que je regroupe en plusieurs éléments à la façon d'un sanctuaire. Beaucoup de ces installations sont issues de mes rêves. C'est toujours très beau et poétique. Je leur invente des rituels qui leur sont propres et qui correspondent à ma mythologie. Je nomme ces installations P.E.T., ce qui veut dire animal domestique en anglais, mais qui est aussi pour moi l'abréviation de "Peaceful Eternal Treasure". Ils sont pour l'instant au stade de l'imaginaire, mais j'aimerais bien les réaliser un jour.
Quel est ton livre de chevet ?
Dance Macabre to the Hardcore Works de Tsurisaki Kyotaka.
Commentaires
Vous devez vous connecter ou devenir membre de La Spirale pour laisser un commentaire sur cet article.