UGO SEBASTIAO « PERSISTANT SHAPES »


Enregistrement : 13/09/2022

Persistance des icônes religieuses dans leur masochiste béatitude, violence intrinsèque des coups de pinceau, rémanence de l'underground et de certains de ses acteurs les plus inquiétants, présence diffuse du gore et d'une froide brutalité...

Le travail d'Ugo Sébastião s'inscrit dans une tradition plurimillénaire expiratoire, ô combien essentielle et vitale pour conjurer la période complexe que nous traversons. Portfolio et entretien à quelques heures du vernissage de sa première exposition personnelle, dans le 7ème arrondissement parisien.

PRÉSENTATION DE PERSISTANT SHAPES

Pal Project présente la première exposition personnelle de Ugo Sébastião !

Vernissage le mardi 13 septembre 2022 de 18:00 à 21:00
Exposition du 14 septembre 2022 au 08 octobre 2022
Adresse : 39 rue de Grenelle, 75007 Paris




Ugo Sébastião propose un ensemble pictural marqué d’un mélange entre esthétique post-punk et iconographie religieuse. Scrutant l’Histoire de l’Art et piochant dans les ressources contemporaines, il dévoile une pratique habitée par son passé et son futur. Faisant partie des rares artistes qui puisent dans l’intégralité des possibilités de leur pratique, Ugo pousse même la notion de médium à être redéfinie.

Ancré dans son temps et dans sa génération, Ugo explore les possibilités d’apprentissage que les nouvelles interfaces numériques ont apporté. Il aborde la peinture avec un oeil singulier qui oscille entre techniques utilisant des outils contemporains et traitement quasi archéologique de l’Histoire de l’Art. L’artiste se pose la question de la dissolution des oeuvres et de la persistance de certains éléments et de certaines figures dans son appréhension de l’Histoire de l’Art. C’est entre la dalle homogénéisée de son écran et son travail de monteur/installateur qu’Ugo Sébastião découvre ses sujets et les décortique.

Sur Google Images, il scrute les tableaux « oubliés » des peintres de l’époque de la Renaissance Italienne comme Fra Angelico ou du classicisme français avec Philippe de Champaigne et en extrait des détails auquel il donnera un second souffle. Grâce à un recadrage millimétré, il les sort de leur contexte et nous les présente de façon neutralisée, permettant à chaque visiteur une lecture unique et personnelle. L’artiste étudie avec autant de distance les tableaux du baroque romain que son feed Instagram. Cette distance, il l’impose aux visiteurs grâce à l’utilisation du monochrome et d’un vernis ultra-brillant qui nous forcent à nous éloigner ou à nous rapprocher. L’artiste nous force à réveiller notre œil endormi tellement habitué à recevoir les images dans un flux continu.

Extraits du texte d’exposition écrit par Violette Wood.
Propos recueillis par Laurent Courau.





Parmi tes œuvres, on note une récurrence d’emprunts à l’iconographie religieuse catholique. De quelle nature est ton rapport au religieux ? Est-ce que ça aurait quelque chose à voir avec tes doubles origines italiennes et portugaises, pays catholiques s’il en est ?

Il est vrai que mes origines et l’héritage culturel qu’elles impliquent on participé à influencer ma pratique artistique, actuellement. Que ce soit du côté de mon père ou de ma mère, la religion est plus de l’ordre du culturel, elle n’a jamais eu beaucoup de place à la maison, à part les repas de fêtes, les mariages, les baptêmes et quelques valeurs, mais rien d’exceptionnel.

Par contre, mes premiers contacts avec l’art, du moins les premiers dont je me souviens sont un poster signé dans le bureau de mon père d’un tableau de Robert Combas, et les églises que ce soit avec les vitraux, les odeurs, le son, l’espace ou encore la peinture. Je pense qu’elles ont été des premières impressions qui m’ont profondément marqués. En famille, nous avions pour habitude lorsque l’on visite une ville de rentrer dans les églises et dans les cathédrales. Mon rapport au religieux s’est fait avec distance, je ne suis absolument pas dans une forme de fanatisme ou de prosélytisme, simplement la religion catholique contient deux millénaires d’héritage qui ont en partie construit notre société et notre inconscient collectif, en Occident.

Les œuvres produites durant ces deux millénaires étaient faites pour des raisons socio-politiques et religieuses. Aujourd'hui, notre temps est celui d’un ultra capitalisme et n’est plus celui de Dieu, la religion à une importance secondaire dans notre société, pourtant ses images restent. Elles sont visibles dans des dispositifs autres que leurs lieux d’origines, dans des espaces sacrées, que ça soit en les déplaçant dans des musées ou à travers de dispositifs numériques ; téléphone, écran d’ordinateur, etc. Leur lecture se fait différemment à tous points de vue. Pourtant, ces images restent, elles me permettent de mettre en tension mon histoire personnelle avec une grande histoire commune.

Je crois aussi qu’il est important de continuer à travailler ces images pour la pertinence et les questions qu’elle peuvent relever de notre époque. Ce travail doit se faire de manière critique envers le passé et notre présent, mais aussi contre une construction de l’histoire moderne pensée comme une forme d’ascension unidirectionnelle de l’histoire de l’art.

Et à l’opposé du spectre, comme une fascination pour le gore et une morbidité que revendiquait GG Allin dont tu as peint le portrait. D’aucuns feraient d’ailleurs le rapprochement avec l’iconographie catholique et sa violence intrinsèque. Qu’est-ce qui t’attire dans ces deux extrêmes ? Et quelle est ta perception de ces deux pôles culturels, opposés ou non ?

Cette tension dans mon travail n’est pas très claire, bien que je considère totalement sa présence dans ma pratique. Il y a de nombreuses raisons à ces choix, la première est simplement un goût personnel pour certaines cultures alternatives : noise, punk, skin qui ont bercé mon adolescence. Il y a aussi cette idée que l’art n’a pas de règles. Jai une éthique en tant qu’individu dans une société et l’art a le devoir et la possibilité de s’en émanciper.

Je pense à l’artiste Darja Bajagic dont le travail utilise une iconographie extrême tirée des tréfonds d’Internet entre satanisme, gore et pornographie, ces éléments-là sont des constituants à part entière de notre société. Bien que certaines personnes puissent le nier, il faut s’interroger dessus. Il serait intéressant que je confronte davantage de manière frontale ces deux facettes de mon travail, les antagonismes produits pas la confrontation de ces deux iconographies pourrait relever des choses inattendues... En tout cas, il est sûr que ces deux pôles sont aussi différents que similaires, c’est peut être ça qui les rend intéressant à mes yeux. L’art chrétien est embaumé d’un parfum de morbidité évident, qui a consciemment ou pas impacté profondément ma pratique.

Tu as opté pour la peinture comme médium. Pourquoi ce choix d’un support « traditionnel » à une époque où les techniques de création se démultiplient jusque dans les galeries, les foires et les biennales, notamment les plus récentes telles que l’art génératif au moyen de l’intelligence artificielle ?

J’ai opté pour la peinture, pour une infinité de raisons. La première est simplement le plaisir qui existe depuis la nuit des temps à étaler sur une surface une matière picturale. Je ne me considère pas pour autant comme un peintre, mais la joie qui découle des gestes de la peinture est importante. De manière pragmatique, la peinture permet aussi avec une économie et des moyens restreints de créer des œuvres. Avec la peinture, j’ai une autonomie presque totale, je peux fabriquer mes châssis, tendre, encoller et enduire ma toile, la peindre la conserver et l’accrocher dans un espace d’exposition moi-même. Je dépend de beaucoup moins d'éléments qu’un artiste qui réalise des films, où la chaîne de production est très vite plus complexe. La peinture me permet aussi simplement de développer une pratique, dans tout ce que cela engage, lorsque l’on a une pratique, on peut l’appliquer à d’autre médiums ou d’autre problématiques, affirmer une expérience.

La peinture est déjà morte, elle ne peut pas mourir une deuxième fois, elle aura toujours sa place sûrement de manière fluctuante, mais je ne m’inquiète absolument pas de son devenir.

C’est assez drôle que tu me poses la question des I.A., j’ai accès à l’application Dalle-2 depuis peu, j’ai donc essayé de produire des images avec mon processus de transformation de peinture baroque avec ce générateur d’image et j’ai simplement eu pour la plupart de mes recherches un message d’erreur me disant que je ne pouvais pas utiliser ses images pour leur caractère violent et la nudité des corps. Les tableaux que j’ai utilisés n’avaient rien d’exceptionnel, et même si un groupe de scolaire passait à côté dans un musée, je ne pense pas qu’il serait touché plus que ça. Les I.A. ont encore besoin d’évoluer. Il leur manque deux choses importantes, qu’il leur est difficile d’avoir, du discernement et une capacité à douter.

Aujourd’hui plus que jamais, le monde de l’art s’aligne sur des dynamiques économiques et spéculatives, ainsi qu’en témoignent les fondations Pinault et Louis Vuitton, parmi bien d’autres exemples. En tant que jeune artiste, comment te positionnes-tu face à cette intégration toujours plus étroite des circuits financiers et du milieu artistique ? Ou pour le dire autrement, comment garder de la fraîcheur face à un univers d’apparence aussi corrompue ?

Ma source de revenu principale vient de mon travail de monteur et installateur d’œuvre d’art, avec un statut d’artiste auteur plutôt précaire. Que ce soit dans le privé ou dans le public, le monde de l’art comme d’autre milieu est remplie de problèmes éthiques et économiques, je souhaite que cela évolue vers quelque chose de meilleur bien entendu. Mon objectif a titre personnel est de simplement vivre de manière la plus honnête possible de ma pratique sans trop faire de compromis.

Pour moi être artiste reste un métier, il est normal d’avoir accès à des droits, être payé décemment et vivre dans un confort raisonnable de sa pratique. C’est ce à quoi j’aimerais tendre et que les institutions et le monde de l’art le permettent davantage à un plus grand nombre par une meilleure répartition des richesses. Mon moyen de garder de la fraîcheur, c’est de simplement focaliser sur les œuvres d’art et le plaisir qu’elles me procurent, sinon, c’est vrai que très vite, on ne s’en sort plus... Les œuvres et ceux qui s’en passionnent, c’est ce qu’il y a de plus important.

Nous venons d’évoquer plus haut les thématiques qui animent les toiles que tu exposes à partir du 13 septembre à Paris. Peux-tu nous donner un aperçu des thèmes de tes prochaines œuvres, celles sur lesquelles tu travailles déjà peut-être ? (sourire) Et comment imagines-tu le futur, à l’aube de cette première exposition parisienne ?

C’est encore très flou, je n’ai pas trop envie de m’avancer sur un travail qui n’a pas encore été réalisé, ahah ! Beaucoup trop de facteurs peuvent intervenir dans la production et changer le cours des choses. Cela dit, je pense qu’avec une certaine transition mes projets vont glisser vers d’autres territoires, d’autres méthodes de réflexion et de réalisation. La peinture gardera sûrement une place prépondérante. Quant au futur, je l’imagine à la fois avec joie et une certaine incertitude, mais plus simplement avec une profonde envie de retourner à l’atelier pour réaliser de nouvelles pièces. C’est là que se trouve mon vrai bonheur et mon épanouissement.



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