FANXOA « 24 HEROINES ELECTRIQUES »


Enregistrement : 13/11/2020

Au micro de Bérurier Noir, puis plus tard de Molodoï, Fanxoa - alias François Guillemot pour l'état-civil, a écrit certaines des plus belles pages musicales et rebelles de l'alternative à la française.

Échange intense et dense, autour de son actualité artistique récente ou brûlante. Depuis l'exposition 24 Héroïnes électriques, sous-titrée « punk, guérilla, philosophie », qui s'est tenue à la Galerie Artemisia (ENS de Lyon), jusqu'à son hommage pictural à Yukio Mishima, actuellement en cours sur Internet, et au nouveau « processus créatif en gestation » autour de Bérurier Noir.

Où il est question de féminisme et de rapports de domination, de culture punk et d'activisme, d'expression artistique radicale, de philosophie et d'hyper-romantisme, d'une vision exacerbée de la vie, d'Henri Laborit et de force symbolique.


Propos recueillis par Laurent Courau.
Autoportrait de Fanxoa par Fanxoa.
Collage de frise, extrait de
L'Enfant et son destin par Fanxoa (2020).


Portfolio extrait de l'exposition 24 Héroïnes électriques, avec par ordre d'apparition : Miss O.D., Hannah Arendt, Oksana Chatchko, Simone de Beauvoir, Gaye Advert, Simone Weil, Lydia Lunch, Petra Schelm, Cinzia Arruzza, Maria Botchkariova, Viv Albertine, Greta Thunberg, Poly Styrene, Lê Minh Khuê, Virginie Despentes, bell hooks, Patti Smith, Elsa Dorlin.






Qu’est-ce qui avait motivé l’exposition 24 Héroïnes électriques, sous-titrée « une trêve artistique dans la violence sexiste du monde », inaugurée le vendredi 13 décembre 2019 à l’ENS de Lyon ?

Et par-delà cette initiative, comment analyses-tu les tensions médiatiques renouvelées autour du féminisme, jusque lors de ces derniers mois ? Que révèlent-elles, de ton point de vue, sur l’état de notre société en 2020 ?


Ce qui a motivé cette exposition est à la fois très personnel lié à mon histoire de couple mixte hétéro en crise (s’interrogeant sur son fonctionnement), à l’histoire intime d’une de mes filles, aux femmes qui m’ont élevé, et à la dimension sentimentale inattendue de la vie. D’un point de vue plus académique, j’ai commencé à travailler sur l’histoire des femmes et de la guerre au Viêt-Nam dans une perspective transnationale ce qui m’a amené à découvrir d’autres combats féminins en d’autres lieux et ainsi d’élargir la question au-delà de l’Asie. L’idée essentielle, je l’ai exposé dans le livret de l’exposition, était de mettre en scène des « prises de liberté » sur la question du genre et plus spécifiquement sur le rôle des femmes dans nos sociétés, à travers des rôles, et c’est important, décrits par elles-mêmes.

Mais à vrai dire, à partir d’une idée de départ qui visait à rassembler côte à côte et à croiser les destins d’héroïnes punk, de philosophes et d’activistes, la construction intellectuelle de l’exposition n’était ni évidente ni prévisible. L’exposition s’est construite intellectuellement et artistiquement précisément en la montant, en lisant les textes, en choisissant les portraits, en écoutant les paroles de ces femmes, ce qu’elles avaient à dire aux hommes, au monde, à la société et en m’auto-octroyant une volonté d’agir sur le sujet en tant qu’artiste. Pour ce faire, j’ai privilégié la réalisation de portraits dont la spécificité était que chaque regard percute le nôtre. Des regards décisifs, directs, doux, interrogatifs ou violents, jamais neutres. Dans la salle, tous les regards étaient alignés (grâce à une disposition au laser) pour donner une impression forte. Dès l’entrée dans la salle, on se sentait quelque peu visé avec plus ou moins d’intensité. Dans la revue Hétéroclite, Emma Nübel a formulé cette perception de façon très belle : « Le voyage est circulaire. Le regard balayant ces femmes peintes accrochées à hauteur des yeux, on est confronté·e à chacune d’entre elle de manière frontale mais intime ». (Source : http://www.heteroclite.org/2020/02/fanxoa-exposition-artemisia-59567).


Fanxoa, #NousToutesDesHeroïnes, avec Gaye Advert (2019).

Tout ceci m’a mené assez loin en proposant une installation réunissant des toiles, du son et de la vidéo, un dazibao géant, de la danse et du chant a cappella, des déclarations orales et textuelles et un coin lecture dans lequel on pouvait puiser la source des textes sélectionnés, sans oublier le buffet vietnamien le jour de l’inauguration. A travers cette mise en scène, on pouvait ainsi s’initier à ces « prises de liberté » en toute connaissance de cause. Le choix des héroïnes a été quelque peu drastique car je désirais maintenir un équilibre entre les trois thématiques (punk, guérilla, philosophie), les concepts abordés, de la radicalité politique ou musicale à l’expression mystique en passant par l’image iconique que l’on engendre soi-même sans s’y attendre à l’instar de Gaye Advert. Enfin, c’était un projet collectif (même si j’en suis le maître d’œuvre) car le soutien et le concours de l’ENS de Lyon et la galerie Artemisia furent déterminants. Ils m’ont permis de réaliser un événement de grande qualité à la croisée entre l’art pictural et la réflexion philosophico-politique. Le premier confinement à partir du 15 mars a néanmoins écourté les réjouissances notamment une intervention de Manon Labry sur les Riot Grrrls (Manon Labry, Riot Grrrls. Chronique d’une révolution punk féministe, 2016) qui s’est faite en ligne sur mon blog.

Par delà cette initiative artistique, je dirais que je reste très attentif aux évolutions sociétales sur le sujet de l’émancipation féminine ou transgenre dans la mesure où un immense travail reste à faire sur bien des plans : égalité salariale, rapports de domination, violences sexuelles, féminicides, construction sociale du corps, tout ce qui mine encore notre société… L’exposition établissait aussi ce lien avec les débats en cours, par exemple des numéros spéciaux de revues étaient disponibles sur les violences conjugales, les femmes dans la culture rock ou l’histoire largement oubliée des femmes philosophes. (Voir à ce titre ma lecture performée le jour de l’inauguration).

En réalité, je m’intéresse peu aux tensions médiatiques mais par contre j’aime prendre connaissance d’ouvrages ou de débats sérieux sur ces questions, sur ces « féminismes » au pluriel en débat, de la perspective égalitaire à l’approche décoloniale ou intersectionnelle. À titre d’exemple, j’ai beaucoup aimé l’ouvrage de Victoire Tuaillon (Les couilles sur la table, 2019) et celui sur la violence des femmes sorti en poche à la Découverte en 2017 (Coline Cardi & Geneviève Pruvost (dir.), Penser la violence des femmes). Mon intérêt se porte aussi sur des productions plus radicales comme celles de Jules Falquet (Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence, 2016) ou dépasse aussi le champ académique par exemple à travers la lecture de la revue alternative Panthère.


Panthère Première, revue indépendante de critique sociale (2017).

Ce que je peux dire sur l’état de notre société à ce sujet n’a pas beaucoup d’importance, par contre je pense que cette exposition m’a permis d’effectuer un renversement de situation afin d’analyser le monde : si j’étais une femme que pourrais-je penser de cette situation ? Nous autres les hommes, nous ne nous rendons pas bien compte de notre puissance installée, systémique, arrogante, et peu remise en cause. La domination masculine n’est pas un état virtuel c’est une réalité tangible dans bien des sociétés. Cela me ramène à une question essentielle, nous autres les hommes que faisons-nous du monde ? Je n’ai pas la réponse mais l’étude du phénomène de la guerre m’a souvent interpellé sur le genre et le désastre de l’oppression masculine sur le fonctionnement humain.

Lors de la présentation de cette exposition au sein du programme PIND un participant m’a demandé qu’elle était ma légitimité en tant qu’homme à parler de ce sujet. Ma réponse a été, imitant bell hooks : « ne suis-je pas moi-même une femme » ? Je renversais donc l’injonction de ce débateur à vouloir définir ce que je suis ou donne à voir pour que lui-même s’interroge sur son propre positionnement. Et lui, en tant qu’homme quel était sa légitimité à poser cette question ? On voit bien l’aporie. À vrai dire, quelle est la part de masculin et de féminin en nous ? J’aime bien cette idée de nous considérer toustes des transgenres qui s’ignorent. La seconde réponse à cette question est plus évidente, à mon sens, un artiste n’a pas a demandé la permission pour réaliser ce qu’il a à réaliser, à faire ou à défaire, à construire ou à détruire. Tout ceci pour dire, qu’en fin de compte, je ne pouvais pas le savoir dès le départ, cette exposition m’a autant bouleversé dans mes retranchements et mes préjugés intériorisés qu’elle m’a permis de questionner le sens de notre humanité. Cet effort de réflexivité a été fondamental pour moi, je ne regarde plus ma bibliothèque (composée majoritairement d’auteurs et non d’autrices) de la même façon (Cf. Michèle Le Doeuff, Le sexe du savoir, 1998 et Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, 1998).

Tu évoquais la culture punk au travers de certaines « héroïnes électriques » mises en scène dans le cadre de cet évènement : Miss O.D., Gaye Advert, Lydia Lunch, Viv Albertine, Ari Up, Stacey Dee, Poly Styrene, etc.

À tes yeux, est-ce qu’il existe un lien spécifique, peut-être plus étroit, entre le féminisme et le punk, qu’avec d’autres subcultures ou d’autres mouvances artistiques ?


La culture punk est essentielle à mes yeux en tant que forme radicale de l’expression artistique ayant eu un impact décisif sur ma construction de jeune homme blanc dans une société capitaliste et patriarcale assez marquée. D’un point de vue musical, je ne fais pas de rupture entre un titre de Suicide ou un titre de Siouxsie & The Banshees et j’entends le mot « punk » dans une définition assez large liée à l’énergie du désespoir de l’époque. Les héroïnes punk que j’ai décidé de mettre en scène et de faire découvrir m’ont accompagnées depuis mon adolescence jusqu’à aujourd’hui. Elles forment en quelque sorte un panthéon mystique auquel je me réfère et vers lequel je me tourne parfois avec émotion. En particulier Poly Styrene est une héroïne qui m’émeut encore aux larmes (réécoutez « Identity ! »), Siouxsie reste pour moi la Charlotte Rampling du Punk, une prêtresse provocatrice d’une intensité extrême et Gaye Advert, l’icône de la fille rebelle représentative de la culture visuelle de cette époque. Miss O.D. a été choisie comme héroïne anonyme, car j’aime son côté garçon manqué boudeur que n’aurait pas renié un film de Jean-Luc Godard ou de Jean Eustache. Ces héroïnes, en tant que figures iconiques à forte charge sensuelle, voire sexuelle, ont également participé indirectement à ma construction de jeune mâle adulte, ce qui peut paraître un peu paradoxal. Leur émancipation m’a aidé dans ma propre émancipation.

Je ne sais pas s’il existe un lien particulier entre le féminisme et le punk mais je dois abonder dans le sens de Siouxsie lorsqu’elle dit dans le film « Héroïnes électriques » (réalisé par Alyosha d’Archives de la Zone Mondiale) que leur attitude en tant que jeunes femmes punks était perçu comme absolument scandaleuse par l’industrie musicale. Ces femmes s’imposaient sans fioritures, en cassant tous les codes esthétiques convenus pour en construire d’autres dans un milieu exclusivement (ou presque) dirigé par des hommes. Lorsque vous voyez sur scène Patti Smith, Siouxsie, les Slits ou X-Ray Spex, vous comprenez tout de suite cette courageuse « prise de liberté » dans un monde majoritairement masculin et machiste. Ce fut de même avec la vague des Riot Grrrls dont Bikini Kill a incarné l’énergique prise de contrôle de la scène et de la salle. Je les admire pour avoir fait ça, c’était courageux et nécessaire. Sur le plan musical, il est indéniable qu’elles ont apporté du nouveau et une dimension inédite à l’histoire de la musique. Je renverrai vos lectrices et lecteurs vers un ouvrage de Vivien Goldman qui vient d’être traduit sur cette transmission musicale libératrice féminine (La revanche des She-Punks, 2020).


Fanxoa, Sincérité absolue (novembre 2020).

Tu consacres actuellement une exposition virtuelle à l’écrivain japonais Yukio Mishima, à l’occasion du cinquantième anniversaire de son seppuku. À propos de lui, tu as écrit « qu’il a accompagné ton adolescence et d’une certaine façon, en filigrane, ton existence », et tu établis notamment un parallèle avec le « théâtre de la cruauté » si cher à Antonin Artaud.

J’aimerais revenir sur ce qui t’a aussi fortement interpelé chez Mishima ? Était-ce déjà sa rébellion totale à la vision moderne et consumériste du monde, jusqu’à la mort ?


Mishima Yukio est un personnage paradoxal et c’est ce qui m’intéresse chez lui. Je pense que j’ai également une part de Mishima en moi. Dès mon adolescence, son écriture sur la cruauté m’a frappé, sa façon de décrire ses pulsions sentimentales et sexuelles (il y a du Genet et du Pasolini là-dedans), tout comme ses convictions sur l’importance du maintien d’un lien avec une tradition japonaise sublimée dans la figure de l’Empereur. C’est un hyper-romantique, une vision exacerbée de la vie et son aboutissement la mort. Il n’y a pas de lien évident entre Artaud et Mishima, si ce n’est la conclusion d’une certaine folie. Le premier se perd dans ses propres délires, le second y met radicalement fin. J’aime bien cette façon de faire. Comme je respecte aussi le désir de partir de ce monde de l’historien Dominique Kalifa, le jour de son 63e anniversaire. La défenestration du philosophe Gilles Deleuze à l’âge de 70 ans pour des raisons de santé reste pour moi un acte radical très fort. Dans Confessions d’un masque que je suis en train de relire dans une nouvelle traduction, Mishima exprime ceci : « Tout le monde dit que la vie humaine est comparable à une représentation théâtrale. Mais je ne suis pas sûr que beaucoup de gens aient été comme moi obsédés sans cesse, dès le début de leur adolescence, par cette conviction » (Confessions d’un masque, 2020, p. 100). La vie est un théâtre avec un début et une fin ; rideau. On a tendance à l’oublier mais en ces temps de pandémie cette évidence ressurgit.

Quant à sa vision du monde, elle est tout aussi paradoxale car il n’est pas tant antimoderne que postmoderne et sa vision anticonsumériste, doublée d’un antiaméricanisme, rejoint celle de Pier Paolo Pasolini. On peut voir des liens entre les Ecrits corsaires (1973-1975) de Pasolini et certains écrits de Mishima. Enfin, en tant que pratiquant d’arts martiaux japonais dans ma jeunesse, Mishima exprimait pour moi une radicalité nécessaire dans la formation martiale du corps. Il m’a sans doute aidé sans le savoir à passer cette étape cruciale et transitoire de mon existence entre une phase punk, alcoolique et intoxiquée, à une purification du corps par l’effort physique, le dressage de ses émotions et de ses pulsions. Son romantisme à fleur de peau m’habite toujours en quelque sorte. Cette petite exposition virtuelle rend hommage à sa diversité et à sa complexité encore largement inconnue en France. Mishima a été ma porte d’entrée, fascinée et fascinante, dans la culture avant-gardiste japonaise, du groupe artistique Gutaï à l’Empereur Tomato-Ketchup de Shûji Terayama, en passant par la performance théâtrale Butô, et d’une façon générale le cinéma indépendant des années soixante et soixante-dix.


Fanxoa, Un Jeune homme éventré (Archives de la Zone Mondiale, 2017).


Fanxoa, BxN Duo 00bis (montage photo, septembre 2020).

Tu as récemment annoncé le nouveau « processus créatif en gestation » autour de Bérurier Noir (et non reformation, ainsi que tu tiens à le souligner). Un nouvel acte de votre histoire, à la fois aussi évident face à l’« esprit du temps » que lourd de sens et de responsabilités au regard de la force symbolique de Bérurier Noir.

Puisque tu te trouves être l’initiateur de cette réunion au travers d’un Appel du 8 juin 2020 envoyé à tes camarades de jeunesse, je serais vraiment curieux d’en savoir plus sur les réflexions qui t’ont amené à réactiver votre petit « théâtre de force » ?


Voilà une chose dans laquelle je me suis lancé qui a refroidi assez rapidement mon enthousiasme. Comme tu le soulignes c’est très compliqué de faire quelque chose d’intéressant et d’original après une existence aussi fulgurante que forte que celle de Bérurier Noir. C’est ce qui rebute un peu mes petits camarades, anéantir la « force symbolique » du groupe. Malgré le peu d’importance que j’accorde à cette dimension disons « patrimoniale » du groupe, je pense que nous pourrions effectivement en rester là. Les « retrouvailles » furent un grand plaisir et le trio de base (Loran, Fanfan, Masto) + Jean-Mi a répondu présent à mon appel pour tenter quelque chose. C’était sympathique et presque naturel de se retrouver ensemble après quinze ans, sans avoir rejoués ensemble. Mais la suite s’avère autrement plus pénible et je ne m’attendais pas vraiment à cela. Je ne pense pas qu’il faille beaucoup discuter, passer les heures à juger, préjuger, déjuger, rejuger… je suis plus pour l’action et le volontarisme. Donc, ce qui va suivre reste en gros pointillé… Je constate néanmoins que nos questionnements musicaux n’ont pas fondamentalement évolué depuis 1989 et que nous sommes confrontés au même dilemme que lors de notre « déformation » de 2003-2006 à savoir que le monde alternatif dans lequel nous évoluions à l’époque n’existe plus et que nous devons nous réinventer. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui si l’on considère que même la « déformation » s’est déroulée avant l’avènement et la prééminence des réseaux sociaux. Aujourd’hui, tout se calcule à la virgule près. Difficile de définir une authenticité dans cette montagne de communication. L’autre obstacle est de taille. Il est lié au duo initial (Loran et Fanfan) qui s’est fondé sur une relation sentimentale très forte. Si l’un de nous n’est pas satisfait du projet, tout bascule et tombe à l’eau.

Mais je sais aussi qu’il ne faut pas tarder à faire ce dont nous avons envie. Dans dix ans, il sera probablement top tard. Le punk en EHPAD m’intéresse peu sauf pour faire un vidéoclip tendance Lucrate Milk (heureusement Masto est avec nous). Je vais faire une confidence à La Spirale. La sortie du premier confinement m’a conduit à proposer deux projets en juin 2020 (un le 8 juin, un autre le 21 juin, premier jour de l’été) : le projet LMDA de Bérurier Noir dont je viens de parler et la formation d’un duo ponctuel et éphémère avec Rebeka Warrior sous le titre de Sepukku (Outre l’artiste concernée, Ira Benfatto a eu l’infime honneur de voir une démo d’une minute sur ce sujet). Pour l’heure, si rien n’est engagé dans l’un comme dans l’autre, je ne désespère pas… Et si rien n’arrive, il faudra que je me réinvente. Et comme les chats ont au moins neuf vies (je suis du signe du chat au Viêt-Nam et du Lion chez nous), je commence à compter celles qui sont derrière moi.


Loran et Fanxoa, Bérurier Noir (1985)

Une question que j’avais déjà eu l’occasion de poser à ton camarade Rémi Pépin. Et sur laquelle j’aimerais beaucoup avoir ton avis. Ne crois-tu pas que la seconde vague punk, celle du début des années 1980, restera le grand mouvement prophétique de l'underground ? Dans son incarnation du « No Future » et sa vision d'un avenir marqué par l'avènement d'une société de surveillance, un possible effondrement de notre biosphère, le grand retour des totalitarismes et la dictature de l'hyper-consommation ? Est-ce que les keupons n'ont pas été les grands prophètes oubliés de la fin du 20e siècle ?

Oui on peut voir ça comme cela, les punks ont sans doute été les grands prophètes de la fin du XXe siècle tout comme Dada l’a été pour le début du même siècle. Par contre, je ne fais pas de dichotomie entre les différentes vagues punk (un peu comme dans le féminisme d’ailleurs, la notion de vague est réductrice et encline à enfermer les idées). Les punks ont critiqué tous ces aspects de la meilleure façon qu’il soit : provocatrice à la Sex Pistols, revendicatrice à la Clash, bruitiste à la Suicide, contestataire à la Crass, autodestructrice et amoureuse à la Heartbreakers, futuriste à la Devo, sur le mode de l’ironie à la Bulldozer, sur le mode urgence nihiliste à la Métal Urbain, etc. L’énergie du chaos a nourri la réflexion et l’attitude punk. Lorsque Alain Pacadis, le dandy punk parisien décadent, déclamait son amour du nucléaire et du béton lors d’une célèbre émission d’Apostrophes, il prévoyait déjà l’effondrement (qu’il souhaitait par ailleurs en harmonie avec la sienne). Devo ou Kraftwerk ont pressenti la dictature 2.0. Crass a initié le front du refus dans une tradition anarchiste renouvelée… Métal Urbain a inventé l’électro-punk, Patti Smith a revivifié la poésie beat, Lydia Lunch a porté corps et âme la déclamation radicale féministe.

Bref, c’est un vrai sujet de thèse et peut-être on se rendrait compte que tout ce petit monde (moi compris) a sans doute beaucoup prédit, vilipendé et dénoncé mais n’a pas réussi à rendre l’axiome bérurier « en République l’anarchie » opérationnel, c’est-à-dire l’invention d’espaces libres et autogérés, indépendants des systèmes sponsorisés, globalisés et financiers. C’est peut-être ça la beauté du punk, être éphémère jusque dans ses prédications. Le punk s’inscrit dans la démarche d’autodissolution des avant-gardes et, tout compte fait, j’aime cette manière de faire. Eloge de la fuite écrivait Henri Laborit en 1976, c’était déjà précurseur de l’esprit punk.


Henri Laborit, © DR.

Mais à vrai dire, je me fous un peu des prophètes, l’idée est toujours d’être dans l’action : porter un sac de riz pour une caisse de solidarité étudiante, donner des fringues à Emmaüs, établir des connexions entre des mondes qui s’ignorent, faire une performance, participer à un effort collectif, se dépasser intellectuellement, voici des choses qui me semble opérantes au-delà des modes musicales et des systèmes de pensée. Disons que je conçois la pensée comme une action ininterrompue, non figée et ouverte, alors profitons-en tant que c’est encore possible. Et restons modestes quoiqu’il arrive.

FX, le 13 novembre 2020.



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