Y5/P5 « LE RETOUR DE JIM BONES »


Enregistrement : 16/03/2023

Après deux ans de recherches, j’ai enfin réussi à rencontrer Y5/P5, l'un des plus énigmatiques artistes du milieu de l’underground parisien.

Sa disparition de l’horizon artistique, pour des raisons évoquées plus bas dans notre entretien, avait donné naissance à bien des légendes dans les cercles artistiques. Et j’avais eu la chance de rencontrer plusieurs de ses amis qui ont partagé avec moi leurs souvenirs de ce personnage mythique.

Réapparu dans des circonstances étranges qui ont eu pour cadre la publication de son livre Sous-bocks par Stéphane Blanquet (United dead artists), suivie par l’exposition « Y5/P5 : VIVANT ! » à la galerie Arts Factory en novembre 2022, Y5/P5 revient à la vie artistique et lève ici le voile sur certains mystères qui entourent sa vie, ainsi que la face cachée de Jim Bones, le « héros » fantomatique de ses dessins.


Propos recueillis par Alla Chernetska.
Polaroïds par Dom Garcia (Dom Tom)







Dans l'un de tes textes de tes dessins, tu as écrit que, encore au lycée, tu as créé avec tes amis un groupe anarchiste, Les radis noirs, puis, inspirés par les autonomes, vous avez commencé à faire des provocations lors des manifestations. À 18 ans, tu as quitté la maison de tes parents pour vivre dans la rue et c’est cette vie que tu aimais vraiment. Mais j’imagine que ce n’était pas facile non plus au départ. Qu’est-ce qui t’attirait justement dans le fait de vivre dans la rue ?

Je ne pouvais pas être gay dans une banlieue assez violente où les gays étaient traités de tapettes, donc je suis allé à Paris, il y avait que ça à faire. Dans la rue, je me sentais libre, même si je n’avais pas à bouffer tout le temps, c’était à moi de décider si je faisais la manche ou pas. Et, quand je le faisais, je mangeais un hamburger, car je ne ramassais pas beaucoup, mais ça me suffisait. Et pendant ce temps-là, je vivais la vie. Quand j’avais 17-18 ans, je m’éclatais évidemment.

Tu as travaillé pendant plusieurs années en tant que tubiste, toutes les nuits, envoyant les messages de l’Assemblée Nationale au bâtiment des Journaux officiels. Si tu es resté si longtemps, c’est que ça te plaisait ?

On recevait les messages du Sénat et je les envoyais par air comprimé à l’aide de tubes en plastique cerclés de fer jusqu’aux Journaux officiels. Ça mettait dix minutes et ça arrivait par des tuyaux qui longent les égouts. C’était mon métier.

Comment tu as trouvé ce travail ?

Par l’intermédiaire de Lombardi, mon copain qui travaillait déjà là-bas, il m’a fait y entrer. Un petit coup de piston !

Et tu as travaillé longtemps là-bas ?

Pendant 30 ans. Ce n’était pas un boulot compliqué. Ça me permettait de dessiner quand je ne recevais pas de tubes pneumatiques, et je travaillais la nuit aussi, c’était bien tranquille.

Avec l’apparition de nouvelles technologies, ce métier a disparu, j’imagine c’est la raison pour laquelle tu as perdu ton travail ?

Absolument, mais je perdais déjà le travail car j’avais l’hépatite C et je picolais à l’époque. Donc, je me dégradais vraiment, on aurait dit un zombi. Mon travail était très manuel, assez ouvrier, il fallait manipuler les leviers etc. ça faisait des bruits et j’ai arrêté de bosser à cause de l’hépatite C, je ne pouvais plus assumer, depuis je suis à la retraite.

Et quand tu as perdu ton travail, tu t’es trouvé de nouveau dans la rue ?

Non, j’ai eu un appart et, pendant un an, j’ai eu des rapports fréquents avec l’héroïne, je n’ai plus payé de loyer pendant un an et on m’a expulsé. Et je me suis retrouvé dans la rue, mais je n’ai jamais dormi dans la rue, j’ai toujours été dans les foyers. Comme j’avais l’hépatite C, j’ai été dans les foyers thérapeutiques où on met des gens qui ont le SIDA, qui sont handicapés. Ce sont des résidences où tu ne peux pas faire ce que tu veux, c’est vraiment craignos.

Mais quand tu t’es rétabli, tu as réussi à avoir ton propre appartement ?

Oui, mais j’ai fait appel à un assistant social et, comme j’étais malade, j’avais la priorité. J’ai mis six ans quand même pour resurgir et avoir un appartement. Au début, j’ai vécu à Chinatown, il y avait des tours de 37 étages, j’ai vécu au deuxième, je n’ai pas eu de chance. Si j’avais vécu au 29e ça aurait été parfait. J’ai vécu là-bas pendant deux ans. J’ai été très tranquille, les Chinois sont très patients, très calmes.
 
D’où vient ton intérêt pour l’art ?

Depuis que j’ai été enfant, j’ai voulu reproduire ce que je voyais à la télévision. Quand je voyais un film de vikings, j’avais envie de dessiner un drakkar. Je faisais aussi une collection de chapeaux de martiens pour mes parents. J’étais à quatre pattes quand j’ai commencé à dessiner. Je dessinais par terre mais je m’amusais bien déjà. En fait, j’ai toujours pris le dessin pour un amusement. Il faut que ça me plaise, sinon je ne le fais pas. Avec les commandes, j’ai beaucoup de mal. On me donne parfois des thèmes tarabiscotés, ça me gave, il faut que je sois vraiment libre. Après, j’ai été à l’école primaire, j’ai été bien vu pour mes dessins par mon copain, il s’appelait Monsieur Doussard. C’était un instituteur, mais à la cool comme c’était encore le cas dans les 60s. Ce n’était pas un baba cool non plus, mais il nous a appris à nous exprimer à travers le dessin. J’ai été souvent le premier, j’en étais fier ! Mais en maths zéro !

Et à l’âge adulte, pourquoi tu as continué à dessiner, tu étais un artiste autodidacte ?

Ah non, j’ai été à Estienne. J’y suis resté un an, ils m’ont viré parce que j’étais légèrement daltonien et, comme c’était l’école de la presse et du livre, ça n’allait pas pour eux. Et puis, ils m’ont mis dans la reliure et la dorure à la main. Là, il n’y avait pas de débouchés dans ce métier, no futur !

On ne vous laissait pas choisir votre spécialisation ?

Non, on y entrait par concours et c’est eux qui choisissaient les places pour nous. C’était le flicage social. Je suis né dans la banlieue, ils m’ont foutu dans la reliure/dorure. Et les petits parisiens avaient la gravure car ils étaient de bonnes familles. C’étaient des gens qui n’en avaient rien à foutre et ils se sont mis dans l’art. Ils n’avaient aucune imagination, la plupart mais je foutais aussi le bordel, j’ai été punk, ha ha.

Comment tu t’es lancé dans la production de graphzines ?

Je connaissais un graphzine qui s’appelait Blank. Je leur ai proposé un dessin, ils ont publié mon dessin, mais en réduction. J’ai été vachement fâché et je me suis dit que j’allais faire mon propre journal. Et j’en ai parlé à mon copain Lombardi qui ne voulait pas. Lui, il voulait faire des bijoux, ça faisait deux ans qu’on le faisait, j’en avais ras le bol. Je voulais faire mon magazine. Il ne voulait pas et je l’ai fait moi-même. Et on l’a fait à deux avec Dioxine, en noir et blanc, le thème c’était le noir. Le premier graphzine s’appelait Basic.

Mais avec Lombardi, vous avez fait aussi des graphzines ensemble ?
 
Ah oui, c’était après. Après le Basic, j’ai fait Spécial Sex, il n’y avait que des images de pub, un petit garçon en train de manger un croissant, des images de tracteurs. C’était une arnaque car il n’y avait pas de sexe. Et le troisième, ça a été Spécial Jouets, et Lombardi a participé. Jean François était mon amant, quand même, j’ai vécu dix ans avec lui avant qu’il ne meurt pour cause d’alcoolisme, à 33 ans. Il aurait pu faire plein de choses

Tout au début, tu collaborais aussi avec l’Atelier de Sérigraphie ?

Oui, je participais au truc qui s’appelait Corp’s Meat, la « viande de cadavre ». J’ai fait deux pages à l’intérieur. Et l’Atelier était aussi l’Association Pour Adultes Avec Réserves (APAAR). Ils ont édité plusieurs de mes petits bouquins : Les armes de Jim Bones, Les bateaux et les sous-marins de Jim Bones, Les Véhicules blindés de Jim Bones et un petit catalogue d’armes. Et en même temps, ils ont édité un truc qui s’appelait What’s on TV? Et j’ai fait participer plusieurs personnes, c’était un hommage à Frans Masereel, très noir et blanc, presque de la gravure. Il y a eu presque dix personnes qui ont participé. Je faisais trois images pour accrocher l’histoire, eux, ils continuaient avec des images, c’était un défi. J’ai été édité par plusieurs gens géniaux qui m’ont pas mal aidé. Même financièrement, les APAAR m’ont aidé.

Au départ, tu signais Plastic Gun ?

Ah mais il y a longtemps. J’ai eu plusieurs surnoms : No Sex, Mutation, Surgical Graphic Laboratory, Neurone quand j’avais 15 ans et finalement Y5/P5.

Et pourquoi le pseudo Y5/P5 est resté ?

Parce que c’était une victoire contre l’armée française. Je me suis fait réformer, Y5 pour les yeux, je suis myope comme une taupe, et P5 ça veut dire « débile mental ». À l’époque, il fallait dédier un an de sa vie à l’armée. Et comme j’étais pacifiste et déjà anarchiste et j’étais prêt à déserter, mais j’ai fait croire que j’étais un pauvre type qui travaillait aux tubes. Le premier jour, ils m’ont fait dormir dans l’infirmerie, avec du valium, j’ai bien dormi, je suis arrivé aux tests en quasi zombi, ils m’ont classifié Y5. Après, il fallait passer devant le psychiatre, eux, ils savent poser des questions, mais ils m’ont pris pour une larve et Y5/P5 est resté. C’est ma fierté !

Tu es considéré comme une figure phare de la scène graphique punk parisienne dès les 80s. Comment peux-tu décrire ta vie à l’époque, tes relations avec d’autres artistes du milieu graphique underground ?

C’était bien, on allait voir des concerts, on picolait, on prenait des drogues. Jusqu’à l’âge d’une trentaine d’années, je n’étais pas sage. J’expérimentais, avec le LSD, les champignons ou le datura qui est une plante très toxique. À l’époque, on dessinait beaucoup, beaucoup. Dans les années 1980-1990, je dessinais comme un fou. Il y avait beaucoup de gens qui me demandaient des dessins et je disais « oui, oui » car c’était mon plaisir. On s’est bien éclatés et on a vécu dans le vent, comme on dit. On sentait l’atmosphère qui était propice, tout le monde s’est trouvé par hasard, mais c’était notre boulot, comme les autres faisaient de la musique, de la sculpture etc. Tous les arts avaient un souffle nouveau à l’époque. Ça correspondait presque à la Movida espagnole, un mouvement né après le franquisme, quand il y a eu beaucoup de bandes dessinées, beaucoup de journaux, beaucoup de groupes qui se sont montés, qui ont été pour la liberté d’expression déjà à l’époque de Franco, mais quand ils l’ont eue, ça a éclaté, comme une bombe culturelle.

Comme plusieurs artistes, tu allais à la librairie Un Regard Moderne, tu as été exposé là-bas, tu y vendais tes sous-bocks aussi, comme je crois le savoir...

Oui, il y avait une vague, ce que j’appelle « GRAPHZONE », je suis inventeur de ce mot, je le revendique ! C’est la zone graphique, et puis c’est une espèce de zone, une marge, c’est quand même auto-édité en plus ou moins d’exemplaires. Ça existe toujours, en ce moment il y a un livre Graphzine/Graphzone qui a repris le terme. Le fric m’intéresse pas, je préfère donner, échanger, j’ai un côté anarchiste aussi, je fais de petits graphzines gratuits et je participe aux autres fanzines. Je préfère créer et m’amuser, je suis resté un enfant de ce côté-là. Déjà je collectionne des jouets. Je n’ai pas besoin d’une télé, je regarde ma petite collection pendant deux minutes, je suis content. Je pense que je vais continuer à faire le press-book, c’est facile à diffuser de la main à la main. Et c’est ça, mon expérience de graffiti aussi, et je voulais le faire à travers les graphzines aussi, c’est-à-dire des choses pas cher généralement. Jamais ça n’excédait 10 francs à l’époque. Les trucs à 150 francs, ça touche qui ? les petits-bourgeois ou des collectionneurs. Et aujourd’hui, il y a des collectionneurs de graphzines. J’ai vu un de mes Basic vendu dans une enveloppe 500 euros, moi je vendais 50 balles à l’époque. Mais ça sortait seulement en 50 exemplaires. Je faisais aussi des sculptures sur patates, pour faire des imprimés, des tampons, des linogravures, des trucs au feutre, tout ça pour remplir des pages, c’était du boulot, mais j’ai été content. Moi, je veux être heureux dans la vie tout bêtement, donc je m’exprime. Je fais des petits tags dans la rue, sur les petites boites électriques. Je n’aime pas les boites électriques, je trouve ça moche. Donc je fais des petits dessins, au marqueur. Et mes dessins dans la rue sont appréciés, j’ai entendu beaucoup d’échos, parce que je ne fais pas de tags méchants, je fais des petits dessins.

Vous êtes très proches, toi, Captain Cavern, Pyon et Dom Tom ?

Oui, Captain Cavern je l’ai rencontré à l’époque de Blank, et après il a fait ses propres graphzines. Il y a eu Crime et Loisir et après il y a eu Crime Sex, c’était très bien !

Quand as-tu commencé à faire les « sous-bocks »  ?

Assez récemment. J’ai commencé en 2010, peut-être moins encore. J’ai toujours fait des sous-bocks, mais il faut dire que j’ai été alcoolique pendant longtemps dans les bars. Il n’y avait pas de menu pour dessiner dessus, mais il y avait des sous-bocks. J’allais au comptoir, je discutais avec des gens. Je discutais de tout, du sport, de peinture, des femmes, des drogues, de pognon, sauf de politique et je faisais des sous-bocks pendant que je discutais. Et je les donnais aux gens qui me paraissaient sympas. Parfois on me les échangeait contre des coups à boire. Et d’autres fois, je les gardais pour moi, et je les vendais au Regard Moderne à Jacques Noël et ça me permettait de vivre tranquillement, d’acheter des cigarettes. Et maintenant, je vais les refaire parce que j’aime bien le support, c’est un côté carton aussi que j’adore, qui absorbe la couleur de façon différente du papier.

Tu fais des dessins en noir et blanc mais aussi en couleur, qu’est-ce que tu arrives à exprimer par les couleurs que tu n’arrives pas à exprimer en noir et blanc ?

Le noir et blanc simplifie les choses. Avec le noir, tu es obligé de représenter le vert clair avec du gris, ou le vert marron, tu le représentes avec du noir. Tu es obligé d’avoir une espèce d’optique qui rend les choses plus primitives, plus faciles.

Comment est apparu le personnage de Jim Bones, et en quelle année ?

Je suis allé voir des films gore, j’ai été inspiré par les morts vivants.  Jim Bones est né au milieu des années 1980 !

Le nom est inspiré de Jim Jones, son fantôme. Y avait-il une référence, comme je le vois en tout cas, aux dessins d’Otto Dix sur la Première Guerre mondiale ?

Oui, le nom de Jim Bones est une référence à Jim Jones, c’est pourquoi il a une tête fracassée : Jim Jones s’est suicidé en se tirant une balle dans la tête, comme Hitler ! Sinon, j’adore les expressionnistes allemands, donc évidemment je m’en suis inspiré. Tout ce qui est noir et blanc contrasté, je pense que c’est comme ça qu’on percute bien visuellement. J’adore Kirchner, Frans Masereel.

Jim Bones fait penser aux « calaveras » (« têtes de mort ») mexicaines, parfois il est même habillé en révolutionnaire mexicain rappelant Zapata. Et les « calaveras » ont été représentées souvent par des artistes, notamment Posada, Rivera, qui faisaient une critique sociale et politique à travers la satire.

Oui, il y a Posada, il était révolutionnaire ! Mais il y a aussi les devantures des trains fantômes, je les trouve très belles, avec des tourelles, des fantômes, des morts vivants.

Justement, dans Basic tu as fait un dessin consacré au train fantôme ?

Oui, ça revient dans mes thèmes. J’ai fait des métros fantômes. Dans les sous-bocks, entre autres, j’ai fait une draisine fantôme, une vieille loco électrique. Et j’ai fait un petit bouquin, un dépliant pour Pakito Bolino qui était dans un métro fantôme, avec plusieurs invités. J’allais dans les bars et je demandais à chacun un dessin et chaque fois, je récupérais des dessins pour les détourer et faire des wagons des trains. J’adore le côté horrifique du train fantôme !
 
Dans un autoportrait que tu as fait, il y a Jim Bones qui fait la moitié de ton visage. Est-ce que tu t’identifies à ton personnage ?

Oui, comme tous les dessinateurs. Quand on fait un visage, on reproduit le sien. Ce qu’on voit le plus, ce qu’on imagine le plus, on le voit dans notre miroir, dans un reflet d’une vitre et ça nous sert de modèle. Cela n’empêche pas de faire des visages de femme. On se reproduit souvent. Il y a un test scientifique là-dessus qui prouve que les illustrateurs reproduisent leur visage dans les traits de ceux qu’ils dessinent. Et Jim Bones, c’est un calque de ma gueule parce que je suis maigre, j’ai un menton un peu proéminent, je suis myope donc j’ai quasiment qu’un seul œil, je suis daltonien donc je suis borgne, je suis une tête éclatée  mais pas à cause de la balle de Jim Jones oui, donc Jim Bones me ressemble. En plus, il a des appétits féroces, des envies de violence et dans ma vie, j’ai eu une période de violence, j’ai été autonome, black bloc, dans les années 80, j’avais 18 ans. Depuis, je suis antifasciste.

Jim Bones nous amène dans le côté caché de la vie, la mort Dans un de tes dessins, tu dis : « J’explique à ma mère que mourir est une chose normale, et que je suis presque impatient de « vivre » cette grande aventure ». Maintenant que tu l’as vécue en quelque sorte, quand tout le monde a cru que tu étais mort, qu’est-ce que ça te fait de ressusciter sur le plan métaphorique ?

J’ai adoré ! Le premier qui est venu me voir, c’était Dioxine. Il est venu devant le balcon et il a crié : « Fred, Fred ! » et je suis apparu, et il a bien vu que j’étais bien vivant. Mais il y a une histoire derrière, une sorte de malédiction parce qu’en connaissant cette histoire, j’ai fait un avis de décès, un petit fascicule sur quatre pages. Dans mon avis de décès, je suis mort en 2021 et j’ai ajouté « mort vivant en 2022 ». Donc je le prends à la rigolade. Et ça me fait de la publicité en plus avec qui me pensaient mort et, quand ils ont vu que j’étais vivant, ils ont essayé de me trouver. « Ah, tu es toujours vivant ! », Mais oui, tout va bien !   Cela m’a fait plutôt rire. Mais sinon, j’ai l’habitude de la mort, je n’ai pas peur. Parfois Dans Destination finale, si j’étais un petit con qui n’a pas peur de la mort, elle me rattraperait forcément. Tu connais le film la Malédiction finale ? Ce sont des gens qui échappent à la mort, mais la mort les poursuit tout à travers le film, c’est un film gore marrant. C’est ma culture, les films gore, fantastiques, de science-fiction, quelques polars, quelques films de guerre, les films de bagnoles, tout ce qui est explosion, Star Wars aussi évidemment, Mad Max, Tarantino, j’adore !

Qu’est ce qui t’attire dans la mort ?

J’adore les films de morts vivants et je voulais créer un personnage mort vivant, sans limites, parce qu’il a un énorme appétit tout le temps. Il a toujours faim, c’est son cerveau primaire, reptilien qui le fait agir, il n’a pas de sentiments. Ah si, il n’aime pas les junkies car ils ont un mauvais goût à cause d’un sang empoisonné, ce n’est pas terrible, la viande n’est pas fraiche, et ils n’arrêtent pas de te faire des abcès parce qu’ils ne bouffent plus ou mangent n’importe quoi. Les junkies, c’est terrible, les morts vivants sont presque mieux.

En 1995, tu as réalisé un projet « Graphzone Gribouillis » dans Basic spécial, avec Dioxine et Captain Cavern, qui est sorti seulement en 10 exemplaires. C’est quoi, les dessins de téléphone dont tu parles ?

Ce projet n’a jamais abouti. Le mec, Toffe, m’a pris la maquette. Il faisait un graphzine, Au sec, et il devait le sortir avec mes dessins gribouillis de téléphone (les dessins que les gens font en parlant au téléphone) que j’ai pris chez des gens. C’étaient des dessins instinctifs, primitifs : des gribouillis, des spirales, des animaux, il y avait de tout. Il a tout ressorti avec des graffitis à lui, avec seulement la couverture à moi et c’est toujours lui qui a ces dessins. Mais j’ai participé à Au Sec spécial patate, j’ai fait une bande dessinée à l’intérieur sur des patates mutantes.

Tu as dessiné les affiches pour l’association Paris Bar Rock. Peux-tu parler de cette collaboration ?

Ah, l’organisation des concerts rock n roll, punk, hard core surtout vers la fin. J’ai connu Ronan, un des organisateurs, Rascal était le deuxième. À l’époque, j’habitais dans le XIVe, rue du Château et ils faisaient des concerts juste à côté de chez moi, dans une cantine qui permettait d’avoir une scène et deux ou trois cents personnes. Et moi, je faisais, avec Captain Cavern et d’autres, les affiches pour annoncer des concerts. Ronan était un copain aussi, c’était un fan de manga, de rock n roll. Rascal pareil, il était fun de punk. Pour moi, en tant qu’artiste, c’était gratos, la bière était gratos, quoi demander de plus ? On faisait la décoration, des toiles.

Peux-tu parler de ton projet consacré au groupe The Cramps ?

J’ai fait un Basic « spécial The Cramps «, avec d’un côté l’illustration, d’un autre côté, les textes de Cramps. Il y a plusieurs personnes qui ont participé. Le mec qui a fait la couverture était très bien aussi.

J’ai vu que toi, avec Dom Garcia, vous avez fait des dessins sur ordinateur ?

Oui, il m’a appris sur Amiga, un truc préhistorique.

Et tu n’as jamais repris ?

Non, je me considère dessinateur.

Dans tes dessins, on trouve d’une part des voitures, des avions, d’autre part, des robots comme hommes-machines, mais aussi Jim Bones Motor Killer Machine. Pourquoi cet intérêt pour les machines ?

D’abord, les machines c’est beau, j’adore tout ce qui est relatif aux chantiers : les bulldozers, les caterpillars. Je suis antimilitariste mais j’adore le transport amphibie, avec des roues et des blindés, j’adore les camions de pompiers. Puis j’ai travaillé avec des machines pleines de tubes et puis mon univers punk est aussi basé sur la science-fiction, c’est pourquoi j’ai lu beaucoup de cyberpunks à l’époque : William Gibson, Norman Spinrad, Isaac Azimov mais il est plus ancien. Les robots m’ont toujours fasciné, j’ai toujours voulu avoir des robots en miniature quand j’ai été gosse, mais mes parents n’avaient pas les moyens pour m’acheter un robot, ou juste ils n’avaient pas d’imagination, je ne sais pas, ou peut-être, je ne leur ai pas dit Il y avait un copain qui en avait un, j’ai été jaloux, un robot qui marchait et on voyait la lune qui défilait sur le torse. J’ai toujours voulu avoir une panoplie de cosmonaute

Et les avions ?

Déjà voler, c’est fascinant ! Et, en plus, avec des machines !

Tu dis souvent que tu es pacifiste, mais pourquoi fais-tu beaucoup de références à la guerre dans ton travail ?

Parce que nous vivons dans un monde en guerre, je ne fais que décortiquer ce que je reçois, je suis une sorte de medium des médias. Je dessine les « car crashes », les histoires de voitures qui s’encastrent les unes dans les autres, parce qu’il y a autant de morts sur les routes que du Covid. Mais ce n’est pas une pure fascination pour la mort, c’est la réalité. Les week-ends tuent, l’alcool tue, plus que l’héroïne. Donc si on raconte ce genre d’histoires, ce n’est pas pour rigoler, c’est pour le dénoncer.

J’imagine que tu as bien aimé le livre Crash ! de Ballard ?

Oui, ça m’a inspiré. Je l’ai lu quand j’étais adolescent et j’ai bien aimé. Le côté pornographique ne m’a pas échappé non plus à l’époque. Le mélange de sexe et d’accident de voiture, c’est génial. Mais aussi, j’ai été inspiré par des courses de bagnoles aux États-Unis, les accidents de la route en Europe. Il y a des voitures qui vont à 120 km/h sur l’autoroute, elles peuvent faire des morts. Il y a aussi le film de Tarantino, Boulevard de la mort, que j’aime aussi.

Et à une époque, tu as essayé de créer d’autres personnages, pourquoi as-tu arrêté ?

Il y avait trop d’histoires différentes à raconter, alors si tu fais Jim Bones, c’est simple, parce qu’il ne pense qu’à bouffer !

Toi-même, tu fabriquais des modèles réduits en assemblant les différentes parties des voitures et armes en plastique ?

Oui, ça m’arrive, je fais des machines à partir de bouts de bois, du squelette en plastique d’un vieux rasoir, d’une roue de voiture. C’est Pakito Bolino qui les a, s’il les a toujours. C’était fragile, en plus, donc pas sûr qu’elles sont en bon état. Je lui ai envoyés car il a fait une vidéo en animation pour son projet. C’était une période, mais de temps en temps, je cherche des trucs, je fais de petits pistolets aussi. Ça m’arrive de bricoler, j’adore ça !

Quels sont tes projets pour le futur proche ? Tu as de nouvelles idées ?

Dessiner, faire la réédition de Press Book, je vais faire plusieurs numéros. Il y a pas mal des choses prévues, la sortie du bouquin Metal War, c’est une bande dessinée qui fait une soixantaine de pages.



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