PHILIP K. DICK « SEPTEMBRE 1977, LA CONFERENCE DE METZ »


Enregistrement : 24/09/1977

Invité d’honneur du Festival international de la Science-Fiction et de l'imaginaire de Metz en septembre 1977, l’auteur de Substance mort, du Maître du Haut Château et de La Transmigration de Timothy Archer, réputé imprévisible, fait vriller son auditoire lors d'une conférence aussi géniale que hautement mystique et paranoïaque, sinon prémonitoire.

Moment relativement confidentiel et néanmoins historique, où d'aucuns iront chercher les prémices de la trilogie Matrix des Wachowski et dont la teneur évoquera aux connaisseurs un pan entier de la contre-culture des années 1970 et 1980, de Robert Anton Wilson à Alan Moore ou Genesis P-Orridge, et dont La Spirale s'est déjà fait le relai à de nombreuses reprises.


Réalisateurs : François Luxereau, René Lubin, Yves Breux
Producteur : CNRS AV (SERDDAV)





Retranscription d'un extrait de cette conférence, donnée lors de la seconde édition du Festival international de la Science-Fiction et de l'imaginaire de Metz, le 24 septembre 1977, dans un salon de l'hôtel de ville. Précédemment disponible sur l’excellent Paradick, site entièrement consacré à l’auteur.

Mes peurs se sont accrues durant la présidence de Nixon, parce qu'à ce moment là il y avait vraiment de quoi s'inquiéter, pour des gens comme moi. une fois Nixon déposé, mes peurs ont complètement disparu et j'ai maintenant la sensation que les États-Unis sont une nation permissive et tolérante. En ce qui concerne ma réputation aux États-Unis, je n'espère aucunement en avoir une, à part que la police m'a traité une fois de croisé et m'ont dit ne pas avoir l'utilité d'un croisé, mais malheureusement ils ne m'ont pas dit le but de ma croisade [rire]. J'avais peur de demander ce pourquoi j'étais en croisade, et ils m'ont dit que si je ne quittais pas le Comté, je prendrais une balle dans le dos, ou pire et... j'ai vraiment suivi leur avis et j'ai quitté les États-Unis pour le Canada pendant un certain temps. Mais je n'ai jamais découvert le but de ma croisade. Cela avait peut-être à voir avec mes écrits ou avec mon style de vie, ou une combinaison des deux, mais j'avais trop peur de la police pour demander ce que j'étais en train de faire.

Cette attitude que j'ai se révèle dans mon récent roman, Substance Mort, dans lequel un agent des Stups commence à faire des rapports sur lui-même, à apporter à ses supérieurs des informations sur lui-même. La paranoïa de la période Nixon était si grande de la part du gouvernement et aussi de la part de la contre-culture, des gens de Berkeley. Toute personne qui comme moi avait grandi à Berkeley et y avait fait part de la contre-culture était devenue un SUSPECT durant l'administration Nixon. Il est impossible de dire quelle proportion de nos peurs était justifiée : il y a eu des violations de domicile, on a cambriolé ma maison, fait sauter mes dossiers pour les ouvrir, volé mes papiers — et nous n'avons jamais découvert les auteurs de tout ça, mon avocat prétend que c'est le gouvernement, qu'il n'y a aucun doute qu'il s'agit du gouvernement — mais ce qu'ils cherchaient, je n'en sais rien, ce qu'ils pensaient que je faisais, je n'en sais rien, je ne suis même pas sûr qu'il s'agissait du gouvernement. Mais il y avait beaucoup de telles violations de domicile, et ce genre d'expérience a tendance à vous rendre vraiment parano : vous savez que vous êtes suspectés d'un crime, comme dans Le Procès de Kafka [rire] ils ne m'ont jamais dit ce que j'avais fait - ils m'ont juste dit que j'étais un croisé et qu'ils n'avaient pas besoin d'un croisé — et le fait que je sois un intellectuel, un écrivain, me rendait encore plus suspect à leurs yeux.

Vous devez ne pas perdre de vue qu'aux États-Unis être un intellectuel, un écrivain, revient à porter sur le dos une pancarte disant « Je suis un ennemi de l'état » . Je pense que c'est difficile à comprendre, il y a une telle attitude anti-intellectuelle en Amérique, c'est vraiment incroyable cette suspicion des autorités envers ceux qu'ils appelaient « crânes d'oeuf ».

[NDLR. Et comme l'intervieweur ne semble pas comprendre la réponse...]

Eh bien ils appelaient les intellectuels « crânes d'oeuf » — un terme de dérision — et cette expression est originaire de l'Allemagne nazie. La plupart des gens ne le savent pas, il se trouve que je le sais parce que j'ai effectué de nombreuses recherches sur l'Allemagne Nazie pour mon roman Le Maître du Haut-Château. L'expression « crâne d'oeuf » était utilisée par les Sturm Abteilung — les SA — en référence à la facilité avec laquelle les crânes des gens — sans défense — se brisaient sur le trottoir quand ils les frappaient. Les Sturm Abteilung ont donc inventé cette expression. Et elle s'est répandue aux États-Unis sans que l'on soit conscient de son origine. Néanmoins, le fait que ce soit l'origine de l'expression et qu'elle soit utilisée pour désigner les intellectuels américains en dit long sur le genre de personnes qui l'utilisent.

Paranoïaque, drogué, etc. Connaissez-vous cette « image » qui vous a précédé ici ?

Ce genre d'appréhension m'a quitté d'un coup en 1974, quand l'administration Nixon a cessé d'exister. Je ne crois pas que cette paranoïa soit irrationnelle, considérant le gouvernement des États-Unis de l'époque. Si cela avait été le cas, si ma parano avait été irrationnelle, elle aurait probablement persisté après la fin du gouvernement Nixon. Mais en mars 1974, le programme gouvernemental d'espionnage des intellectuels dissidents et pacifistes, celui qu'on appelait « COINTELPRO », a été abandonnée et ma soi-disant paranoïa a complètement disparu. J'ai senti cette impression se lever, ce sentiment qu'il y avait un organisme policier de surveillance qui enregistrait nos activités. J'ai senti cette impression se lever en mars 1974, et elle n'est jamais revenue.

C'est en mars 1974 qu'a été officiellement abandonnée l'opération Chaos, cette opération de la CIA qui consistait à harceler, déranger et garder sous surveillance les dissidents américains. Le genre de paranoïa que Michel Demuth avait remarqué, et qui était bien réelle, venait du fait que nous étions vraiment harcelés, nous étions vraiment sous surveillance, c'est vrai, il n'y a aucun doute à ce sujet. J'ai vu mon dossier à la CIA, j'ai vu mon dossier au FBI, grâce à la loi américaine sur la liberté de l'information, j'ai eu l'autorisation officielle de voir ces deux dossiers. La CIA ouvrait mon courrier, le FBI avait un dossier sur moi, je les ai vu tous les deux ! Mais je n'ai plus ce sentiment d'une activité policière.

En fait, ça dépend un peu de ce que vous entendez par paranoïa. Si vous parlez d'une conviction psychotique de persécution, qui n'est pas conforme à la réalité, je ne crois pas que c'était mon cas. Mais bigre, c'est sûr que je pensais que les flics surveillaient tout ce que je faisais, et j'avais raison. J'ai été tuyauté par le milieu criminel, ils m'ont dit que ma maison était surveillée, les numéros minéralogiques des voitures qui s'arrêtaient devant chez moi étaient relevés, et ce n'était pas mon imagination, c'était réel ! Chacun de mes visiteurs a eu son numéro de plaque minéralogique relevé par les voisins. Et on m'a prévenu aussi que ma maison était surveillée et qu'elle finirait par être frappée, mes dossiers par être ouverts, mes papiers par être volés, et c'est ce qui a fini par se passer. Comme je l'ai dit dans l'article de Rolling Stone, quand je suis rentré chez moi et que j'ai trouvé ma maison en ruines, décombres et gravats, le chaos, avec les fenêtres brisées, les portes arrachées, mes armoires fortes ouvertes à l'explosif, j'ai dit « Dieu merci, je ne suis pas fou » [rire] J'ai vraiment des ennemis ! C'est un soulagement énorme de découvrir qu'il y a vraiment quelqu'un qui m'en veut.



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Titre : PHILIP K. DICK « SEPTEMBRE 1977, LA CONFERENCE DE METZ »
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