Tom Stern « Butthole Surfers : The Hole Truth and Nothing Butt »

Laurent Courau
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Tom Stern « Butthole Surfers : The Hole Truth and Nothing Butt »

L’Étrange Festival nous fait l’honneur d’une carte blanche en 5 épisodes, forcément délirante, rare, insolente, paranoïaque, dissidente, punk, pathologique, psychédélique… À l’occasion du 30ème anniversaire de La Spirale, qui renaît enfin de ses cendres et fusionne avec Mutation Magazine.

Point d’orgue et conclusion de ces festivités plus que fournies, la double projection de Butthole Surfers: The Hole Truth and Nothing Butt, tout nouveau film documentaire de Tom Stern sur l’un des groupes alternatifs les plus inclassables de la fin du siècle dernier, entre punk hardcore, expérimentations psychotroniques, tribales et psychédélisme. Et sans conteste, la formation musicale et artistique qui aura eu le plus d’impact sur la création de La Spirale et les trois décennies d’aventures médiatiques qui s’ensuivirent depuis le mitan des années 1990.

PROJECTIONS : L’ÉTRANGE FESTIVAL 2025 (PARIS)
Carte blanche « La Spirale a trente ans »
Vendredi 12 septembre • 21h15 • Salle 300
Samedi 13 septembre • 14h15 • Salle 100

L’Étrange Festival : L’odyssée du groupe art-punk révolutionnaire texan et de ses fondateurs, le chanteur Gibby Haynes et le guitariste Paul Leary. Lorsque Tom Stern ne co-réalise pas des films azimutés et inclassables comme Freaked avec Alex Winter, il n’en abandonne pas pour autant son amour de la marge et de l’antisocial avec ce documentaire aussi passionnant qu’émouvant. Le scénariste disait avoir comme modèle James L. Brooks, et de fait : non seulement le résultat est déjanté, mais il est également particulièrement touchant, amer, propre à tirer des larmes aux plus insensibles d’entre vous.

La Spirale : À la question traditionnelle du disque que l’on emmènerait sur une ile déserte, je réponds sans hésiter par la discographie complète des Butthole Surfers. Escouade de Texans fous-furieux, aussi punks que psychédéliques, option LSD, « bad trip » et fusil à pompe, dont le réalisateur Tom Stern réussit ici à nous narrer les aventures avec brio. Totalement total !

Avec Gibby Haynes, Paul Leary, King Coffey, David Yoh, Eric André – Scénario : Tom Stern, Simon Weinstein – Photographie : Alex Poppas, Jim Saah – Montage : Scott Evans, Nick Ferrell – Musique : Butthole Surfers – Production : Noa Durban, Scott Evans, Derrick Rossi, Tom Stern – Durée : 106 minutes – Couleurs

Propos recueillis par Laurent Courau.

Votre première rencontre avec les Butthole Surfers remonte à leur concert au légendaire Pyramid Club, sur l’Avenue A dans l’East Village new-yorkais, en 1984. Pour nos lecteurs qui n’ont pas eu la chance de connaître cette époque aussi sauvage que créative et inimitable, pouvez-vous nous décrire vos émotions face à la folie et à la sauvagerie de ce moment unique ?

En réalité, je les ai vus pour la première fois en 1984 dans un autre club de l’East Village, le 8BC, situé sur la 8e Rue entre les avenues B et C. C’était un lieu underground très cool, dans la même veine que le Pyramid. Gibby avait des pinces à linge dans les cheveux, Trevor Malcolm jouait à la fois de la basse et du sousaphone, et la guitare stridente de Paul Leary traversait tout. On aurait dit qu’on m’enfonçait des glaçons dans le dos.

Comme spectateur, je suis difficile à impressionner : souvent, je perçois trop vite les influences ou le manque d’originalité. Mais ce soir-là, j’ai eu la révélation d’un assaut scénique et sonore totalement inédit. J’ai été happé immédiatement. Le double dispositif de batteries, avec King et Teresa, donnait un côté tribal irrésistible. À partir de là, je n’ai plus raté aucun de leurs concerts à New York. Ils passaient d’ailleurs beaucoup de temps dans la ville à cette période, et je faisais toujours partie du public.

Votre collaboration remonte aux années 1980. Quels films avez-vous réalisés pour le groupe ? Et qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec une formation aussi radicalement différente ?

À cette époque, j’étais étudiant en cinéma à l’université de New York (NYU). En février 1986, j’ai décidé de filmer leur concert au CBGB. À l’époque, on pouvait facilement assister aux balances. J’ai rencontré Paul, très chaleureux, qui m’a raconté leur récent séjour dans les montagnes du Colorado, à camper avec un sac rempli d’herbe et de champignons. Puis est arrivé Gibby, beaucoup plus énigmatique et un peu inquiétant, qui jouait avec un massicot posé sur le bar. Je lui ai proposé de filmer le show. D’abord sceptique, il a accepté si je promettais de lui envoyer la cassette.

Avec un ami, nous avions déjà tourné un court-métrage dans lequel celui-ci courait nu dans Grand Central Station. Le groupe a adoré. C’est ainsi que nous sommes devenus amis et que nous avons collaboré. Plus tard, j’ai réalisé Entering Texas, un court-métrage d’horreur comique inspiré du film Massacre à la tronçonneuse, où le groupe jouait une bande de maniaques meurtriers. Il est encore visible sur YouTube. Un moment fort ? Gibby se masturbe dans une poêle brûlante, son sperme formant le mot « SATAN ».

Butthole Surfers

Comment est née le projet de ce film documentaire ? Et comment vous y êtes-vous pris pour raconter une histoire aussi longue, complexe et folle, avec autant de personnages et d’archives ?

L’idée est née il y a un peu plus de cinq ans, quand un ami m’a lancé : « Pourquoi ne pas faire un film sur les Butthole Surfers ? » La réponse était évidente. J’avais travaillé avec eux, j’étais un fan absolu. Et j’avais été profondément marqué par leur esthétique, qui a façonné ma voix artistique dès mes années d’étudiant. J’étais donc bien placé pour rendre hommage à la fois à leur univers visuel et à leurs personnalités.

Je voulais aussi raconter une histoire humaine. Le film prend d’ailleurs un tournant émotionnel vers la fin. Il m’a fallu cinq ans pour trouver la bonne forme, en travaillant avec mes monteurs, mon co-scénariste Simon Weinstein, un fan de la génération Z, et mon producteur Neil Faler. Le plus difficile a été l’absence d’images de qualité de leurs concerts de la fin des années 1980 : la scène était éclairée uniquement par leurs projections, et les caméras de l’époque n’étaient pas adaptées. J’ai donc eu recours à l’animation, aux marionnettes et à des effets psychédéliques pour recréer leur univers.

Aujourd’hui, je peux dire que le pari est réussi : à chaque projection, le public rit et pleure aux bons moments. Et surtout, le groupe adore le film. Pour moi, c’est la plus belle des validations.

Le film s’ouvre sur un avertissement au sujet de « séquences violentes avec des marionnettes » et nous plonge d’emblée dans des scènes bien provocantes. Comment avez-vous réussi à trouver un équilibre entre absurdité, humour et émotion brute ?

C’était naturel. Leur esthétique reposait sur des contrastes audacieux : le grotesque mêlé au beau, le choquant au tendre. Leur force, c’était d’oser briser les règles, expérimenter sans cesse, faire les choses à l’envers pour voir ce qui en sortirait. Ils étaient, d’une certaine manière, dadaïstes : l’absurde comme fil conducteur, sans autocensure. J’ai voulu adopter la même approche. Plutôt que de suivre un modèle établi, je me suis laissé guider par l’esprit d’expérimentation qui les caractérisait.

Butthole Surfers

Votre film explore aussi des zones plus intimes : traumatismes d’enfance, pertes personnelles, émotions à vif. Comment avez-vous amené une personne aussi insaisissable que Gibby Haynes à s’ouvrir ?

Je ne voulais pas d’un documentaire « promo », aseptisé. Ce qui intéresse vraiment, c’est ce qui dérange. Ma méthode a été de multiplier les entretiens, jusqu’à ce que les musiciens soient à l’aise et se livrent plus en profondeur. Le fait de les connaître depuis quarante ans m’a permis de gagner leur confiance. Ils savaient que je n’allais pas les trahir, mais que je voulais aussi montrer la vérité, sans fard. Cela impliquait parfois de poser des questions délicates, un peu maladroitement. Certaines de ces séquences figurent d’ailleurs dans le film. Par exemple, Gibby a eu une réponse très marquante à propos de ses problèmes de drogue.

Selon vous, quel a été l’impact des Butthole Surfers sur l’histoire de la musique et de la pop culture ?

C’était « le groupe préféré des groupes ». Pas forcément faciles d’accès pour le grand public, mais adulés par les musiciens, parce qu’ils étaient toujours inventifs. À l’époque, beaucoup de formations hardcore finissaient par se ressembler. Eux, au contraire, ouvraient grand les portes : ils osaient marier le punk, le metal, le psychédélisme et des rythmiques tribales. Paul Leary, guitariste nourri à Black Sabbath ou Led Zeppelin, leur apportait une puissance phénoménale.

En ce sens, ils ont anticipé le grunge. Nirvana, par exemple, leur doit beaucoup. Mais leur héritage dépasse le son : ils ont montré qu’il était possible d’assumer pleinement sa bizarrerie. C’est leur vraie contribution : avoir prouvé qu’il n’y a rien de plus fort que de laisser flotter son « freak flag » sans compromis.

Comme beaucoup de fans, nous espérons encore un nouvel album. Pensez-vous que ce soit envisageable ?

La porte n’est pas fermée. Peut-être que oui, peut-être que non. Il y a des idées qui circulent, mais je ne peux pas en dire davantage pour l’instant.

Tom Stern « Butthole Surfers : The Hole Truth and Nothing Butt »

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